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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 24 septembre 2024, n° 23/06565

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Charo Ruiz Export (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barlow

Conseillers :

Mme Schaller, Mme Aldebert

Avocats :

Me Schwab, Me Azoulai, Me M'Rabet, Me Pech

T. com. Paris, 7e ch., du 22 mars 2023, …

22 mars 2023

* I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie de l'appel interjeté contre un jugement rendu le 22 mars 2023, par le tribunal de commerce de Paris (7e chambre), dans un litige opposant la société française [O] Fashion SAS (ci-après « [O] »), agence commerciale spécialisée dans le secteur de la mode et exerçant sous l'enseigne « Showroom Fabre », à la société espagnole CHARO RUIZ EXPORT S.L (ci-après « Charo Ruiz ») société spécialisée dans la conception et la distribution de prêt-à-porter féminin d'été.

2. Le différend à l'origine de cette décision porte sur la rupture du contrat d'agent commercial signé entre les parties le 7 avril 2017 pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction, aux termes duquel la société Charo Ruiz a confié à la société [O] la distribution exclusive de sa marque en France et à Monaco.

3. Aux termes de ce contrat, la société [O] percevait une commission de 15 % du montant hors taxe des ventes facturées et collectées par Charo Ruiz.

4. A sa date d'échéance, le contrat a été renouvelé tacitement.

5. Par échanges de mails du 22 avril 2020, la société [O] a indiqué à la société Charo Ruiz, avoir découvert la vente de produits de la saison 2020 sur un site de déstockage en ligne et a contesté ce procédé qu'elle estimait être en violation de l'accord d'exclusivité qui lui avait été consenti.

6. En réponse, la société Charo Ruiz lui a indiqué qu'elle avait un contrat avec le site Vente.privée.com depuis trois ans qui l'autorisait à destocker les précédentes collections et indiquait qu'en raison du Covid, elle avait dû y référencer cinq articles de la saison actuelle pour pouvoir écouler ses stocks à titre exceptionnel.

7. Par l'intermédiaire de son conseil, la société [O] a mis en demeure la société Charo Ruiz de lui communiquer le montant facturé à la société Ventes Privées et des autres ventes faites en France et à Monaco pendant la période contractuelle et lui verser le commissionnement correspondant.

8. Par courriel en date du 1er juin 2020, la société Charo Ruiz a mis fin au contrat d'agent commercial avec la société [O] à compter de la saison estivale 2021.

9. C'est dans ces conditions que, par acte introductif d'instance en date du 1er octobre 2020, la société [O] a assigné la société Charo Ruiz devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner à lui payer diverses sommes et indemnités en lien avec les préjudices allégués et la rupture du contrat.

10. Par jugement du 14 avril 2022, le tribunal de commerce de Paris a ordonné la communication des copies des factures émises par la société Charo Ruiz à l'attention des sociétés Ventes Privées et VEEPEE pour leurs clients français et monégasques du 1er mai 2017 au 31 décembre 2020, sous astreinte de 100 euro par jour de retard, et renvoyé l'instance à se poursuivre au fond.

11. Par jugement en date du 22 mars 2023, le tribunal de commerce de Paris a :

Condamné la société CHARO RUIZ EXPORT S.L société de droit espagnol au paiement à la SAS [O] de la somme de 40 750 euros ;

Condamné la société CHARO RUIZ EXPORT S.L société de droit espagnol au paiement à la SAS [O] de la somme de 10 200 euros ;

Dit que les intérêts au taux légal courront sur ces sommes à compter du prononcé de la présente décision ;

Débouté la SAS [O] FASHION de sa demande au titre de la perte de chiffre d'affaires ;

Débouté la SAS [O] FASHION de sa demande au titre de la perte des commissions ;

Débouté la SAS [O] FASHION de sa demande au titre du préjudice d'image ;

Débouté la SAS [O] FASHION de sa demande au titre de la liquidation de l'astreinte ;

Condamné SOCIETE CHARO RUIZ EXPORT S.L société de droit espagnol à payer à la SAS [O] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

Condamné SOCIETE CHARO RUIZ EXPORT S.L société de droit espagnol au paiement des dépens de l'instance donc ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 139,14 € dont 22,76 € de TVA ;

Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

Rappelle que l'exécution provisoire est de droit.

12. La société [O] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 5 avril 2023. La société Charo Ruiz a formé appel incident.

13. La clôture a été prononcée le 14 mai 2024 et l'audience fixée au 18 juin 2024 à 14h30.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

14. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 mars 2024, [O] demande à la cour de bien vouloir :

- CONFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a :

o Constaté que la résiliation du Contrat est intervenue à l'initiative de la société Charo Ruiz ;

o Condamné la société Charo Ruiz à indemniser la société [O] au titre d'une indemnité de cessation du contrat d'agent et une indemnité de préavis ;

o Constaté que la société [O] n'avait commis aucune faute grave justifiant la rupture brutale du contrat d'agent ;

o Constaté que la demande de la société [O] est intervenue dans le délai d'un an à compter de la cessation du Contrat.

o Condamné la société Charo Ruiz à payer à la société [O] des intérêts sur les condamnations à compter de la décision déférée.

o Condamné la société Charo Ruiz à payer à la société [O] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

- INFIRMER le jugement rendu le 22 mars 2023 en ce qu'il a :

o Limité la condamnation de la société Charo Ruiz à payer à la société [O] à la somme de 40.750 euros,

o Limité la condamnation de la société Charo Ruiz au paiement à la société [O] de la somme de 10.200 euros ;

o Débouté la société [O] de sa demande au titre de la perte de chiffre d'affaires ;

o Débouté la société [O] au titre de la perte de ses commissions ;

o Débouté la société [O] de sa demande au titre du préjudice d'image ;

o Débouté la société [O] de sa demande au titre de la liquidation de l'astreinte ;

o Débouté la société [O] en ses demandes tendant à :

CONDAMNER la société Charo Ruiz à verser à [O] la somme de 110.219,40 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat d'agent commercial.

CONDAMNER la société Charo Ruiz à verser à la société [O] la somme de 110.219,40 euros au titre de l'indemnité pour rupture anticipée et sans motif du contrat.

CONDAMNER la société Charo Ruiz à verser à [O] une somme de 66 104,70 euros au titre des commissions qu'elle aurait dû percevoir du fait de la vente des produits à Ventes Privées.com, société française située sur le territoire français.

CONDAMNER la société Charo Ruiz à verser une somme de 120 000,00 euros au titre de la perte de marge brute du fait de la résiliation unilatérale du contrat Charo Ruiz.

CONDAMNER la société Charo Ruiz à payer 20 000,00 euros à la société [O] au titre du préjudice d'image qu'elle a subi.

LIQUIDER l'astreinte prévue dans le jugement du 14 avril 2022 liée au retard dans la communication des pièces à la somme de 900,00 euros correspondant à 9 jours de retard.

Statuant à nouveau :

- CONDAMNER la société Charo Ruiz à verser à [O] la somme de 100.979,28 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat d'agent commercial.

- CONDAMNER la société Charo Ruiz à verser à la société [O] la somme de 100.979,28 euros au titre de l'indemnité pour rupture anticipée et sans motif du contrat.

- CONDAMNER la société Charo Ruiz à verser à [O] une somme de 66 104,70 euros au titre des commissions qu'elle aurait dû percevoir du fait de la vente des produits à Ventes Privées.com, société française située sur le territoire français.

- CONDAMNER la société Charo Ruiz verser une somme de 120 000,00 euros au titre de la perte de marge brute du fait de la résiliation unilatérale du contrat Charo Ruiz.

- CONDAMNER la société Charo Ruiz à payer 20 000,00 euros à la société [O] au titre du préjudice d'image qu'elle a subi.

- LIQUIDER l'astreinte prévue dans le jugement du 14 avril 2022 liée au retard dans la communication des pièces à la somme de 900,00 euros correspondant à 9 jours de retard.

En tout état de cause :

- CONDAMNER la société Charo Ruiz à payer à la société [O] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société Charo Ruiz aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H avocats, en la personne de Maître Audrey SCHWAB, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure Civile.

15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 février 2024, Charo Ruiz demande à la cour de bien vouloir : vu l'article 909 du code de procédure civile, vu l'article 1103 du code civil, vu l'article L.134-1 à L.134-17 du code de commerce

- RECEVOIR l'appel incident formé par la société Charo Ruiz EXPORT S.L et en conséquence :

- INFIRMER le jugement rendu le 22 mars 2023 par le tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a :

' Condamné la société Charo Ruiz au paiement à la société [O] de la somme de 40.750 euros ;

' Condamné la société Charo Ruiz au paiement à la société [O] de la somme de 10.200 euros ;

' Dit que les intérêts au taux légal courront sur ces sommes à compter du prononcé de la présente décision ;

18. Cette directive a été transposée en France aux articles L. 134-1 et suivants du commerce qui sont applicables au contrat d'agent commercial litigieux.

Sur les indemnités de rupture et de cessation anticipée du contrat

19. La société [O] fait grief au tribunal de commerce de Paris :

- d'avoir limité le montant de l'indemnité de fin de contrat due en vertu de l'article L.134-12 du code de commerce à la somme de 40.750 €, alors qu'il est d'usage de prendre pour base trois années de commissions si le contrat a duré plus de deux années, que la moyenne des trois années précédentes s'établissant à 33.659,76 €, il convenait de lui accorder une indemnité de 100.979,28 €,

- d'avoir limité le montant de l'indemnité pour rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée à la somme de 10.200 euros alors qu'aucune faute grave ni aucune force majeure n'est invoquée à son encontre et qu'elle justifie d'une perte de ses gains manqués jusqu'à la date conventionnellement prévue qui courait jusqu'au 4 avril 2023, soit la somme de 100.979,28 €.

20. Elle soutient que les deux indemnités peuvent être cumulées dès lors qu'elle justifie d'un préjudice distinct, qu'ainsi l'indemnité de rupture est due quelle que soit la cause de la rupture, et compense la perte future des commissions tirées de l'exploitation et du développement de la clientèle commune, et que l'indemnité de cessation anticipée correspond à la perte des gains manqués pour la durée restante et est due en l'absence de faute grave ou de force majeure.

21. Elle conteste avoir manqué à son obligation de loyauté et avoir commis la moindre faute grave justifiant la privation de ses indemnités. En tout état de cause, elle indique que les faits de dénigrement n'ont été allégués que postérieurement à la rupture unilatérale et que l'attestation produite est datée du 4 décembre 2020 alors que le contrat a été rompu le 1er juin 2020, ce qui ne saurait la priver a posteriori de ses droits.

22. Elle conteste enfin être déchue de faire valoir ses droits à indemnisation en application de l'article L. 134-12 du code de commerce, l'assignation délivrée le 1er octobre l'ayant été dans ce délai et sollicitant une indemnité faisant clairement référence aux indemnités demandées sur le fondement de l'article L.134-12.

23. En réponse, et au titre de son appel incident, la société Charo Ruiz réplique que la société [O] a perdu tout droit à une indemnité de rupture et de cessation anticipée, puisqu'elle a commis une faute grave, en commettant des actes de dénigrement durant l'exécution du mandat, violant ainsi son obligation de loyauté, et que le fait que ce manquement ait été découvert postérieurement à la rupture reste susceptible de constituer une faute grave privative de toute indemnité de rupture, même si la faute n'a pas été mentionnée dans la lettre de résiliation.

24. Elle soutient qu'en tout état de cause, l'indemnité pour rupture anticipée du contrat ne peut plus être demandée, la société [O] étant déchue de son droit à demander une indemnité de préavis au motif qu'elle n'a pas formulé cette demande dans le délai légal d'un an à compter de la cessation du contrat, n'ayant formulé sa demande d'indemnité de préavis qu'en 2022 devant le tribunal de commerce.

25. Elle fait ainsi valoir que :

- il ne résulte d'aucun courriel ni de l'assignation que la société [O] aurait entendu solliciter une indemnité supplémentaire pour rupture anticipée du contrat d'agent, ayant simplement sollicité par l'assignation du 1er octobre une indemnité provisionnelle globale à titre d'indemnité de rupture du contrat à hauteur de 225.000 €,

- la société [O] a tenté de dégrader l'image de la société Charo Ruiz auprès des distributeurs finaux en leur demandant d'établir des écrits dénigrant cette dernière,

- elle n'a eu connaissance de ces actes qu'après la rupture, mais ils sont suffisamment graves pour justifier la privation de toute indemnité de rupture, compte tenu de leur déloyauté.

Sur ce,

26. Selon l'article L. 134-11 du code de commerce :

« Un contrat à durée déterminée qui continue à être exécuté par les deux parties après son terme est réputé transformé en un contrat à durée indéterminée.

Lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. Les dispositions du présent article sont applicables au contrat à durée déterminée transformé en contrat à durée indéterminée. Dans ce cas, le calcul de la durée du préavis tient compte de la période à durée déterminée qui précède.

La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. En l'absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin d'un mois civil.

Les parties ne peuvent convenir de délais de préavis plus courts. Si elles conviennent de délais plus longs, le délai de préavis prévu pour le mandant ne doit pas être plus court que celui qui est prévu pour l'agent.

Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure ».

27. L'article L. 134-12 du code de commerce dispose que :

« En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits. (...) »

28. En vertu de l'article L. 134-13 du code de commerce, cette indemnité n'est pas due en cas de faute grave de l'agent commercial.

- sur la déchéance à solliciter réparation

29. Il résulte de l'article L. 134-12, alinéa 2, rappelé ci-dessus que la notification par laquelle l'agent commercial informe le mandant qu'il entend faire valoir ses droits, qui doit manifester l'intention non équivoque de l'agent de faire valoir ses droits à réparation, n'est soumise à aucun formalisme particulier.

30. En l'espèce, la société [O] a clairement manifesté son intention non équivoque de faire valoir ses droits en faisant délivrer une assignation à la société Charo Ruiz le 1er octobre 2020, dans le délai d'un an après le courriel de résiliation, par laquelle elle sollicitait une somme provisionnelle à titre « d'indemnité de rupture », au visa de l'article L. 134-12 du code de commerce, en demandant au tribunal de commerce de constater « la rupture unilatérale et fautive du contrat d'agent par le mandant ».

31. Compte tenu de ces éléments et de l'absence d'exigence de tout formalisme, une telle manifestation est suffisante pour justifier que la société [O] entendait faire valoir ses droits au titre de la rupture du contrat d'agent commercial, droits qu'elle a précisés dans le cadre de la procédure de première instance, peu important que les demandes aient été formulées à titre provisionnel, dès lors qu'elles l'ont été dans le délai fixé par l'article L.134-12 susrappelé.

32. Il y a lieu de rejeter la demande de Charo Ruiz et de confirmer la décision des premiers juges sur ce point.

- sur la faute grave

33. Il résulte des articles L. 134-12, alinéa 1, et L. 134-13 du code de commerce, transposant les articles 17, paragraphe 3, et 18 de la directive 86/653/CEE relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants du 18 décembre 1986, interprétés à la lumière de la jurisprudence de la CJUE (Volvo Car Germany GmbH, aff C-203/09 du 28 octobre 2010 et CMR c/ Demeures terre et tradition SARL, aff. C-645/16 du 19 avril 2018) que l'agent commercial qui a commis un manquement grave antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et qui a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.

34. En l'espèce, Charo Ruiz n'a invoqué aucun motif de rupture dans le courriel de résiliation du 1er juin 2020 et elle indique n'avoir découvert qu'après la résiliation des faits qu'elle qualifie de dénigrement commis par [O] à son égard et qui seraient constitutifs d'une faute grave.

35. Elle verse aux débats :

- une attestation de Madame [J], exploitante de la boutique Nikki Beach à [Localité 3] en date du 4 décembre 2020, postérieure à la rupture, qui indique que « le Showroom Favre m'a demandé un courrier stipulant que la vente de la collection sur internet était déloyale ». Elle a produit une autre attestation en date du 25 septembre 2023 dans le cadre de la procédure d'appel, accompagnée de sa pièce d'identité, aux termes de laquelle Madame [J] déclare « en raison de la pandémie de Covid 19, j'ai dû fermer boutique, que j'ai réouverte en juin 2020. Une ancienne collection de la marque a été mise en vente sur le site de vente en ligne Vente Privée à un prix inférieur. (') Madame [O] m'a demandé de faire un email, ainsi qu'une déclaration écrite officielle, pour me plaindre de la marque. Elle m'a également dit que Charo Ruiz n'avait pas un bon service après-vente, que certains produits arrivaient en mauvais état dans les boutiques et qu'ils ne géraient pas bien les échanges. Je lui ai répondu que rien de tel ne m'était jamais arrivé avec eux »

- Une attestation de Madame [X] datée du 20 septembre 2023 qui indique « en raison de la pandémie de Covid 19, une ancienne collection de la marque Charo Ruiz a été vendue en ligne sur le site de Vente Privée à un prix inférieur. (') Madame [O] m'a dit que Charo Ruiz n'avait pas un bon service après vente, qu'ils ne géraient pas les échanges ».

36. Il en résulte qu'à supposer même que de tels faits commis avant la rupture soient susceptibles d'être considérés comme un manque de loyauté, aucun de ces manquements n'a été invoqué dans la lettre de résiliation et la société Charo Ruiz ne peut dès lors s'en prévaloir pour priver la société [O] de ses indemnités.

37. En l'absence de tout autre élément permettant de retenir une faute grave privative du droit à indemnité, il y a lieu de confirmer, par motifs propres, la décision des premiers juges et de dire que la société [O] est recevable à solliciter le versement des indemnités de rupture prévues par le statut protecteur des agents commerciaux, issu de la transposition de la directive susrappelée.

- Sur l'indemnité de rupture

38. Il résulte des dispositions des articles susrappelés qu'en cas de cessation du contrat, quelle que soit la durée déterminée ou indéterminée du contrat, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, cette indemnité visant à compenser la perte de revenus futurs et la clientèle développée par l'agent commercial.

39. Il est d'usage que l'indemnité soit fixée sur la base de 24 mois de commissions brutes, sans que cet usage lie la cour, mais il est impératif que l'indemnité allouée assure la réparation intégrale du préjudice subi par l'agent commercial.

40. En l'espèce, le préjudice subi allégué par l'agent commercial serait selon [O] de trois années de commissions, la société [O] versant aux débats un décompte des commissions perçues lors des trois années passées du contrat, une attestation de son expert-comptable relative à la moyenne des commissions perçues et à la perte de marge brute subie et ses états financiers, avec les bilans et comptes de résultat pour les années 2017 à 2022.

41. La société Charo Ruiz soutient que le préjudice subi n'est pas établi, que la société [O] ne produit qu'une simple attestation de son expert-comptable qui fixe la perte de chiffre d'affaires annuel à 45.000 euros, ce qui n'est pas suffisant pour justifier de la réalité d'un préjudice qui ne résulte d'aucun autre élément comptable, qu'en 2021, l'année suivant la rupture, la société [O] a même augmenté son chiffre d'affaires global de 34.570 €.

42. Il résulte de l'ensemble des éléments versés aux débats et des explications des parties qu'en tenant compte du chiffre d'affaires de l'année suivant la rupture, et en prenant note de ce que la perte des revenus « futurs » devait inclure le fait que les encaissements de commissions générées par le passé se poursuivaient a minima sur les années suivant la rupture, gonflant artificiellement le chiffre d'affaires sur ces deux ans, la cour est en mesure de fixer le préjudice à la somme correspondant à 24 mois de commissions.

43. Il y a lieu par conséquent d'infirmer la décision des premiers juges sur le montant de l'indemnité compensatrice allouée qu'ils avaient limitée à un an de commissions et d'allouer à ce titre une indemnité correspondant à deux années de commissions, basée sur la moyenne annuelle brute indiquée par [O] de 33.659,76 € soit 67.319,52 €.

- sur l'indemnité pour rupture anticipée

44. Il résulte des dispositions protectrices issues de la directive européenne rappelée ci-dessus que si la cessation d'un contrat d'agent commercial, même à durée déterminée, donne droit à réparation du préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune, le caractère anticipé de cette cessation donne droit à réparation du préjudice résultant de la perte de commissions jusqu'à la date conventionnellement prévue, ces indemnités pouvant se cumuler.

45. En l'absence de faute grave invoquée avant la résiliation, le contrat à durée déterminée ne peut être révoqué que par le consentement mutuel des parties, suivant les clauses ou conditions spécifiées au contrat ou pour une cause légitime reconnue en justice.

46. En l'espèce, il résulte de l'article 2 du contrat litigieux que « this agreement shall come into force on the date of signature by both parties and has a 3(three) years duration. It will tacitly be renewed for the same duration except in case one party would ask for it termination 3 months before it's end' (le contrat entre en vigueur le jour de sa signature par les deux parties pour une période de trois ans. Il sera renouvelé tacitement pour la même durée sauf si où une partie en demande la résiliation trois mois avant son terme).

47. Il en résulte que le contrat litigieux est à durée déterminée, et que sa reconduction tacite, qui est intervenue après le premier terme, est à durée déterminée pour la même durée, sur le fondement de l'article 2 susénoncé, soit jusqu'au 4 avril 2023, sans que les parties n'aient prévu de possibilité de résiliation avant le terme, le préavis de trois mois n'étant prévu que pour faire cesser la reconduction tacite.

48. S'agissant des conditions prévues contractuellement pour la résiliation du contrat (« termination of the contract »), il résulte de l'article 7 que la résiliation ne peut intervenir qu'à chaque arrivée du terme, dans les conditions suivantes :

« 7.1. The party who wishes to terminate this contract at the end of its 3 years duration or at the end of any following 3 years period should inform the co-contracting party by registered letter with proof of receipt, giving three months' notice accordingly to article 2 'Duration'.

'7.2 In accordance with the provisions of article L.134-12 of the French commercial code, and with the 'common interest' nature of the contract, its termination by the principal, if it is not justified by misconduct or material failure to perform on the part of the Sales Agent or a case of force majeure or if the Sales Agent goes out of business for reasons of age, infirmity or illness, will entitle the latter or his heirs to claim a severance payment exclusive of any other, calculated according to common practice'.

'7.3 The payement of such a severance payment to the Sales Agent is separate from the allocation of any other form of compensation'.

'7.4. In the event of misconduct, material failure to perform, or a case of force majeure, this contract may be terminated by eigher party by registered letter with proof of receipt, giving 15 days' notice without any severance payment'.

traduit par :

«7.1 La partie qui souhaite mettre fin au présent contrat à l'issue de sa durée de 3 ans ou à l'issue de toute période de 3 ans suivante doit en informer le cocontractant par lettre recommandée avec accusé de réception, en respectant un préavis de trois mois conformément à l'article 2 « Durée ».

« 7.2 Conformément aux dispositions de l'article L.134-12 du Code de commerce, et au caractère « d'intérêt commun » du contrat, sa résiliation par le mandant, si elle n'est pas justifiée par une négligence ou une faute grave de l'agent commercial ou un cas de force majeure ou si l'agent commercial cesse son activité pour cause d'âge, d'infirmité ou de maladie, ouvrira droit pour ce dernier ou ses héritiers à une indemnité de rupture exclusive de toute autre, calculée selon les usages '.

« 7.3. Le versement d'une telle indemnité de rupture à l'agent commercial est distinct de l'attribution de toute autre forme de compensation.

« 7.4. En cas de négligence, faute grave ou de force majeure, le présent contrat pourra être résilié par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec accusé de réception, moyennant un préavis de 15 jours, sans indemnité de rupture ».

49. Il en résulte que la durée de trois ans est impérative et ne peut faire l'objet d'une rupture anticipée qu'en cas de négligence, faute grave ou force majeure, et ce moyennant un préavis de quinze jours, notifié par LRAR.

50. En l'espèce, aucun des trois motifs de rupture anticipée n'a été invoqué par le mandant et la société Charo Ruiz a résilié le contrat par courriel simple, le 1er juin 2020 alors que le terme convenu était le 4 avril 2023.

51. Le caractère anticipé de cette cessation du contrat d'agent commercial à durée déterminée donne droit par conséquent à réparation du préjudice résultant de la perte de commissions jusqu'à la date conventionnellement prévue soit deux ans et sept mois de commissions, sur la même base moyenne que celle retenue ci-dessus, soit une somme de 86.954,38 €.

52. La décision des premiers juges sera infirmée sur ce point.

Sur l'indemnité compensatrice pour violation de la clause d'exclusivité

53. La société [O] sollicite la condamnation de la société Charo Ruiz à lui payer les commissions qu'elle aurait dû lui verser pour les ventes qu'elle a faites en violation de son exclusivité territoriale. Elle fait notamment valoir que :

- le contrat stipulait une exclusivité territoriale au bénéfice de [O] pour les ventes en France et Monaco,

- la société Charo Ruiz a directement vendu ses collections à la société française VentePrivées.com (ci-après : « Vente Privée »), active sur le marché français,

- elle n'a donc pas perçu les commissions pour les produits vendus à la société VentePrivées.

54. La société Charo Ruiz réplique que :

- la vente par internet est présumée « passive » et n'est pas couverte par la clause d'exclusivité territoriale ;

- Internet ne saurait constituer un point de vente dans le territoire dont l'exclusivité est concédée ;

- l'exclusivité territoriale stipulée au profit d'un agent commercial n'interdit pas à son mandant de vendre directement les produits à un distributeur situé en dehors du territoire réservé, même si ce dernier les propose ensuite à la vente sur ledit territoire, via son site internet,

- la société Charo Ruiz vendait ses anciennes collections à la société espagnole Privalia, filiale de Vente Privée, qui les proposait ensuite à la vente sur internet, ce dont tous les distributeurs étaient informés, cette pratique ayant perduré depuis plusieurs années et [O] ne pouvant prétendre ne pas en avoir eu connaissance.

Sur ce,

55. Aux termes de l'article L. 134-5 du code de commerce :

« Tout élément de la rémunération variant avec le nombre ou la valeur des affaires constitue une commission au sens du présent chapitre.

Les articles L. 134-6 à L. 134-9 s'appliquent lorsque l'agent est rémunéré en tout ou partie à la commission ainsi définie.

Dans le silence du contrat, l'agent commercial a droit à une rémunération conforme aux usages pratiqués, dans le secteur d'activité couvert par son mandat, là où il exerce son activité. En l'absence d'usages, l'agent commercial a droit à une rémunération raisonnable qui tient compte de tous les éléments qui ont trait à l'opération. ».

56. Aux termes de l'article L.134-6 du code de commerce :

« Pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre.

Lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminé, l'agent commercial a également droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe. »

57. Il résulte des termes non contestés du contrat et notamment de ses articles 1 (« authorization to sell its brand on a « sole agent basis ») et 3 (« sector » France and Monaco) que l'agent était titulaire de l'exclusivité des ventes des collections de la marque Charo Ruiz (the « brand ») pour les territoires de France et de Monaco.

58. La société Charo Ruiz ne conteste pas ladite exclusivité sur les collections de sa marque, mais elle soutient qu'il n'y a pas de droit à commissionnement sur la vente par internet, même si des acheteurs peuvent se situer en France.

59. Or, il résulte des éléments versés aux débats et notamment des factures des ventes faites par Charo Ruiz pendant toutes les années couvertes par le contrat d'agent commercial à la société Vente Privées, société française qui procède à de la vente en ligne, notamment à destination du public français, et donc sur le secteur géographique de [O], que lesdites ventes, même si elles n'étaient pas faites en boutiques, étaient des opérations conclues avec une personne morale ayant son siège en France et vendant sur internet, sans contester le fait que le destinataire final pouvait appartenir au secteur géographique couvert par l'exclusivité convenue contractuellement par les parties, alors que ces dernières avaient prévu que [O] avait l'exclusivité des ventes des collections de la marque sur tout le territoire défini (France Monaco), sans distinction.

60. Le fait que les ventes sur internet ne constituent pas un « point de vente » physique situé sur le territoire français ou monégasque ou constituent des « ventes passives » est inopérant au regard des dispositions légales qui ouvrent le droit à commisions à « toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe déterminé », quelles qu'en soient les modalités, l'opération ayant en l'espèce été conclue avec une société de droit français ayant son siège en France, la société Ventes Privées, et les factures étant toutes adressées à cette personne, peu important que les ventes sur internet ne soient pas circonscrites à sa géolocalisation, et que les destinataires desdites ventes, dont il n'est pas contesté qu'ils appartiennent au secteur couvert par l'exclusivité, ne soient pas connus.

61. Il est également inopérant de soutenir que la société [O] avait connaissance du contrat passé entre Charo Ruiz et la société Ventes Privées, au motif qu'elle ne pouvait ignorer que les anciennes collections étaient vendues sur Ventes Privées, puisque des distributeurs s'en étaient ouverts auprès d'elle.

62. Il ne peut en effet en être déduit une quelconque renonciation aux dispositions contractuelles et légales, quand bien même [O] aurait eu connaissance de ces ventes, les parties n'ayant formalisé aucun accord sur ce point, ni sur une différence de traitement entre les anciennes collections et les nouvelles, l'exclusivité prévue au contrat ne faisant pas référence à cette distinction et la société [O] n'étant pas liée par les accords passés entre Charo Ruiz et Privalia, société ensuite acquise par la société Ventes Privées devenue VEEPEE.

63. Il ne peut enfin être retenu que les parties n'ayant pas précisé expressément que l'exclusivité territoriale couvrait la vente en ligne signifierait que les parties l'ont exclue, cette affirmation étant contraire aux principes régissant la liberté contractuelle.

64. Les ventes faites à Vente Privées devaient dès lors donner lieu à commissions en application de l'article L. 135-6 susvisé.

65. C'est à tort que le tribunal de commerce a considéré que ces commissions étaient incluses dans les indemnités de rupture allouées, alors que lesdites commissions sont calculées sur les ventes faites par Charo Ruiz à Ventes Privées, sur la base des factures produites, le montant total desdites factures sur la période contractuelle s'élevant à la somme de 440.697,84€ et n'ayant jamais servi de base de rémunération de [O].

66. Il y a lieu d'infirmer la décision sur ce point et de faire droit à la demande de la société [O], à hauteur de 66.104,70 €, somme calculée par [O] sur la base des pièces fournies.

Sur l'indemnisation du préjudice du fait de la perte de marge brute liée à la rupture du contrat

67. La société [O] soutient qu'elle a subi une baisse conséquente de son chiffre d'affaires suite à la rupture unilatérale du contrat par Charo Ruiz, son expert-comptable faisant état d'une perte de marge brute annuelle de 40.000 € liée à la perte de la marque Charo Ruiz.

68. Elle fait valoir que Charo Ruiz n'étant pas son unique fournisseur, une partie de son chiffre d'affaires provient d'autres fournisseurs et des commissions payées avec un effet retard. Elle demande à la cour de comparer les années 2021 et 2022 car les encaissements sont réalisés avec un délai de 18 mois par rapport à la vente des produits et elle produit une attestation de son expert comptable qui évalue sa perte de marge brute sur trois ans à 120.000 €.

69. La société Charo Ruiz réplique que :

- elle a été contrainte de rompre le contrat, aucune faute ne pouvant lui être reprochée

- [O] ne rapporte pas la preuve d'une baisse de son chiffre d'affaires à la suite de la résiliation,

- contrairement à ses affirmations le chiffre d'affaires de la société [O] a augmenté entre 2020 et 2021,

- l'attestation de l'expert comptable est une attestation de complaisance

Sur ce,

70. Il résulte des motifs développés ci-dessus que l'indemnité compensatrice de rupture allouée sur le fondement de l'article L. 134-12 couvre l'intégralité du préjudice subi par la société [O], y compris la perte future de revenus, la société [O] ayant déjà fait valoir ses différents chefs de préjudice et notamment la perte de chiffre d'affaires pour les années à venir.

71. De plus, la demande de la société [O] est fondée sur l'article 1217 et sur l'article 1231-1 du code civil relatifs à l'inexecution du contrat et aux dommages et intérêts dus pour inexecution et non aux conséquences de la rupture du contrat.

72. Sa demande est dès lors mal fondée.

73. La décision sera confirmée sur ce point.

Sur l'indemnisation du préjudice d'image

74. La société [O] soutient que la violation de la clause d'exclusivité a eu pour conséquence de mettre en péril la relation de l'agent commercial avec ses propres clients, y compris concernant les autres produits qu'elle distribue.

75. Elle fait valoir que la distribution par Charo Ruiz des produits sur une plateforme de vente en ligne à prix bradé a impacté sa réputation et sa crédibilité auprès de ses clients, qui se sont plaints de ces agissements, et que sa réputation a été directement mise en cause, générant une perte de confiance des clients et une baisse de chiffre d'affaires et de marge brute.

76. La société Charo Ruiz fait valoir que la société [O] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice moral ni de son quantum.

Sur ce

77. Le préjudice moral d'une personne morale est reconnu comme un préjudice affectant l'image ou la réputation de l'entreprise, l'atteinte pouvant se traduire par une dégradation de l'image de l'entreprise à l'égard de ses clients et la perte de confiance qui en résulte.

78. Il appartient toutefois à la personne morale qui s'en prévaut de rapporter la preuve que son cocontractant est à l'origine du manquement dont elle se prévaut et du préjudice qu'elle soutient avoir subi ainsi que de son quantum.

79. En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats et notamment des mails des clientes de [O] que celles-ci ne mettent pas en cause l'image de [O], à l'exception d'Eden Roc Cap d'Antibes qui lui reproche son manque de professionnalisme face aux ventes directes de Charo Ruiz des collections de l'été sur le site Ventes Privées avec un rabais.

80. Les autres mails concernent leur mécontentement à l'égard du comportement de Charo Ruiz, dont les conséquences ont pu impacter le nombre de commandes et les livraisons, mais pas la confiance que ces clientes lui ont conservée, tous ces mails étant en outre la suite du confinement et des pertes liées au Covid 19, ces éléments économiques étant distincts du préjudice d'image allégué qui n'est pas établi.

81. Un seul mail ne suffit en effet pas à établir le préjudice allégué dont le quantum n'est en outre justifié par aucune pièce.

82. Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris sur ce point et de débouter la société [O] de sa demande à ce titre.

Sur la liquidation de l'astreinte

83. La société [O] soutient que le tribunal de commerce de Paris avait ordonné, avant dire droit, à Charo Ruiz de communiquer la copie des factures émises à l'attention de VentePrivée au plus tard le 25 mai 2022, sous attreinte de 100 € par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours suivant la signification du jugement.

84. Elle indique que ledit jugement a été signifié le 29 avril 2022, que le délai a donc commencé à courir le 14 mai 2022, que la société Charo Ruiz a transmis les factures le 23 mai 2023, soit 9 jours après la signification, justifiant la liquidation de l'astreinte ordonnée à hauteur de 900 €.

85. La société Charo Ruiz indique en réponse que le jugement présente une incohérence en imposant un délai expirant le 25 mai 2022 et en assortissant dans le même temps cette condamnation d'une astreinte pouvant eventuellement courir avant le délai du 25 mai 2022, ce qui a été le cas.

86. Elle justifie avoir communiqué les factures le 23 mai 2022 soit dans le délai ordonné.

Sur ce

87. Il résulte du dispositif du jugement du 14 avril 2022 ordonnant la communication des factures que le délai pour remettre les pièces demandées expirait le 25 mai 2022, à l'audience.

88. L'astreinte ordonnée n'était en tout état de cause que provisoire, le juge n'ayant pas précisé son caractère définitif.

89. Le point de départ de l'astreinte pouvant être déterminé par le juge au moment de sa liquidation, c'est à juste titre que les premiers juges qui l'ont ordonnée et qui ont constaté que le délai de remise des pièces avait été respecté ont débouté la société [O] de sa demande de liquidation de l'astreinte dont le point de départ n'avait pas commencé à courir, indépendamment de la signification délivrée.

90. La décision devra être confirmée sur ce point.

Sur les frais et dépens

91. La société Charo Ruiz, qui succombe en la majorité de ses prétentions, sera condamnée aux dépens, la demande qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetée.

92. Elle sera condamnée à payer à la société [O] la somme de 10 000 euros sur le fondement du même article.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a :

« Débouté la SAS [O] FASHION de sa demande au titre de la perte de chiffre d'affaires,

Débouté la SAS [O] FASHION de sa demande au titre du préjudice d'image ;

Débouté la SAS [O] FASHION de sa demande au titre de la liquidation de l'astreinte ;

Condamné SOCIETE CHARO RUIZ EXPORT S.L société de droit espagnol à payer à la SAS [O] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ; »

Statuant à nouveau,

Rejette la demande de déchéance du droit à indemnisation de la société [O],

Condamne la société Charo Ruiz à payer à la société [O] la somme de 67.319,52 € à titre d'indemnité compensatrice de la rupture du contrat d'agent commercial

Condamne la société Charo Ruiz à payer à la société [O] la somme de 86.954,38 € à titre d'indemnité pour rupture anticipée du contrat d'agent commercial.

Condamne la société Charo Ruiz à payer à la société [O] la somme de 66.104,70 € à titre de rappels sur commissions,

Déboute la société [O] de ses autres demandes,

Condamne la société Charo Ruiz à payer à la société [O] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Charo Ruiz aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.