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Décisions

CA Metz, 6e ch., 19 septembre 2024, n° 22/00326

METZ

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Utilis (SAS)

Défendeur :

GEIE I-4S, Innovation for Shelter International I-4S (SARL), I-4S France anciennement Becher (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flores

Conseillers :

Mme Devignot, Mme Dussaud

Avocats :

Me Faravari, Me Biver-Pate, Me Bai-Mathis

TJ Metz, du 23 déc. 2021, n° 2015/00101

23 décembre 2021

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Utilis a pour activité la fabrication et le négoce de tentes et structures modulaires ainsi que le négoce de produits de protection et de sécurité destinés à l'industrie et au bâtiment. M. [G] [B] et M. [K] [Y] sont d'anciens salariés de la SAS Utilis.

La SAS Utilis est entrée en relations d'affaires avec la SARL Becher et lui a confié la confection de ses toiles de tentes.

Les relations entre ces deux sociétés se sont dégradées depuis 2013.

Différentes procédures judiciaires ont été engagées par la SAS Utilis :

- une action en contrefaçon à l'encontre de la SARL Becher devenue depuis la SAS I-4S France, de la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et du groupement européen d'intérêt économique (ci-après GEIE) I-4S devant le tribunal judiciaire de Paris,

- une procédure d'expulsion à l'encontre de la SARL Becher devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines,

- la présente instance.

La SARL Becher a également intenté une action en paiement à l'encontre de la SAS Utilis devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Metz.

Par actes d'huissiers signifiés le 10 novembre 2014 à M. [B], le 18 novembre 2014 à la SARL Becher, à la SARL Becher STP ainsi qu'au GEIE I-4S, le 25 novembre 2014 à M. [Y] et le 26 novembre 2014 à la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S, la SAS Utilis a fait assigner ces défendeurs devant le tribunal de grande instance de Metz afin de le voir, au visa de l'article 1382 du code civil:

- la dire et juger recevable et bien fondée en son action,

- dire et juger qu'elle a été victime d'actions concertées, de man'uvres, caractérisant la concurrence déloyale et que chacun des requis a été associé à ces man'uvres,

- les condamner conjointement et solidairement à lui payer une somme de 1.110.000 euros,

- condamner la SARL Becher, seule, à lui payer une somme de 100.000 euros du chef des retards de production de tentes qui ont entraîné des frais financiers très importants,

- condamner solidairement l'ensemble des défendeurs à lui payer une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au pro't de M. Ferrari Bloch, avocat.

Par ordonnance du 6 juillet 2017, le juge de la mise en état a :

- déclaré recevable la requête en incident présentée par la SARL Becher,

- rejeté la demande de mesures provisoires formée par la SARL Becher et tendant au retrait immédiat et intégral de toute image représentant la SARL Becher ou la SARL Becher STP, son personnel, ses dirigeants, ses biens, ses moyens de production, ses produits, diffusée par la SAS Utilis sur son site internet et sur le site internet YouTube ainsi que sur tout autre support sur lequel ce message publicitaire serait diffusé outre la demande d'af'chage,

- rejeté la demande de mesures provisoires formée par la SAS Utilis à savoir:

* ordonner, dans la huitaine de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard que soit ordonné à I-4S de:

a) modi'er son site et ainsi que de supprimer toute photographie appartenant à la photothèque de la SAS Utilis telles que listées dans le constat de M. [H] [I], huissier de justice, du 12 août 2015,

b) modi'er son logo et son slogan a'n qu'aucune confusion ne puisse être entretenue avec le logo et le slogan de la SAS Utilis créés bien auparavant,

c) supprimer toute référence au terme «sur-toit» et de modi'er les références de ses produits a'n qu'aucune confusion avec ceux commercialisés par la SAS Utilis ne soit possible,

* rejeter la demande de communication de pièces sous astreinte présentée par la SAS Utilis,

- rejeté la demande de provision sur dommages et intérêts présentée par la SARL Becher,

- rejeté la demande de provision sur dommages et intérêts présentée par la SAS Utilis,

- rejeté les demandes formées par la SARL Becher et la SARL Becher STP au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les demandes formées par la SARL Becher, la SARL Becher STP, la SAS Utilis, M. [B], M. [Y], le GEIE I-4S et la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens de l'incident suivront le sort de la procédure au fond,

Pour la poursuite de l'instruction,

- a renvoyé l'affaire devant le juge de la mise en état le 12 septembre 2017,

- a invité le GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S, M. [Y] et M. [B] à conclure,

- a invité la SARL Becher et la SARL Becher STP à produire un extrait Kbis,

- a ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

La SARL Becher est devenue la SAS I-4S France.

Par ordonnance du 19 novembre 2020, le juge de la mise en état a:

- rejeté les 'ns de non-recevoir présentées par la SAS I-4S France, la SARL Becher STP, M. [B], M. [Y], le GEIE I-4S et la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S tirées de l'irrecevabilité de la requête en incident déposée par la SAS Utilis sous format papier et enregistrée au greffe le 20 novembre 2019,

- rejeté l'exception de connexité présentée par la SAS Utilis,

- condamné la SAS Utilis aux dépens de la procédure d'incident et à régler:

* à M. [B], M. [Y], le GEIE I-4S et la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S la somme de 200 euros chacun (soit 800 euros au total) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* à la SAS I-4 S France et à la SARL Becher STP la somme de 500 euros chacune (soit 1.000 euros au total) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- renvoyé la cause et les parties à l'audience du juge de la mise en état du 15 décembre 2020 pour la réplique éventuelle de la SAS Utilis aux conclusions des sociétés I-4S France et Becher STP notifiées le 14 octobre 2019 avec injonction de conclure,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente ordonnance.

Par ses dernières conclusions récapitulatives du 25 mai 2021, la SAS Utilis a demandé au tribunal, au visa de l'article 1240, anciennement 1382 du code civil, de:

- la dire recevable et bien fondée en son action,

- dire et juger qu'elle a été victime d'agissements de concurrence déloyale et parasitaire accomplis de concert par la SARL Becher STP, la SAS I-4S France, le GEIE-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S, M. [B] et M. [Y],

- condamner solidairement les défendeurs à lui payer la somme de 2.000.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des pertes consécutives aux agissements de concurrence déloyale et parasitaire,

En tout état de cause,

- condamner la SAS I-4S France à lui payer la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des frais financiers consécutifs aux retards de livraison,

- ordonner la cessation des agissements déloyaux sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard et/ou par infraction constatée, et en particulier:

a) le retrait par I-4S de photographies prises dans la photothèque de son site internet,

b) la modification des références, logos et dénominations proches des siens adoptées par les sociétés défenderesses pour désigner leurs produits et leur activité,

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois périodiques de son choix aux frais des défenderesses, dans la limite de 4.000 euros par publication,

- dire et juger les demandes reconventionnelles de tous les défendeurs irrecevables, en tous les cas non fondées,

- débouter les défendeurs de toutes leurs demandes reconventionnelles,

- condamner solidairement la SARL Becher STP, la SAS I-4S France, le GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S, M. [B] et M. [Y] à lui payer une somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure en ce y compris les frais de constats d'huissiers qu'elle a engagés,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par conclusions du 22 avril 2021, M. [B], M. [Y], le GEIE I-4S et la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S ont demandé au tribunal de :

- débouter la SAS Utilis de toutes ses demandes dirigées à leur encontre,

- condamner la SAS Utilis à leur payer une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la SAS Utilis à leur payer chacun une somme de 10.000 euros au titre de l'artic1e 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens,

Par leurs dernières conclusions récapitulatives du 27 août 2021, la SAS I-4S France et la SARL Becher STP ont demandé au tribunal, au visa des articles 1382 ancien du code civil, 1240 du code civil et 700 du code de procédure civile, de:

- dire et juger que les constats d'huissier produits par la SAS Utilis en pièce 42 (constat M. [I], huissier de justice, 12 août 2015) et en pièce 110 (constat du 17 février 2017) sont nuls et de nul effet, et en conséquence, les écarter des débats,

- écarter la pièce produite par la SAS Utilis sous le numéro 114 des débats, subsidiairement, ordonner à la SAS Utilis de justi'er de la provenance de cette pièce et leur réserver de conclure sur ce point,

- débouter la SAS Utilis de l'intégralité de ses demandes,

- la condamner:

* à verser à la SAS I-4S France la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par cette dernière en raison des actes de concurrence déloyale opérés par la SAS Utilis,

* au paiement d'une amende civile de 10.000 euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

* à verser à la SARL Becher STP une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour action abusive, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

* à leur verser chacune la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement par application de l'article 515 du code de procédure civile.

Par jugement du 23 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Metz a:

Vu les ordonnances rendues le 6 juillet 2017 et 19 novembre 2020 par le juge de la mise en état de la juridiction de céans,

- écarté des débats le constat dressé le 12 août 2015 par M. [I], huissier de justice, à la requête de la SAS Utilis qui est sa pièce N°42,

- écarté des débats le constat dressé le 6 septembre 2016 par M. [I], huissier de justice, à la requête de la SAS Utilis qui est sa pièce N°77,

- dit n'y avoir lieu à écarter des débats le constat d'huissier du 7 février 2017 dressé par M. [I], huissier de justice,

- dit n'y avoir lieu à écarter des débats la pièce N°114 produite par la SAS Utilis,

- débouté la SAS Utilis de sa demande de dommages et intérêts en réparation de faits d'actes de concurrence déloyale et parasitaire formée à l'encontre de la SARL Becher STP, de la SAS I-4S France, du GEIE I-4S, de la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S, de M. [B] et de M. [Y],

- débouté la SAS Utilis de sa demande tendant à ordonner la cessation des agissements déloyaux sous astreinte de 5.000 euros par jour et/ou par infraction constatée et en particulier le retrait par I-4S de photographies prises dans la photothèque de la SAS Utilis de son site internet et la modification des références, logo et dénominations proches de ceux de la SAS Utilis adoptés par les sociétés défenderesses pour désigner leurs produits et leur activité,

- débouté la SAS Utilis de sa demande formée à l'encontre de la SAS I-4S France de la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des frais 'nanciers consécutifs à des retards de livraison,

- débouté la SAS I-4S France de sa demande de dommages et intérêts chiffrée à 100.000 euros formée à l'encontre de la SAS Utilis du fait d'actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- débouté M. [B], M. [Y], le GEIE I-4S et la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamné la SAS Utilis à régler à la SARL Becher STP la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- dit n'y avoir lieu à amende civile,

- condamné la SAS Utilis aux dépens, comprenant ceux de l'ordonnance du 6 juillet 2017,

- condamné la SAS Utilis à régler à M. [B], à M. [Y], au GEIE I-4S et à la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S la somme de 5.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS Utilis à régler à la SAS I-4S France et à la SARL Becher STP chacune la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SAS Utilis de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à publication du présent jugement,

- prononcé l'exécution provisoire du présent jugement.

Par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel de Metz le 1er février 2022, la SAS Utilis a interjeté appel aux fins d'annulation, subsidiairement infirmation du jugement en ce qu'il:

- a écarté des débats les deux constats d'huissiers produits en pièce 42 et 77

- l'a déboutée de chacune de ses demandes (reprises dans la déclaration d'appel)

- l'a condamnée aux dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 21 octobre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, la SAS Utilis demande à la cour de:

- recevoir son appel et le dire bien fondé,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il:

* a écarté des débats le constat dressé le 12 août 2015 par M. [I], huissier de justice, à sa requête (pièce N°42),

* a écarté des débats le constat dressé le 6 septembre 2016 par M. [I], huissier de justice, à sa requête (pièce N° 77),

* l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts en réparation de fait d'actes de concurrence déloyale et parasitaire formée à l'encontre de la SAS I-4S France, du GEIE I-4S, de la société Innovation For Shelter International I-4S,

* l'a déboutée:

- de sa demande tendant à ordonner la cessation des agissements déloyaux sous astreinte de 5.000 euros par jour et/ou par infraction constatée, et en particulier le retrait par I-4S de photographies prises dans la photothèque de son site internet et la modification des références, logos et dénominations proches des siens adoptées par les sociétés défenderesses pour désigner leurs produits et leur activité,

- de sa demande en paiement formée à l'encontre de la SAS I-4S France de la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des frais financiers consécutifs à des retards de livraison,

* l'a condamnée aux dépens comprenant ceux de l'ordonnance du 6 juillet 2017,

* l'a condamnée à régler au GEIE I-4S et à la société Innovation For Shelter International I-4S la somme de 5.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a condamnée à régler à la SAS I-4S France la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* a prononcé l'exécution provisoire du jugement,

* a rejeté ses demandes tendant :

- à voir dire et juger qu'elle a été victime d'agissements de concurrence déloyale et parasitaire accomplis de concert par la SAS I-4S France, le GEIE I-4S et la société Innovation For Shelter International I-4S et à condamner solidairement ces sociétés à lui payer la somme de 2.000.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des pertes consécutives aux agissements de concurrence déloyale et parasitaire,

- à la condamnation en tout état de cause de la SAS I-4S France à lui payer la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des frais financiers consécutifs aux retards de livraison,

- à voir ordonner la cessation des agissements déloyaux sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard et/ou par infraction constatée et en particulier le retrait par I-4S des photographies prises dans la photothèque de son site internet, la modification des références, logos et dénominations proches des siens adoptées par les sociétés défenderesses pour désigner leurs produits et leur activité,

- à voir ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois périodiques de son choix auprès des défenderesses dans la limite de 4.000 euros par publication,

- à voir condamner solidairement la SAS I-4S France, le GEIE I-4S et la société Innovation For Shelter International I-4S aux entiers frais et dépens, y compris les frais de constat d'huissier, ainsi qu'à lui payer une somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau,

Vu l'article 1240 (anciennement 1382) du code civil,

Vu les pièces produites dans le cadre de la procédure au fond,

- la déclarer recevable et bien fondée en son action,

- dire n'y avoir lieu d'écarter des débats les constats d'huissier des 12 août 2015 et 6 septembre 2016,

- déclarer qu'elle a été victime d'agissements de concurrence déloyale et parasitaire accomplis de concert par la SAS I-4S France, le GEIE I-4S et la société Innovation For Shelter International I-4S,

- condamner solidairement le GEIE I-4S, la société Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France à lui payer la somme de 2.000.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation des pertes consécutives aux agissements de concurrence déloyale et parasitaire et au titre de son préjudice moral,

- condamner la SAS I-4S France à lui payer la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des frais financiers consécutifs aux retards de livraison,

- ordonner la cessation des agissements déloyaux sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard et/ou par infraction constatée, et en particulier:

* le retrait par I-4S de photographies prises dans la photothèque de son site internet,

* la modification des références, logo et dénominations proches des siens adoptées par les sociétés défenderesses pour désigner leurs produits et leur activité,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois périodiques de son choix aux frais des défenderesses, dans la limite de 4.000 euros par publication,

- rejeter l'appel incident de la SAS I-4S France, le dire mal fondé,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SAS I-4S France de sa demande de dommages et intérêts pour faits d'actes de concurrence déloyale et parasitaire formée à son encontre,

- condamner solidairement la SAS I-4S France, le GEIE I-4S et la société Innovation For Shelter International I-4S à lui payer une somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance, et une somme de 40.000 euros pour la procédure d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SAS I-4S France, le GEIE I-4S et la société Innovation For Shelter International I-4S aux entiers frais et dépens d'instance et d'appel, en ce compris les frais de constats d'huissiers qu'elle a engagés.

Par conclusions déposées le 30 mars 2023, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, la SAS I-4S France (anciennement la SARL Becher) demande à la cour, au visa de l'ancien article 1382 du code civil, de l'article 1240 du même code et de l'article 700 du code de procédure civile, de:

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a:

* écarté des débats le constat dressé le 12 août 2015 par M. [I], huissier de justice, à la requête de la SAS Utilis qui est sa pièce N°42,

* écarté des débats le constat dressé le 6 septembre 2016 par M. [I], huissier de justice, à la requête de la SAS Utilis qui est sa pièce N°77,

* débouté la SAS Utilis de sa demande de dommages et intérêts en réparation de faits d'actes de concurrence déloyale et parasitaire formée à son encontre, à l'encontre du GEIE I-4S, de la société Innovation For Shelter International I-4S, de M. [B] et de M. [Y],

* débouté la SAS Utilis de sa demande tendant à ordonner la cessation des agissements déloyaux sous astreinte de 5.000 euros par jour et/ou par infraction constatée et en particulier le retrait par I-4S de photographies prises dans la photothèque de la SAS Utilis de son site internet et la modification des références, logo et dénominations proches de ceux de la SAS Utilis adoptés par les sociétés défenderesses pour désigner leurs produits et leur activité,

* débouté la SAS Utilis de sa demande formée à son encontre de la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des frais 'nanciers consécutifs à des retards de livraison,

* condamné la SAS Utilis à régler à la SARL Becher STP la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

* condamné la SAS Utilis aux dépens comprenant ceux de l'ordonnance du 6 juillet 2017,

* condamné la SAS Utilis à régler à M. [B], M. [Y], au GEIE I-4S et à la société Innovation For Shelter International I-4S la somme de 5.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la SAS Utilis à lui régler ainsi qu'à la SARL Becher STP la somme de 5.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* débouté la SAS Utilis de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* dit n'y avoir lieu à publication du présent jugement,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts chiffrée à 100.000 euros formée à l'encontre de la SAS Utilis du fait d'actes de concurrence déloyale et parasitaire,

Statuant à nouveau,

- condamner la SAS Utilis à lui verser la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi en raison des actes de concurrence déloyale opérés par la SAS Utilis,

- condamner la SAS Utilis à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens TTC.

Par conclusions déposées le 7 septembre 2023, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, le GEIE I-4S et la SARL Innovation For Schelter International I-4S demandent à la cour de:

- dire et juger l'appel de la SAS Utilis recevable en la forme mais non fondé,

En conséquence,

- con'rmer purement et simplement le jugement rendu par la première chambre civile du tribunal judiciaire de Metz du 23 décembre 2021 (RG n° 15/00101),

- condamner la SAS Utilis en tous les frais et dépens y compris au paiement d'une somme de 20.000 euros au pro't de la société Innovation For Shelter International I-4S et 20.000 euros pour le GEIE I-4S au titre de l'article 700 pour la procédure d'appel.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er février 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre préalable

La cour constate qu'aucun appel n'est formé, d'une part, sur les dispositions du jugement relatives à MM. [G] [B] et [K] [Y] et la société Becher STP, ces derniers n'ayant pas été intimés, et, d'autre part, sur les dispositions du jugement ayant:

- dit n'y avoir lieu à écarter des débats le procès-verbal de constat d'huissier dressé par Me [I] daté du 7 février 2017

- dit n'y avoir lieu à écarter des débats la pièce 114 produite par la SAS Utilis

Il est également relevé que le GEIE I-4S et la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S ne forment pas d'appel incident sur les dispositions du jugement ayant rejeté leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Par ailleurs il résulte des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties.

Or, il y a lieu de relever que si les intimés concluent dans les motifs de leurs conclusions à la nullité des procès-verbaux de constat dressés par Me [I], huissier, les 18 novembre 2014 et le 12 août 2015, la cour constate qu'aucune demande en ce sens n'est formée dans le dispositif de leurs conclusions. La cour n'en est donc pas saisie.

De même, si les intimés invoquent dans les motifs de leurs conclusions des moyens tendant à voir écarter des débats des attestations, aucune demande en ce sens n'est formée dans le dispositif de celles-ci. La cour n'a donc pas à y répondre.

Sur la loi applicable

Il résulte de l'article 12 du code de procédure civile et des principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne que si le juge n'a pas, sauf règles particulières, l'obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne, telle une règle de conflit de lois lorsqu'il est interdit d'y déroger, même si les parties ne les ont pas invoquées.

Il résulte de l'article 6 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »), que :

«1. la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un acte de concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l'être.

2. Lorsqu'un acte de concurrence déloyale affecte exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé, l'article 4 est applicable.

(...)

4. Il ne peut être dérogé à la loi applicable en vertu du présent article par un accord tel que mentionné à l'article 14.»

En l'espèce, les actes de concurrence déloyale et parasitaire invoqués par la SAS Utilis affectent principalement la France, où cette dernière a son siège social.

Dès lors, il faut considérer, comme l'ont fait les parties, que la loi française est applicable.

Sur les actes de concurrence déloyale et de parasitisme invoqués par la SAS Utilis

L'ancien article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et devenu depuis l'article 1240 du même code dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L'action en concurrence déloyale de la SAS Utilis, fondée sur les dispositions de cet article, implique ainsi l'existence d'une faute. L'appelante doit donc rapporter la preuve des agissements déloyaux et parasitaires qu'elle invoque, étant précisé que la caractérisation de la faute de concurrence déloyale n'exige pas la constatation d'un élément intentionnel.

Sur les demandes tendant à voir écarter des débats les procès-verbaux de constat dressés par huissier les 12 août 2015 et 6 septembre 2016

Il y a lieu de relever qu'il n'est pas sollicité la nullité de ces constats d'huissier mais seulement qu'ils soient écartés des débats.

La norme AFNOR NF Z 67-47 du 11 septembre 2010 de l'agence française de normalisation relative au mode opératoire de procès-verbal de constat sur internet effectué par huissier de justice (désormais commissaire de justice) invoquée par les intimés n'est qu'une recommandation qui fournit des repères utiles pour apprécier la force probante de documents constatés sur internet.

Afin de garantir la réalité des constatations opérées, cette norme préconise que l'huissier créée un espace vide et neutre de tout contenu susceptible de parasiter les constatations effectuées en effaçant notamment toutes les données inclues dans le navigateur (cookies, historique, désactivation de la connexion proxy, suppression de l'ensemble des fichiers temporaires stockés sur l'ordinateur). Il est également conseillé de collecter des informations permettant d'identifier l'adresse IP de l'ordinateur ayant servi aux constatations.

Or, c'est par de justes motifs qu'il convient d'adopter que les premiers juges ont relevé que l'huissier instrumentaire, dans son constat du 12 août 2015 dans les locaux la SAS Utilis, n'avait pas précisé l'adresse IP du poste informatique de M. [V] qu'il avait utilisée, ni le mode de navigation, ni le réseau de connexion, et qu'il n'avait pas vérifié non plus la suppression de la mémoire cache et de l'historique de navigation, ni n'avait décrit la navigation à laquelle il avait procédé.

Ce constat qui ne respecte les formalités préalables préconisées, ne permet pas d'assurer la fiabilité des constatations effectuées et n'a ainsi pas de valeur probante suffisante. Dès lors, il n'en sera pas tenu compte, sans qu'il soit nécessaire de l'écarter des débats. Le jugement sera infirmé à ce titre.

Il en est de même du procès-verbal de constat dressé par huissier le 6 septembre 2016 sur le poste de M. [V] au siège de la SAS Utilis.

Sur la valeur probante des attestations

Si les intimés contestent les attestations produites par la SAS Utilis, il y a lieu de rappeler qu'il appartient au juge d'apprécier souverainement si les attestations non conformes à l'article 202 du code de procédure civile présentent des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.

En l'espèce, si les attestations produites émanent effectivement de sous-traitants de la SAS Utilis avec laquelle ceux-ci entretiennent des relations commerciales, ce seul motif ne suffit pas à les écarter dans la mesure où des faits de concurrence déloyale et de parasitisme ne peuvent être établis ou au contraire contestés que par, majoritairement, des témoignages de clients ou de sous-traitants. En outre, ces attestations n'ont pas à être remises en cause si elles sont concordantes ou corroborées par d'autres éléments. Ces principes permettant d'apprécier la valeur probante des attestations produites seront appliqués ci-après.

Sur le parasitisme

Le parasitisme économique est une forme de déloyauté constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage.

Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit et, les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre en le déclinant un concept mis en 'uvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme.

A la différence de la concurrence déloyale, qui ne saurait résulter d'un faisceau de présomptions, le parasitisme résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité.

En l'espèce, il est constant que M. [K] [Y], qui était directeur commercial de la SAS Utilis, a quitté cette entreprise en août 2012 puis a créé la SARL Innovation For Schelter International I-4S le 23 août 2012 et en est devenu le gérant. M. [G] [B], qui était responsable technique de la SAS Utilis, a quitté cette dernière le 14 juin 2013. L'extrait du registre du commerce et des sociétés (RCS) de Luxembourg démontre qu'il a rejoint M. [Y] en qualité d'associé de la SARL Innovation For Schelter International I-4S le 17 juin 2013 et est devenu cogérant de cette société avec M. [Y] à compter de cette date.

Selon l'extrait Kbis du RCS du tribunal d'instance de Sarreguemines du 1er juin 2018, le GEIE I-4S a été immatriculé le 9 août 2013, le début d'exploitation étant daté du 10 juillet 2013 et avait pour cogérants la SARL Becher et la SARL Innovation For Schelter International I-4S. Les statuts du GEIE I-4S démontrent que son siège social était fixé à la même adresse que celle de la SARL Becher qui est devenue la SAS I-4S France à compter de février 2020.

Il ressort de ces mêmes statuts que le GEIE I-4S était composé :

- de la SARL Innovation For Schelter International I-4S chargée du développement commercial en France et à l'international, sauf en Espagne,

- de la SARL Becher chargée de la fabrication des produits commercialisés par la SARL Innovation For Schelter International I-4S

- et de la société Innovation for Shelter S.L qui exerçait auparavant sous le nom de Utilis Iberia (société espagnole) avant de devenir, selon un mail de cette dernière du 15 avril 2013 annonçant son changement de nom, Innovation for Shelter S.L. Elle elle a vendu les produits du GEIE I-4S en Espagne jusqu'au 7 avril 2014, date à laquelle elle a quitté ce dernier.

L'objet du GEIE I-4S est, selon l'article 3 des statuts, de faciliter et développer l'activité économique de ses membres, de développer et commercialiser une gamme de produits fabriqués par la SARL Becher dans les domaines suivants:

«- abris métallo textiles de petites, moyennes et grandes dimensions

- équipements militaires projetables destinés au soutien des hommes et des matériels

- la décontamination NRBC des personnes

- la protection collective NRBC

- la structure hospitalière mobile».

L'extrait Kbis du 10 juillet 2013 de la SAS Utilis précise que cette dernière a pour activité «la fabrication et le négoce de tentes et structures modulaires ainsi que le négoce de tout produit de protection et et sécurité et en général de tous produits destinés à l'industrie et au bâtiment». Les pièces produites démontrent qu'elle vend ses produits tant en France qu'au niveau international.

L'extrait du RCS luxembourgeois relatif à la SARL Innovation For Schelter International I-4S mentionne notamment que celle-ci a pour objet social l'achat et la vente de produits industriels et qu'elle «a pour objet d'effectuer le rôle d'intermédiaire, de conseil et de contrôle dans les activités de l'industrie de sécurité, de protection et des produits accessoires de la production à la distribution».

Il convient ainsi de constater que la SAS Utilis et les intimés sont concurrents sur un même marché de tentes destinées à un usage militaire ou médical, sur le plan national et international, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté.

Il y a lieu de souligner que dans ses conclusions, l'appelante précise que l'objet du litige porte uniquement sur les modèles TM fabriqués et vendus par la SAS Utilis.

Or, dans son procès-verbal de constat dressé le 26 janvier 2018 M. [KB], clerc habilité aux constats, après avoir respecté les recommandations de l'AFNOR en matière de constations sur internet, a consulté la page https://i-4s.eu correspondant au site internet du GEIE I-4S ainsi que le site de la SAS Utilis. Il a procédé à des captures d'écran sur les deux sites et a constaté que sur le site du GEIE I-4S (www.i-4S.eu qui est bien celui du GEIE et non de la société espagnole I-4S SL), était proposée une gamme de tentes «tentes gamme T avec les tentes T18, T36 et T54», «gamme identique» selon les termes du constat, à celle utilisée par la société Utilis correspondant à sa gamme de tentes modulaires TM.

La capture d'écran du site de la SAS Utilis relative à la gamme TM précise que cette tente disponible en modules de 18, 36 et 54 m² est «l'épine dorsale de la famille des tentes Utilis et que de par sa conception innovante, l'abri peut être mis en place dans un temps record de 3mn». Il est ensuite indiqué que ce produit est adapté aux clients novices ou aux militaires chevronnés, que les tentes peuvent être reliées entre elles et que les séparateurs intérieurs peuvent être modifiés pour apporter d'autres modularités.

Les constatations effectuées par le constat du 26 janvier 2018 sont corroborées par la comparaison des plaquettes respectives des parties. La plaquette intitulée «GEIE I-4S présentation I-4S France V3» produite par la SAS Utilis, dont l'authenticité n'est pas remise en cause par les intimés, présente la gamme T observée dans le constat susvisé avec un aspect extérieur similaire à celle de la gamme TM. Cette plaquette précise que la charpente est en aluminium et toile PVC suspendue, que le montage se fait en moins de 5 mn, que la tente résiste à des rafales de vent de 110 km/h et supporte 50kg/m² de neige sur le toit. Il est également proposé des tentes avec une protection NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), une unité de décontamination NRBC des personnes, un abri pare-soleil, des structures hospitalières.

La plaquette de la SAS Utilis (dont l'authenticité n'est pas non plus remise en cause) indique que la gamme TM supporte des températures allant de -30°C à +70° C, une charge de vent de 130 km/h et une charge de neige de 90 kg/m². Il est également proposé des tentes avec enveloppe NRBC, des filets thermiques, des unités mobiles de décontamination, ainsi que des modules d'urgence d'hospitalisation générale et de logistique hospitalière.

Il est ainsi constaté que la gamme T fabriquée et vendue par les intimés et la gamme TM fabriquée et vendue par la SAS Utilis sont quasiment identiques.

Il appartient donc à la SAS Utilis qui invoque l'existence d'un parasitisme d'établir l'existence de sa valeur économique identifiée et individualisée dans la fabrication de cette tente, un détournement fautif des investissements, étant précisé que la preuve de l'existence d'un risque de confusion n'est pas exigée, ainsi que la volonté des intimés de se placer dans son sillage.

* Sur le savoir-faire de la SAS Utilis

Il résulte des pièces produites par l'appelante, que par courrier du 27 janvier 1995, l'ANVAR Lorraine a indiqué à M. [M] [L], (créateur et président de la SAS Utilis à compter du 19 mars 1997) que la commission des aides à l'innovation avait décidé de lui allouer une aide de 214.000 francs [soit 32.624 euros] pour son projet concernant «la réalisation d'un prototype de tentes modulables et étude de faisabilité financière et juridique préalable à la création d'une entreprise spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de ce produit». Cette aide était subordonnée à la présentation d'un accord entre M. [L] et M. [JM] (propriétaire des brevets) relatif au système de charpente métallique tridimensionnelle et aux conditions du transfert des droits liés à ce brevet.

Selon le dossier présenté par M. [L] à l'ANVAR le montant de l'aide sollicitée devait permettre de financier notamment les entreprises Ditechna (fournisseur de la toile), Loroutil (fournisseur de pièces détachées) et la Chaudronnerie Montagne Entretien (CME) (fourniture et montage de l'armature) pour la fabrication d'un prototype selon les plans fournis par M. [L].

Les factures produites datées d'octobre et décembre 1996 démontrent que M. [L] a bien fait intervenir ces sociétés pour la réalisation du prototype, ce qui signifie qu'il a obtenu l'accord préalable de M. [JM] nécessaire à l'obtention de l'aide financière de l'ANVAR. L'appelante produit d'ailleurs les plans établis en 1993 et en 1997 par M. [JM], puis par MM. [JM] et [L] ensemble, ainsi que les photographies des prototypes réalisés.

Il est également produit l'étude du marché réalisée par la société Ernst & Young en mai 1997, soit concomitamment à la création de la SAS Utilis.

Il résulte des photographies et plans des premières tentes produites par la SAS Utilis (modèle 30P) que les premières tentes modulables qu'elle a réalisées étaient composées d'une structure métallique pliable à laquelle était suspendue la toile, cette dernière étant ainsi située sous la structure qui restait apparente. Selon les premières plaquettes de présentation émises par la SAS Utilis après sa création, ces tentes étaient destinées à être montables rapidement pour un usage militaire ou pour des secours civils, et à des situations d'urgence.

Il est constant que la SAS Utilis est ensuite entrée en relations d'affaires avec la SARL Becher (1997 selon les intimées et 1999 selon l'appelante).

Si la SAS I-4S France soutient que la SARL Becher avait également réalisé dès 1992 une structure à toile suspendue en collaboration avec M. [JM], il convient de relever que les photographies qu'elle produit à ce titre ne sont que des photographies de maquettes, intitulées pour l'une «maquette de la pyramide de Bliesbruck» qui ne correspondent pas à des tentes et dont les structures métalliques sont très différentes de celles des plans et prototypes réalisés par la SAS Utilis, même si la toile est effectivement également suspendue à la structure. Rien ne permet non plus d'établir que ces modèles ont des structures facilement démontables et articulées.

Par ailleurs, si la SAS I-4S France affirme avoir fabriqué, avant son partenariat avec la SAS Utilis, des tentes complètes et avoir un savoir-faire à ce titre, elle n'en justifie pas. En effet, la première tente intitulée «tente-stand» dont elle revendique la fabrication en 1994 relève plus d'un haut-vent que d'une tente, et l'autre modèle de grande dimension dont elle produit la photographie, datée de 1997, est une toile posée sur une structure métallique de style hangar agricole et ne correspond pas aux modèles modulables de tentes produits par la SAS Utilis. Enfin le brevet qui avait été déposé par les établissements Becher sellerie-tapisserie en 1979 concernait un abri de chantier avec une toile enduite PVC résistante, dont la forme en triangle correspond à une tente classique avec une toile qui se rabattait sur les côtés et s'assemblait grâce à des lacets passés dans des oeillets. Il convient d'observer que si ce produit a l'apparence d'une tente, il est précisé que ce modèle se roule et se déplie comme un drap, l'abri restant une bâche plate malgré sa forme de tente.

En outre, il résulte des documents émis par la SARL Becher que celle-ci avait pour nom d'enseigne «Becher stores et bâches» et sa plaquette de présentation versée aux débats mentionne expressément que cette entreprise est spécialisée dans la fabrication de stores et bâches. Il n'est à aucun moment mentionné la fabrication de tentes.

Dans son attestation du 26 novembre 2018, M. [P] [N], désormais retraité mais qui a travaillé pour la SARL Becher de 1980 à 2007 déclare qu'en «1996-1997, M. [M] [L] est venu plusieurs fois demander des offres de prix à la société Becher. Il est venu avec sa charpente de tente, ses plans et avec sa première toile confectionnée chez un confrère. A l'époque j'agissais en tant que chez d'atelier et je me suis occupé à confectionner ses toiles de tente pour ses premières livraisons clients et nous avons passé les premières années de collaboration avec plusieurs modèles de tentes. Je voyais souvent MM. [L] et [Y] de la société Utilis à venir pour d'autres modèles de tentes avec leurs structures et plans. Nous n'avions pas de bureau d'études, d'ingénieurs ni de techniciens en structures pour mettre au point ou développer quoique ce soit en structures de tentes. Nous n'avions pas dans nos ateliers une quelconque machine pour usiner quoique ce soit en pièces pour la société Utilis ou pour leur fabriquer des pièces de charpentes».

Si M. [N] a été licencié en 2007 et a pu travailler ensuite avec la SAS Utilis, les propos relatés dans son attestation n'ont cependant pas à être écartés dans la mesure où ils sont corroborés par d'autres pièces du dossier, notamment par la production de plans de tentes établis par la SAS Utilis alors que les plans invoqués par les intimés ne concernent que les plans des profilés ou de petites pièces annexes que la SARL Becher utilisait pour la confection de ses stores et qui ont ensuite été utilisés par la SAS Utilis pour composer la structure de ses tentes, mais selon des plans définis par l'appelante.

Il est donc ainsi démontré que c'est à partir d'un savoir-faire spécifique que la SAS Utilis a conçu les premiers modèles de tentes modulables, antérieurement à sa collaboration avec la SARL Becher, et que ce savoir-faire constituait une réelle innovation sur le marché civil et militaire, ce que confirme M. [U], créateur de la société TMB qui indique dans son attestation que la SAS Utilis est venue en 1997 avec un nouveau système de tente à montage rapide avec des charpentes métalliques déployables.

Il est constant que la SARL Becher a travaillé en qualité de sous-traitant de la SAS Utilis, la SAS I-4S France indiquant dans ses conclusions que la SAS Utilis représentait une large partie du chiffre d'affaires réalisé par la SARL Becher.

Il résulte des pièces produites par l'appelante, et notamment des factures versées aux débats relatives à des tests de résistance, des études sur la stabilité, des calculs pour l'ossature principale, des plans en 3D, des plans de guide technique, que la SAS Utilis a investi pour faire évoluer les modèles de tentes proposées en proposant plusieurs gammes dont le modèle TM, étant relevé qu'elle a également fait travailler d'autres sous-traitants que la SARL Becher. En effet, elle produit des factures émises par la SARL TMP (travaux mécaniques précisions) desquelles il résulte qu'elle a fait fabriquer par cette société pour les tentes modèles TM des modules, mécanismes, faîtières, raccord faîtières, embouts faîtières, des chapes alu, et articulations en septembre, octobre et novembre 2002.

Or, il résulte de plusieurs attestations (M. [U] directeur de la société TMB, M. [D] gérant de la société allemande Discobed fournisseur de lits pour la SAS Utilis et la société Utilis Iberica, M. [R] contrôleur général des sapeurs-pompiers, M. [J] ancien officier de l'armée de terre, M. [A] ancien responsable des matériels de secours et d'urgence du SAMU 94 et du SAMU Mondial, M. [JG] qui était adjoint militaire du directeur de la sécurité civile) qu'une amélioration importante a été apportée sur les tentes TM au dernier trimestre de l'année 2003. Ils précisent ainsi que la barre de jonction initiale avait été remplacée par des demi-barres pivotant sur un axe articulé, et qu'une fois assemblées ces demi-barres s'auto-bloquaient de part et d'autre de la panne faîtière dans des empreintes faites dans la faîtière. M. [JG] indique que cette nouvelle structure permettait un gain de temps lors du montage et facilitait la mise en 'uvre.

Dans une attestation du 23 juillet 2018, M. [JR], salarié de la SARL Becher et au moment de l'attestation responsable d'atelier de la SARL Becher STP indique «en début d'année 2000, nous avons développé une nouvelle tente destinée à être vendue à la SAS Utilis (') Nous avons utilisé les pièces de notre store Ombrada pour créer cette nouvelle charpente (') Lors du développement, nous étions confrontés à un problème au niveau de la pane faîtière qui pivotait lors de la mise en 'uvre. C'est alors que j'ai eu l'idée de réaliser un usinage en forme de papillon de part et d'autre de la pièce faîtière afin d'éviter tout mouvement de rotation une fois les deux arches de la tente assemblées par les profils de pane faîtière. Nous avons usiné pendant plusieurs mois ces pièces en nos ateliers jusqu'à ce que Utilis fasse usiner ses pièces chez un autre sous-traitant».

Cependant, la SAS Utilis produit une attestation de M. [Z] [T], salarié de la SAS Utilis depuis mai 2003 qui indique avoir eu la charge depuis son arrivée de la fabrication des charpentes des différents modèles de tentes TM, TXL, TMS, TMV et 30P et ce dans toutes les évolutions que ces modèles ont eues et avoir été le seul ouvrier de l'atelier de la société Utilis jusque mi-2004. Il précise ainsi avoir connu toutes les tentes et toutes les versions différentes qui ont ensuite été faites. Or, il déclare que le modèle TM avait, jusqu'en septembre 2003, la barre entre les faîtières qui était séparable, non accrochée au reste du faisceau de la charpente et que les barres s'emboîtaient sur des pontets qui étaient fixés sur les faîtières pour tenir les arches écartées. Il indique que «après septembre 2003 nous avons fabriqué des faîtières avec une empreinte usinée de chaque côté permettant le verrouillage en piètement des barres qui s'emboîtaient par aboutement des deux profilés.» Il termine en indiquant «je veux aussi rappeler les nuits que nous avons passées à l'atelier pour la création des charpentes TM qui ont ensuite donné droit au brevet».

Il convient tout d'abord de relever que la date à laquelle M. [JR] indique avoir eu l'idée de la pièce en forme de papillon (en début d'année 2000) ne correspond pas à la date de création du nouveau système invoquée par M. [T] ainsi que par les utilisateurs qui mentionnent une modification lors du dernier semestre 2003. Il n'est donc pas certain que la pièce invoquée corresponde à l'innovation intervenue en 2003. En outre, en l'absence d'autres attestations confirmant la version donnée par M. [JR], il n'est pas établi que l'innovation apparue en 2003 a été créée par le seul savoir-faire de la SARL Becher. L'attestation de M. [JR] vient en outre confirmer le fait que ce sont les profilés utilisés par la SARL Becher pour ses stores qui ont été utilisés et non une structure de tente qu'elle aurait déjà conçue.

Par ailleurs, la SAS Utilis démontre par la production de brochures, de courriers avec ses clients, avoir créé un modèle performant de chaîne de décontamination pour les tentes TM et avoir ensuite amélioré ses modèles par des accessoires complémentaires fabriqués par d'autres sous-traitants que la SARL Becher.

Enfin il y a lieu d'observer que si, dans son jugement du 12 janvier 2023 (désormais définitif), le tribunal judiciaire de Paris a annulé le brevet déposé par la SAS Utilis au titre du modèle TM, c'est uniquement en raison du fait que l'invention de ce modèle avait été rendue accessible au public avant la date du dépôt du brevet, qui de ce fait se trouvait dépourvu de nouveauté et non parce-que la SAS Utilis ne serait pas l'auteur de cette innovation.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le système innovant de la tente à montage rapide est né du savoir-faire initial de la SAS Utilis (préexistant à ses relations contractuelles avec la SARL Becher) qui s'est développé ensuite pour aboutir au modèle TM, certes avec la conception de pièces fabriquées par son sous-traitant la SARL Becher, mais selon un concept et des plans développés spécifiquement par la SAS Utilis ; concept dont il n'est pas démontré qu'il existait déjà sur le marché.

* Sur le détournement fautif des investissements de la SAS Utilis

La SAS Utilis a bénéficié, ainsi qu'il l'a été relevé ci-dessus, d'aides à l'innovation par l'ANVAR mais également par le conseil régional de Lorraine à hauteur de 30.000 euros le 10 juillet 2009 afin de faciliter son développement à l'international.

Il résulte d'un courrier du 8 août 2008, de la SA OSEO Innovation, que cette dernière a attribué à la SAS Utilis une aide de 110.000 euros sous forme d'avance remboursable afin de mettre au point et de développer des «berces de décontamination». La SA OSEO avait également accordé à la SAS Utilis par courrier du 31 mai 2007 un financement à hauteur de 600.000 euros pour financer des dépenses liées à son développement international.

Il résulte par ailleurs d'un document de synthèse établi par le cabinet KPMG, expert comptable de la SAS Utilis, corroboré par les factures correspondantes, que la SAS Utilis a financé de juin 2008 jusqu'à juin 2013, date du départ de M. [B]:

- des études techniques pour un montant total de 232.240 euros HT

- des études de prototypes pour un montant total de 146.974 euros HT

- des frais de conception et de réalisation de plans pour un total de 535.576 euros HT.

Les pièces produites, et notamment l'attestation de M. [X], gérant de TC Ingineering, démontrent que la SAS Utilis engageait des dépenses d'investissement également pour permettre à ses sous-traitants de développer les produits dédiés au domaine militaire et urgentiste.

Il ressort par ailleurs du registre du personnel de la SARL Becher et de la liste du personnel de la SAS Utilis (le contenu de ces documents n'étant pas remis en cause par les parties) que la SAS Utilis employait des ingénieurs et techniciens (48% de ses salariés) alors que la SARL Becher n'employait aucun ingénieur (ce qui est confirmé par l'attestation de M. [N]).

La SAS Utilis justifie également avoir investi dans des machines adaptées à son activité qu'elle louait à la SARL Becher, étant précisé qu'aucune clause d'exclusivité n'était affectée sur l'usage de ces machines.

L'expert comptable précise également que la SAS Utilis a engagé des frais publicitaires de 2000 à juin 2007 pour un total de 22.906 euros ainsi que des frais de déplacement afin d'être présente dans de nombreux congrès et salons, y compris internationaux, et rencontrer ou démarcher de potentiels clients.

Il convient de relever que la SAS Utilis a une réelle notoriété, y compris sur le plan international, comme l'atteste un article publié le 28 février 2011 par Harvard Business School intitulé «Utilis: conception, production et vente d'abris à déploiement rapide pour un monde en difficulté» qui mentionne sa réputation mondiale en indiquant que «la gamme de tentes TM a été reconnue comme l'un des meilleurs produits sur le marché des solutions d'abris haut de gamme pour les civils et militaires». L'appelante produit également des articles de presse tels que celui paru dans le Journal des Entreprises en décembre 2010 mentionnant son succès mondial, et un autre du Républicain Lorrain qui relate la visite de la SAS Utilis par le secrétaire d'Etat chargé du commerce extérieur.

A ce titre, il convient de relever que M. [Y] a travaillé auprès de la SAS Utilis depuis 2000 comme directeur technique puis directeur et a suivi ainsi toute l'évolution de cette société et son savoir-faire. Or, M. [Y], après son départ de la SAS Utilis, indique dans sa fiche Linkedin (produite dans un mail reçu par M. [L] le 20 avril 2013) «je suis personnellement le créateur de la gamme de tente TM/SM/TXL (patent Utilis), chaînes de décontamination sous tente TM MDC ou conteneur CERPE et système de protection collective COLPRO». Il s'approprie ainsi la création personnelle des modèles fabriqués par la SAS Utilis sur une conception innovante de M. [L] au bénéfice de sa nouvelle activité de gérant de la SARL Innovation For Schelter International I-4S et membre du GEIE I-4S en bénéficiant de la notoriété de la SAS Utilis.

Par ailleurs, M. [S], directeur à [Localité 5], indique dans son attestation avoir eu une conversation téléphonique avec M. [Y] le lendemain de son départ de la SAS Utilis. Il déclare que ce dernier lui a confirmé «être parti de l'entreprise avec des dossiers sur la société» et qu'il s'agissait «de dossiers commerciaux et privés et tous les dossiers prix et techniques». M. [S] ajoute lui avoir demandé «pourquoi et comment» et que M. [Y] lui avait répondu que «le soir il allait sur l'ordinateur de M. [L] pour le consulter». Ces propos sont confirmés par le constat établi le 2 juillet 2012 dans lequel l'huissier instrumentaire relève un échange de SMS entre M. [Y] et M. [L] au cours duquel M. [Y] a reconnu avoir conservé l'IPad de la SAS Utilis alors qu'il n'exerçait plus, de fait, d'activités pour cette dernière.

Par ailleurs dans son procès-verbal de constat dressé le 18 novembre 2014, l'huissier a relevé qu'en se connectant sur la boîte de réception de la messagerie intitulée [Courriel 8], il avait constaté l'envoi à cette adresse de plus de 600 mails le 17 novembre 2014 de 23h43 à 00h45. Ces messages, qui sont tous du même type, accusent réception d'une suppression de mail quelques secondes avant l'envoi avec la mention que le message a été supprimé sans être lu, seul l'intitulé de l'objet diffère. Ces messages émanent de M. [G] [B] à l'adresse [Courriel 7]. Les captures d'écran effectuées par l'huissier démontrent que les messages supprimés avaient pour objet: «analyse financière, liste de matériels NBC, descriptif tente TXL ou Tender ou étude RdM, votre demande d'infos, projet offre maintenance COLPRO, réunion CERPE à [Localité 6], transfert de fichiers, transports conteneurs, photos CERPE, livraison CERPE, Inquiry, urgent Tent sizes, Irish Tender, Prices, Purchase Order.»

Le même type de constatation a été effectué par l'huissier à partir de la messagerie de deux autres salariés de la SAS Utilis qui avaient reçu des accusés de réception de suppression de messages émanant de l'adresse [Courriel 7].

Il résulte de ces constatations que M. [G] [B] a conservé pendant plus de 5 mois (soit du 13 juin 2013, date de son départ, jusqu'au 17 novembre 2014) des messages qui avaient été adressés à la SAS Utilis lorsqu'il y travaillait. Les intimés ont ainsi eu accès aux adresses mails des clients et partenaires de la SAS Utilis et ont pu avoir également accès au contenu de ces 600 messages dans la mesure où la simple mention «non lu» ne suffit pas à rapporter la preuve d'une absence de lecture du message puisqu'il est possible à chaque détenteur de messagerie de cliquer sur une icône «non lu» pour en modifier le statut et faire apparaître en non lu des messages lus.

Dans un courrier adressé à la SAS Utilis le 30 septembre 2015, la gérante de la société NBC-R (revendeur italien de la SAS Utilis) indique que M. [G] [B] et M. [K] [Y] étaient parfaitement au courant non seulement des projets réalisés en Italie, mais aussi des données concernant les clients auxquels ces projets étaient destinés. Elle précise avoir fait des offres spécifiques concernant les systèmes COLPRO à l'occasion de l'exercice international de l'OTAN ayant eu lieu au 3ème Stormo de [Localité 9] entre le 19 et le 25 septembre 2015 et avoir été surprise lorsqu'elle avait vu que «I-4S s'était glissée dans ce 3ème stromo pour y proposer les mêmes tentes et le même système tout en étant informée aussi bien du projet que des prix et des clients».

Par ailleurs, dans son procès-verbal de constat établi le 26 janvier 2018 (respectant la norme AFNOR) l'huissier constate que le site internet du GEIE I-4S mentionne, dans les produits proposés à la vente, un modèle de tente dit «tente V54» intitulé tente militaire 54 identique au modèle TM V54 présent sur un fichier Powerpoint créé le 22 mars 2012 constaté sur les serveurs de la SAS Utilis sous le dossier «Devis et comptes clients par pays / devis et contacts étranger / Russie- CIFAL». L'huissier a constaté que dans le dossier «visas Russie» se trouvait le passeport de M. [Y]. Les plans et informations relatifs à la création de la tente TMV 54 de la SAS Utilis ont donc été ainsi utilisés par le GEIE I-4S pour vendre une tente identique.

Il est ainsi établi que M. [Y], qui a créé une entreprise concurrente de la SAS Utilis, a emporté tous les renseignements techniques relatifs aux modèles fabriqués par cette dernière, ce qui représentait un gain de temps et d'investissement important pour la SARL Innovation For Schelter International I-4S et le GEIE I-4S dont elle faisait partie, ainsi que pour la SAS I-4S France qui continuait à fabriquer des modèles similaires à ceux de la SAS Utilis pour la SARL Innovation For Schelter International I-4S et qui a continué lorsqu'elle a intégré le GEIE I-4S, étant souligné que les intimés ne justifient pas avoir effectué des investissements spécifiques pour la création de leurs modèles.

En revanche, si la SAS Utilis se fonde sur un procès-verbal dressé le 17 février 2017 par Me [I] pour soutenir que les intimés ont utilisé, pour proposer leurs tentes sur le marché portugais, des tests techniques qui avaient été établis précédemment pour elle, il convient de relever que ce constat est en anglais et n'est pas traduit. Il ne peut donc valoir comme preuve et ce moyen sera rejeté.

* Sur l'utilisation des sous-traitants de la SAS Utilis

Dans un courrier du 22 mai 2013, la SARL Bory-Plast, qui fabrique des caisses de transport spécialement adaptées pour les tentes TM fabriquées par la SAS Utilis (selon les plans versés aux débats), informe la SAS Utilis avoir été contactée le 14 mars 2013 par M. [Y] pour la SARL Innovation For Schelter International I-4S. Elle précise «M. [Y] souhaitait que nous utilisions vos outillages afin d'exécuter une commande pour sa société. Notre déontologie nous l'interdisant nous avons refusé catégoriquement».

Il résulte également d'un courrier de la gérante de la SARL Corben, sous-traitant de la SAS Utilis, adressé à cette dernière le 13 août 2015, ainsi que d'un mail adressé le même jour par cette même société à MM. [Y], [B] et [L] que la SARL Corben a été contactée par la SARL Innovation For Schelter International I-4S qui était intéressée par la chaîne de décontamination qu'elle fabrique exclusivement pour la SAS Utilis et basée sur les plans de cette dernière. Elle précise qu'il n'est fait aucune publicité sur cette gamme de produits et que, contrairement aux affirmations de MM. [Y] et [B], celle-ci n'apparaît pas sur son site internet en raison de l'exclusivité due à la SAS Utilis. Elle s'est d'ailleurs étonnée dans ses courriers que la SARL Innovation For Schelter International I-4S sache qu'elle était le partenaire de la SAS Utilis. La facture délivrée par la SARL Corben à la SAS Utilis en octobre 2011 démontre que les relations contractuelles entre ces deux sociétés étaient antérieures au départ de MM. [Y] et [B] de la SAS Utilis.

Il est ainsi établi que les intimés par l'intermédiaire de MM. [B] et [Y] ont utilisé leurs connaissances des sous-traitants de la SAS Utilis pour chercher à produire à l'identique une chaîne de décontamination ayant déjà fait ses preuves et adaptée aux besoins des clients du marché, ainsi qu'une caisse de transport qui avait été étudiée pour s'adapter aux modèles de tentes TM vendus par la SAS Utilis et similaires aux tentes de la gamme T fabriquée et vendue par les intimés.

D'ailleurs, M. [O] [E] président de la SAS [O] [E] Technologies indique dans son attestation, qu'au printemps 2013 M. [Y] et son collaborateur l'avaient informé de leur départ de la SAS Utilis et que leur nouvelle société «pourrait utiliser l'ensemble des moyens de production des ateliers sous-traitants d'Utilis, leur permettant ainsi d'offrir des produits équivalents à ceux d'Utilis.»

Or, M. [X], gérant de la SARL I.C. Ingineering et sous-traitant de la SAS Utilis expose avoir créé pour cette dernière un kit électrique composé d'une réglette électrique permettant d'alimenter et de protéger électriquement l'installation associée à un ensemble d'éclairage. Il affirme qu'en juin 2013 ces produits ont été commandés par la SARL Becher alors qu'il pensait qu'elle était liée à la SAS Utilis. Il ajoute que fin 2013, il a développé une nouvelle gamme de coffrets répondant au cahier des charges de l'OTAN sous le nom de «Moduloblock» qui a été financée par la SAS Utilis. Or il indique que «M. [G] [B] les a contactés mi 2014, faisant part de son souhait d'utiliser la gamme Moduloblock». M. [X] précise avoir décliné cette demande, étant lié à la SAS Utilis.

Toutefois, il est produit par la SARL Innovation For Schelter International I-4S et le GEIE I-4S des factures émises par la SARL I.C. Ingineering au nom de la SARL Becher en février et mars 2014 permettant de constater que cette dernière a commandé ces produits (la référence CMC16/3+1 étant celle relative aux produits exclusivement fabriqués pour la SAS Utilis selon le mail du 14 septembre 2016 versé aux débats répertoriant l'évolution des références des produits Moduloblock) et ce, postérieurement à la création de la SARL Innovation For Schelter International I-4S et du GEIE I-4S et alors que les relations contractuelles de la SARL Becher avec la SAS Utilis étaient très dégradées depuis au moins janvier 2014. Les factures produites par la SAS Utilis et émises par la SARL I.C. Ingineering confirment que les produits acquis auprès de cette société correspondent à ceux visés dans les factures émises au nom de la SARL Becher.

Ainsi, il est établi que la SARL Innovation For Schelter International I-4S et ensuite le GEIE I-4S ont volontairement utilisé leur connaissance des sous-traitants ayant établi des produits performants, exclusivement pour la SAS Utilis, afin de les utiliser pour leurs propres modèles de tentes sans avoir à investir dans la recherche de ces nouveaux produits.

Il résulte en conséquence de l'ensemble des motifs susvisés, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens soulevés, que la SAS Utilis a produit une valeur économique identifiée et individualisée en créant les tentes TM très innovantes, se montant en moins de 3mn, dans un marché spécifique aux exigences techniques importantes. En fabriquant et commercialisant des tentes quasiment identiques techniquement et à l'apparence similaire, la SARL Innovation For Schelter International I-4S, la SARL Becher devenue la SAS I-4S France et le GEIE I-4S se sont volontairement placés dans le sillage de la SAS Utilis afin de tirer indûment profit de ses innovations et de son savoir-faire, de la notoriété acquise sur le marché militaire et celui des secours d'urgence ainsi que des investissements réalisés par la SAS Utilis depuis 1997 pour mettre au point ses innovations, étant observé qu'il n'est justifié par les intimés que d'un savoir-faire de la SARL Becher devenue la SAS I-4S France en matière de bâches et de profilés correspondant à son activité initiale, le GEIE I-4S et la SARL Innovation For Schelter International I-4S ne justifiant d'aucun investissement particulier pour la fabrication de leurs tentes.

Dès lors, les faits de parasitisme sont constitués et le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur le dénigrement

La liberté d'expression est un droit dont l'exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi. Il s'ensuit que, hors restriction légalement prévue, l'exercice du droit à la liberté d'expression ne peut, sauf dénigrement de produits ou services, être sanctionné sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil.

Pour être qualifié de dénigrement, le propos doit être tenu publiquement et de nature à jeter le discrédit sur les produits ou services d'une entreprise ou constituer la divulgation d'une information.

Si la SAS Utilis invoque les propos dénigrants tenus par la SARL Innovation For Schelter International I-4S évoqués par le président du GIE Défense NBC dans le courrier du 18 mai 2015 qui lui était adressé, il convient de relever qu'il n'en a pas été le témoin direct et qu'il n'est pas établi que ces propos ont été tenus publiquement.

Il indique en effet avoir rencontré plusieurs personnalités françaises de l'état major des armées et de la DGA et déclare «avoir été très étonné d'entendre de la part de ces personnes que lors d'une visite (') de la société I-4S, ces derniers leurs auraient annoncé que la SAS Utilis ne souhaitait pas continuer durablement son activité dans le domaine NRBC». Il ajoute ensuite «je leur ai expliqué par ailleurs les conditions dans lesquelles vos anciens collaborateurs avaient quitté Utilis et dans quel état d'esprit de dénigrement et de démarche négative ils le faisaient».

Le moyen tiré de l'existence d'actes de concurrence déloyale par dénigrement sera donc rejeté.

Sur la confusion

* Au regard des logos

L'existence d'un risque de confusion s'apprécie au regard du consommateur moyen des produits et services concernés, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

L'examen comparatif des logos de la SAS Utilis (avant sa modification en 2016) et de celui repris par le GEIE I-4S dans sa plaquette ou sur son site internet, selon les constations effectuées par les huissiers dans les divers procès-verbaux, (logo partagé par la SARL Innovation For Schelter International I-4S et la SAS I-4S France) permet de constater que le logo de la SAS Utilis est constitué d'une sphère sur laquelle apparaissent 5 lignes bleues horizontales et 3 lignes bleues verticales. Une large bande grise encercle la sphère à l'horizontale. Le logo I-4S est également constitué d'une sphère, autour de laquelle s'enroulent trois bandes bleues.

Le slogan de la SAS Utilis, visible sur internet et ses mails est «l'innovation en action», celui du GEIE I-4S, visible sur internet est «l'innovation au service de l'homme».

Le logo créé par les intimés reprend ainsi les mêmes codes que ceux utilisés par la SAS Utilis: une sphère, des bandes/traits autour de celle-ci de couleur bleue, un slogan comportant le même mot et de composition similaire. Dès lors, le risque de confusion est réel dans la mesure où les parties s'adressent à une même clientèle et vendent des produits similaires.

D'ailleurs, dans son courrier du 30 septembre 2015, la gérante de la société NBC-R (revendeur italien de la SAS Utilis) écrit à cette dernière que lors de l'exercice international de l'OTAN ayant eu lieu entre le 19 et le 25 septembre 2015 au 3ème Stormo de [Localité 9] certains de leurs «clients et visiteurs ont vu des tentes montées/déployées pendant le même exercice qui étaient, question hébergement, matériel et forme, pratiquement identiques aux tentes Utilis qui leur ont été vendues ('). Or ces tentes n'étaient pas des tentes Utilis, mais des tentes I-4S lequel disposait aussi d'un stand publicitaire lors de cet exercice. De plus, afin de tromper le client il y avait un logo de l'entreprise I-4S faisant la promotion de ces tentes en ressemblant beaucoup au logo Utilis.»

Dans un mail du 11 juillet 2014 adressé à M. [L], M. [C] [F], représentant Utilis au Portugal, indique avoir vu des clients au salon Eurosatory 15 jours avant. Il déclare «mes clients ont visité le salon et ils se sont approchés quand ils ont vu une tente qu'ils pensaient être Utilis et plus grave, le logo était très similaire et avec les mêmes couleurs. (') La carte qu'ils ont montrée c'est la société I-4S (M. [W] [JK])et vraiment il faut les dissocier de notre image. Soit il faut les faire changer leur charte de logo ou sinon il faut peut-être modifier notre propre image».

Il résulte de ces éléments qu'en utilisant un logo et un slogan très proches de ceux utilisés par l'appelante, les intimés ont commis une faute en suscitant un risque de confusion voire en générant de la confusion même auprès de consommateurs pourtant informés et attentifs puisqu'il s'agit d'une clientèle avisée se déplaçant dans des événements très spécialisés et sur un marché restreint.

* Au regard des produits vendus

La commercialisation de l'imitation d'un produit préexistant non protégé par un droit intellectuel ne constitue pas, en raison du principe de la liberté du commerce, un acte de concurrence déloyale, sauf si les circonstances particulières qui ont accompagné cette commercialisation sont de nature à caractériser une faute. Au nombre de ces circonstances particulières figure l'imitation génératrice d'un risque de confusion.

Ainsi qu'il l'a été indiqué précédemment, dans son procès-verbal de constat dressé le 26 janvier 2018 l'huissier instrumentaire, a consulté la page https://i-4s.eu correspondant au site internet du GEIE I-4S ainsi que le site de la SAS Utilis. Il a procédé à des captures d'écran sur les deux sites et a constaté que sur le site du GEIE I-4S (www.i-4s.eu), était proposée une gamme de tentes intitulée «tentes gamme T » avec des tentes T18, T36 et T54 «identiques» selon les termes du constat, aux tentes vendues par la société Utilis sous sa gamme de tentes modulaires TM.

Il résulte sur ce point de la présentation sur le site du GEIE I-4S de sa gamme T que celle-ci a les mêmes caractéristiques et les mêmes offres d'options que la gamme TM de la SAS Utilis. Selon le courrier de la société NBC-R, des clients ont ainsi constaté que les tentes proposées par la SARL Innovation For Schelter International I-4S proposaient le même système COLPRO que la SAS Utilis.

En outre, le gérant de la SARL Innovation For Schelter International I-4S est M. [Y], se présente dans sa fiche Linkedin, comme il l'a été souligné plus haut, comme le concepteur des tentes TM. Cette présentation renforce la confusion entre les modèles vendus par les intimés et la SAS Utilis.

Dans son procès-verbal de constat dressé le 18 décembre 2020 l'huissier a également observé que le chariot et la tente de décontamination présentés sur le site internet du GEIE I-4S étaient identiques au chariot et à la tente présentés dans la vidéo diffusée sur le site internet d'Utilis à la rubrique «chaîne décontamination tentes».

En revanche, la capture d'écran du site internet du GEIE I-4S produite par la SAS Utilis (pièce 92) n'étant pas authentifiée par un huissier ne peut valoir comme preuve suffisante que le GEIE I-4S a utilisé des photographies de rails et brancards de décontamination appartenant à la photothèque de l'appelante.

Par ailleurs, il résulte du procès-verbal de constat dressé le 26 janvier 2018 que l'adresse du GEIE I-4S apparaissant sur le site internet est [Adresse 4] à [Localité 3], ce qui correspond au siège social de la SARL Becher devenue depuis la SAS I-4S France qui a travaillé pendant de nombreuses années pour la SAS Utilis.

Enfin, si la SAS Utilis ne justifie pas qu'elle avait comme distributeur la société M2S systems qui distribue les produits du GEIE I-4S selon le procès-verbal de constat du 25 août 2015, il est constant en revanche que Utilis Iberica, qui était le revendeur des produits Utilis en Espagne, a changé de nom en avril 2013 pour devenir Innovation for Shelter International SL et revendre en Espagne les produits du GEIE I-4S. Ce dernier a donc utilisé le même distributeur en Espagne pour vendre des produits en partie identiques jusqu'au 7 avril 2014 date à laquelle la société espagnole a quitté le GEIE I-4S.

Ces éléments ne font que rajouter au risque de confusion, (étant rappelé que les parties s'adressent à un même marché et à la même clientèle) et constituent des comportements fautifs imputables au GEIE I-4S et aux deux autres intimées qui le composent et qui participent à la fabrication et à la vente des tentes.

Sur l'utilisation d'informations confidentielles

La conservation d'informations confidentielles appartenant à une société tierce par un ancien salarié, ne serait-il pas tenu par une clause de non-concurrence, et leur appropriation par la société qu'il a créée, constitue un acte de concurrence déloyale.

Ainsi qu'il l'a été établi précédemment par l'attestation de M. [S] et par le constat d'huissier dressé le 2 juillet 2012 que M. [Y], ancien directeur de la SAS Utilis, a conservé après son départ de la SAS Utilis des dossiers commerciaux et privés, ainsi que tous les dossiers prix et techniques de cette dernière.

Par ailleurs il résulte des motifs susvivés que M. [G] [B] a conservé pendant plus de 5 mois plus de 600 messages qui avaient été adressés à la SAS Utilis lorsqu'il y travaillait permettant ainsi aux intimés d'avoir accès notamment aux adresses mails des clients et partenaires de la SAS Utilis ainsi qu'au contenu de ces messages.

Ces comportements d'anciens salariés de la SAS Utilis qui ont permis à tous les intimés d'avoir connaissance d'informations confidentielles (caractéristiques techniques des produits, sur les offres faites aux clients, y compris tarifaires, les noms et adresses mails des clients, correspondances), sont des comportements déloyaux, étant observé qu'il résulte notamment du courrier de NBC-R du 30 septembre 2015 que les intimés ont utilisé ces informations puisque la présidente de cette société indique avoir été surprise lorsqu'elle a vu «que I-4S s'était glissée dans le 3è Stormo de [Localité 9] pour y proposer les mêmes tentes et le même système tout en étant informée aussi bien du projet [systèmes COLPRO] que des prix et des clients».

Sur le détournement de clients et de marchés

En vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, dans un contexte de libre concurrence, le démarchage de la clientèle d'autrui, même par d'anciens salariés de celui-ci, est libre, dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal.

Il vient d'être démontré que les intimés ont pu avoir connaissance par des procédés déloyaux à des informations confidentielles sur l'identité des clients de la SAS Utilis, les éléments techniques précis sur les produits vendus par cette dernière, ainsi que sur ses propositions tarifaires.

Il appartient toutefois à la SAS Utilis de rapporter la preuve que c'est grâce à la détention déloyale de ces informations confidentielles que les intimés ont pu détourner les marchés publics qu'elle invoque et ses clients.

* Sur le marché espagnol NSPA

Il convient de relever que si la SAS Utilis soutient que le GEIE I-4S a remporté un marché portant sur des tentes en pièces détachées auprès des armées espagnoles par l'intermédiaire de la NSPA (centrale d'achat de l'OTAN), elle n'en justifie pas alors que le GEIE I-4S conteste cette affirmation.

Dès lors, aucun détournement fautif de ce marché ne peut être imputé aux intimés.

* Sur le marché portugais

L'appelante fonde ses prétentions sur le procès-verbal de constat établi par huissier le 2 février 2017. Or, ainsi qu'il l'a été relevé dans les motifs ci-dessus, ce procès-verbal contient des constatations en anglais qui n'ont pas été traduites.

En l'absence de tout autre élément de preuve, le moyen tiré de ce que les intimés ont contourné par des procédés déloyaux le marché portugais à leur bénéfice sera rejeté.

* Sur le marché anglais

Si la SAS Utilis affirme qu'elle s'était portée candidate suite à un appel d'offres de l'armée anglaise portant sur des tentes TM36 elle n'en rapporte pas la preuve. Elle ne justifie pas non plus que le GEIE I-4S s'est porté candidat et a remporté le marché.

Les moyens invoqués au titre du détournement déloyal de ce marché seront donc rejetés.

* Sur le marché de postes de commandement de l'armée de terre (SIMMT)

Il résulte des pièces produites que si la SAS Utilis s'était portée candidate sur le marché d'acquisition de tentes de postes de commandement (SIMMT) c'est la SARL Innovation For Schelter International I-4S qui a été retenue.

Toutefois, il ressort de la décision de rejet de sa candidature adressée par le ministère de la défense à la société Losberger ainsi que du règlement de la consultation et de la sélection des candidatures pour ce marché que chacun candidat est évalué et noté en fonction de critères de prix, de délais de livraison et qu'il est également tenu compte des capacités financières, techniques ou professionnelles de chaque candidat.

En l'absence de tout élément sur les notes respectives attribuées à la SAS Utilis et à la SARL Innovation For Schelter International I-4S, il n'est pas rapporté la preuve que cette dernière a remporté le marché au détriment de la SAS Utilis en raison de l'utilisation de documents confidentiels de cette dernière. En outre, la société Losberger était deuxième donc également mieux placée que la SAS Utilis.

Le moyen tiré du détournement de ce marché sera donc rejeté.

En conséquence, il convient de constater qu'aucun détournement de clients ou de marchés par les intimés grâce à des procédés déloyaux n'est établi.

Sur la désorganisation

Si l'embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente n'est pas en elle-même fautive, elle le devient lorsqu'elle intervient dans des conditions déloyales et entraîne une désorganisation de cette entreprise.

Il est constant que M. [Y], qui était le directeur commercial de la SAS Utilis, a quitté définitivement cette société en août 2012 et que M. [B], qui était le responsable technique de la SAS Utilis, a quitté celle-ci en juin 2013. L'appelante a ainsi perdu deux postes clés (connaissance techniques et relations commerciales avec la clientèle) en moins d'un an.

A supposer même que l'embauche par la SARL Innovation For Schelter International I-4S de ces salariés ait été déloyale, il appartient à la SAS Utilis de rapporter la preuve de la désorganisation liée au départ de ses deux salariés.

Or, s'il résulte du tableau récapitulatif produit à l'appui de sa demande d'indemnisation qu'elle a dû embaucher en urgence deux personnes pour remplacer M. [B] alors qu'elle travaillait sur le marché NSPA, elle ne produit aucun élément permettant d'établir que le départ de MM. [B] et [Y] n'a pas seulement perturbé son fonctionnement mais qu'il a désorganisé la société. En effet, elle ne précise pas dans quel délai et avec quelles difficultés elle a retrouvé de nouveaux salariés, ni comment leur départ a gravement remis en cause le fonctionnement de la société et la production de ses produits. Elle ne caractérise donc pas une désorganisation due à l'embauche par la SARL Innovation For Schelter International I-4S de MM. [Y] et [B].

Par ailleurs, il est établi qu'à la suite de la création de la SARL Innovation For Schelter International I-4S, le distributeur de la SAS Utilis en Espagne, Utilis Iberica, s'est appelée Innovation For Schelter International I-4S SL et a rejoint le GEIE I-4S. Il résulte des pièces produites que le distributeur anglais de la SAS Utilis a également rejoint les intimés.

Toutefois, la SAS Utilis ne justifie pas des procédés déloyaux que les intimés auraient utilisés pour détourner ces distributeurs à leur bénéfice. Ce moyen sera donc rejeté.

Enfin, à l'appui de ses prétentions tendant à voir constater sa désorganisation en raison de comportements déloyaux des intimés, la SAS Utilis invoque des agissements concertés des intimés ayant entraîné des retards de la SARL Becher dans l'exécution des commandes qu'elle avait passées auprès de cette dernière.

S'agissant du marché NSPA, s'il résulte des échanges de courriers et de courriels entre la SAS Utilis et la SARL Becher que l'exécution du marché NSPA a bien pris un retard d'au moins 7 semaines, ce que reconnaît la SARL Becher, cette dernière invoque des difficultés techniques d'exécution ainsi que des transmissions tardives de plans par la SAS Utilis, or celle-ci ne produit pas la date de transmission de ces documents.

Il n'est donc pas établi avec certitude que le retard provient, comme le soutient l'appelante, de la seule faute de la SARL Becher qui aurait privilégié d'autres commandes effectuées par la SARL Innovation For Schelter International I-4S, telles que le marché G3. En effet, il ressort de la commande produite au titre de ce marché G3 (qui n'est pas remise en cause par l'appelante) que celle-ci a été passée par la SARL Innovation For Schelter International I-4S le 30 juillet 2014, soit postérieurement au délai d'exécution du marché NSPA, même retardé de 7 semaines.

S'agissant du retard invoqué par la SAS Utilis contre la SARL Becher dans la fabrication des tentes TL, l'appelante produit un courrier du 16 juin 2014 du service de santé des armées par lequel celui-ci informe la SAS Utilis qu'il lui sera appliqué des pénalités de retard en raison d'un retard de livraison, il convient de relever que ce courrier précise que la commande lui avait été passée le 11 juin 2013, que la date de livraison avait été fixée contractuellement, suite à une prolongation de délais, au 15 décembre 2013 mais qu'elle avait été honorée avec 92 jours de retard.

Or, la SAS I-4S France justifie que la SAS Utilis ne lui a transmis cette commande portant sur 4 tentes que le 11 novembre 2013, soit moins d'un mois avant la date de livraison imposée. Il n'est pas établi que la SARL Becher avait connaissance des délais de livraison auxquels la SAS Utilis était tenue, étant observé que le bon de commande ne mentionne aucun délai et qu'il n'est pas rapporté la preuve que l'appelante avait informé la SARL Becher par d'autres moyens de la date butoir à laquelle elle était tenue.

En outre, il résulte des échanges de mails entre les parties que la SARL Becher a été ensuite confrontée à un arrêt maladie ainsi que par des problèmes techniques sur l'une des machines.

Il faut donc considérer que la SAS Utilis ne rapporte pas la preuve d'un agissement déloyal par la SARL Becher au titre de l'exécution de sa commande de tentes TL. Dès lors elle ne peut prétendre à aucune indemnisation au titre des frais financiers consécutifs à des retards de livraison.

En conséquence, au regard de l'ensemble des motifs ci-dessus, il y a lieu de constater que, outre les faits de parasitismes rappelés plus haut, les faits de concurrence déloyale sont établis à l'encontre des intimés mais uniquement au titre de la confusion et de l'utilisation d'informations confidentielles, les autres actes de concurrence déloyales invoqués (dénigrement, détournement de clientèle et de marchés, désorganisation) n'étant pas établis.

La SARL Innovation For Schelter International I-4S et la SAS I-4S France (anciennement la SARL Becher) ont commis chacun des actes de parasitisme et de concurrence déloyale puis au sein du GEIE I-4S. Les trois intimés seront donc tenus in solidum d'indemniser la SAS Utilis de ses préjudices et non solidairement en l'absence de solidarité légale.

Sur le préjudice subi par la SAS Utilis

La réparation du préjudice subi par la SAS Utilis ne relève pas du même régime selon qu'il s'agit d'indemniser le préjudice né des actes de parasitisme ou celui né des actes de concurrence déloyale. Il convient donc de distinguer ces indemnisations.

Sur l'indemnisation du préjudice subi au titre du parasitisme

La réparation du préjudice subi du fait d'actes de parasitisme s'apprécie en fonction du trouble commercial subi par la victime et peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes parasitaires, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes.

Ces actes n'ayant pas pour objet ni pour effet de détourner la clientèle, le préjudice matériel ne s'apprécie pas en raison de la baisse du chiffre d'affaires. Les moyens invoqués à ce titre par la SAS Utilis au titre de l'indemnisation des actes de parasitisme dont elle a été l'objet seront donc rejetés.

Le juge de la mise en état ayant débouté par ordonnance du 10 mars 2015, devenue définitive, la SAS Utilis de ses demandes formées au titre d'une utilisation abusive des machines louées par la SARL Becher, l'appelante ne peut prétendre à aucune indemnisation au titre de l'utilisation parasitaire de ces machines.

En revanche, il résulte des motifs ci-dessus que la SAS Utilis a financé de juin 2008 jusqu'à juin 2013, date du départ de M. [B]:

- des études techniques pour un montant total de 232.240 euros HT

- des études de prototypes pour un montant total de 146.974 euros HT

- des frais de conception et de réalisation de plans pour un total de 535.576 euros HT.

Les factures versées aux débats correspondant à ces dépenses ne sont certes pas exclusivement consacrées aux produits ayant faits l'objet de parasitisme mais concernent bien principalement le développement du modèle TM et de ses accessoires qui, selon les pièces produites, est le modèle phare et emblématique de la SAS Utilis et sur lesquels porte le parasitisme opéré par les intimés.

Par ailleurs, la SAS Utilis justifie avoir également investi financièrement dans les ressources humaines puisque MM. [Y] et [B], qui étaient des salariés importants dans l'entreprise et qui ont participé activement au développement des tentes TM notamment, percevaient un salaire de base brut de 8.434 euros mensuels pour M. [Y] et de 7.020 euros mensuels pour M. [B], sans compter les primes.

Il résulte également des motifs susvisés que la SAS Utilis a engagé des frais publicitaires de 2000 à juin 2007 pour un total de 22.906 euros ainsi que des frais de déplacement afin d'être présente dans de nombreux congrès et salons et accroître sa notoriété.

Si la SAS Utilis produit ses documents comptables il convient de relever qu'aucun document comptable n'est produit permettant de connaître l'activité des intimés à l'exception d'un tableau relatif au chiffre d'affaire de la SARL Becher de 2001 à 2014 mais dont l'origine n'est pas établie, et du bilan de la SAS I-4S France publié sur le site «société.com» mais qui s'arrête à décembre 2013. Il n'est donc pas produit d'éléments chiffrés et certains sur le volume d'affaires traité par les intimés.

Toutefois, les pièces versées aux débats par les parties démontrent que les intimés ont pris une part importante du marché tant international que national et que le GEIE I-4S est un véritable concurrent, tant au regard de sa présence sur les différents salons, qu'au regard des marchés qu'il a remportés après appels d'offres, comme l'atteste le tableau produit par la SAS Utilis (pièce 56) non contesté par les intimés, ainsi que les pièces produites par les intimés eux-mêmes.

Par ailleurs, il convient d'observer que selon les catalogues respectifs de la SAS Utilis et du GEIE I-4S, les parties ont un profil commercial similaire puisqu'elles vendent chacune un modèle phare, celui qui fait l'objet du parasitisme, ainsi que d'autres gammes de tentes et des produits accessoires.

Il résulte du montant total des investissements réalisés et détaillés ci-dessus (937.696 euros auxquels s'ajoutent les salaires) ainsi que de la part importante que tiennent les produits objets du litige dans l'activité respective des parties, que l'avantage indu qu'a procuré le parasitisme aux intimés peut être évalué à 600.000 euros, étant rappelé que tous les produits commercialisés par les intimés ne font pas l'objet de parasitisme.

Les intimés seront donc condamnés in solidum à payer à la SAS Utilis cette somme de 600.000 euros de dommages et intérêts au titre des faits de parasitisme, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, par application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil. Le jugement qui a rejeté cette demande d'indemnisation sera donc infirmé.

Sur l'indemnisation du préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale

Le principe de la réparation intégrale du préjudice s'applique. Les dommages-intérêts doivent ainsi être déterminés par rapport au préjudice effectivement subi par la victime, qui doit être replacée dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu.

En l'espèce, il résulte des motifs susvisés que les faits de concurrence déloyale sont établis à l'encontre des intimés uniquement au titre de la confusion et de l'utilisation d'informations confidentielles.

S'agissant de l'utilisation d'informations confidentielles, il a été retenu dans les motifs ci-dessus que la SAS Utilis ne rapportait pas la preuve que le GEIE I-4S avait détourné des clients ou les marchés qu'elle invoquait grâce à l'utilisation de ces informations confidentielles. Il n'est pas établi de manière plus générale que cette faute commise par les intimés a causé un préjudice financier à l'appelante, y compris sous l'angle de la perte de chance. En effet, il n'est pas certain que les prix appliqués par le GEIE I-4S sont juste au-dessous des prix pratiqués par la SAS Utilis, aucune des pièces versées aux débats ne permettant d'établir les prix pratiqués par chacune des parties.

Par ailleurs, si ces informations ont permis aux intimés de s'inscrire dans le sillage de la SAS Utilis, il n'est pas rapporté la preuve d'un préjudice distinct de celui déjà indemnisé au titre du parasitisme.

La demande d'indemnisation du préjudice subi au titre de l'utilisation d'informations confidentielles sera donc rejetée.

S'agissant du risque de confusion, il s'infère nécessairement d'actes de concurrence déloyale résultant d'un risque de confusion un préjudice ne serait-ce que moral.

En l'espèce, le risque de confusion généré par le comportement des intimés qui ont notamment utilisé un logo et un slogan comportant de nombreuses similitudes avec celui de l'appelante alors même qu'ils vendaient des produits quasiment identiques à ceux de cette dernière, avec des appellations similaires (pour le modèle TM) et qui ont utilisé à l'étranger d'anciens distributeurs de la SAS Utilis, a causé un préjudice moral à la SAS Utilis qui a été contrainte de préciser à ses clients et ses partenaires qu'il ne fallait pas la confondre avec le GEIE I-4S ni avec les sociétés le composant.

Les attestations produites et évoquées précédemment démontrent que cette confusion a généré un trouble de l'image de la SAS Utilis notamment lors des salons ou lieux d'expositions communs et constitue un préjudice moral.

Le préjudice moral subi par la SAS Utilis en raison du risque de confusion sera évalué à la somme de 150.000 euros au regard de l'importance du marché puisqu'il ne concerne pas seulement le plan national mais également le plan international. Les intimés seront donc condamnés in solidum à payer à la SAS Utilis la somme de 150.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, par application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil.

En outre, constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. La réparation du préjudice né de la perte d'une chance ne peut être la totalité du dommage mais qu'une fraction de l'avantage qu'elle aurait procuré si l'éventualité favorable s'était réalisée.

Il convient de relever à ce titre que la SAS Utilis invoque la perte de chance dans ses conclusions (P80) et que cette notion est donc bien dans les débats.

Les documents comptables produits par la SAS Utilis démontrent que:

- pour l'exercice allant du 01.07.2011 au 31.06.2012 son chiffre d'affaire était de 19.239.262 euros et le taux de marge brute était de 32,70% le compte de résultat étant déficitaire de 316.466 euros

- pour l'exercice allant du 30.06.2012 au 31.12.2013 son chiffre d'affaire était de 23.843.624 euros soit sur 12 mois 15.895.749 euros et le taux de marge brute était de 22,90%, le compte de résultat sur 18 mois étant déficitaire de 1.593.177 euros

- pour l'exercice allant du 01.01.2014 au 31.12.2014 son chiffre d'affaire était de 22.759.801 euros avec une marge brute de 27 %, le compte de résultat étant déficitaire de 113.383 euros.

Il est ainsi démontré que le chiffre d'affaire de la SAS Utilis a diminué à compter de la création de la SARL Innovation For Schelter International I-4S (le 23 août 2012) puis de la création du GEIE I-4S puisqu'il est passé de 19.239.262 euros à 15.895.749 euros (moyenne sur 12 mois) soit une perte de 3.343.513 euros en un an, soit 278.626 euros par mois.

La SAS Utilis justifie dès lors avoir perdu de manière actuelle et certaine, une éventualité favorable d'avoir plus de clients ou de conserver ses clients du fait du risque de confusion avec les intimés, notamment la SARL Innovation For Schelter International I-4S puis le GEIE I-4S.

Cette perte de chance peut être évaluée à 20% du chiffre d'affaire, déduction faite de la marge brute, sur la période allant du 23 août 2012 au 31 décembre 2013. La SAS Utilis ne démontre pas une perte de chiffre d'affaire sur la période postérieure, aucune indemnisation ne lui sera donc allouée à compter du 1er janvier 2014.

Selon les pièces comptables produites, la marge brute concernant l'exercice allant du 1er juillet 2012 au 31 décembre 2013 est de 22,93%. Après déduction de cette marge, le chiffre d'affaire mensuel perdu s'évalue à 214.737 euros.

Il convient donc d'indemniser la perte de chance (évaluée à 20%) pour la SAS Utilis d'avoir des clients supplémentaires ou de conserver ses clients pendant la période allant du 23 août 2012 au 31 décembre 2013 à hauteur de la somme de 698.241,60 euros, soit 20% de 3.491.208 euros correspondant au calcul suivant : (214.737x16 mois) + [(214.737:31 jours) x8 jours].

Les intimés seront donc condamnés in solidum à payer cette somme de 698.241,60 euros de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, par application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil.

Si la SAS Utilis invoque des pertes financières liées à la vente de sa filiale aux Etats-Unis pour apurer sa situation financière, il convient de relever que cette perte invoquée dans les moyens de ses conclusions n'est pas mentionnée dans son tableau récapitulatif intitulé «pertes et frais financiers sur concurrence déloyale». A supposer qu'elle forme une demande à ce titre, elle ne justifie pas d'un lien de causalité suffisant entre cette vente et les faits de concurrence déloyale causés par les intimés, étant en outre souligné que le document produit à ce titre est en anglais et non traduit. Il n'y a donc pas lieu à indemnisation de ce chef.

De même, si le tableau précité inclut dans le calcul de son préjudice le coût de l'embauche de deux salariés pour remplacer M. [B], il convient d'observer que les intimés ne sont pas condamnés pour des faits de débauchage déloyal. En l'absence de lien de causalité avec les faits de concurrence déloyale retenus à l'encontre des intimés, il n'y a pas lieu d'indemniser sur ce point l'appelante.

Celle-ci sera donc déboutée du surplus de sa demande d'indemnisation.

Le jugement qui a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la SAS Utilis pour les faits de concurrence déloyale sera infirmé.

Sur les autres demandes relatives à la réparation du préjudice subi

Ainsi qu'il l'a été dit précédemment, la SAS Utilis ne peut prétendre à aucune indemnisation des frais financiers consécutifs à des retards de livraison en l'absence de faute sur ce point. Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à voir condamner la SAS I-4S France à lui payer la somme de 100.000 euros de dommages et intérêts au titre des frais financiers consécutifs à des retards de livraison. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de retrait du site internet du GEIE I-4S des photographies prises dans la photothèque de la SAS Utilis (rails et brancards de décontamination) dans la mesure où aucune faute à ce titre n'a été établie selon les motifs ci-dessus. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Il est constant que la SAS Utilis a modifié son propre logo en 2016, dès lors, il n'est plus justifié que la modification par les intimés de leur logo et slogan est toujours nécessaire pour éviter tout risque de confusion. Le jugement qui a rejeté cette demande sera confirmé.

En revanche, le risque de confusion entre les modèles de tente vendus sous l'appellation T par les intimés et les modèles de tente vendus sous l'appellation TM par l'appelante existe toujours.

En conséquence, les intimés seront condamnés in solidum à modifier l'appellation de leurs modèles de tentes «T» en excluant l'utilisation des lettres «T» et/ou «M» sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de 6 mois à compter de la signification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'étendre cette condamnation aux autres gammes, dans la mesure où la SAS Utilis a précisé que l'objet de ce litige était les tentes TM.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Afin de réparer le préjudice commercial subi par la SAS Utilis au titre du parasitisme et de la confusion, il convient d'ordonner la publication du présent arrêt dans 3 périodiques au choix de la SAS Utilis et aux frais des intimés in solidum dans la limite de la somme de 4.000 euros par publication. Les intimés devront s'acquitter du remboursement de ces frais auprès de la SAS Utilis sur présentation par cette dernière des factures acquittées.

Le jugement, qui a rejeté cette demande, sera infirmé.

Sur les actes de concurrence déloyale invoqués par la SAS I-4S France contre la SAS Utilis

Sur le parasitisme

Si la SAS I-4S France soutient que la SAS Utilis commet des faits de parasitisme en utilisant des vidéos filmées dans les locaux de la SARL Becher, avec le logo et la mention Utilis, pour faire croire qu'elle peut être capable de fabriquer des tentes militaires alors que seule la SARL Becher devenue depuis la SAS I-4S France en a le savoir-faire, il a été établi par les motifs développés ci-dessus que seule la SAS Utilis possédait une valeur économique individualisée relative à la conception des tentes militaires.

Par ailleurs, s'il résulte des pièces produites que la SARL Becher devenue la SAS I-4S France a un savoir-faire dans la fabrication de la toile et des profilés qui composent les tentes militaires, il n'est pas établi que ce savoir-faire caractérise une valeur économique identifiée et individualisée dans la mesure où la SAS Utilis a eu recours à d'autres sous-traitants ensuite pour fabriquer ses tentes.

Dès lors, aucun parasitisme ne peut être imputé à la SAS Utilis.

Sur la confusion

Il résulte du procès-verbal de constat dressé le 6 mars 2015 que la vidéo de présentation de la SAS Utilis consultable sur son site internet et sur YouTube montre sous le titre «vidéo de l'entreprise» les locaux extérieurs et intérieurs de la SARL Becher mais avec le logo de la SAS Utilis et la mention UTILIS. L'huissier instrumentaire a également relevé que la vidéo montrait l'intérieur d'un bureau, une machine Lectra dont il avait préalablement constaté la présence dans les locaux de la SARL Becher ainsi que le gérant de la SARL Becher, son directeur de production et son responsable technique. Il indique également que la vidéo montre l'atelier de montage et de contrôle qualité de la SARL Becher ainsi que la présence d'ouvriers en train de procéder à des montages de tentes.

Il résulte du courrier de la société Dakota du 20 avril 2015 que cette vidéo a été retirée du site internet de la SAS Utilis et de YouTube à la demande de cette dernière, ce que reconnaît la SAS I-4S France. Si l'intimée soutient que des images de ses ateliers subsisteraient sur le site de la SAS Utilis, elle n'en rapporte pas suffisamment la preuve dans la mesure où aucun élément ne permet d'authentifier l'exactitude de la capture d'écran qu'elle produit qui n'est pas constatée par huissier.

La société Dakota atteste dans le courrier précité qu'au moment du tournage du film réalisé en 2008 et de son visionnage tous les protagonistes figurant sur cette vidéo avaient donné leur accord pour qu'elle soit diffusée sans aucune restriction. Toutefois, la SAS Utilis ne rapporte pas la preuve que ces personnes et la SARL Becher avaient donné leur accord pour que cette vidéo soit diffusée même après la rupture des relations contractuelles entre les parties.

Il faut donc considérer qu'en utilisant les locaux et le personnel de la SARL Becher et en les présentant comme étant l'entreprise Utilis, alors qu'elle n'avait plus de relations commerciales avec la SARL Becher, la SAS Utilis a commis un acte de concurrence déloyale de nature à causer un risque de confusion entre les deux entreprises.

Sur le préjudice subi par la SAS I-4S France

Ainsi qu'il l'a été rappelé précédemment, il s'infère nécessairement d'actes de concurrence déloyale résultant d'un risque de confusion un préjudice ne serait-ce que moral.

En utilisant les images de la SARL Becher pour présenter sa propre entreprise, alors que leurs relations commerciales avaient cessé depuis 2014, la SAS Utilis qui s'est comportée de manière déloyale a causé un préjudice moral à la SARL Becher devenue la SAS I-4S France puisque cette dernière a été présentée aux tiers comme partie intégrante de la SAS Utilis alors qu'au contraire, elle travaillait pour le GEIE I-4S, groupement concurrent.

Au regard de la durée de ces agissements déloyaux, soit environ un an, la SAS Utilis sera condamnée à payer à la SAS I-4S France la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, par application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil.

La SAS I-4S France ne produit aucun élément, notamment comptable, permettant d'établir qu'elle a subi un préjudice économique du fait de la diffusion de cette vidéo.

Elle sera donc déboutée du surplus de sa demande d'indemnisation.

Le jugement sera dès lors infirmé en ce qu'il a débouté la SAS I-4S France de sa demande de dommages et intérêts formée à ce titre contre la SAS Utilis.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la SARL Innovation For Schelter I-4S France

Dans la mesure où il est fait partiellement droit aux prétentions formées par la SAS Utilis, il n'est pas justifié du caractère abusif de la procédure qu'elle a engagée.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la SAS Utilis à payer à SARL Becher STP devenue la SAS I-4S France la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et cette demande sera rejetée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé dans ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure où il est fait très majoritairement droit aux prétentions de la SAS Utilis.

En conséquence, le GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France seront in solidum condamnés aux dépens qui comprendront d'une part, ceux de l'ordonnance du juge de la mise en état du 6 juillet 2017 sur lesquels il n'a pas été statué, et d'autre part, les frais de constats d'huissiers engagés par la SAS Utilis à l'exception des procès-verbaux de constats dressés par Me [I], les 12 août 2015 et le 6 septembre 2016 qui resteront à la charge de la SAS Utilis.

L'équité commande de condamner in solidum le GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France à payer à la SAS Utilis la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande également de condamner la SAS Utilis à payer à la SAS I-4S France la somme de 2.000 euros au même titre.

Le GEIE I-4S et la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S qui succombent seront déboutés de leurs demandes formées sur ce même fondement.

Les intimés succombant également très majoritairement en appel seront condamnés in solidum aux dépens.

L'équité commande de condamner in solidum le GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France à payer à la SAS Utilis la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande également de condamner la SAS Utilis à payer à la SAS I-4S France la somme de 2.000 euros au même titre.

Le GEIE I-4S et la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S qui succombent totalement seront déboutés de leurs demandes formées sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement du tribunal judiciaire de Metz du 23 décembre 2021 en ce qu'il a:

- débouté la SAS Utilis de sa demande formée à l'encontre de la SAS I-4S France anciennement dénommée la SARL Becher de la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des frais 'nanciers consécutifs à des retards de livraison,

- débouté la SAS Utilis de sa demande tendant à ordonner sous astreinte de 5.000 euros par jour et/ou par infraction constatée le retrait par I-4S de photographies prises dans la photothèque de la SAS Utilis de son site internet et la modi'cation du logo adopté par les sociétés défenderesses

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Metz du 23 décembre 2021 en ce qu'il a:

- écarté des débats le constat dressé le 12 août 2015 par M. [I], huissier de justice, à la requête de la SAS Utilis qui est sa pièce N°42,

- écarté des débats le constat dressé le 6 septembre 2016 par M. [I], huissier de justice, à la requête de la SAS Utilis qui est sa pièce N°77,

- débouté la SAS Utilis de sa demande de dommages et intérêts en réparation de faits d'actes de concurrence déloyale et parasitaire formée à l'encontre de la SARL Becher STP, de la SAS I-4S France, du GEIE I-4S, de la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S,

- débouté la SAS Utilis de sa demande tendant à ordonner sous astreinte de 5.000 euros par jour et/ou par infraction constatée la modi'cation des références et dénominations proches de ceux de la SAS Utilis adoptés par les sociétés défenderesses pour désigner leurs produits,

- débouté la SAS I-4S France de sa demande de dommages et intérêts chiffrée à 100.000 euros formée à l'encontre de la SAS Utilis du fait d'actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- condamné la SAS Utilis aux dépens, comprenant ceux de l'ordonnance du juge de la mise en état du 6 juillet 2017,

- condamné la SAS Utilis à régler au groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S et à la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S la somme de 5.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS Utilis à régler à la SAS I-4S France la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SAS Utilis de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à publication du présent jugement,

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum le groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France à payer à la SAS Utilis la somme de 600.000 euros de dommages et intérêts en réparation des faits de parasitisme, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;

Condamne in solidum le groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France à payer à la SAS Utilis la somme de 150.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;

Condamne in solidum le groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France à payer à la SAS Utilis la somme de 698.241,60 euros de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;

Condamne in solidum le groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France sous astreinte de 200 euros par jour de retard (ou par infraction constatée) à l'expiration d'un délai de 3 mois à compter de la signification du présente arrêt à modifier l'appellation de leurs modèles de tentes «T» en excluant l'utilisation des lettres «T» et/ou «M» ;

Ordonne la publication du présent arrêt dans 3 périodiques au choix de la SAS Utilis et aux frais du groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et de la SAS I-4S France, in solidum, dans la limite de la somme de 4.000 euros par publication ;

Dit que le groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et de la SAS I-4S France devront s'acquitter du remboursement de ces frais auprès de la SAS Utilis sur présentation par cette dernière des factures acquittées ;

Déboute la SAS Utilis du surplus de ses prétentions ;

Condamne la SAS Utilis à payer à la SAS I-4S France la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral au titre des actes de concurrence déloyales, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;

Déboute la SAS I-4S France du surplus de ses prétentions y compris sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne in solidum le groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France aux dépens qui comprendront, d'une part, ceux de l'ordonnance du juge de la mise en état du 6 juillet 2017, et d'autre part, les frais de constats d'huissiers engagés par la SAS Utilis à l'exception des procès-verbaux de constats dressés par Me [I], les 12 août 2015 et le 6 septembre 2016 qui resteront à la charge de la SAS Utilis ;

Condamne in solidum le groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France à payer à la SAS Utilis la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Utilis à payer à la SAS I-4S France la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute le groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S et la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S de leurs demandes formées sur ce même fondement ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum le groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France aux dépens de l'appel ;

Condamne in solidum le groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S, la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S et la SAS I-4S France à payer à la SAS Utilis la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Utilis à payer à la SAS I-4S France la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute le groupement européen d'intérêt économique GEIE I-4S et la société de droit luxembourgeois Innovation For Shelter International I-4S de leurs demandes formées sur ce même fondement.