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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 24 septembre 2024, n° 23/01524

CHAMBÉRY

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CA Chambéry n° 23/01524

24 septembre 2024

GS/SL

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 24 Septembre 2024

N° RG 23/01524 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HLEJ

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce d'ANNECY en date du 18 Octobre 2023

Appelante

Société CARROSSERIE MECANIQUE DE [Localité 13], dont le siège social est situé [Adresse 2]

Représentée par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par Me Bernard PLAHUTA, avocat plaidant au barreau de BONNEVILLE

Intimées

Société SASU NT CARS, dont le siège social est situé [Adresse 4]

Représentée par Me Vianney LEBRUN, avocat au barreau de LYON

Société BOUVET ET GUYONNET, dont le siège social est situé [Adresse 5]

Société MOTOR SPORT, dont le siège social est situé [Adresse 1]

Sans avocats constitués

Mme la PROCUREURE GENERALE

[Adresse 11]

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Date de l'ordonnance de clôture : 22 Avril 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 06 mai 2024

Date de mise à disposition : 24 septembre 2024

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Composition de la cour :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

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Faits et procédure

Les sociétés NT Cars et Sasu Privilège Cars ont entretenu des relations d'affaires, la première important des véhicules de Suisse, provenant de la société suisse Perfect Cars, dont elle confiait la vente à la seconde aux termes d'un contrat de mandat de dépôt-vente.

Après avoir été alertée, en février 2022, de ce que la Sasu Privilège Cars aurait procédé à la vente de nombreux véhicules sans lui en rendre compte ni lui restituer le prix obtenu, la société NT Cars l'a faite citer en référé par acte du 14 avril 2022. Par ordonnance de référé du 15 juin 2022, le tribunal de commerce d'Annecy a condamné la Sasu Privilège Cars à payer à la société NT Cars une provision de 435 530 euros au titre du solde de ses factures.

Suivant jugement en date du 6 juillet 2022, le tribunal de commerce d'Annecy a prononcé la liquidation judiciaire de la Sasu Privilège Cars et désigné l'Etude Bouvet & Guyonnet en qualité de mandataire liquidateur.

Le 15 mars 2023, dans le cadre d'une enquête pénale en cours portant notamment sur des faits d'escroquerie, une perquisition a été conduite dans les locaux situés au [Adresse 3] à [Localité 9] ([Localité 8]), occupés par la Sasu Carrosserie Mécanique de [Localité 13].

Sur asssignations du mandataire liquidateur délivrées les 7 et 20 avril 2023 à la Sasu Motor Sport et à la Sasu Carrosserie Mécanique de [Localité 13], en présence de la Sasu NT Cars, contrôleur de la liquidation judiciaire, et de M. [P] [A], président de la Sasu Privilège Cars, le tribunal de commerce d'Annecy a, par jugement en date du 18 octobre 2023, conformément à l'article L 621-2 du Code de commerce:

- prononcé la jonction entre les différentes instances ;

- déclaré la Selarl Etude Bouvet & Guyonnet recevable et bien fondée en sa demande d'intervention forcée de M. [P] [A] ;

- prononcé l'extension de la liquidation judiciaire de la Sasu Privilège Cars aux sociétés Motor Sport et Carrosserie Mécanique de [Localité 13];

- rejeté le surplus des demandes ;

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Au visa principalement des motifs suivants :

la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] a été créée le 1er juillet 2022, peu avant l'ouverture de la liquidation judiciaire de la Sasu Privilège Cars et exerce la même activité, procédant exclusivement à la vente de véhicules provenant de la société suisse Perfect Cars, ayant comme actionnaire M. [E] [I];

l'un des associés de la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13], M. [E] [I], est domicilié à la même adresse que le gérant de la Sasu Privilège Cars, M. [P] [A];

la Sasu Privilège Cars a résilié le bail du [Adresse 3] à [Localité 9] ([Localité 8]) et a présenté au bailleur la société Motor Sport, qui a repris le bail;

ces deux sociétés, exerçant dans les mêmes locaux, ont utilisé les mêmes annonces publicitaires ;

certains véhicules portant une plaque 'Privilège Cars' ont été vendus par la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13];

ces éléments constituent un faisceau d'indices permettant de considérer que l'activité de la société Privilège Cars s'est poursuivie à travers les sociétés Motor Sport et Carrosserie Mécanique de [Localité 13];

la création d'une nouvelle personne morale pour exercer une même activité en laissant les dettes à l'autre société caractérise la fictivité.

La société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] a interjeté appel de cette décision le 19 octobre 2023 en ce qu'elle a prononcé l'extension de la liquidation judiciaire de la Sasu Privilège Cars aux sociétés Motor Sport et Carrosserie Mécanique de [Localité 13].

Par arrêt en date du 12 décembre 2023, Mme la première présidente de la cour d'appel de Chambéry a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement rendu le 18 octobre 2023 en ce qu'il a prononcé l'extension de la liquidation judiciaire de la Sasu Privilège Cars à la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13].

Prétentions des parties

Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées par voie de communication électronique le 22 avril 2024, la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] demande à la présente juridiction de :

- l'accueillir dans l'appel interjeté contre le jugement rendu le 18 octobre 2023 par le Tribunal de Commerce d'Annecy;

- infirmer dans sa totalité le jugement entrepris;

Et statuant de nouveau

- dire et juger n'y avoir lieu à voir prononcer l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société Privilège Cars à l'encontre de la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] ;

- condamner la Sasu NT Cars sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à la somme de 36 000 Euros, ainsi qu'aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Christian Forquin, conformément aux dispositions de l'article 699 du code précité.

Elle fait notamment valoir que :

' les locaux pris à bail le 1er novembre 2022 au [Adresse 3] à [Localité 7] ne sont qu'accessoires, s'agissant d'un simple hangar n'ayant aucune façade, ni vitrine donnant sur la voie publique, son siège social demeurant inchangé à [Localité 14], dans ses ateliers de réparation automobile et de carrosserie ;

' il y a ni confusion de patrimoine, ni fictivité de personne morale, permettant d'étendre la liquidation judiciaire à son encontre ;

' elle exerce comme activité principale, artisanale et non commerciale, une activité de réparation automobile et carrosserie dans l'établissement de son siège social sis [Adresse 2];

' il ne peut être tiré aucune conséquence du fait que Messieurs [A] et [I] aient successivement résidé à la même adresse ;

' elle n'a aucun lien avec la société Motor Sport, qui a pris à bail les locaux de [Localité 9] avant elle, entre le 31 mai et le 31 octobre 2022 ;

' l'examen de son livre de police permet de constater qu'aucune des automobiles ne provient, ni de Privilège Cars en liquidation judiciaire, ni de NT Cars, contrôleur de la procédure et intervenant volontaire;

' les sociétés Sasu Privilège Cars, Motor Sport et Carrosserie Mécanique de [Localité 13] ont des dirigeants et associés différents;

' aucun détournement de véhicule ne se trouve caractérisé et elle n'a repris aucun des actifs de la société liquidée.

Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées par voie de communication électronique le 29 mars 2024, la société NT Cars demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner la Sasu Carrosserie Mécanique de [Localité 13] à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait notamment valoir que :

' les sociétés Sasu Privilège Cars, Motor Sport et Carrosserie Mécanique de [Localité 13] ont la même activité de commerce de véhicules, sont en relations d'affaires, et sont toutes trois exploitées dans les mêmes locaux sis [Adresse 3], à [Localité 9] ;

' elles sont toutes trois dirigées de fait par la même personne, à savoir M. [E] [I];

' leur gestion administrative et quotidienne s'effectue de manière conjointe, parallèle, et indifférenciée;

' leur clientèle constitue un ensemble unique, les clients étant alternativement voire successivement rattachés à l'une ou l'autre des trois sociétés ;

' certains véhicules vendus par la Sasu Motor Sport et la Sas Carrosserie Mécanique de [Localité 13] sont la propriété de la société Privilège Cars, ou de particuliers ou professionnels ' et notamment la société NT Cars - n'ayant conclu de contrat de dépôt-vente qu'avec la société Privilège Cars;

' les annonces de vente publiées par ces trois sociétés sont identiques;

' les véhicules vendus par ces trois sociétés sont, pour la plupart, sinon l'intégralité, les mêmes véhicules;

' ces trois sociétés ne constituent en réalité qu'une seule et même entité juridique;

' les sociétés Motor Sport et Carrosserie Mécanique de [Localité 13] ont été constituées afin de transférer l'activité et les actifs de la société Privilège Cars et ainsi en assurer la continuité, tout en échappant frauduleusement à la procédure de liquidation judiciaire.

La Selarl Etude Bouvet & Guyonnet, liquidateur judiciaire de la société Privilège Cars, n'a pas constitué avocat mais a déposé le 19 avril 2024 un rapport sur l'état de la procédure collective, aux termes duquel il sollicite la confirmation du jugement entrepris.

Mme la procureure générale de la cour d'appel de Chambéry conclut également à la confirmation de la décision entreprise, suivant conclusions du 29 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 22 avril 2024 a clôturé l'instruction de la procédure.

Par requête notifiée par voie de communication électronique le 30 avril 2024, la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] demande à la présente juridiction d'écarter des débats les écritures et pièces de la Selarl Etude Bouvet & Guyonnet, liquidateur judiciaire de la société Privilège Cars, en faisant valoir qu'il s'agit de conclusions saisissant la cour de prétentions, et non d'un simple compte-rendu objectif sur l'état d'avancement de la procédure, et qu'elles lui ont été communiquées de manière tardive, le 22 avril 2024, jour de la clôture.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 6 mai 2024.

Motifs de la décision

Sur le rapport du liquidateur judiciaire

Comme l'a jugé la Cour de Cassation dans un arrêt du 24 janvier 2018 (Com, n°16-22.637, publié au bulletin), il entre dans la mission d'un mandataire de justice de rendre compte de l'état de la procédure collective dans laquelle il a été désigné, ce qui lui permet d'adresser à la juridiction amenée à statuer sur celle-ci un courrier et des pièces rendant objectivement compte de l'état d'avancement de la procédure. La Selarl Etude Bouvet & Guyonnet se prévaut expressément de cette décision pour conclure à la recevabilité du rapport et des pièces qu'elle a déposés au greffe le 19 avril 2024, en faisant observer que l'impécuniosité du dossier ne lui a pas permis de constituer avocat.

Force est de constater, cependant, que le liquidateur judiciaire de la société Privilège Cars se trouve en l'espèce dans une situation différente de celle qui a été donné lieu à cet arrêt de principe. En effet, il est partie à la présente instance, puisque c'est lui qui est à l'origine de la demande d'extension de la liquidation judiciaire aux sociétés Motor Sport et Carrosserie Mécanique de [Localité 13], ce qui n'était pas le cas du mandataire dans l'affaire ayant conduit à la décision du 24 janvier 2018, s'agissant d'un appel interjeté contre un jugement prononçant une liquidation judiciaire. La Selarl Etude Bouvet & Guyonnet ne saurait dans ce contexte se soustraire aux règles d'ordre public applicables aux procédures avec représentation obligatoire.

Il convient d'observer, ensuite, que le 'rapport' qu'il soumet à la cour ne peut constituer un simple compte-rendu objectif sur l'état d'avancement de la procédure collective, puisqu'il demande notamment à la présente juridiction, dans un paragraphe intitulé 'PAR CES MOTIFS', de confirmer le jugement entrepris. Le liquidateur entend ainsi formuler des prétentions dans ce qui s'apparente de fait à des conclusions, lesquelles ne sont de toute évidence pas recevables à défaut de respecter les règles de procédure applicables en cause d'appel.

Enfin, en tout état de cause, la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] n'a été destinataire de ce rapport et des nombreuses pièces qui s'y trouvent annexées, par LRAR, que le 22 avril 2024, soit le jour de l'ordonnance de clôture. Et cette communication tardive n'a pas permis à l'appelante d'y répondre, au mépris du principe du contradictoire.

Le rapport et les pièces déposés au greffe le 19 avril 2024 par la Selarl Etude Bouvet & Guyonnet ne pourront en conséquence qu'être écartés des débats.

Sur l'extension de la liquidation judiciaire à la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13]

Aux termes de l'article L. 621-2 alinéa 2 du code de commerce, 'à la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale'.

Si la notion de fictivité ne se trouve nullement définie par la loi, elle renvoie, selon une jurisprudence constante, à l'absence de l'une ou plusieurs des conditions de validité du contrat de société telles qu'elle se trouvent définies à l'article 1832 du code civil, à savoir la pluralité d'associés, la participation aux bénéfices ainsi que la contribution aux pertes et surtout l'affectio societatis, qui suppose que les associés collaborent de manière effective à l'exploitation dans un intérêt commun.

La fictivité peut également être appréhendée comme constituant une application particulière du mécanisme de simulation de l'article 1201 du code civil, et elle suppose dans une telle hypothèse que la société ait été créée comme un intrument de fraude, notamment à l'égard des droits des créanciers, le contrat de société, acte apparent, dissimulant ainsi un acte occulte, qui constitue le véritable but poursuivi par ses créateurs.

Il appartient dans cette optique à la présente juridiction de rechercher si, en l'espèce, la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] a été constituée, non pas dans le cadre d'un projet autonome, au service d'un dessein commun qui aurait été recherché par ses associés, mais dans le seul but de poursuivre l'activité des sociétés Privilège Cars et Motor Sport, et d'échapper aux créanciers de la première, en particulier la société NT Cars, titulaire d'une créance de 435 530 euros au titre du solde de ses factures en vertu de l'ordonnance de référé du 15 juin 2022.

En apparence, les trois sociétés Privilège Cars, Motor Sport et Carrosserie Mécanique de [Localité 13] présentent effectivement, comme le relève l'appelante, une indépendance fonctionnelle, en ce que ses associés et dirigeants sont bien, sur le papier, des personnes différentes.

La Sasu Privilège Cars a ainsi été constituée le 14 octobre 2019 par M. [P] [A], avec un siège social fixé au [Adresse 3] à [Localité 9] (commune d'[Localité 8]) et un objet social déclaré portant sur l'achat vente de véhicules auprès de particuliers et de professionnels, le dépôt vente de véhicules, l'import, l'export de véhicules et la gestion d'un garage avec petite mécanique et carrosserie.

Constituée en mai 2021 par M. [D] [Y], avec un siège social au [Adresse 3] à [Localité 9], et un objet social portant sur l'import et l'expert de véhicules automobiles, la Sasu Sceent Maarten, a changé de dénomination sociale pour devenir Motor Sport le 1er avril 2022 et transféré à la même date son siège social au [Adresse 1] à [Localité 12].

Quant à la Sas Carrosserie Mécanique de [Localité 13], elle a été constituée le 1er juillet 2022 par Messieurs [E] [I], [G] [U] et [V] [X], avec un siège social fixé au [Adresse 2] à [Localité 13], et un objet social portant sur le négoce, la vente, l'import, export de tous véhicules, toutes prestations de services se rapportant à la réparation de tous véhicules, l'achat, la vente de tous accessoires, éléments ou pièces déctachées se rapportant à l'automobile. Comme le fait observer l'appelante, cette société, contrairement aux deux précédentes, est également immatriculée auprès du registre national des entreprises en qualité d'entreprise artisanale au titre de son activité de réparation automobile et carrosserie, qu'elle décrit comme étant son activité principale.

Les trois sociétés sont en théorie dirigées par des personnes différentes, à savoir M. [A] pour la Sasu Privilège Cars, M. [Y] pour la société Motor Sport et M. [V] [X] pour la Sas Carrosserie Mécanique de [Localité 13].

Cependant, de nombreux éléments du litige, qui se déduisent notamment des pièces qui sont versées aux débats par la société NT Cars, créancier principal de la Sasu Privilège Cars désigné en qualité de contrôleur de sa procédure de liquidation, sont de nature à remettre en cause cette apparente indépendance fonctionnelle et à caractériser l'existence d'une continuité d'activité entre ces trois structures.

Il convient d'observer, en premier lieu, que la société Motor Sport, pour laquelle l'extension de la liquidation n'est pas remise en cause en appel, a exercé son activité de commerce de véhicules dans les mêmes locaux que la Sasu Privilège Cars, au [Adresse 3] à [Localité 9], du 3 mai 2021 jusqu'au 6 juillet 2022, date de la liquidation judiciaire de cette seconde société. Lors sa constitution, son associé unique, M. [Y], a déclaré une domiciliation à cette même adresse et il n'est fait état d'aucune activité qui ait été exercée à son siège social au [Adresse 1] à [Localité 12] suite au transfert intervenu le 1er avril 2022.

La société NT Cars verse par ailleurs aux débats trois annonces, portant sur les mêmes véhicules, avec des photographies identiques, prises dans les locaux de [Localité 9], qui ont été passées de manière concomittantes par les deux sociétés Privilège Cars et Motor Sport en juin 2022, sans qu'il soit possible de déterminer laquelle de ces deux entités en était réellement le propriétaire et le vendeur. L'un des véhicules, Mercedes Viano, qui a été présenté à la vente par Privilège Cars, portait du reste une plaque 'Motor Sport'. Et aucune précision n'a été apportée, dans le cadre de la présente procédure, ni en première instance ni en appel, sur la répartition de leur activité entre les deux structures, qui s'exerçait dans les mêmes locaux, ni sur les circonstances dans lesquelles la société Motor Sport aurait repris le bail afférent auxdits locaux suite à la liquidation judiciaire de la société Privilège Cars. Il n'est pas contesté, en outre, que l'un des véhicules, Audi TT V6, ayant été confié par NT Cars en dépôt-vente à Privilège Cars a été mis en vente par Motor Sport en septembre 2022, puis en janvier 2023.

La société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] a ensuite pris à bail ces mêmes locaux situés à [Localité 9], pour y exercer la même activité, à compter du 1er novembre 2022. En février 2023, de nombreuses annonces (14) ont justement été publiées de manière concomittante par les sociétés Motor Sport et Carrosserie Mécanique de [Localité 13], portant sur les mêmes véhicules, avec des photographies identiques, prises là encore dans les mêmes locaux de [Localité 9]. Ce qui tend à démontrer que les deux sociétés partageaient alors le même parc de véhicules, sur le même site, alors qu'en théorie, à cette date, seule la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] devait occuper les locaux litigieux.

Par ailleurs, il convient de souligner que l'un des véhicules, Alfa Roméo Spider, qui a ainsi été proposé à la vente de manière concomittante par les sociétés Motor Sport et Carrosserie Mécanique de [Localité 13] en février 2023 portait un logo 'Privilège Cars', et qu'un autre véhicule, Mercedes Viano, a été successivement mis en vente par les trois sociétés litigieuses, le 21 juin 2022 par Privilège Cars, le 4 octobre 2022 par Motor Sport puis le 28 mars 2023 par Carrosserie Mécanique de [Localité 13]. Le premier de ces deux véhicules a du reste été revendiqué par M. [E] [I] dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Privilège Cars.

Ces éléments sont de nature à conforter la thèse d'une continuité d'activité entre les trois structures, au sein des mêmes locaux de [Localité 9]. Ce qui se trouve corroboré par la découverte, lors de la perquisition réalisée le 15 mars 2023 dans le cadre de l'enquête pénale, de classeurs communs contenant des documents administratifs afférents aux trois structures.

Les pièces qui sont versées aux débats par la société NT Cars permettent ensuite de mettre en exergue le rôle joué par M. [E] [I] au sein des trois sociétés, en tant que gérant de fait, alors que l'intéressé n'est, sur le papier, qu'un simple associé de la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13]. Il se déduit ainsi de plusieurs avis Google qui sont produits par le contrôleur de la procédure que l'intéressé se présentait comme le responsable de la société Privilège Cars vis-à-vis des clients et procédait lui-même à la vente des véhicules, et ce alors qu'il n'est nullement allégué ni a fortiori démontré qu'il aurait été à un quelconque moment le salarié de cette structure.

M. [I] était en outre uni par des liens familiaux avec le gérant de droit de la société Privilège Cars, [P] [A], puisque ce dernier est le petit ami de la fille de sa compagne. Les deux ont surtout été domiciliés à la même adresse, au [Adresse 6] à [Localité 8], à la même époque, puisque M. [A] a déclaré ce domicile lors de sa déclaration de cessation des paiements, le 15 juin 2022, et M. [I] lors de la constitution de la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] le 1Er juillet 2022. Ce qui permet de penser qu'ils ont vécu ensemble, dans le même appartement, à cette époque.

Il n'est pas contesté, en outre, que M. [I] entretenait des relations d'affaires avec M. [W], de la société NT Cars, qui fournissait les véhicules importés de Suisse à la société Privilège Cars. Il se déduit surtout de l'ordonnance de référé du 15 juin 2022 que M. [W], informé de la vente clandestine, par Privilège Cars, de véhicules confiés à celle-ci en dépôt-vente, s'est rendu le 22 février 2022 dans les locaux situés au [Adresse 3] à [Localité 9], pour y rencontrer M. [I] et M. [Z] [L] (ce dernier étant associé de la société suisse Perfect Cars, d'où proviennent les véhicules importés), qu'il a constaté la disparition d'une vingtaine véhicules, dont il a dressé la liste, et que cette liste n'a pas été contestée par ses interlocuteurs aux termes d'un mail du 24 février 2022.

Force est de constater qu'à aucun moment le gérant de droit de Privilège Cars, M. [A], n'a été sollicité par son fournisseur, ce qui tend à démontrer qu'il n'était pas le réel dirigeant de cette société, et qu'il a en réalité été installé à cette place par M. [I], gérant de fait de la structure, ce qui se trouve corroboré par la différence d'âge et d'expérience entre les deux hommes.

Aucun élément du dossier qui se trouve soumis à la présente juridiction ne permet par ailleurs de caractériser la moindre activité réelle, que ce soit de gestion ou de vente, qui aurait été exercée par M. [Y] au sein de la société Motor Sport, étant observé que cette société offrait à la vente les mêmes véhicules que Privilège Cars, dans les mêmes locaux. Ce qui tend à démontrer que cette société était également gérée de fait par M. [I].

Il convient d'observer, ensuite, que c'est M. [I], pourtant décrit comme un simple associé de la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13], qui a signé le bail commercial prenant effet le 1er novembre 2022, afférent aux locaux situés au [Adresse 3] à [Localité 9], et que le gérant de droit de la structure, M. [V] [X], est domicilié à [Localité 10], ce qui permet de douter qu'il ait pu jouer un rôle de gestion actif dans cette société. Du reste, ce sont bien Messieurs [L] et [I] qui étaient présents dans les locaux de [Localité 9] lors de la perquisition du 15 mars 2023.

En outre, il se déduit du jugement entrepris que M. [G] [U], qui est le troisième associé de la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13], a déclaré à la barre du tribunal de commerce que la gestion administrative de la société était assurée par M. [E] [I], et que Privilège Cars 'leur donnait déjà des véhicules à Vallières'.

Il est important de relever également que si l'appelante prétend que son activité principale aurait consisté en une activité artisanale de réparation de véhicules, sur son site de [Localité 13], elle ne verse aux débats aucun élément probant de nature à justifier de la réalité de cette activité, qui serait autonome de la continuité du commerce exercé par Privilège Cars et Motor Sport. En effet, les images issues du site Google View qu'elle produit sont datées du mois de septembre 2019, soit une date antérieure à sa constitution, se rapportent à une adresse différente de son siège social, au 115, et non au [Adresse 2], et sur des locaux à une enseigne 'Clean Auto' qui semble étrangère à son activité. Rien ne permet par ailleurs de situer géographiquement les photographies de son local qu'elle verse aux débats.

D'une manière plus générale, la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] ne fait état d'aucun élément (factures, attestations...) qui démontrerait qu'elle aurait réellement exercé une activité de réparation de véhicules à [Localité 13]. En outre, la circonstance qu'elle n'ait jamais mentionné, dans son objet social, l'exercice de son activité de commerce dans les locaux situés au [Adresse 3] à [Localité 9], est de nature à corroborer la thèse d'une dissimulation opérée dans le but de reprendre de fait l'activité exercée par Privilège Cars et Motor Sport.

Quant au livre de police qu'elle verse aux débats, son examen révèle que de nombreux véhicules qui s'y trouvent inscrits proviennent soit de Perfect Cars directement, soit de la famille [B] (Mme [S] [B] étant associée de la société suisse Perfect Cars) ou de M. [I]. Ce qui tend là encore à caractériser la poursuite de l'activité auparavant exercée par Privilège Cars et Motor Sport, sans qu'il soit pour autant possible de déterminer dans le cadre de la présente instance, la cour étant dans l'ignorance des éléments qui ont pu être recueillis au cours de l'enquête pénale en cours, si les véhicules qui étaient entreposés dans les locaux de [Localité 9] lors de la liquidation judiciaire de Privilège Cars ont été, et dans quelle proportion, détournés au profit des sociétés Motor Sport et Carrosserie Mécanique de [Localité 13], ce qui s'apparenterait à une banqueroute par détournement d'actifs.

Il est important de noter également que si l'appelante tente d'expliquer les annonces de vente, portant sur les mêmes véhicules, qu'elle a passées de manière concomittante avec Motor Sport par le fait que des particuliers ayant déposé leurs véhicules auprès de l'une des sociétés auraient ensuite donné mandat de vente à une autre, elle n'en justifie nullement.

La confusion existant entre les trois structures se trouve du reste illustrée par la situation, dont le jugement entrepris fait état, du véhicule de Mme [O] qui a été vendu par Privilège Cars, réparé en garantie par Motor Sport et récupéré ensuite par Carrosserie Mécanique de [Localité 13]. Il en va de même du véhicule Infiniti FX 37 S, qui est cité dans les écritures de NT Cars, qui après avoir été mis en vente par Privilège Cars, puis par Motor Sport, a finalement été vendu par Carrosserie Mécanique de [Localité 13]. Ainsi que du véhicule Audi TT V6, confié en dépôt-vente le 29 avril 2021, puis vendu le 7 mars 2022 par NT Cars à Privilège Cars, revendu à Perfect Cars le 28 mars 2022, puis à Mme [M] le 20 avril 2022 (ces deux opérations étaient probablement fictives), ensuite mis en vente par Motor Sport et finalement vendu par Carrosserie Mécanique de [Localité 13].

La thèse selon laquelle la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] aurait été créée dans le seul but de continuer sous une autre forme l'activité de commerce que les sociétés Privilège Cars et Motor Sport exerçaient au sein des mêmes locaux, au préjudice des créanciers de la première, se trouve enfin corroborée par la concomittance entre la date de la déclaration de cessation des paiements de Privilège Cars, le 15 juin 2022, puis sa liquidation judiciaire, le 6 juillet 2022, et la date de création de la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13], le 1Er juillet 2022, par M. [I], qui était le gérant de fait de l'ensemble des ces structures.

Les circonstances du litige permettent d'inscrire ces événements dans la continuité de l'ordonnance de référé du 15 juin 2022, ayant condamné la Sasu Privilège Cars à payer à la société NT Cars une provision de 435 530 euros au titre du solde de ses factures. Etant observé qu'à cette époque, Messieurs [I] et [A] résidaient à la même adresse, et qu'ils ont ainsi nécessairement agi de concert.

Il est ainsi manifeste que la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] a été constituée, non pas pour exercer une activité autonome, caractérisée par un quelconque affectio societatis, mais dans le seul but de poursuivre l'activité exercée par Privilège Cars et Motor Sport dans les locaux de [Localité 9] et réduire le gage des créanciers de la première.

La fictivité de la société Carrosserie Mécanique de [Localité 13] se trouve en conséquence caractérisée, au sens des dispositions de l'article L. 621-2 alinéa 2 du code de commerce, ce qui justifie l'extension de la procédure collective à son égard.

Le jugement entrepris ne pourra donc qu'être confirmé en l'ensemble de ses dispositions.

Les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire. La société Carrosserie Mécanique deVallières, partie perdante, sera par ailleurs condamnée à payer à la société NT Cars la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d'appel. La demande qu'elle forme à ce titre sera enfin rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine;

Ecarte des débats le rapport et les pièces déposés au greffe le 19 avril 2024 par la Selarl Etude Bouvet & Guyonnet ;

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions;

Y ajoutant,

Condamne la société Carrosserie Mécanique deVallières à payer à la société NT Cars la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d'appel;

Rejette les demandes formée à ce titre par la société Carrosserie Mécanique deVallières;

Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Arrêt Réputé Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 24 septembre 2024

à

Me Christian FORQUIN

Me Vianney LEBRUN

Parquet Général

Copie exécutoire délivrée le 24 septembre 2024

à

Me Vianney LEBRUN