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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 15 avril 2021, n° 19/04678

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Renault Trucks Grand Paris (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Esparbès

Conseillers :

Mme Homs, Mme Faivre

T. com. Lyon, du 27 mai 2019, n° 2017j19…

27 mai 2019

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Excelsior est locataire d'un véhicule poids lourd immatriculé CK 198 KJ.

Le 20 avril 2016, ce véhicule a été victime d'une collision avec un corps fixe et a subi un choc avant droit. La société Excelsior a confié, le jour même, son véhicule à l'entreprise Renault Truck Grand Paris en commandant des travaux. Le véhicule a été réparé moyennant une facture d'un montant de 1 840,79 euros.

Le 22 avril un pneu avant du véhicule a éclaté. Le véhicule a été remorqué jusqu'à la société Renault Truck Grand Paris.

L'assureur de protection juridique de la société Excelsior a désigné M. C. pour réaliser une expertise amiable. Les opérations d'expertise se sont déroulées de manière contradictoire le 13 décembre 2016. M. C. a remis son rapport, concluant à un manquement de la société Renault Truck Grand Paris à son obligation de résultat et à son obligation de conseil.

Par acte d'huissier du 28 novembre 2017, la société Excelsior a fait délivrer assignation à la société Renault Trucks Grand Paris devant le tribunal de commerce de Lyon, en vue de la voir condamnée à lui payer la somme de 40 034 euros en indemnisation de l'éclatement du pneu.

Par jugement du 28 mai 2019, ce tribunal a':

condamné la société Renault Trucks Grand Paris à payer à la société Excelsior, représentée par T. B. et J.F G., en qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 39 999,03 euros au titre de l'indemnisation du préjudice,

débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes,

condamné la société Renault Trucks Grand Paris à payer à la société Excelsior, représentée par T. B. et J.F G., en qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société Renault Trucks Grand Paris aux entiers dépens.

La Société Renault Trucks Grand Paris a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 4 juillet 2019.

Dans ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 13 mars 2020, la société Renault Trucks Grand Paris demande à la cour, sur le fondement des articles 1150, 1315 et 1787 du code civil de':

infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Excelsior représentée par T. B. et J.F G., en qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 39 999,03 euros au titre de l'indemnisation du préjudice et débouté les parties de leurs autres demandes,

A titre principal,

débouter la société Excelsior représentée par T. B. et J.F G., en qualité de liquidateur judiciaire, de l'ensemble de ses fins, demandes et conclusions,

A titre subsidiaire,

limiter le prononcé de toute condamnation envers la société Excelsior représentée par T. B. et J.F G., en qualité de liquidateur judiciaire, à hauteur du montant de la prestation rendue s'élevant à 1840,79 euros HT, à l'exclusion de tout dommage indirect,

A titre sous-subsidiaire,

réduire à de plus justes proportions toute indemnité du fait de l'existence d'un partage de responsabilité pour faute de la victime ou en cas de perte de chance pour défaut de conseil,

A titre reconventionnel,

condamner la société Excelsior représentée par T. B. et J.F G., en qualité de liquidateur judiciaire, à lui payer la somme de 25 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,

En tout état de cause,

rejeter tout appel incident de la société Excelsior représentée par T. B. et J.F G., en qualité de liquidateur judiciaire, visant à la réévaluation de sa demande d'indemnisation à hauteur de 70 766,25 euros,

condamner la société Excelsior présentée par T. B. et J.F G., en qualité de liquidateur judiciaire à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dans ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 23 décembre 2019, la SELARL Etude B. etG. représentée par Maîtres T. B. et JF. G., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Excelsior demande à la cour, sur le fondement des articles 1134, 1147, 1315, 1382 et suivants anciens du code civil et des articles L. 622-21 et L. 622-24 du code de commerce de':

confirmer le jugement rendu le 27 mai 2019 par le tribunal de commerce de Lyon en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a dit et jugé que la société Renault Trucks Grand Paris a manqué à son égard à son obligation d'entretien, son obligation de réparation, son obligation de conseil et à son obligation de sécurité,

infirmer le jugement rendu le 27 mai 2019 par le tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a limité le montant de son indemnisation à la somme de 39 999,03 euros au titre des préjudices subis,

Et statuant de nouveau,

condamner la société Renault Trucks Grand Paris à lui verser la somme de 70 766, 25 euros HT de dommages et intérêts au titre du manquement à son obligation d'entretien, de conseil, de réparation et de sécurité,

confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Renault Truck Grand Paris à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de première instance,

Et statuant de nouveau,

condamner la société Renault Truck Grand Paris à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en sus de la condamnation prononcée à ce titre en première instance et condamner cette dernière aux entiers dépens d'appel avec distraction au profit de Maître Olivier V., avocat au barreau de Lyon-SELARL Olivier V., CDMF-avocats Lyon, sur son affirmation de droit, débouter la société Renault Truck Grand Paris de toutes ses demandes, y compris celles formulées au titre d'indemnisation pour procédure abusive pour un quantum de 25 000 euros non justifié et non fondé et de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que des entiers dépens d'instance et d'appel, demandes qui sont en outre inopposables à la liquidation judiciaire de la société Excelsior dès lors qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une déclaration de créance entre les mains du liquidateur judiciaire.

MOTIFS

Sur la responsabilité de la société Renault Truck Grand Paris

S'agissant de son obligation d'entretien et de réparation

En application de l'article 1787 du code civil, le garagiste est lié à son client par un contrat d'entreprise ou louage d'ouvrage. Ce contrat met à la charge du garagiste une obligation principale de procéder à une opération d'entretien ou de réparation sur le véhicule qui lui est confié ainsi que des obligations accessoires de conseil et de sécurité.

Le garagiste est contractuellement tenu, en intervenant sur un véhicule, de restituer celui-ci en état de marche correct. Les parties doivent donc déterminer précisément la nature des travaux à effectuer, éléments essentiels du contrat et le garagiste est tenu d'une obligation de résultat au regard de la réparation qui lui est commandée, laquelle emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage, de sorte qu'il lui appartient de démontrer qu'il n'a pas commis de faute.

Néanmoins, la responsabilité du garagiste ne s'étend qu'aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat, et il appartient donc au demandeur à l'action en responsabilité civile de démontrer que le dommage subi par son véhicule trouve son origine dans l'organe sur lequel est intervenu le garagiste.

En l'espèce, le 20 avril 2016 la société Excelsior, locataire d'un véhicule poids lourds de marque Renault Trucks type Premium a confié à la société Renault Truck Grand Paris cet engin endommagé à l'avant droit par suite d'une collision survenue le même jour avec un corps fixe. La société Renault Truck Grand Paris a établi un ordre de réparation du véhicule stipulant «'suite à demande client véhicule accidenté en attente, faire pose d'un rétroviseur + faire réparation éclairage av'». En réponse, la société Excelsior a transmis au garagiste un courriel stipulant, «'suite à notre conversation de ce jour, je vous confirme la remis en route de notre véhicule accidenté':

- pose rétroviseur

- réparation éclairage avant'».

La société Renault Truck Grand Paris a ensuite transmis à la cliente un devis d'un montant de 1 856,09 euros HT sur lequel cette dernière a apposé la mention «'bon pour accord'». Il est également constant que le 22 avril 2016, le pneumatique avant droit a éclaté, alors que le véhicule avait effectué environ 700 kilomètres depuis la réparation.

Or, c'est à juste titre que l'appelante soutient que son intervention ne portait pas sur les pneumatiques mais uniquement sur des réparations limitativement énumérées, en l'espèce, le rétroviseur et l'éclairage avant, comme en atteste l'utilisation de la ponctuation «'deux points'» qui sert à annoncer une énumération.

En conséquence, la SELARL Etude B. et G. représentée par Maîtres T. B. et JF. G., ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Excelsior qui échoue à rapporter la preuve que l'intervention du garagiste portait sur l'élément défaillant à l'origine de l'accident invoqué, n'est pas fondée à rechercher la responsabilité du garagiste au titre d'un manquement à son obligation d'entretien et de réparation.

S'agissant de son obligation de conseil et de son obligation de sécurité

Le garagiste est également tenu à une obligation contractuelle d'information qui prend la forme d'un devoir de conseil. En exécution de cette obligation, il appartient au garagiste-réparateur de conseiller son client sur la nature de l'intervention à réaliser sur le véhicule, lequel ne peut se retrancher derrière les ordres de son client. En particulier, il doit attirer l'attention de son client sur l'inutilité des travaux demandés mais aussi sur l'opportunité d'en réaliser d'autres qui n'ont pas été sollicités par celui-ci mais qui s'avèrent nécessaires. Elle impose l'existence d'un certain lien entre l'intervention sollicitée par le client et celle que le garagiste aurait dû conseiller à son client. Le garagiste doit avoir eu l'occasion de s'interroger sur l'opportunité de la prestation litigieuse. La charge de la preuve de l'exécution de cette obligation de conseil incombe au garagiste.

Enfin, il est tenu, envers ses clients qui lui confient un véhicule en vue d'une réparation, d'une obligation de sécurité dont il peut s'exonérer en prouvant qu'il n'a pas commis de faute.

En l'espèce, compte tenu de la localisation du choc à l'avant droit du véhicule la SELARL Etude B. et G. représentée par Maîtres T. B. et JF. G., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Excelsior fait grief à l'appelante de ne pas lui avoir proposé de procéder à la vérification de la géométrie des trains avant du camion, et d'avoir ainsi manqué à son obligation de conseil alors que M. C. relève dans son rapport d'expertise que les pneumatiques présentent une usure irrégulière avec prédominance à l'intérieur, typique d'un défaut de parallélisme. Elle invoque également un manquement du garagiste à son obligation de sécurité, au motif que cette faute aurait pu conduire à des conséquences dramatiques.

S'il n'est pas contesté que l'éclatement du pneu est survenu deux jours après l'intervention du garagiste, il est tout aussi constant que l'affirmation de la société Renault Truck Grand Paris selon laquelle elle a procédé à la vérification des roues et pneus sans relever aucun dysfonctionnement se trouve corroborée par la mention portée sur l'ordre de réparation du véhicule.

Les intimés ne sont donc pas fondés à se prévaloir du caractère fautif du contrôle ainsi opéré, dès lors que, comme le relève justement la société Renault Truck Grand Paris, ils ne justifient d'aucun élément, autre que le rapport d'expertise de M. C., attestant que l'éclatement du pneu trouve son origine dans un défaut de parallélisme du camion, lequel rapport amiable contradictoire établi à la demande de l'assureur de la société Excelsior, ne peut cependant à lui seul établir la preuve d'un manquement de l'appelante à son obligation d'information et de sécurité, le juge ne pouvant, en effet, se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, peu important qu'elle l'ait été en présence de celles-ci.

La SELARL Etude B. et G. représentée par Maîtres T. B. et JF. G., ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Excelsior, qui échoue ainsi à rapporter la preuve de ce que l'éclatement du pneu, survenu après une circulation de 700 kilomètres, trouve son origine dans un défaut de parallélisme, n'est donc pas fondée à reprocher un manquement de la société Renault Truck Grand Lyon à son devoir de conseil. En conséquence, elle doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de cette dernière et le jugement déféré doit être infirmé.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

L'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.

En l'espèce, ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure, ne permettent de caractériser à l'encontre de la SELARL Etude B. et G. représentée par Maîtres T. B. et JF. G., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Excelsior une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit d'agir ou de défendre en justice. Il n'est donc pas fait droit à la demande de dommages-intérêts formée à ce titre.

Sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La SELARL Etude B. et G. représentée par Maîtres T. B. et JF. G., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Excelsior qui succombe conserve à sa charge l'intégralité des dépens de première instance et d'appel.

Par ailleurs, des considérations d'équité commandent de condamner la SELARL Etude B. et G. représentée par Maîtres T. B. et JF. G., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Excelsior à verser à la société Renault Truck Grand Paris une indemnité globale de procédure de première instance et d'appel, laquelle demande n'est pas irrecevable dès lors que la créance d'indemnité de procédure, qui résulte d'une condamnation postérieure à l'ouverture de la procédure collective ne constitue pas une créance antérieure soumise à déclaration. Il convient en outre d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Renault Truck Grand Paris à une indemnité de procédure au titre de la première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Déboute la SELARL Etude B. et G. représentée par Maîtres T. B. et JF. G., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Excelsior de l'ensemble de ses demandes,

Déclare recevable la demande formée par la société Renault Truck Grand Paris au titre d'une indemnité de procédure,

Condamne la SELARL Etude B. et G. représentée par Maîtres T. B. et JF. G., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Excelsior à payer à la société Renault Truck Grand Paris une somme de 2 000 euros à titre d'indemnité globale de procédure de première instance et d'appel,

Condamne la SELARL Etude B. et G. représentée par Maîtres T. B. et JF. G., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Excelsior aux dépens de première instance et d'appel.