CA Versailles, ch. com. 3-1, 19 septembre 2024, n° 21/04545
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bleufontaine (SA)
Défendeur :
Mikros Image (SAS), Vantiva (SA), Red Bee Media France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubois-Stevant
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, Mme Meurant
Avocats :
Me Dontot, Me Teriitehau, Me Lafon, Me De Lamaze, Me Andrez, Me Belkheiri, Me Dubois, Me Vogt, Me Faivre, Me Jais, Me Hannezo
EXPOSÉ DES FAITS
La SA Quinta Communications, désormais dénommée Bleufontaine, est une société spécialisée dans le financement et la distribution cinématographique. Son dirigeant est M. [I] [C].
La société Technicolor est spécialisée dans la conception et la fabrication de systèmes de vidéo et d'image numérique destinés aux professionnels des médias, tels que les producteurs de films et les chaînes de télévision.
A partir de 2004, les sociétés Technicolor et Quinta Communications sont entrées en relation, afin de créer un guichet unique destiné à proposer l'intégralité des prestations techniques de post-production inhérentes à la fabrication d'un film.
Entre 2002 et 2006, la société Quinta Communications a acquis diverses sociétés réunissant toutes les spécialités de post-production, qui ont été regroupées dans une holding, la société Quinta Industries.
Le 10 novembre 2004, la société Quinta Communications et la société Technicolor ont conclu un accord de coopération commerciale pour une durée de 3 ans. Par acte du 25 juillet 2007, cet accord a été prorogé jusqu'au 31 mars 2008.
Le 9 mars 2006, la société Quinta Communications a cédé une participation minoritaire de 17,5% du capital de la société Quinta Industries à la société TNSF, filiale de la société Technicolor, aux droits de laquelle sont venues la société Ericsson, puis la société Ericsson Broadcast Services France (EBSF) et vient désormais la société Red Bee Media France.
Le 25 mars 2008, la société Quinta Communications et la société de droit italien Tehnicolor Spa, filiale italienne du groupe Technicolor, ont conclu un nouvel accord de coopération commerciale se substituant au précédent.
A la fin de l'année 2010, la société Quinta Industries a rencontré des difficultés financières, ayant conduit à l'ouverture d'une procédure de conciliation ordonnée par le tribunal de commerce de Nanterre et à la saisne du comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) en janvier 2011. A la suite de l'échec de ces procédures, par jugements rendus les 3, 20 novembre, 1er et 2 décembre 2011 la société Quinta Industries et certaines de ses filiales, les sociétés Scanlab, LTC, ADJ, SIS, Duran et Duboi ont été placées en redressement judiciaire. Ces procédures ont été converties en liquidation judiciaire par jugements rendus entre le 15 décembre 2011 et le 20 janvier 2012. Les actifs des sociétés ADJ, LTC, Scanlab, SIS et Duboi ont été rachetés par la société Technicolor Entertainment Services, ci-après dénommée TESF, filiale du groupe Technicolor et aux droits de laquelle vient la société Mikros Image, dans le cadre des plans de cession.
De nombreux contentieux sont nés de la liquidation judiciaire du groupe Quinta Industries.
Considérant que la procédure collective ouverte à l'égard de la société Quinta Industries avait mis en évidence des fautes de gestion imputables aux dirigeants, Me [M] en qualité de liquidateur judiciaire de cette dernière, a saisi la chambre des responsabilités et des sanctions du tribunal de commerce de Nanterre. Statuant sur l'appel interjeté contre le jugement rendu par cette dernière le 16 décembre 2016, la cour d'appel de Versailles, par un arrêt rendu le 10 avril 2018 interprétant et rectifiant un premier arrêt partiellement infirmatif du 20 février 2018, a condamné M. [P], la société Quinta Communications et cette dernière solidairement avec M. [C], en leur qualité d'ancien dirigeant de la société Quinta lndustries au paiement de la somme de 3.500.000 euros chacun, soit au total la somme de 10.500.000 euros. La cour a également prononcé des mesures d'interdiction de gérer allant jusqu'à 3 ans à l'égard de MM. [P] et [C]. La société TNSF a été condamnée au paiement de la somme de 150.000 euros. La Cour de cassation, par arrêt du 5 février 2020, a rejeté le pourvoi formé contre cette décision.
Le 3 avril 2012, la société Quinta Communications a dénoncé au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre, les faits suivants qualifiés d'escroquerie et d'abus de confiance:
- une man'uvre entreprise par la société Technicolor en vue d'acquérir les actifs de la société Quinta Industries à vil prix à la barre du tribunal ;
- des conditions frauduleuses dans lesquelles sont intervenues Iesdites cessions.
Le 5 juillet 2013, le procureur de la République de Nanterre a requis l'ouverture d'une information judiciaire des chefs d'escroquerie aux jugements et d'abus de confiance. Le 12 décembre 2019, la société Technicolor et son directeur général, M. [K] ont été mis en examen des chefs précités. Par arrêt du 25 mai 2021, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles a annulé des mises en examen. Un pourvoi a été formé contre cette décision. La procédure est en cours. Par ordonnance du 26 juin 2023, le magistrat instructeur a prononcé un non-lieu à l'égard de la société Technicolor et de M. [K]. Cette décision a été confirmée par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles du 18 janvier 2024. Un pourvoi a été formé contre cette décision. La procédure est en cours.
Me [M], ès qualités, a dénoncé auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre des faits susceptibles de revêtir la qualification de banqueroute à l'égard de la société Quinta Communications et de M. [C], qui ont été mis en examen de ces chefs dans le cadre de l'information judiciaire, puis renvoyés devant le tribunal correctionnel par ordonnance du magistrat instructeur du 26 juin 2023. La procédure est en cours.
Auparavant, le 21 février 2012, la société Quinta Communications a déposé une requête devant le tribunal de commerce de Nanterre, tendant à voir ordonner une mesure d'instruction in futurum afin de saisir des documents et courriels dans les ordinateurs de la société Technicolor. Il a été fait droit à cette requête par arrêt de la cour d'appel de Versailles du 12 juin 2012. Par arrêt du 5 juillet 2012, cette même cour a fait droit à la demande de la société Quinta Communications de complément de mission de l'huissier de justice, afin de rechercher l'existence d'informations et de fichiers relatifs au mot 'BlackJack' présumé désigner pour la société Technicolor un projet d'achat d'actifs de la société Quinta Industries.
Par acte du 3 octobre 2012, la société Quinta Communications, aux droits de laquelle vient la société Bleufontaine, a fait assigner la société Technicolor, aux droits de laquelle vient la société Vantiva, la société TESF, aux droits de laquelle vient la société Mikros Image, et la société Ericsson, aux droits de laquelle vient la société EBSF, devant le tribunal de commerce de Nanterre afin de voir ordonner la communication des documents séquestrés depuis le 15 juin 2012. Elle a également sollicité qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle se réservait le droit de formuler des demandes à l'encontre des sociétés Technicolor, TNSF et TESF au regard des pièces séquestrées.
Par arrêt du 8 décembre 2015, la cour d'appel de Versailles a validé définitivement les saisies de documents.
Par jugement du 29 juillet 2016, complété par décision du 13 janvier 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a ordonné une mesure d'expertise et désigné M. [L] afin qu'il procède au tri des documents avant leur communication, qui est intervenue les 5 et 6 avril 2017.
Par acte du 3 août 2017, la société Quinta Communications a fait assigner Me [M] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Quinta Industries devant le tribunal de commerce de Nanterre. Cette procédure a été jointe à l'instance précitée engagée le 3 octobre 2012.
Par jugement du tribunal de commerce de Paris du 14 novembre 2018, la société Quinta Communications a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire et Me [R] a été désigné en qualité d'administrateur judiciaire. Il est intervenu volontairement à l'instance le 5 mars 2019.
Par jugement du 1er octobre 2020, le tribunal de commerce de Paris a homologué un plan de continuation au profit de la société Bleufontaine et la SELARL [S] [H] [F], prise en la personne de Me [A] [F], a été désignée en tant que commissaire à l'exécution du plan.
Par jugement du 26 mai 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- Dit n'y avoir lieu de prononcer la jonction de l'instance introduite par la société Bleufontaine et Me [R] ès qualités à l'encontre de Me [M] avec la présente instance, cette jonction ayant été opérée par décision du 3 octobre 2017 ;
- Dit irrecevables les demandes de la société Bleufontaine et de Me [R], ès qualités, de condamner solidairement, au titre de l'action ut singuli, la société Technicolor, la société EBSF et la société Mirkos Image à verser à la société Quinta Industries entre les mains de Me [M] ès qualités, des dommages et intérêts évalués a minima entre 15.120.000 € et 19.120.000 € ;
- Dit recevables mais mal fondées les demandes pour leur propre compte de la société Bleufontaine et de Me [R] ès qualités de condamnation solidaire des défenderesses ;
- Débouté la société Bleufontaine et Me [R] de leurs demandes de condamnation de la société Technicolor, la société Mikros Image et la société EBSF au paiement de la somme de 61.845.000 € à titre de dommages et intérêts ;
- Condamné la société Bleufontaine à verser à la société Technicolor et la société Mirkos Image, solidairement, la somme de 30.000 €, à la société EBSF, la somme de 30.000 €, et à Me [M], ès qualités, la somme de 2.000 € ;
- Condamné la société Bleufontaine aux dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise ordonnée le 29 juillet 2016.
Par déclaration du 15 juillet 2021, la société Bleufontaine a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 22 septembre 2022, le conseiller de la mise en état s'est déclaré compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par les intimées et tirée de l'interdiction de formuler des prétentions nouvelles en appel et a :
- déclaré irrecevable la prétention nouvelle formée par la société Bleufontaine tendant au paiement de: " la somme additionnelle évaluée entre 15.120.000 euros et 19.120.000 euros au titre de la perte d'opportunité de conclure le contrat envisagé avec un tiers",
- dit n'y avoir lieu à paiement de frais irrépétibles,
- dit que les dépens de l'incident suivront le sort de l'instance principale.
Le 6 octobre 2022, le société Bleufontaine a présenté une requête afin de déférer cette ordonnance à la cour.
Par arrêt du 9 mars 2023, la cour a :
- infirmé l'ordonnance entreprise, sauf en ses dispositions relatives à l'irrecevabilité de l'action de la société Bleufontaine tendant au paiement de : "la somme additionnelle évaluée entre 15.120.000 € et 19.120.000 € au titre de la perte d'opportunité de conclure le contrat envisagé avec un tiers" ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
- Déclaré le conseiller de la mise en état incompétent pour statuer sur la fin de non-recevoir tirée de l'interdiction de formuler des prétentions nouvelles en appel au visa de l'article 564 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Bleufontaine aux dépens des procédures d'incident et de déféré ;
- Condamné la société Bleufontaine à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile:
- La somme de 3.000 € à la société EBSF ;
- La somme de 3.000 € aux sociétés Vantiva et Mikros Image.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par rpva le 23 avril 2024, la société Bleufontaine et Me [F] ès qualités demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit irrecevables les demandes de condamnation solidaire, au titre de l'action ut singuli, des sociétés Technicolor, EBSF et Mikros Image à verser à la société Quinta Industries entre les mains de Me [M] ès qualités, des dommages et intérêts évalués a minima entre 15.120.000 € 19.120.000 € ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit recevables les demandes pour son propre compte ;
- infirmer le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
- prendre acte de l'intervention volontaire de la SELARL [S] [H] [F], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation, prise en la personne de Me [A] [F] ;
à titre principal,
- condamner solidairement les sociétés Technicolor, EBSF et Mikros Image à lui verser la somme de 61.845.000 € au titre des frais engagés vainement au cours de la négociation ;
à titre subsidiaire,
- condamner solidairement les sociétés Technicolor, EBSF et Mikros Image à lui verser la somme de 61.845.000 € de dommages-intérêts en réparation de la réticence dolosive commise par le groupe Technicolor;
à titre plus subsidiaire,
- condamner solidairement les sociétés Technicolor, EBSF et Mikros Image à lui verser la somme de 61.845.000 € en réparation des violations contractuelles du groupe Technicolor et des manquements de ce dernier en qualité de dirigeant de la société Quinta Industries.
En tout état de cause, la société Bleufontaine demande à la cour de débouter les sociétés Technicolor, EBSF et Mikros Image de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner solidiairement au paiement de la somme de 500.000 € en réparation de son préjudice de réputation, outre celle de 200.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise ordonnée par jugement du 29 juillet 2016, dont distraction.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par rpva le 18 avril 2024, la société Vantiva et la société Mikros Image demandent à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit recevables les demandes pour son propre compte de la société Bleufontaine et de Me [R] ès qualités, statuant à nouveau, les déclarer irrecevables et subsidiairement mal fondées, confirmer le jugement pour le surplus et y ajoutant, condamner la société Bleufontaine à leur payer la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par rpva le 17 avril 2024, la société Red Bee Media France demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et condamner la société Bleufontaine et Me [A] [F], ès qualités, à lui payer la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de Maître Franck Lafon.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 25 avril 2024.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
A titre liminaire, la Selarl [S], [H] [F], prise en la personne de Me [A] [F], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Bleufontaine sera reçue en son intervention volontaire.
Par ailleurs, la cour constate que la demande de jonction de l'instance avec celle introduite par la société Bleufontaine et Me [R] ès qualités à l'encontre de Me [M] n'est plus formulée en cause d'appel, de sorte que les demandes de confirmation s'y rapportant sont sans objet.
Enfin, la société Bleufontaine sollicite, comme les intimées, la confirmation du chef du jugement ayant déclaré irrecevable sa demande indemnitaire au titre de l'action ut singuli, Le jugement sera par conséquent confirmé de ce chef.
Sur les demandes indemnitaires de la société Bleufontaine
La société Bleufontaine fait valoir que le groupe Technicolor n'ayant aucune présence en France dans le secteur de la postproduction, a entrepris un rapprochement avec elle, ayant conduit la société TNSF, filiale du groupe Technicolor, à prendre une participation dans la société Quinta Industries. Elle explique avoir été mandatée par la société Technicolor pour regrouper l'ensemble des sociétés françaises de la filière post-production sous une seule unité que la société Technicolor s'était engagée à racheter. Elle expose que le partenariat s'est rapidement concrétisé par la conclusion de différents accords très favorables à la société Technicolor preuve de son intention de racheter les parts de la société Quinta Industries :
- la création d'une holding multifonctionnelle, la société Quinta Industries ;
- la signature d'accords préliminaires en 2002 ;
- la signature d'un accord exclusif de coopération en 2004, renouvelé en 2007 et modifié en 2008, en vigueur jusqu'au 31 mars 2011 qui prévoyait :
- une interdiction faite à la société Quinta Communications de toute relation avec la société concurrente Deluxe,
- un soutien technique et d'ingénierie de la part de la société Technicolor qui imposait d'avoir recours exclusivement au matériel et aux solutions logicielles de cette dernière et de s'approvisionner auprès des mêmes fournisseurs ;
- la signature d'une convention d'investissement en 2006 qui a octroyé des pouvoirs importants à la société Technicolor et lui a permis d'endosser le rôle de codécideur dans la société Quinta Industries de 2006 jusqu'à la liquidation judiciaire de cette dernière, notamment par l'octroi d'un droit de véto renforcé pour certaines décisions importantes relatives à la stratégie, les orientations commerciales et l'endettement, le gel des participations au sein du capital de la société Quinta Industries en instaurant un mécanisme de cession dissuasif pour les tiers, l'interdiction pour la société Quinta Communications de céder ses parts de la société Quinta Industries à la société Deluxe, concurrent direct de la société Technicolor pendant toute la durée de la « lock up period » et l'obligation d'imposer à l'éventuel cessionnaire des parts de la société Quinta Communications, le rachat de la participation de la société Technicolor a un prix égal à 120% de son investissement initial.
- la signature d'une side letter le 9 mars 2006 comportant :
- une offre de céder l'intégralité des parts de la société Quinta Industries en sa possession (82,5%) à la société Technicolor jusqu'en mai 2007 ;
- une autorisation d'effectuer des due diligences à partir de février 2007.
La société Bleufontaine soutient que la société Technicolor a lancé, en mars 2009, le projet dénommé Blackjack, dont l'objet était l'acquisition de la participation détenue par la société Quinta Communications dans le capital de la société Quinta Industries. Elle explique que la société Technicolor a entrepris des due diligences particulièrement poussées lui ayant permis d'accéder à l'intégralité des informations stratégiques sur la situation juridique, financière, sociale, environnementale, technique et commerciale de chaque société du groupe Quinta Industries.
L'appelante considère que ces audits renforcés postérieurement à l'acquisition de 17,5 % des parts de la société Quinta Industries par la société TNSF sont inexplicables autrement que par l'existence d'un projet plus vaste de rachat à vil prix de cette société, les due diligences ayant permis à la société Technicolor d'identifier et d'évaluer les actifs stratégiques à racheter à la barre du tribunal. Elle indique que cette trahison s'est révélée le 12 mai 2011 par l'annonce de la décision de la société Technicolor de ne pas donner suite aux discussions portant sur l'achat des actifs de la société Quinta Industries et le 18 juillet 2011 par la publication dans la presse de la signature d'un partenariat entre la société Technicolor et la société concurrente Deluxe.
L'appelante explique que cette situation est à l'origine des premières difficultés financières rencontrées par la société Quinta Industries en 2011 ayant conduit à l'ouverture d'une procédure de conciliation, puis à la saisine du CIRI. Elle souligne que la société Technicolor a refusé toute aide financière en dépit des demandes formulées par le ministre de l'économie, en toute conscience de la liquidation judiciaire à venir de la société Quinta Industries et de ses filiales. Elle indique que les procédures collectives ouvertes à l'égard de la société Quinta Industries et de ses filiales ont permis à la société Technicolor de racheter les actifs de ces sociétés à vil prix par l'intermédiaire de la société TESF, personne morale spécialement créée à cette fin.
La société Bleufontaine considère que la responsabilité des intimées est engagée sur le fondement, à titre principal, de la rupture abusive des pourparlers, considérant que la société Technicolor a prolongé de manière fautive les pourparlers concernant le rachat de l'ensemble des parts de la société Quinta Industries. Subsidiairement, l'appelante invoque la réticence dolosive, expliquant que « Technicolor » lui a dissimulé ses véritables intentions au sujet de la société Quinta Industries et de ses filiales, ainsi que ses négociations parallèles avec la société concurrente Deluxe. Plus subsidiairement, la société Bleufontaine se prévaut de la violation de l'obligation de bonne foi et du devoir de loyauté contractuelle.
La société Bleufontaine réclame l'indemnisation du préjudice financier constitué par les investissements réalisés sur instruction et pour le compte de la société Technicolor afin de constituer et d'assurer la viabilité de la société Quinta Industries, des sommes engagées pour tenter de sauver la société Quinta Industries et des sommes versées postérieurement à la liquidation de cette dernière. Elle sollicite également la réparation de son préjudice de réputation.
Les sociétés Vantiva et Mikros Image, venant respectivement aux droits des sociétés Technicolor et TESF, contestent toute rupture abusive des pourparlers. Elles affirment que la société Technicolor n'a jamais envisagé, ni laissé croire à la société Quinta Communications qu'elle entendait racheter sa participation capitalistique dans la société Quinta Industries. Elles précisent que cet engagement n'a jamais été validé par écrit au travers de la convention d'investissement et/ou de la lettre (side letter) du 9 mars 2006 et que seul le rachat de certains actifs déterminés a été envisagé.
Les sociétés Vantiva et Mikros Image font valoir que les accords conclus comportaient des droits et obligations réciproques, équilibrés et librement consentis. Elles précisent que la société TNSF ne disposait que de droits usuellement accordés à un actionnaire minoritaire ; que le groupe Technicolor, au travers de ses filiales concernées (les sociétés TNSF et Technicolor Spa), a apporté au groupe Quinta Industries le soutien financier que ce dernier pouvait légitimement attendre au regard de la position minoritaire de l'actionnaire TNSF ; que les due diligences entreprises ont été limitées, les éléments communiqués correspondant en tout état de cause aux informations qui devaient être normalement communiquées aux différentes entités du groupe Technicolor en qualité soit d'actionnaire, soit d'administrateur, soit de créancière.
Les sociétés Vantiva et Mikros Image soutiennent que les pourparlers n'ont porté que sur certains actifs sans discussion sur le périmètre et le prix de la cession et qu'il y a été mis fin de manière légitime compte tenu notamment de la procédure de sauvegarde dont la société Technicolor faisait l'objet.
Les intimées contestent toute réticence dolosive et tout manquement aux devoirs de loyauté et de bonne foi, en reprenant principalement l'argumentation développée au titre de la rupture abusive des pourparlers
La société Red Bee Media France, venant aux droits de la société TNSF, conteste tout manquement et globalement s'associe à l'argumentation des sociétés Vantiva et Mikros Image. Elle conclut que l'appelante n'apporte aucune preuve des fautes qu'elle reproche aux intimées, précisant qu'aucune pièce versée aux débats n'établit que la société Technicolor serait entrée en pourparlers pour obtenir puis détourner des informations confidentielles sur le groupe Quinta Industries, ou empêcher la société Quinta Communications de céder sa participation dans la société Quinta Industries à des concurrents, dans le but de racheter à vil prix les actifs du groupe Quinta Industries. S'agissant du dol, elle estime qu'il n'est pas établi que, lors de la conclusion des contrats de 2004, 2006, 2007 et 2008, la société Technicolor savait déjà qu'elle n'avait pas l'intention d'acquérir l'intégralité des titres ou des actifs de la société Quinta Industries ou qu'elle avait prévu d'acquérir des actifs du groupe Quinta Industries à la barre du tribunal plusieurs années plus tard, alors que les difficultés financières de cette dernière ne sont apparues que fin 2010 et que la procédure de conciliation à son égard n'a été ouverte que le 31 janvier 2011.
La société RBMF conteste tout manquement à ses obligations en tant qu'administrateur et actionnaire de la société Quinta Industries.
Pour faciliter la lecture et la compréhension de l'arrêt, la cour se référera aux sociétés Technicolor, TESF et TNSF et non aux sociétés qui viennent désormais aux droits de ces dernières.
- Sur la rupture abusive des pourparlers
La cour relève que la société Bleufontaine se prévaut des dispositions des articles 1104, 1112 et 1112-1 du code civil dans leur version issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, pourtant inapplicables aux faits de l'espèce qui se sont déroulés entre 2002 et 2011.
L'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance précitée, énonce que : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi ».
Par ailleurs, l'article 1382 du même code, dans sa version susvisée, prévoit que : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Le déroulement et la rupture des pourparlers doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
La société Bleufontaine se prévaut d'un partenariat avec la société Technicolor dès 2002 en vue de l'acquisition par cette dernière du groupe Quinta Industries.
Il ressort de l'article publié par la revue « Le Film français » le 27 janvier 2012, que la société Technicolor a entrepris « depuis le début des années 2000 » de réorienter son activité « vers la postproduction pour compenser le déclin attendu du photochimique. Le président de la division « creative services » du groupe Technicolor précise dans l'article que le groupe cherchait à s'implanter en France.
La société Bleufontaine soutient que la société Technicolor l'a mandatée à cette époque pour regrouper l'ensemble des sociétés françaises de la filière post-production sous une seule unité que la société Technicolor s'engageait à racheter.
Il résulte des conclusions de l'appelante que l'acquisition de diverses sociétés par la société Quinta Communications s'est échelonnée entre 2002 et 2003 comme suit :
- en 2002 et 2003, acquisition de la société DataCiné, qui sera renommée Quinta Industries et qui était la société mère des sociétés LTC et ScanLab,
- en 2003, acquisition des sociétés Duran et Duboi.
Cependant, aucun mandat écrit de la société Technicolor donnant instruction à la société Quinta Communications de regrouper l'ensemble des sociétés françaises de la filière post-production sous une seule unité que la société Technicolor s'engageait à racheter n'est versé aux débats.
Comme l'ont relevé les premiers juges, aucune pièce ne permet d'établir l'existence de relations entre la société Quinta Communications et la société Technicolor avant l'accord de coopération du 10 novembre 2004, les accords préliminaires de 2002 dont se prévaut la société Bleufontaine n'étant pas produits.
La société Bleufontaine invoque une relation de coopération exclusive témoignant selon elle de l'engagement de la société Technicolor, relation fondée en premier lieu sur l'accord de coopération du 10 novembre 2004 sur les activités de postproduction cinématographique et audiovisuelle ainsi que sur le tirage de films.
Il résulte de cet accord :
- un engagement de la société Technicolor d'apporter à la société Quinta Communications « le soutien technique et d'ingénierie pour la pellicule et les services de post-production afin d'aider les sociétés Quinta à atteindre et maintenir des normes techniques et de qualité compatibles avec celles d'Hollywood » ; il est précisé que pour ces services, la société Quinta Communications ne paiera que les dépenses réelles majorées de 5 % ;
- un engagement de la société Quinta Communications d'utiliser et mettre « en 'uvre exclusivement le matériel et les solutions logicielles de TT [Technicolor] dans tous les aspects des marchés de service de production et de post-production cinématographiques ou Thomson Broadcast ou Technicolor offrent de telles solutions, sous réserve que les solutions de TT répondent aux exigences techniques de Quinta » ;
- des négociations entre les parties en vue d'une politique commune d'achats de pellicules : « Technicolor et Quinta étudieront la possibilité d'acheter conjointement les pellicules et produits chimiques. Sous réserve qu'aucune des parties ne soit désavantagée financièrement ou de toute autre manière, les parties se concentreront sur la réduction des coûts des deux entités en mettant en commun les achats avec les fournisseurs communs » ; il est précisé que la société Technicolor pourra effectuer des achats pour le compte de la société Quinta Communications dans la limite d' « une exposition maximale de TT [Technicolor] de trois millions d'euros (') lesdits paiements étant garantis par Quinta »;
- une « collaboration créatrice » en vue de développer la clientèle et de faire face à la concurrence : « les deux parties mettront à profit leur activité et leurs influences personnelles (y compris les effets visuels et la 3D) afin d'aider l'autre partenaire dans l'obtention d'un travail créatif (') à partir de clients qui utilisent actuellement les concurrents du marché » ; il est précisé que chaque partie pourra bénéficier des relations personnelles, contacts, connaissances de l'autre afin d'être « compétitive efficacement sur les marchés où elle est en concurrence ».
La durée de cet accord est limitée à 3 ans. Il a été prolongé par « lettre d'entente » du 25 juillet 2007, le montant de la garantie due par la société Quinta Communications au titre des achats de matériels ayant été porté à 10 millions d'euros. L'accord prévoyait toutefois que la garantie serait ramenée progressivement à 3 millions d'euros le 31 mars 2008.
Ainsi, il apparaît que cet accord revêt un caractère essentiellement commercial et technique. Au regard des obligations des parties, il ne peut être déduit une quelconque volonté et encore moins un engagement de la société Technicolor de se porter acquéreur de la société Quinta Industries regroupant les sociétés acquises en 2002 et 2003.
La société Bleufontaine se prévaut ensuite de l'accord commercial du 25 mars 2008, remplaçant le précédent, conclu entre la société Quinta Communications et la filiale italienne du groupe Technicolor, la société Technicolor Spa. Comme le relève l'intimée, la société Technicolor n'est pas partie au contrat. Elle y est toutefois mentionnée en qualité de « tiers bénéficiaire ».
L'appelante soutient que cet accord a renforcé l'exclusivité de l'achat de pellicules auprès de la société Technicolor. Elle omet toutefois de préciser que ce contrat comporte des engagements réciproques des parties, puisque la société Technicolor a convenu de ne pas acheter ni vendre de stock de pellicules à tout laboratoire de films situé en France qui n'est pas la propriété de la société Quinta Communications ou contrôlée par cette dernière. De même la société Technicolor s'est engagée à « ne pas se délester au profit, ni d'accepter des délestages en provenance de tout laboratoire de films situés en France » qui n'est pas la propriété de la société Quinta Communications ou contrôlée par cette dernière.
Il ne ressort pas de cet accord de coopération de nature purement commercial un quelconque avantage pour l'une ou l'autre des parties.
Par ailleurs, la cour constate qu'est évoquée au point 2 du paragraphe A l'acquisition de la société Eclair. Il est stipulé que « en cas de réalisation en due forme de l'acquisition d'Eclair et des transactions mentionnées dans l'accord d'acquisition, et sous réserve des conditions que la DGCCRF peut exiger, le cas échéant, Technicolor et Quinta (') conviennent de discuter de bonne foi, dans les meilleurs délais à la suite de la clôture de ces transactions, des conséquences de cette clôture en liaison avec cet accord ».
Il doit être observé d'une part, que la société Bleufontaine ne communique pas l'« accord d'acquisition » mentionné et d'autre part que si les parties ont pris soin d'évoquer le projet d'acquisition de la société Eclair, il n'est nullement fait état dans ce contrat d'un projet d'achat par la société Technicolor de l'ensemble des parts de la société Quinta Industries.
Il est en outre précisé au paragraphe G que « les parties établissent et exécuteront cet accord en tant que contractants indépendants. Aucune stipulation contenue dans les présentes ou résultant de l'exécution des présentes par une ou l'autre des parties ne constituera, ou ne sera autorisée par cette partie à constituer, une relation de mandataire ou d'associé de l'autre partie dans quelque but que ce soit » (souligné par la cour).
Cet accord a pris fin, non pas le 31 mars 2011 comme le soutient à tort l'appelante, mais le 25 mars 2010, dès lors qu'il est stipulé au paragraphe A) 1. de l'accord que « Cet accord envisage une relation de deux ans expirant à la date du second anniversaire de la date d'effet.
La société Bleufontaine invoque encore la convention d'investissement et le courrier datés du 9 mars 2006.
Dans le cadre de cet accord, la société TNSF a pris une participation de 17,5 % dans le capital soial de la société Quinta Industries. Il est précisé en préambule de la convention que tant la société TNSF que la société Quinta Communications « souhaitent que l'acquéreur prenne une participation de dix-sept pour cent et demi (17,5%) dans la société ». C'est donc d'un commun accord que le taux de 17,5 % a été fixé. En outre, il n'est nullement précisé que cette acquisition représente l'exécution partielle d'un engagement de la société Technicolor d'acquérir l'intégralité des titres de la société Quinta Industries. Au contraire, seules des possibilités de sortie de la société TNSF du capital de la société Quinta Industries sont envisagées par le contrat. Ainsi, l'article 9.3.1 prévoit que la société Quinta Communication pourra racheter de manière discrétionnaire et à tout moment entre le 1er juin et 31 août 2007 la participation de la société TNSF dans le capital de la société Quinta Industries et l'article 9.3.2 permet à la société TNSF de revendre à la société Quinta Communications cette même participation dans les mêmes conditions.
Si par un courrier du même jour qui renvoie à la convention d'investissement, que la société Bleufontaine qualifie de side letter, la société Quinta Communications a adressé à la société Technicolor une offre d'acquisition des 82,5 % restant des titres, comportant les modalités de calcul du prix de vente, l'intimée n'a jamais répondu à cette proposition. La société Bleufontaine soutient que cette lettre a été rédigée conjointement avec la société Technicolor en soulignant la formulation suivante : « Nous renvoyons au contrat d'investissement conclu en date de la présente (') ». Cependant, rien ne justifie cette affirmation, alors que la lecture de la lettre permet de constater que le pronom personnel « nous » renvoie manifestement à la seule société Quinta Communications : « ' nous souhaiterions par la présente confirmer à nouveau notre intérêt dans l'acquisition potentielle par l'acquéreur du capital social en circulation d'ici le 31 mai 2007 ». La cour observe en tout état de cause que ce courrier ne mentionne à nouveau pas l'engagement que l'appelante attribue à la société Technicolor, puisqu'il est simplement évoqué des « discussions concernant l'acquisition des 82,5 % toujours en circulation du capital social de la société » Quinta Industries ou encore « l'acquisition potentielle par l'acquéreur du capital social en circulation » comme rappelé précédemment. Le dernier paragraphe du courrier est particulièrement clair quant à l'absence de tout engagement de la société Technicolor : « Si une offre est faite par l'acquéreur conformément aux modalités d'acceptation exposées ci-avant, l'acquéreur et Quinta consentiront tous les efforts nécessaires pour finaliser les documents de la transaction en vue de la vente et de l'acquisition du capital social en circulation d'ici à la fin du mois de juin 2007.
Pour éviter toute ambiguïté, si l'acquéreur ne fait pas une offre conformément aux modalités d'acceptation exposées ci-avant ou si l'acquéreur ou Quinta n'accepte pas d'autres modalités pour la vente et l'acquisition du capital social en circulation d'ici au 31 mai 2007, Quinta aura le droit de suspendre toutes discussions portant sur la vente et l'acquisition du capital social en circulation sans qu'aucune indemnité ne soit due, Quinta ou l'acquéreur aura le droit d'exiger le rachat des parts de la société détenues par l'acquéreur selon les modalités exposées au point 9.3 du contrat, et l'acquéreur n'aura plus d'obligation vis-à-vis des parts de Teleclair. Evidemment, si la vente et l'acquisition du capital social en circulation sont réalisées, ce rachat des options d'achat et de vente prendra fin ».
La société Bleufontaine considère néanmoins que les règles de gestion issues de la convention d'investissement du 9 mars 2006 conféraient à la société Technicolor, par l'intermédiaire de la société TNSF, une place prépondérante dans la gestion et le contrôle de la société Quinta Industries.
Elle invoque tout d'abord, l'octroi à la société TNSF d'un droit de véto renforcé. Elle explique que le conseil d'administration devait pour certaines décisions obtenir l'accord de la société TNSF, cette dernière ayant été de 2006 jusqu'à la liquidation judiciaire de la société Quinta Industries, un décisionnaire incontournable et très actif, notamment au regard de la stratégie, des orientations commerciales ou encore de l'endettement de la société Quinta Industries.
Il ressort de l'article 8.2 de la convention d'investissement que sur les quatre membres du conseil d'administration, la société TNSF n'en a choisi qu'un seul, les trois autres devant être choisis « parmi les candidats proposés par Quinta ». La société TNSF ne disposait donc que d'un seul siège au conseil d'administration.
Comme le soutient l'appelante, l'article 8.3 de la convention d'investissement imposait le consentement préalable de la société TNSF concernant les décisions suivantes :
- modification défavorable des droits, préférences, privilèges, restrictions ou pouvoirs des actions ordinaires ;
- déclaration ou paiement de dividendes sur les actions ordinaires de la société ;
- augmentation du nombre d'administrateurs composant le conseil ;
- conclusion par la société ou une filiale d'une transaction matérielle avec la direction, les actionnaires, les administrateurs, ou affiliés de ces personnes autrement qu'en des termes non-privilégiés et au mieux des intérêts de la société ;
- augmentation de l'endettement global à long terme supérieure à 2 millions d'euros de la société Quinta Industries et de ses filiales prises ensemble ;
- encours de dépenses en capital supérieures à 1 million d'euros ;
- changement de la société d'audit indépendante de la société Quinta Industries ou d'une filiale ;
- toute décision matérielle susceptible d'avoir pour résultat un écart défavorable significatif par rapport au plan d'affaires à deux ans de la société Quinta Industries.
Cependant, ces stipulations ne caractérisent pas l'octroi à la société TNSF de droits excédant ceux d'un actionnaire minoritaire.
La société Bleufontaine affirme que les paliers de 1 ou 2 millions d'euros, évoqués à l'article 8.3 précité, permettant d'imposer l'accord de la société TNSF, étaient rapidement atteints. Cependant, l'appelante ne communique aucun élément de preuve permettant de corroborer ses dires. En outre, elle ne justifie pas d'un seul vote soumis au droit de véto de la société TNSF à ce titre, alors que Me [M], en sa qualité de liquidateur de la société Quinta Industries, a indiqué, dans le cadre de l'action en responsabilité qu'il a engagée pour insuffisance d'actif, que « le fait qu'un actionnaire, administrateur, soit interrogé sur une décision ayant pour conséquence un endettement supérieur à 2 M€ n'est aucunement un pouvoir exorbitant, mais est habituellement rencontré dans ce type de sociétés ».
Plus généralement, il n'est pas démontré que la société TNSF ait porté un quelconque point à l'ordre du jour du conseil d'administration.
Il n'est donc pas établi que la société Technicolor a exercé, par l'entremise de sa filiale, un pouvoir décisionnel très actif dans le domaine de la stratégie, des orientations commerciales ou de l'endettement, comme prétendu.
Le tribunal a d'ailleurs pertinemment rappelé que par arrêt du 20 février 2018, la cour d'appel de Versailles, confirmant sur ce point le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 16 décembre 2016, a attribué à la société Quinta Communications la qualité de gérant de fait de la société Quinta Industries, notamment par rapport à la stratégie de l'entreprise.
Comme le soutient la société Bleufontaine, il résulte des procès-verbaux des conseils d'administration des 10 mars, 22 décembre 2006, 7, 20 février 2007 et 15 septembre 2010, que le membre du conseil d'administration choisi par la société TNSF a été le seul à voter des conventions réglementées. Cependant, en application des dispositions des articles L.225-38 et L.225-40 du code de commerce, les administrateurs désignés par la société Quinta Communications n'étaient pas autorisés à participer au vote. Au surplus, la cour constate que l'administrateur représentant la société TNSF a systématiquement voté en faveur des conventions réglementées proposées.
Enfin, les premiers juges ont justement souligné que la société Quinta Communications disposait en tout état de cause, en cas d'opposition de la société TNSF, d'une faculté de rachat discrétionnaire de ses actions, permettant ainsi de neutraliser le droit de véto accordé.
Dans ces conditions, le tribunal a considéré à raison que le rôle de la société TNSF n'a pas excédé celui d'un actionnaire minoritaire.
La société Bleufontaine se prévaut encore de modalités très favorables accordées à la société TNSF, s'agissant :
- d'un gel des participations au sein du capital de la société Quinta Industries en instaurant un mécanisme de cession particulièrement dissuasif pour la société Quinta Communications ;
- d'une interdiction pour la société Quinta Communications de céder ses parts de la société Quinta Industries à la société concurrente Deluxe et
- dans l'hypothèse d'une cession des parts de la société Quinta Communications, l'obligation d'imposer à l'éventuel cessionnaire le rachat de la participation de la société TNSF a un prix égal à 120 % de son investissement initial.
Cependant, s'agissant du gel des participations, il ressort de l'article 9.1 de la convention d'investissement que l'engagement de ne pas céder les actions de la société Quinta Industries jusqu'au 31 août 2007 a été pris par chacune des parties. D'ailleurs, les avenants par lesquels la période d'immobilisation a été reconduite jusqu'au 31 mars 2011 ont été signés tant par la société TNSF que par la société Quinta Communications. Il ne peut donc être considéré que cette mesure est favorable à la société TNSF.
Par ailleurs, l'article 9.2 de la convention d'investissement fait interdiction à la société Quinta Communications de céder ses parts de la société Quinta Industries à la société Deluxe, concurrent direct, pendant la période d'immobilisation. Néanmoins, la société Bleufontaine ne peut être suivie lorsqu'elle soutient que cette interdiction démontre que la société Technicolor avait affirmé, dès 2006, son intention de racheter les parts de la société Quinta Communications dans le capital de la société Quinta Industries, aucune stipulation contractuelle ne confirmant un tel engagement. En outre, s'agissant de la mesure d'interdiction visant le concurrent Deluxe, il doit être rappelé que les sociétés Quinta Communications et Technicolor étaient liées, à la date de signature de la convention d'investissement, par l'accord de coopération commerciale du 10 novembre 2004 et que la société Technicolor se voyait également interdire la vente de ses parts à la société Deluxe pendant la période d'immobilisation que les parties ont librement décidé de renouveler jusqu'au mois de mars 2011. La cour rappelle que la lettre du 9 mars 2006 prévoyait que « si l'acquéreur ne fait pas une offre conformément aux modalités d'acceptation exposées ci-avant ou si l'acquéreur ou Quinta n'accepte pas d'autres modalités pour la vente et l'acquisition du capital social en circulation d'ici au 31 mai 2007, Quinta aura le droit de suspendre toutes discussions portant sur la vente et l'acquisition du capital social en circulation sans qu'aucune indemnité ne soit due ».
Enfin, l'article 9.2 précité impose effectivement à la société Quinta Communications, en cas de cession de ses actions de la société Quinta Industries à un tiers pendant la période d'immobilisation, l'obligation pour le cessionnaire de racheter également les actions de la société TNSF à un prix égal à 120 % de de l'investissement initial. Toutefois, il apparaît à la lecture du contrat que cette mesure n'est que la contrepartie légitime de la possibilité offerte à la seule société Quinta Communications de céder sa participation dans la société Quinta Industries pendant la période d'immobilisation.
Il ne ressort ainsi pas de ces stipulations que la société TNSF a bénéficié, dans le cadre de la convention d'investissement, de modalités très favorables témoignant de l'engagement de la société Technicolor de racheter les parts de la société Quinta Communications dans la société Quinta Industries. Il doit d'ailleurs être souligné qu'à l'occasion de la dernière prorogation de la période d'immobilisation le 20 septembre 2010, la société TNSF qui n'avait pas reçu de la part de la société Quinta Communications la lettre de prorogation, a, dès le 21 septembre 2010, manifesté sa volonté de se retirer en mobilisant la clause 9.3.2 permettant d'imposer à la société Quinta Communications le rachat de ses actions. Cette manifestation de volonté, à laquelle la société TNSF a finalement renoncé le 15 novembre 2010 après avoir reçu la lettre de prorogation, est incompatible avec l'engagement attribué par l'appelante à la société Technicolor.
La mention, dans lettre du 9 mars 2006, d'un projet de rapprochement avec le groupe Eclair ne permet pas de tirer la moindre conclusion, dès lors qu'aucune suite n'a été donnée par la société Technicolor à cette lettre portant proposition de rachat des parts de la société Quinta Communications dans la société Quinta Industries.
Si les sociétés Technicolor et Quinta Communications ont, le 8 juin 2009, signé un accord de confidentialité, cette convention se limite à organiser l'échange d'informations confidentielles entre les parties dans le cadre d'un projet de transaction qui n'est pas défini.
La société Bleufontaine se prévaut encore des dues diligences qu'elle qualifie de grande ampleur réalisées de 2006 à 2011 et qui, selon elle, n'ont été consenties à la société Technicolor que dans la perspective du rachat invoqué, comme l'a indiqué M. [I] [C] lors de ses auditions par les services de police les 12 juin 2013 et 20 juillet 2015. Elle soutient que la société Technicolor a lancé en mars 2009 le projet Blackjack dont l'objet était l'acquisition des 82,5 % des parts de la société Quinta Communications dans la société Quinta Industries.
L'appelante communique au soutien de ses dires un courriel que M. [N] de la société Calyon, mandatée par la société Technicolor dans le cadre de l'audit, a adressé le 6 mars 2009 à M. [Y], directeur administratif et financier de la société Technicolor, indiquant ceci : « ' je comprends de nos discussions que le périmètre d'acquisition envisagé porte sur les participations de 83 % détenues par TBA dans Quinta Industries plus celle de 100% détenue dans Laboratoires Eclair. Thomson est déjà actionnaire depuis 2006 de 17% de Quinta Industries » (souligné par la cour). Cet email n'évoque ainsi qu'un projet d'acquisition.
Dans le cadre de la confrontation organisée le 12 avril 2019 par le magistrat instructeur chargé de l'information judiciaire ouverte à l'encontre de M. [C] et de M. [P] des chefs de banqueroute par détournement d'actifs, faux et usage de faux, M. [O] [K], directeur général de la société Technicolor, a confirmé avoir lancé le projet Blackjack dont l'objet était « l'acquisition potentielle de 82,5 % du capital de la société Quinta Industries ».
Ainsi, il est établi que des pourparlers ont été engagés à partir de 2009 entre la société Quinta Communications et la société Technicolor concernant l'achat éventuel par cette dernière des parts de la première dans le capital de la société Quinta Industries. Par la suite et sans que la date précise ne soit établie par les pièces communiquées par les parties, le projet a manifestement évolué puisque dans son courrier du 12 mai 2011, la société Technicolor indique ne pouvoir « donner suite aux discussions qui ont eu lieu et qui avaient trait à l'éventuelle acquisition (') de certains actifs du Groupe Quinta » (souligné par la cour). Les courriers que la société Quinta Communications a adressés à la société Technicolor les 8 et 29 avril 2011 établissent que l'appelante en était informée puisqu'elle questionne l'intimée sur son projet de rachat de certains actifs.
La société Bleufontaine produit en pièce n°27 différents échanges de courriels intervenus dans le cadre des due diligences entre le 11 février 2009 et le 2 mars 2011 se rapportant à des demandes d'informations comptables, financières, juridiques, commerciales ou encore sociales relatives à la société Quinta Industries et à ses filiales. Ainsi, par mail du 22 mars 2010, la société Technicolor demande à la société Quinta Industries : « '
1) bilan prévisionnel 2009
2) créances fournisseurs
3) dette financière
4) éléments hors bilan
5) tout autre passif et tout autre élément qui puisse avoir un impact sur la valeur du business ou du cash flow ' ».
Par courriel du 19 janvier 2011, il est encore sollicité les « comptes historiques complets pour les sociétés concernées avec un détail particulier sur les revenus, coûts et dettes », le « budget 2011 pour ces mêmes sociétés », les « besoins d'investissements ou de restructurations envisagées », le « plan d'affaires sur le projet Studio de [Localité 13] et pacte d'actionnaires », ainsi que « tout document/synthèse décrivant le sujet de la distribution JV ».
Or, il n'est pas démontré par la société Bleufontaine que les due diligences entreprises dans le cadre de ce projet ont excédé celles habituellement menées dans le cadre d'une telle opération, de sorte qu'il ne peut être considéré qu'elles manifestent un engagement de la société Technicolor de procéder au rachat du groupe Quinta Industries.
Le tribunal a pertinemment souligné que dans le cadre de la convention d'investissement du 9 mars 2006, l'article 8.6 prévoyait que « Quinta veillera en outre à ce que la société fournisse aux parties au plus tard le 30 novembre 2006 un projet de plan d'exploitation détaillé et de budget financier pour la société et ses filiales pour les exercices 2007 et 2008 et au plus tard le 31 décembre 2006, avec l'approbation du représentant de l'acheteur au conseil ' ». L'article 8.8 précisait que « les dispositions de cette section 8 resteront en vigueur aussi longtemps que l'acheteur et Quinta ou un membre de leurs groupes respectifs continuera à détenir des actions de la société ». Il apparaît ainsi que dans le cadre de la convention d'investissement, la société TNSF devait en tout état de cause recevoir des informations comptables et financières annuelles détaillées concernant la société Quinta Industries et ses filiales.
La société Bleufontaine reproche à la société Technicolor d'avoir prolongé les discussions entretenant l'illusion d'une relation exclusive, alors qu'elle négociait en parallèle avec la société Deluxe et qu'elle lui avait interdit, par de nombreuses clauses contractuelles, de se rapprocher de cette société concurrente, se réservant ainsi le rachat des actifs de la société Quinta Industries.
L'appelante soutient que malgré le plan de sauvegarde dont la société Technicolor a fait l'objet le 17 février 2010, M. [K] a confirmé son intérêt pour le projet d'acquisition. Il ressort effectivement du courriel qu'un responsable de la société Technicolor a adressé à M. [K] le 21 janvier 2011 que « la restriction de 50 millions par an consacrés aux acquisitions ne devrait pas affecter notre capacité à réaliser un certain nombre d'investissements ou de petites joint-ventures (e.g., Digitalsmiths Series C, Quinta) ». Toutefois, M. [K] a répondu à ce message en émettant des réserves : « ' A mon avis refinancement difficile à court terme. J'attends les vues des banques next week. Si c'est le cas, il faut s'orienter vers renégo des accords pour augmenter la flexibilité opérationnelle ' ». En outre, au-delà des difficultés financières rencontrées par la société Technicolor, il résulte des déclarations de M. [K] dans le cadre de la confrontation organisée par le magistrat instructeur le 2 avril 2019 que les due diligences avaient révélé une situation inquiétante, ce qui est confirmé par la décision du conseil d'administration de la société Quinta Industries de saisir le CIRI le 24 janvier 2011 et l'ouverture d'une procédure de conciliation par le tribunal de commerce de Nanterre le 31 janvier 2011.
Par ailleurs, la société Quinta Communications n'ignorait pas les doutes de la société Technicolor par rapport au projet de rachat, puisque dans son courrier du 8 avril 2011, elle écrivait sur ce point : « Si, une nouvelle fois, Technicolor a changé d'avis à ce sujet, il serait agréable de le savoir au plus tôt ».
Aucun élément de preuve ne permet de déterminer à quelle date les discussions entre les sociétés Technicolor et Deluxe ont commencé. Leur existence préalable à la notification par la société Technicolor de l'abandon des pourparlers par courrier du 12 mai 2011 n'est pas démontrée. Il doit également être rappelé que si la convention d'investissement faisait effectivement interdiction à la société Quinta Communications de revendre sa participation dans la société Quinta Industries à la société Deluxe, cette mesure était la contrepartie de la possibilité laissée à la seule société Quinta Communications de céder sa participation à un tiers en dehors de la période d'immobilisation. Enfin, les premiers juges ont relevé que « les pièces versées aux débats par les demanderesses pour informer le tribunal de l'accord passé entre Technicolor et Deluxe se réfèrent à des accords de sous-traitance concernant la production de copie 35 mm pour la diffusion cinématographique en Amérique du Nord, en Thaïlande, le développement de négatifs au Royaume-Uni et la distribution de bobines photochimiques aux Etats-Unis ; que dans l'accord de coopération, Technicolor s'engage à une relation exclusive avec Quinta en France », ce que confirme M. [K] lors de la confrontation organisée par le juge d'instruction le 12 avril 2019 (cf page 11). L'accord conclu avec la société Deluxe avait donc un objet très différent du partenariat envisagé par les parties.
Comme l'a rappelé la société Technicolor dans son courrier du 12 mai 2011, aucun accord n'avait été trouvé quant au périmètre et au prix de l'acquisition. La société Bleufontaine soutient que plusieurs notes internes de la société Technicolor établissent qu'en février-mars 2011, elle évaluait les actifs de la société Quinta Industries entre 16 et 20 millions d'euros. Cependant, pour en justifier, elle communique un document interne établi par la société Technicolor en janvier 2012, dont il ressort que cette dernière a estimé que pour entrer sur le marché français et construire une infrastructure similaire à celle de la société Quinta Industries, « cela coûterait entre 16 et 20 millions d'€ », ce qui ne signifie nullement que l'intimée a attribué cette valeur aux actifs de la société Quinta Industries près d'un an auparavant. D'ailleurs, il résulte d'un courriel du 27 mars 2011 que la société Technicolor communique en pièce n°5 que cette dernière envisageait d'évaluer son offre d'achat des actifs de la société Quinta Industries à la somme de 400.000 €, sans toutefois que cette offre n'ait été transmise. En tout état de cause, la société Bleufontaine ne produit aucun élément de preuve démontrant l'existence de négociations avancées tant sur le périmètre du projet d'acquisition, que sur le prix.
La société Bleufontaine ne peut davantage être suivie lorsqu'elle affirme que la société Technicolor a refusé catégoriquement d'apporter son aide à la société Quinta Industries dans le cadre de la procédure menée devant le CIRI, précipitant sa liquidation judiciaire. En effet, la cour observe que malgré l'achèvement de la dernière période d'immobilisation le 31 mars 2011, la société TNSF n'a pas exercé l'option de rachat de sa participation prévue à l'article 9.3.2 telle que précitée. L'appelante ne saurait prétendre qu'en n'exerçant pas son option de rachat, la société Technicolor a « pris au piège » la société Quinta Communications en neutralisant tout rapprochement avec la société Deluxe, alors que cette interdiction procède de la clause d'immobilisation que la société Quinta Communications a volontairement renouvelée jusqu'au 31 mars 2011. En outre, il ressort du courriel du 17 mars 2011 que le conseil de la société Technicolor a adressé à M. [K], comportant une note ayant pour objet de présenter et analyser les risques liés aux décisions à prendre dans le cadre du projet Blackjack, que l'exercice par la société Technicolor de l'option de rachat « pourrait présenter l'inconvénient de mettre en difficulté financière Quinta Communications et d'empêcher cette société de continuer à financer ses filiales LTC, Quinta Industries et Duran ». Le défaut d'exercice par la société TNSF de son droit d'option a donc été motivé par le souci de ne pas fragiliser davantage la société Quinta Industries.
Par ailleurs, la société Technicolor Spa, filiale italienne du groupe Technicolor, malgré le plan de sauvegarde dont ce dernier faisait l'objet depuis le 17 février 2010, a accepté de suspendre l'exigibilité d'une créance de 4.343.000 € au titre de livraisons de pellicules. Il n'est d'ailleurs pas démontré que cette somme a finalement été payée par la société Quinta Industries.
L'appelante invoque l'absence d'aide financière de la part de société Technicolor, malgré la demande expresse du ministre de l'économie, en pleine conscience de ce que cette décision précipiterait le dépôt de bilan de la société Quinta Industries. Toutefois, M. [K] explique la raison de la position de la société Technicolor dans un courriel qu'il a adressé au directeur administratif financier, M. [Y] le 19 septembre 2011 : « Pour info, [B] [V] m'a contacté ce we concernant Quinta. Il m'a demandé que TCH [technicolor], en tant qu'actionnaire, reprenne une créance due à Fuji et finance en partie les besoins de fonds courant. Son souci est d'éviter le redressement judiciaire de Quinta. Il m'a également argumenté que nous leurs « devions » bien cela vu toute l'aide que nous avions reçue de Bercy lors de notre propre restructuration !!!
J'ai répondu que nous avions seulement été informés à midi vendredi de la situation de Quinta. De plus TCH étant toujours en plan de sauvegarde et soumis à des obligations très restrictives sous ses accords de crédit, je ne voyais pas comment faire quelque chose. Je lui ai rappelé qu'avant le redressement il y a la sauvegarde et que nous pourrions toujours en parler dans ce cadre-là » (souligné par la cour).
Ainsi, au regard de la situation de la société Technicolor et des efforts consentis, il ne peut être considéré que l'absence d'apport financier témoigne de la mauvaise foi de la société Technicolor dans la conduites des pourparlers. La cour rappelle qu'à ce stade des discussions entre les parties, le périmètre du projet d'acquisition n'était toujours pas défini par les parties. D'ailleurs, la société Bleufontaine reconnaît en page 36 de ses écritures qu'à la date du 28 mars 2011, la liste des actifs susceptibles d'être rachetés par la société Technicolor « restait encore à établir ».
Pour conclure sur ce point, les premiers juges ont pertinemment rappelé que par arrêt du 20 février 2018, la cour d'appel de Versailles a retenu que le retard apporté à la déclaration de cessation des paiements de la société Quinta Industries avait permis à la société Quinta Communications, en tant que dirigeant de fait, d'obtenir le remboursement de son compte courant qui, le 31 décembre 2010, présentait un solde créditeur de 4.559.004 euros ; que l'échéancier du 2 août 2011 par lequel la société Quinta Communications avait accordé à la société Quinta Industries certains reports d'échéances n'avait jamais été appliqué ; que le « protocole d'accord » régularisé le 30 septembre 2011 entre les sociétés Quinta Communications, Quinta Industries et ses filiales a « favorisé Quinta Communications en ce qu'il lui a permis de réduire son exposition financière au détriment de ses filiales ».
Dans ces conditions, la société Bleufontaine ne saurait reprocher à la société Technicolor l'absence de soutien financier de la société Quinta Industries.
La société Bleufontaine affirme que dès le mois de mars 2011, la société Technicolor avait définitivement renoncé au projet. Elle en veut pour preuve la création par cette dernière d'une filiale, la société TESF, en février 2011, devenue TECH1, dont l'objet social est le même que certaines entités de la société Quinta Industries et qui n'avait, selon l'appelante, pour vocation que de racheter les actifs de la société Quinta Industries dans le cadre des procédures de liquidation judiciaire. Toutefois, aucun élément de preuve ne permet de corroborer cette affirmation, alors que la société Technicolor avait pour projet de s'implanter en France dans le domaine de la postproduction cinématographique.
L'appelante argue également de l'éviction du directeur du projet Blackjack, M. [G], début mars 2011. Elle se prévaut d'un échange de courriels intervenu entre M. [G] et M. [Y], entre le 1er et le 4 mars 2011. La cour constate que par courriel du 1er mars 2011, M. [G] s'est étonné non pas de son éviction du projet Blackjack, mais de ses « fonctions en tant que patron des fusions acquisitions, et ceci sans m'offrir d'autres alternatives que de quitter le groupe ». Par ailleurs, par email du 3 mars 2011, M. [G] a certes interrogé M. [Y] sur son « exclusion » de dernière minute d'une réunion au cours de laquelle il devait présenter le « projet à l'IC [investment Committee] » et la poursuite des due diligences. Cependant, M. [Y] a répondu que « à ce stade et compte tenu de la situation récente de Quinta, il n'y a pas de sujet M&A possible sur Quinta au vu de notre situation d'actionnaire » et qu'il « préfère [le] débriefer de vive voix la semaine prochaine ». Il ne ressort pas de cette réponse que le projet est définitivement abandonné. Il doit être rappelé qu'à cette date, la société Quinta Industries faisait l'objet d'une procédure de conciliation et que la société Technicolor était elle-même est soumise à un plan de sauvegarde. Dans le courriel précité du 17 mars 2011 du conseil de la société Technicolor comportant une note ayant pour objet de présenter et analyser les risques liés aux décisions à prendre dans le cadre du projet Blackjack, il est précisé que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société Quinta Industries doit être envisagée et qu'elle donnerait naissance à une période suspecte au cours de laquelle certains actes, notamment à titre onéreux, pourraient être annulés. La lecture de cette note permet de confirmer que la société Technicolor, face aux difficultés financières de la société Quinta Industries, s'interrogeait, mais que le projet n'était nullement abandonné puisque son conseil décrit dans son courriel la procédure à suivre pour que l'acquisition intervienne dans le cadre de la conciliation sans encourir de risque d'annulation.
La société Bleufontaine, s'emparant d'une partie de la note, soutient qu'elle démontre la stratégie de la société Technicolor d'attendre la liquidation judiciaire de la société Quinta Industries pour racheter ses actifs à vil prix. Il est indiqué dans cette note : « D'après nos informations, une première réunion se tiendrait le 25 mars 2011 à 17h. La présence de Technicolor y serait souhaitée mais il convient de s'interroger sur l'opportunité pour Technicolor de participer à cette réunion qui à certains égards pourrait s'apparenter à un « piège » (coup de téléphone confidentiel de HB [Me [D] [W]] à PhD [Me [X] [T], conseil de la société Technicolor] en ce sens) (') Dans ces conditions, il pourrait être opportun d'attendre la mise en RJ ou LJ de Quinta Industries, pour récupérer les actifs en plan de cession. Cela semble d'autant plus opportun que Technicolor privilégierait la reprise d'actifs de sociétés ».
L'objet de cette réunion, pendant les procédures de conciliation, n'est toutefois pas connu de la cour et rien ne peut être déduit de l'évocation d'un éventuel « piège », à défaut de toute autre précision, s'agissant de surcroît d'une note d'un avocat à son client exposant les options et risques qui s'offraient à la société Technicolor dans une période sensible en termes de négociation pour les actionnaires et créanciers des sociétés en difficulté.
Concernant les informations transmises par le commissaire à l'exécution du plan de la société Duran, Me [W], il doit être rappelé que la société TNSF, filiale du groupe Technicolor, était actionnaire de la société Quinta Industries, dont la société Duran était une filiale et qu'à ce titre, elle était légitimement destinataire d'informations concernant la situation de cette société.
Par ailleurs, concernant la reprise des actifs de la société Quinta Industries dans le cadre du plan de cession, la cour constate que cette modalité de rachat n'est évoquée, en toute fin de note, qu'à titre de possibilité dans le cadre des « pistes à explorer », alors que l'essentiel du document est consacré à la concrétisation du projet de rachat dans des conditions compatibles avec la procédure de conciliation. Il est en outre précisé à la suite de la phrase précitée : « A noter cependant que dans ce cas, Technicolor se trouvera en concurrence avec d'autres repreneurs potentiels et que l'activité pourrait donc lui échapper ». Cette note, par laquelle l'avocat, dans le cadre de sa mission de conseil de la société Technicolor, présente toutes les configurations de rachat des actifs de la société Quinta Industries, ne démontre donc nullement la stratégie fautive attribuée à la société Technicolor dès lors d'une part, que l'essentiel des éléments porte sur les modalités du rachat envisagé et d'autre part, qu'à ce stade des pourparlers, aucune pièce n' établit que le périmètre du projet d'acquisition et le prix auraient été définis par les parties.
Il doit d'ailleurs être souligné que ni le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nanterre, intervenant dans le cadre des dispositions de l'article L.642-5 du code de commerce, ni le tribunal ayant autorisé les rachats d'actifs, ni les organes des procédures collectives des filiales rachetées par la société Technicolor dans le cadre des plans de cession, pourtant informés de la situation, notamment par le débiteur entendu dans le cadre de la procédure, n'ont formulé la moindre opposition aux offres de reprise formulées par cette dernière.
Dans ces conditions, la réflexion de la société Technicolor quant à la poursuite du projet d'acquisition ne caractérise aucune mauvaise foi de sa part.
La cour relève que par courriel du 25 mars 2011 (pièce n°156 de l'appelante), l'un des conseils juridiques de la société Technicolor a adressé à M. [Y] un courriel intitulé Blackjack dans lequel il l'interroge à propos d'une éventuelle offre d'acquisition de certains actifs de la sous-filiale ADJ et de la rédaction d'une lettre d'intention à cette fin, ce qui démontre que la société Technicolor n'avait pas renoncé au projet d'acquisition à cette date. Le 28 mars 2011, M. [Y] s'est limité à répondre que le sujet allait être « mis en attente » et non qu'il était abandonné.
La démission de la société TNSF de son poste d'administrateur le 23 mars 2011 ne permet pas davantage de l'établir. La société Technicolor explique dans son courrier que sa décision a été motivée par son souhait d'éviter tout conflit d'intérêts et risque d'entrave à la recherche par la société Quinta Industries d'un nouveau partenaire. Ces éléments sont confirmés par le courriel précité du 17 mars 2011 comportant la présentation et l'analyse des risques liés aux décisions à prendre dans le cadre du projet Blackjack. En effet, le conseil de la société Technicolor indique que dans le cadre d'une « entrée officielle (') en négociations pour l'acquisition des activités de Quinta Industries, une démission peut s'envisager voire s'imposer pour éviter tout risque de conflit d'intérêts ». Pour remettre en cause cette explication, la société Bleufontaine se prévaut d'un échange de courriels intervenu 22 mars 2011 entre la société Technicolor et son conseil aux termes duquel il a été décidé de retirer le paragraphe du courrier de démission indiquant que « à ce stade de nos due diligences, nous n'entendons pas en l'état aller plus loin dans cette voie » parce qu'il « indiquait trop fermement que nous n'avons plus d'intérêt ». Cependant, cette réponse témoigne tout au plus de l'indécision de la société Technicolor concernant l'aboutissement du projet d'acquisition, alors qu'à cette date, la société Quinta Industries faisait l'objet d'une procédure de conciliation et que la société Technicolor était elle-même soumise à un plan de sauvegarde. Ce questionnement est confirmé par l'échange de courriels précité intervenu postérieurement, les 25 et 28 mars 2011 entre l'un des conseils juridiques de la société Technicolor et M. [Y].
Aucune pièce ne permet de dater avec précision la décision définitive de la société Technicolor d'abandonner le projet de rachat d'actifs de la société Quinta Industries. Si M. [K] a pu indiquer, dans le cadre de la confrontation organisée le 12 avril 2019, que la démission de l'administrateur de la société Technicolor du conseil d'administration était justifiée par la conclusion à laquelle il était arrivé à la suite des due diligences qu'aucune suite ne serait donnée au projet d'acquisition, il précise par la suite, répondant à une question du juge d'instruction lui rappelant qu'il avait expliqué que cette démission était motivée par un risque de conflit d'intérêts, qu'il ne se souvenait plus de ce qui avait pu être dit par M. [Y]. En outre, comme précisé supra, il ressort d'échanges de courriels datant des 25 et 28 mai 2011 qu'aucune décision définitive n'était manifestement prise à ces dates.
La société Quinta Communications a effectivement questionné à deux reprises la société Technicolor par courriers des 8 et 29 avril 2011 afin qu'elle se positionne sur ce point. C'est par un courrier du 12 mai 2011 que la société Technicolor a annoncé qu'elle ne donnerait pas suite aux pourparlers. Ce délai de réponse n'apparaît pas abusif au regard des enjeux en cause. M. [K] a précisé au magistrat instructeur lors de la confrontation susvisée que ses contraintes d'agenda ne lui avaient pas permis de répondre plus rapidement et aucun élément ne permet de remettre en cause cette indication.
Enfin, la société Bleufontaine reproche à la société Technicolor l'exploitation d'informations privilégiées obtenues dans le cadre des due diligences afin de racheter les actifs de la société Quinta Industries à vil prix dans le cadre du plan de cession, par l'intermédiaire d'une société spécialement créée à cette fin.
Cependant, comme indiqué précédemment il n'est pas démontré que la société TECH1, devenue TESF, a été créée le 11 février 2011 pour racheter les actifs de la société Quinta Industries dans le cadre des procédures collectives ouvertes à l'égard de ses filiales. Il doit être rappelé que le courriel du conseil de la société Technicolor évoquant la possibilité d'un tel rachat est postérieur à la création de la société TECH1, puisqu'il est daté du 17 mars 2011. En outre, la société Technicolor communique en pièce n°9 la fiche interne de création de la société datée du 2 novembre 2010, qui indique, s'agissant du descriptif du projet : « création de deux coquilles vides (en prévision) suite à l'utilisation de l'ex Gallo 19 et ex Gallo 23 pour les besoins de Grass Valley » (souligné par la cour).
Par ailleurs, il ressort des éléments de la procédure que les offres émises par la société TESF l'ont été dans le respect de la procédure applicable. Contrairement à ce que soutient l'appelante, rien ne permet d'établir que les éléments dont la société Technicolor a pu disposer dans le cadre des due diligences ont favorisé ses offres. D'ailleurs, la société Bleufontaine ne précise pas quelles auraient été ces informations privilégiées. Il doit être rappelé que la société TNSF, en sa qualité d'actionnaire, avait accès à de nombreuses informations relatives aux filiales de la société Quinta Industries comme développé supra. En outre, l'appelante communique en pièce n°61 un courriel qu'un candidat a adressé au représentant de la société Quinta Industries afin de solliciter la communication d'informations complémentaires, permettant ainsi à tous les candidats de bénéficier des informations nécessaires. La cour relève que parmi les repreneurs potentiels figurait la société Eclair Group, filiale à 43 % de la société Quinta Communications qui, elle aussi, bénéficiait d'un haut niveau d'information concernant la situation de la société Quinta industries et de ses filiales.
Si la société Bleufontaine argue de rachats à vil prix, il apparaît que la société Eclair a formulé, pour certaines filiales des offres plus basses que celles de la société TESF. Ainsi, pour la société ADJ, la société TESF a proposé un prix de 556.000 € outre la reprise de 12 contrats de travail, alors que l'offre de la société Eclair Group se limitait à 330.000 € outre la reprise de 8 contrats de travail. La cour observe que le tribunal a analysé chaque offre individuellement et que l'offre de la société TESF a été écartée lorsqu'une proposition plus intéressante avait été formulée, comme dans le cas de la société Duran.
Enfin, les jugements de cession rendus entre le 3 novembre 2011 et le 20 janvier 2012, n'ont fait l'objet d'aucun recours des sociétés débitrices.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Bleufontaine échoue à rapporter la preuve de d'une rupture brutale et sans motif légitime des pourparlers.
- Sur la réticence dolosive
La société Bleufontaine fait valoir que le comportement fautif de la société Technicolor, dissimulant ses réelles intentions, a vicié son consentement à l'occasion des accords conclus entre les parties, ceux-ci n'étant que des prétextes ayant permis à la société Technicolor de la maintenir dans l'ignorance, de lui interdire de se rapprocher de la société Deluxe et de procéder à des audits complets de la société Quinta Industries et de ses filiales dans le but ultime de les acquérir à la barre à vil prix.
L'article 1116 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 seule applicable en l'espèce, dispose que : « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Il ne se présume pas et doit être prouvé ».
La cour constate que la société Bleufontaine se réfère aux « accords conclus entre les parties notamment celui du 9 mars 2006 » sans autre précision. S'il peut être supposé que l'appelante fait référence aux accords de coopération des 10 novembre 2004 et 25 mars 2008 et à la convention d'investissement du 9 mars 2006, il doit être relevé que dans le cadre de l'accord de coopération du 25 mars 2008, qui a remplacé l'accord précédent du 10 novembre 2004 signé par la société Thomson aux droits de laquelle vient la société Technicolor, c'est la filiale italienne du groupe Technicolor, la société Technicolor Spa, qui est le cocontractant de la société Quinta Communications. Or, cette personne morale n'est pas partie à l'instance. En outre, la convention d'investissement du 9 mars 2006 a été conclue entre la société Datacine Group, la société Thomson Media Services France, la société Quinta Communications et la société de droit italien Holland Coordinator and Service Company. Ni la société Technicolor, ni la société TESF ne sont parties à cet accord. Seule la société TNSF, venant aux droits de la société TMSF, est signataire de ce contrat. Or, la société Bleufontaine se contente de viser dans ses écritures « Technicolor », entité indéterminée, ou encore au dispositif de ses conclusions la réticence dolosive « commise par le groupe Technicolor » sans distinguer précisément pour chaque contrat, les faits qui caractériseraient, pour chaque personne morale intimée, le comportement dolosif reproché.
Par ailleurs, pour les motifs précités, il n'est nullement établi que les accords de coopération du 10 novembre 2004 et 25 mars 2008, ainsi que la convention d'investissement du 9 mars 2006 ont été conclus dans le seul but d'obtenir des informations privilégiées, afin de racheter les actifs de la société Quinta Industries et de ses filiales à vil prix dans le cadre des plans de cession adoptés plusieurs années plus tard en 2011 et 2012. Si la société Bleufontaine se prévaut à nouveau de l'accord de partenariat avec la société Deluxe ou encore de la création de la filiale Tech 1 dans le seul but de racheter à la barre l'intégralité des actifs de la société Quinta Industries et de ses filiales, tous les arguments invoqués ont été examinés précédemment et écartés comme non fondés.
Enfin, la cour observe que la société Bleufontaine se prévaut de la réticence dolosive de « Technicolor » au visa de l'article 1116 du code civil, mais conclut ses développements en page 55 en sollicitant la condamnation de cette dernière au paiement de dommages et intérêts « sur le fondement de l'article 1240 du code civil », en méconnaissance du principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.
En conséquence, la demande indemnitaire ne peut prospérer sur le fondement de la réticence dolosive.
- Sur les autres manquements
- Sur la recevabilité
La société Technicolor et la société TESF contestent la recevabilité de la demande, dès lors qu'elles n'étaient pas ou plus parties aux accords commerciaux et à la convention d'investissement et qu'elles n'étaient ni dirigeantes, ni actionnaires de la société Quinta Industries. Elles estiment dès lors que la société Bleufontaine ne justifie d'aucune qualité, ni d'aucun intérêt à agir à leur encontre au sens des articles 31 et 32 du code procédure civile.
La société Bleufontaine conclut au rejet de la fin de non-recevoir, en arguant d'une confusion des personnes morales.
Selon l'article 31 du code de procédure civile, 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé'. Par ailleurs, l'article 32 dispose qu'est 'irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir'.
L'existence du droit invoqué par la demanderesse n'est pas une condition de recevabilité de l'action mais de son succès.
L'existence de relations contractuelles liant les parties, les mandats exercés par les intimées au sein de la société Quinta Industries ou leur participation au capital de cette dernière relèvent du bien-fondé de l'action de la société Bleufontaine et non de sa recevabilité.
En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir.
- Sur le fond :
Sur la violation de l'obligation de bonne foi et du devoir de loyauté contractuels
La société Bleufontaine reproche à « Technicolor » un manquement à l'obligation de bonne foi dans le cadre de l'exécution de la convention d'investissement et des accords de partenariat, précisant que les contrats qui étaient interdépendants et avaient pour objectif la réalisation d'une opération économique globale, à savoir le rachat de la participation de la société Quinta Communications dans le capital de la société Quinta Industries, prévoyaient un partenariat, une exclusivité et un devoir de coopération renforcé.
Cependant, comme le relèvent les intimées, l'appelante, qui se prévaut d'une inexécution contractuelle, ne peut se contenter de viser globalement « Technicolor », entité indéterminée, alors que les trois sociétés intimées sont des personnes morales distinctes et que les contrats n'ont pas été conclus par les mêmes parties, tel qu'indiqué précédemment. Il est rappelé que la filiale italienne du groupe Technicolor, la société Technicolor Spa, seule signataire de l'accord de coopération du 25 mars 2008, n'est pas partie à l'instance.
Par ailleurs, la société Bleufontaine se prévaut au soutien du manquement de la même argumentation que celle examinée précédemment relative à l'engagement de « Technicolor » de racheter la participation de la société Quinta Communications dans le capital de la société Quinta Industries ou encore aux due diligences. Pour les motifs précités, les griefs ne sont pas fondés. L'appelante reproche aux premiers juges de s'être livrés à une lecture littérale des contrats, alors qu'ils auraient dû, en application des dispositions des articles 1188 et 1189 du code civil, rechercher la commune intention des parties qui était selon elle le rachat précité. Toutefois, aux termes de l'article 1192 du même code, il n'est pas permis au juge d'interpréter les clauses claires et précises d'une convention à peine de dénaturation. Comme indiqué précédemment, non seulement les accords commerciaux de 2004, 2008 et la convention d'investissement de 2006 sont clairs et précis en ce qu'ils ne comportent aucun engagement de la société Technicolor ou des sociétés du groupe Technicolor de racheter la participation de la société Quinta Communications dans le capital de la société Quinta Industries, mais encore les droits et obligations mises à la charge des parties ne permettent pas de déduire une telle intention attribuée aux intimées, la société Bleufontaine se prévalant vainement de la théorie de l'apparence à cet égard.
Sur les manquements du « groupe Technicolor » en ses qualités d'administrateur et actionnaire du « groupe Quinta Industries » et sur l'abus de personnalité morale
La société Bleufontaine reproche à « Technicolor », en sa qualité de dirigeant de la société Quinta Industries un manquement à l'obligation de loyauté, tant à l'égard de son associée la société Quinta Communications, que vis-à-vis de la société Quinta Industries qu'elle dirigeait. Elle estime que « Technicolor » a manqué à son obligation lorsqu'elle a décidé d'abandonner la société Quinta Industries à son sort, abusé de la personnalité morale d'une de ses filiales afin d'acquérir à vil prix les actifs de la société Quinta Industries à la barre, bénéficié d'informations privilégiées confidentielles émanant d'organes de la procédure collective de la société Quinta Industries et de ses filiales et enfin lorsqu'elle a poursuivi son intérêt propre au détriment de celui de la société Quinta Industries.
Cependant, à nouveau, l'appelante se contente de viser indistinctement « Technicolor » sans préciser, pour chacun des manquements précités, la personne morale visée par le grief.
Les premiers juges ont écarté à tort le principe de l'autonomie de la personne morale issu des dispositions de l'article 1842 du code civil. En effet, le courriel interne à la société Technicolor daté du 9 mars 2010, au demeurant non produit, adressé à M. [K] concernant le remplacement éventuel de M. [E], alors représentant permanent de la société TNSF au conseil d'administration de la société Quinta Industries, par lequel une personne non identifiée indique de manière imprécise : « [[Z] [E]] just votes as we ask him to » est manifestement insuffisant à démontrer la confusion des personnalités morales des sociétés intimées. Le fait que la société Technicolor a préparé les due diligences pour le compte du groupe Technicolor en vue d'une éventuelle acquisition de la société Quinta Industries ne le permet pas davantage.
Contrairement à ce que soutient la société Bleufontaine, le tribunal dans son jugement du 20 janvier 2012 n'a nullement retenu que c'est la société Technicolor qui détenait les 17,5 % du capital social de la société Quinta Industries, puisqu'il a écrit que la société Quinta Industries est « elle-même détenue à 17,5 % par Technicolor Network Services France SAS, société appartenant au même groupe que le repreneur » (souligné par la cour), c'est-à-dire au groupe Technicolor. Aucune confusion des personnes morales n'est caractérisée par le fait que la société TNSF s'est prévalue d'appartenir au groupe Technicolor dans le cadre de la procédure de cession.
Enfin, la circonstance suivant laquelle l'accord commercial de 2008 fait suite à celui conclu 2004, signé entre la société Technicolor et la société Quinta Communications, ne permet pas de déduire que l'ensemble du groupe Technicolor avait intérêt à cet accord et que sa signature par la filiale italienne du groupe caractérise un abus par « Technicolor » de la personnalité morale des filiales du groupe.
Dès lors que les sociétés intimées sont des personnes morales distinctes, il appartenait à la société Bleufontaine de préciser, pour chacune d'elles, le(s) manquement(s) reproché(s).
En outre, la cour constate que la société Bleufontaine invoque toujours les mêmes manquements que ceux examinés précédemment, à savoir l'absence de soutien financier à la société Quinta Industries lorsque cette dernière a connu des difficultés à compter de 2010, la démission brutale de « Technicolor » de son poste d'administrateur, puis la création d'une société ad hoc, TESF, dans le seul but de présenter des offres de reprise à vil prix, la poursuite des due diligences afin de lui laisser croire que le projet d'acquisition était toujours en cours. Or, pour les motifs précités, ces griefs ne sont pas fondés.
Sur la porosité des organes de la procédure collective des sociétés du groupe Quinta Industries
La société Bleufontaine expose que « Technicolor » a profité d'une certaine porosité active des organes de la procédure collective des sociétés du groupe Quinta Industries, dès lors que Me [W] a communiqué des informations stratégiques et confidentielles relatives aux filiales du groupe aux représentants de « Technicolor », qui n'auraient pas dû y avoir accès malgré sa qualité d'administrateur et les due diligences en cours.
Cependant, comme le rappellent les intimées, les cessions des filiales du groupe Quinta Industries sont intervenues dans le cadre de procédures judiciaires, le dirigeant de chacune des filiales entendu et en présence du ministère public, dûment informé de l'appartenance du candidat repreneur, la société TESF, au groupe Technicolor, des liens capitalistiques existant entre la société TNSF, appartenant elle aussi au groupe Technicolor, et la société Quinta Industries et de la démission du représentant de la société TNSF du conseil d'administration de la société Quinta Industrie le 22 mars 2011 (cf page 7 du jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 20 janvier 2012 ayant ordonné la cession des actifs de la société ADJ, filiale du groupe Quinta Industries, à la société TESF).
Si la société Bleufontaine argue d'informations privilégiées dont le groupe Technicolor a pu bénéficier, elle ne précise pas en quoi elles ont consisté, ni quel avantage elles ont conféré dans le cadre de l'élaboration des offres de reprise. Il doit être rappelé que la société TESF a formulé, pour certaines filiales, une offre plus intéressante en termes de prix et de reprise des contrats de travail que celle émise par la société Eclair, pourtant filiale de la société Quinta Communications et qu'aucun recours n'a été formé contre les jugements de cession. La cour souligne que si la société Bleufontaine évoque des échanges d'informations entre Me [W] et MM. [K] et [Y] concernant les sociétés Duran et Duboi, l'offre de la société TESF n'a pas été retenue dans le cadre de la cession de la société Duran.
Enfin, s'agissant du surplus de l'argumentation de la société Bleufontaine concernant les manquements invoqués, il est renvoyé aux motifs précités, dont il ressort que les griefs ne sont pas fondés.
Sur la poursuite des intérêts propres de « Technicolor » au détriment de celui de « Quinta Industries »
La société Bleufontaine reproche à « Technicolor » d'avoir négocié secrètement un partenariat avec le groupe Deluxe, neutralisant ainsi le seul acquéreur potentiel du groupe Quinta Industries.
Cependant, pour les motifs précités, le grief n'est pas fondé. La cour observe que la société Bleufontaine ne produit aucun élément de preuve permettant de corroborer l'affirmation suivant laquelle le groupe Deluxe était le seul acquéreur possible du groupe Quinta Industries, alors qu'il ressort du jugement de cession de la société ADJ que des sociétés françaises d'envergure dans le domaine de la post-production cinématographique, telles que la société Dubbing Brothers, ont formulé des offres de reprise.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'aucun manquement des sociétés Technicolor, TESF et TNSF à leur obligation de bonne foi et de loyauté n'est caractérisé.
En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société Bleufontaine de ses demandes indemnitaires au titre du préjudice financier et du préjudice de réputation.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Au regard de la solution du litige, le jugement sera confirmé des chefs des dépens, comprenant les frais de la mesure d'instruction ordonnée par jugement du 29 juillet 2016, et de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Bleufontaine qui succombe, supportera les dépens d'appel et sera condamnée à payer à la société Vantiva, venant aux droits de la société Technicolor, et à la société Mikros Image, venant aux droits de la société TNSF, prises ensemble, une somme de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par ces dernières en cause d'appel. Elle sera condamnée au paiement de la même somme sur le même fondement à la société Red Bee Media France, venant aux droits de la société TNSF.
En revanche, l'équité commande de débouter la société Red Bee Media France de ses demandes formulées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de Me [A] [F] ès qualités.
Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile est accordé à Me Lafon.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par défaut,
Reçoit la Selarl [S], [H] [F], prise en la personne de Me [A] [F], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Bleufontaine en son intervention volontaire ;
Constate que la demande de confirmation du chef du jugement relatif à la demande de jonction de l'instance avec celle introduite par la société Bleufontaine et Me [R] ès qualités à l'encontre de Me [M] est sans objet ;
Confirme le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
Condamne la société Bleufontaine aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Lafon ;
Condamne la société Bleufontaine à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- la somme de 15.000 euros aux sociétés Vantiva et Mikros Image, venant respectivement aux droits de la société Technicolor et de la société Technicolor Entertainment Services France, prises ensemble,
- la somme de 15.000 euros à la société Red Bee Media France, venant aux droits de la société Technicolor Network Services France ;
Déboute la société Red Bee Media France de ses demandes formulées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de la Selarl [S] [H] [F], prise en la personne de Me [A] [F], en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Bleufontaine.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.