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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 24 septembre 2024, n° 22/02677

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Couleurs d'Autan (SARL)

Défendeur :

Société d'Importation de Fournitures Automobiles (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Norguet, Mme Moulayes

Avocats :

Me Benoit-Daief, Me Tournade, Me Claisse

T. com. Castres, du 9 mai 2022, n° 20200…

9 mai 2022

Faits et procédure :

La Sarl Couleurs d'Autan a pour activité la conception et la réalisation de tous travaux d'imprimerie et de communication.

La Sas Société d'importation de fournitures automobiles (ci après Sas Sifa) a pour activité le commerce de fournitures professionnelles pour les secteurs de l'automobile, du bâtiment, de l'industrie et du nautisme.

Les deux sociétés entretiennent des relations commerciales depuis 2005, la Sas Sifa ayant confié à la Sarl Couleurs d'Autan de nombreux travaux d'impression, notamment de ses catalogues.

La Sas Sifa a confié, suivant devis du 4 juin 2018, accepté le 16 juillet 2018, d'un montant de 10 920 euros Ht, une prestation d'impression de « catalogues 2018 », conçus par son agence graphiste, l'agence Oh, devant être livrés fin août pour une distribution dans un salon se tenant à Francfort en septembre 2018.

Le 30 août 2018, la Sas Sifa a refusé la livraison des 2 000 exemplaires de « catalogues 2018 » en avançant des malfaçons dans la réalisation de la prestation. La Sarl Couleurs d'Autan s'est opposée à ce refus en répliquant que les malfaçons n'étaient pas de son fait mais de celui de l'agence Oh et qu'elles n'étaient suffisamment graves pour justifier un refus de livraison.

La Sarl Couleurs d'Autan a saisi son assureur de ce litige, lequel a organisé une mesure d'expertise contradictoire amiable à l'issue de laquelle il a été proposé à la Sas Sifa de ne verser que la somme de 7 500 euros HT.

La Sas Sifa a fait une contre-proposition pour un versement à hauteur de 5 527 euros, qui a été refusée par la Sarl Couleurs d'Autan, laquelle a émis, le 23 janvier 2020, une facture d'un montant de 10 920 euros HT.

Le 16 mars 2020, la Sarl Couleurs d'Autan a assigné la Sas Sifa devant le tribunal de commerce de Castres aux fins de la voir condamnée au paiement de la facture impayée outre sa condamnation à lui verser 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La Sas Sifa a avancé n'avoir utilisé qu'une partie des catalogues, étant contrainte de s'en servir compte tenu des délais auxquels elle était tenue mais que l'inexécution grave par la Sarl Couleurs d'Autan de ses propres obligations contractuelles la dispensait du paiement de ceux-ci. Elle a indiqué tenir les reste des catalogues inutilisés à la disposition de la demanderesse.

Par jugement du 9 mai 2022, le tribunal de commerce de Castres a :

dit que la Sas Sifa est bien fondée à invoquer l'exception d'inexécution et de refuser de payer la facture de la Sarl Couleurs d'Autan n°200130 du 23 janvier 2020,

débouté la Sarl Couleurs d'Autan de l'ensemble de ses demandes,

dit que l'utilisation de 83 exemplaires des catalogues livrés sont à considérer comme réparation de la livraison défectueuse,

pris acte que la Sas Sifa tient à la disposition de la Sarl Couleurs d'Autan les 1 917 exemplaires restants,

condamné la Sarl Couleurs d'Autan à payer à la Sas Sifa la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles,

condamné la Sarl Couleurs d'Autan aux entiers dépens dont frais de Greffe taxés et liquidés à la somme de 63,36 € TTC.

Par déclaration en date du 17 juillet 2022, la Sarl Couleur d'Autan a relevé appel du jugement du tribunal de commerce aux fins de le voir réformé en intégralité.

L'ordonnance de clôture a été rendue en date du 29 janvier 2024.

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions d'appel N°3 notifiées le 25 janvier 2024, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles la Sarl Couleurs d'Autan sollicite, au visa des articles 1103, 1219, 1231-6, 1353, 1710 et 1787 du Code civil et l'article 700 du Code de procédure civile :

l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que la Sas Sifa était bien fondée à invoquer l'exception d'inexécution et de refuser de payer à la facture de la Sarl Couleurs d'Autan n°200130 du 23 janvier 2020,

- débouté la Sarl Couleurs d'Autan de l'ensemble de ses demandes,

- dit que l'utilisation de 83 exemplaires de catalogues livrés sont à considérer comme réparation de la livraison défectueuse,

- pris acte que la Sas Sifa tient à la disposition de la Sarl Couleurs d'Autan les 1917 exemplaires restants,

- condamné la Sarl Couleurs d'Autan à payer à la Sas Sifa la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la Sarl Couleurs d'Autan aux entiers dépens dont frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 63,36 euros TTC,

et statuant à nouveau, la condamnation de la Sas Sifa à régler la somme de 10 920 euros HT, soit 13 104 euros TTC en principal à la Sarl Couleurs d'Autan, augmentée des intérêts au taux légal à compter du courrier de mise en demeure du 23 janvier 2020,

en tout état de cause, le rejet de l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la Sas Sifa,

la condamnation de la Sas Sifa à payer la somme de 5 000 euros à la Sarl Couleurs d'Autan en application de l'article 700 du code de procédure civile,

sa condamnation aux entiers dépens.

En réponse, vu les conclusions d'intimée N° 2 notifiées en date du 18 décembre 2023, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles la Sas Sifa demande, au visa des articles 1217 et suivants du Code civil et les articles 122, 514-1 et 700 du Code de procédure civile :

la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions,

et en tout état de cause, le rejet de l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la Sarl Couleurs d'Autan,

qu'il lui soit enjoint de récupérer les 1917 exemplaires restant auprès de la Sas Sifa dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt,

que le Sas Sifa soit autorisée à procéder à la destruction des 1 917 exemplaires restant passé le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à venir,

la condamnation de la Sarl Couleurs d'Autan à payer à la Sas Sifa une somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la responsabilité contractuelle de la Sarl Couleurs d'Autan pour les produits livrés

Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Aux termes de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut : - refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation; - poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;- obtenir une réduction du prix ; - provoquer la résolution du contrat ; - demander réparation des conséquences de l'inexécution. Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

Selon l'article 1219 du code civil, une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

Les parties s'accordent sur l'existence de défauts d'impression dans les catalogues en cause, dont il est effectivement constaté l'existence lors de l'examen visuel des exemplaires fournis. Elles s'accordent également sur le fait que, s'agissant précisément de cette commande et conformément aux mentions portées sur le devis, le fichier PAO était fourni par la Sas Sifa par l'intermédiaire de son agence graphiste, l'agence Oh.

En revanche, les parties s'opposent sur l'origine et l'imputation des désordres. Notamment, elles s'opposent sur le processus contractuellement convenu avant le lancement des impressions de catalogues, la nécessité d'une transmission préalable par l'imprimeur d'une « épreuve de contrôle calibrée » appelée BAT (bon à tirer) à l'agence graphiste mandatée, l'agence Oh et sa validation par celle-ci avant la mise en production. Elle s'opposent également sur la nature du support, papier ou numérique, dudit BAT. Enfin, elles s'opposent sur la gravité des désordres et l'impropriété du bien livré à sa destination.

Pour refuser le paiement, la Sas Sifa met en avant l'inexécution de son obligation de délivrance conforme par la Sarl Couleurs d'Autan à qui elle reproche l'impression de 2 000 catalogues sans transmission et validation préalable d'un BAT et la livraison de catalogues affectés de défauts dans l'impression sur de nombreuses photos avec des pertes de coloris et des produits non visibles sur leur fond blanc.

La Sarl Couleurs d'Autan affirme qu'elle n'a jamais été soumise contractuellement à une obligation préalable de transmission et de validation de BAT et rejette la responsabilité des défauts constatés sur l'agence graphiste mandatée par la Sas Sifa dont le fichier PAO transmis était non fiable. Elle soutient qu'à les juger effectivement caractérisés à son encontre, les manquements en cause sont minimes et ne rendent pas les produits livrés impropres à leur destination. Ne revêtant pas le critère de gravité requis par l'article 1219 du code civil, ils n'autorisent pas la Sas Sifa à se dispenser de tout paiement.

La Sas Sifa maintient que la procédure contractuelle mise en place entre l'imprimeur et elle-même a toujours prévu la transmission à l'agence graphiste d'un BAT, et sa validation par celle-ci avant tout début d'impression. Elle estime donc caractérisés les manquements contractuels reprochés à la Sarl Couleurs d'Autan justifiant qu'elle s'oppose au paiement de la facture correspondante.

C'est à la Sas Sifa, qui excipe d'une faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles par qu'il revient d'en rapporter la preuve.

Les documents contractuels liant les parties sont, en l'espèce, le devis du 4 juin 2018, lequel se limite à décrire, sans plus de détails, la commande passée avec cependant la mention « Pré-presse : Fichier PAO fourni par vos soins/ Fichier PAO reprise fichier client(1) » ainsi que des conditions générales de vente produites par la Sarl Couleurs d'Autant. Cependant, la Sas Sifa conteste avoir eu connaissance de ces conditions générales et les avoir acceptées.

Celui qui invoque les conditions générales du contrat, même dans un cadre de relations commerciales suivies, doit justifier du fait que l'autre partie y a adhéré.

En l'espèce, certes les deux parties sont en relation commerciale suivie depuis 2005, et la Sas Sifa, reconnaît avoir confié à la Sarl Couleurs d'Autan de nombreux travaux d'impression, mais celle-ci, si elle produit au dossier plusieurs factures à titre d'exemple, n'en produit que les recto, ne permettant pas de s'assurer que les conditions générales de vente figurant au verso de la facture dont il est réclamé le paiement, et auxquelles le devis du 4 juin 2018 ne fait aucunement référence, étaient bien les mêmes que celles produites au dossier de la cour. Plus encore, rien ne permet d'affirmer qu'elles ont bien été communiquées à la Sas Sifa. Dès lors, rien n'établit qu'elles sont entrées dans le champ contractuel concernant la commande litigieuse.

Egalement, les parties produisent conjointement le même exemplaire des « usages professionnels et conditions générales de vente » applicables au secteur de l'imprimerie dont elles revendiquent ensemble l'application au présent contentieux.

L'examen du document permet de relever, à l'article 28 intitulé « le bon à tirer », l'indication suivante : « le bon à tirer est défini comme une épreuve matérialisée acceptée par les deux parties [..] afin de s'assurer que les désirs du client ont été correctement interprétés. [..] L'acceptation du bon à tirer se fait par tous moyens [..] lorsque l'absence du bon à tirer résulte de la volonté ou du fait du client, la responsabilité de l'industriel graphique est dégagée. A défaut de bon à tirer, la responsabilité du donneur d'ordre est entière ».

La cour constate que la Sas Sifa rapporte la preuve que de précédents travaux d'impression ont été confiés à la Sarl Couleurs d'Autan selon le même procédé avec intervention de l'agence Oh, de sorte que c'est à tort que l'appelante soutient que le mode opératoire pour la commande des catalogues 2018 était nouveau, comme l'intervention de l'agence graphiste.

Pour attester de l'absence de transmission préalable du BAT par l'imprimeur, la Sas Sifa produit une attestation du dirigeant de l'agence graphiste Oh, [P] [D], affirmant que l'appelante n'a transmis aucun BAT préalable, ni en format papier, ni en format numérique, avant de lancer l'impression alors qu'il le lui avait expressément demandé.

La cour constate que ce dernier point est effectivement établi par les échanges de mails produits tant par l'intimée que par l'appelante.

La Sarl Couleurs d'Autan, qui met en cause le travail de l'agence graphiste comme étant à l'origine des désordres constatés, conteste la valeur probante de cette attestation. Il ressort cependant du pouvoir souverain du juge du fond d'apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui sont soumis et en l'espèce, cette attestation, corroborant les autres éléments du dossier, apparaît digne de foi et est retenue.

Pour justifier au contraire de ce qu'elle a rempli son obligation contractuelle, l'appelante indique communiquer en pièce 27, le « BAT papier du catalogue (en original) », qu'elle assure avoir transmis dans les temps, en réponse à la demande de l'agence Oh. La cour constate que sur la feuille produite ne figure qu'un titre sans autres mentions.

C'est en vain que l'appelante met en avant les conclusions de l'expertise amiable contradictoire réalisée à la demande de son assureur, affirmant l'existence de défauts d'impression minimes insusceptibles d'entraîner sa responsabilité dans la mesure où, à défaut d'établir les compétences techniques de son auteur pour se prononcer sur ces points, cette expertise n'est pas probante.

Considérant l'ensemble de ces éléments, la cour en conclut que, comme l'ont justement relevé et répondu les premiers juges, la Sarl Couleurs d'Autan n'a pas fourni préalablement à sa cliente un BAT du catalogue. C'est dès lors également en vain que l'appelante pointe les défauts ayant affecté le fichier PAO transmis par l'agence Oh, dont elle ne rapporte pas la preuve, la transmission préalable d'un BAT ayant pour but de s'assurer que l'impression à venir est conforme aux souhaits du client.

La Sarl Couleurs d'Autan n'a donc pas respecté ses obligations contractuelles telles que découlant des usages professionnels en vigueur dans son secteur.

La cour note au surplus que les parties produisent conjointement un échange de mails entre elles dans lesquels l'appelante reconnaît avoir constaté les défauts d'impression des photos dès les premiers catalogues tirés mais avoir, malgré cela, imprimé l'ensemble des 2 000 catalogues commandés.

Cela constitue également une faute manifeste de l'imprimeur dans la réalisation de la commande passée.

La caractérisation d'une faute à son encontre entraîne l'engagement de sa responsabilité contractuelle envers sa cliente. Le jugement de première instance sera confirmé sur ce point.

L'examen visuel des catalogues produits démontre que les défauts d'impression affectent environ 30% des visuels et que, s'il est exact que les catalogues visaient à promouvoir des produits et fournitures techniques, les défauts esthétiques et le rendu de moindre qualité des photos de certains produits, surtout dans le contexte compétitif d'un salon, caractérisent le critère de gravité des manquements exigé par les dispositions de l'article 1219 du code civil.

La Sas Sifa était bien fondée à opposer à la Sarl Couleurs d'Autan l'exception d'inexécution et le jugement de première instance sera confirmé également sur ce point.

La Sas Sifa demande à être déchargée du paiement de la facture produite par la Sarl Couleurs d'Autan en application des dispositions de l'article 1217 du code civil. Au vu des manquements constatés, il y a lieu d'y faire droit. Le jugement de première instance étant à nouveau confirmé.

La cour constate qu'elle n'est pas saisie par ailleurs d'une demande de réparation du préjudice subi par la Sas Sifa.

La Sas Sifa demande enfin que la Sarl Couleurs d'Autan se voit contrainte de venir récupérer les 1917 catalogues livrés et dont l'intimée n'a pas fait usage.

Le jugement de première instance sera confirmé sur ce point sauf à organiser plus précisément les modalités dans lesquelles lesdits catalogues pourront être récupérés dans le dispositif du présent arrêt.

Sur les frais irrépétibles,

Confirmé en intégralité, le jugement de première instance l'est également quant aux chefs de dispositif relatifs aux dépens et frais irrépétibles de première instance.

La Sarl Couleurs d'Autan, partie succombante, sera condamnée aux dépens d'appel.

La Sarl Couleurs d'Autan sera condamnée à verser à la Sas Sifa la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions avec les précisions suivantes s'agissant des 1917 catalogues livrés et non utilisés par la Sas Société d'importation de fournitures automobiles,

Enjoint la Sarl Couleurs d'Autan à procéder, à ses frais, à l'enlèvement des 1917 catalogues tenus à sa disposition par la Sas Société d'importation de fournitures automobiles, dans tel lieu que celle-ci lui indiquera, ce dans un délai de 2 (deux) mois à compter de la signification de la présente décision, avec délai de prévenance d'au moins 15 jours avant intervention,

Dit qu'en l'absence de toute intervention et de l'enlèvement par la Sarl Couleurs d'Autan, dans le délai ci-dessus prévu, la Sas Société d'importation de fournitures automobiles sera libre d'en disposer comme elle le souhaite,

Y ajoutant,

Condamne la Sarl Couleurs d'Autan aux dépens d'appel,

Condamne la Sarl Couleurs d'Autan à verser à la Sas Société d'importation de fournitures automobiles la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.