CA Rennes, 2e ch., 24 septembre 2024, n° 23/07126
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Earl de (Sté)
Défendeur :
Afeden (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jobard
Conseillers :
M. Pothier, Mme Barthe-Nari
Avocats :
Me Lhermitte, Me Miossec
EXPOSÉ DU LITIGE :
A la suite d'un démarchage, l'Earl de [Adresse 4], désormais représentée par son liquidateur amiable, M. [Y] [I], a commandé, le 1er décembre 2016, auprès de la société Afden, une batterie de condensateurs de marque 'Legrand' pour la somme de 13 896 euros, payable en 60 mensualités d'un montant de 231,60 euros TTC.
Soutenant que le matériel n'était pas de la marque annoncée et que l'économie d'énergie n'était pas vérifiée, l'Earl de [Adresse 4] a souhaité se délier de ses engagements. Faute d'accord avec la société Afden, elle a fait assigner celle-ci, par acte d'huissier en date du 13 février 2017, devant le tribunal d'instance de Brest, en nullité des contrats souscrits.
Par jugement en date du 18 septembre 2018, le tribunal a :
- débouté l'Earl de [Adresse 4] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné l'Earl de [Adresse 4] à verser à la société Afden la somme de 11 675,69 euros outre les intérêts légaux à compter de la signification de la décision,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamner l'Earl de [Adresse 4] aux entiers dépens.
Par deux déclarations en date du 16 septembre et du 18 septembre 2020, l'Earl de [Adresse 4] et M. [K] ont relevé appel de cette décision qui ne leur avait pas été signifiée par la société Adfen. Par ordonnance en date du 15 janvier 2021, les deux procédures ont été jointes.
Entretemps, par jugement en date du 25 novembre 2020, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Afden et désigné M. [L] [M] [G] en qualité de mandataire liquidateur. L'Earl De [Adresse 4] a signifié les déclarations d'appel et ses conclusions au mandataire liquidateur le 23 décembre 2020. Elle a procédé à une déclaration de créance au passif de la liquidation.
Par conclusion d'incident notifiées le 24 novembre 2021, l'Earl De [Adresse 4] et M. [K] ont sollicité le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure correctionnelle engagée à l'encontre de la société Afden devant le tribunal correctionnel de Créteil pour tromperie.
Par ordonnance en date du 18 février 2022, il a été fait droit à cette demande.
A la suite du jugement de condamnation de la société Afden et de son gérant prononcé par le tribunal correctionnel de Créteil le 20 octobre 2022, transmis en juin 2023, l'Earl de [Adresse 4], représentée par son liquidateur amiable M. [K], a sollicité, le 14 décembre 2023, la remise au rôle de l'affaire.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 7 février 2024, l'Earl et son liquidateur demandent à la cour de :
Vu l'article L.221-3 du code de la consommation, l'article L. 311-13 du code rural,
- dire et juger que les conventions des parties étant bien soumises au code de la consommation,
Vu les articles 1156 à 1164 du code civil, 1133 à 1147 du code civil,
Vu les articles L. 111-1,L. 111-2, L. 221-1 et L. 221-5 du code de la consommation et suivants,
Vu l'article 1116 du code civil,
- accueillir l'Earl de [Adresse 4] en son appel, l'y déclarer fondée et réformer le jugement du tribunal d'instance de Brest du 18 septembre 2018 qui a rejeté toutes ses demandes, fins et conclusions,
- constater que le contrat intitulé 'location' est en réalité un contrat de vente,
- prononcer la nullité des engagements à savoir le bon de commande de matériel et le contrat de location auxquels la société Afden a fait adhérer la demanderesse et en conséquence réformer la décision entreprise en ce qu'elle a condamnée au paiement de la prestation au profit de la société Afden,
en tout état de cause, vu l'article L. 121-27 et R.121-1 du code de la consommation et l'article 6 du code civil,
- prononcer la nullité des engagements recueillis par la société Afden,
Vu les articles L. 121-27, L. 121-29 et L. 121-30, R. 121-1 du code de la consommation,
- prononcer la nullité des engagements à raison de l'absence de bons de rétractations en application des articles L. 121-21-6, L. 121-26 et L. 121-27 du code de la consommation,
à défaut vu l'article 1604 du code civil,
- prononcer la nullité des engagements recueillis par la société Afden,
à défaut vu les articles 1110 et 1171 du code civil,
- dire et juger que l'ensemble des clauses sont réputées non écrites et en conséquence, débouter l'intimée de toutes ses demandes, fins et conclusions,
à défaut vu l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce et le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,
- annuler l'ensemble desdites clauses contractuelles et débouter l'intimée de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- prononcer l'admission à titre chirographaire des créances de l'Earl de [Adresse 4] au passif de la liquidation judiciaire de la société Afden aux montants suivants :
au coût de financement du matériel d'un montant de 11 659,59 euros,
- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour réparation des différents préjudices occasionnés par son attitude déloyale,
4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
- condamner Maître [G] ès qualités de liquidateur de la société Afden aux entiers dépens,
- débouter le défendeur de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires.
Maître [G], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Afden n'a pas constitué avocat devant la cour.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu'aux dernières conclusions précitées, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 février 2024.
EXPOSÉ DES MOTIFS :
Sur l'application des dispositions du code de la consommation :
L'Earl de [Adresse 4] revendique le bénéfice des dispositions du code de la consommation que le premier juge lui a refusé, faisant valoir que le matériel livré n'est pas prévu pour une destination spécifique de professionnels et n'entre pas davantage dans l'activité agricole telle qu'elle est strictement définie par le code rural. Elle souligne également que les fiches d'information précontractuelles font expressément référence aux articles du code de la consommation et que l'objet du contrat n'entre pas dans son activité principale.
Selon l'article L.121-16-1, III, devenu l'article L.221-3 du code de la consommation, les dispositions des sections 2,3 et 6 du chapitre de ce code relatifs aux contrats conclus à distance ou hors établissement sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels, dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.
L'Earl de [Adresse 4] exerçait, au moment du contrat, et exerce toujours une activité d'élevage de vaches laitières.
Le contrat conclu le 1er décembre 2016 avec la société Afden porte sur la fourniture et l'installation d'une batterie de condensateurs dont l'objet est de réduire la consommation électrique de l'exploitation.
Il est incontestable que la fourniture et l'installation de ce matériel n'entrent pas dans le champ de compétences de l'Earl de [Adresse 4] qui ne dispose d'aucune compétence professionnelle particulière dans le domaine du contrat, dont l'économie n'apparaît pas indispensable à l'exercice d'éleveur de vaches laitières.
Il s'ensuit que l'objet du contrat litigieux n'entre pas dans le champ de l'activité principale de l'Earl de [Adresse 4] .
Par ailleurs, les appelantes certifient, par un extrait du répertoire Siren, qu'au moment du contrat aucun salarié n'était employé dans l'exploitation.
En conséquence, le contrat en date du 1er décembre 2016, qui a été conclu hors établissement, à Coat Meal (29) à l'adresse de l'Earl, alors que le siège social de la société Afden se situe à [Localité 6] (94), est bien soumis aux règles du code de la consommation relatives aux contrats conclus hors établissement. Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions.
Sur la nullité du contrat :
Aux termes des articles L 121-18-1 et L. 121-17 devenus L. 221-9, L 221-5, L. 242-1, L. 111-1, R. 111-1 et R. 111-2 du code de la consommation, les ventes et fournitures de services conclues à l'occasion d'une commercialisation hors établissement doivent faire l'objet d'un contrat dont un exemplaire est remis au client, et notamment comporter, à peine de nullité, les mentions suivantes :
le nom du professionnel ou la dénomination sociale et la forme juridique de l'entreprise, l'adresse géographique de son établissement et, si elle est différente, celle du siège social, son numéro de téléphone et son adresse électronique,
le cas échéant, son numéro d'inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers,
les informations relatives à ses activités, pour autant qu'elles ne ressortent pas du contexte,
son éventuelle garantie financière ou l'assurance de responsabilité professionnelle souscrite par lui, ainsi que les coordonnées de l'assureur ou du garant,
les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du bien ou service concerné,
le prix du bien ou du service,
les modalités de paiement,
en l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à livrer le bien ou à exécuter le service,
les modalités prévues par le professionnel pour le traitement des réclamations,
s'il y a lieu, les informations relatives à la garantie légale de conformité, à la garantie des vices cachés de la chose vendue ainsi que, le cas échéant, à la garantie commerciale et au service après-vente,
la possibilité de recourir à un médiateur de la consommation,
lorsque le droit de rétractation existe, les conditions, le délai et les modalités d'exercice de ce droit ainsi que le formulaire de rétractation conforme au formulaire type figurant à l'annexe à l'article R. 121-1 devenu R. 221-1.
En l'espèce, le bon de commande laissé en possession de l'Earl de [Adresse 4] n'est pas conforme aux dispositions du code de la consommation puisqu'il ne comporte aucune indication sur les caractéristiques essentielles des biens, objet de l'opération, ni ne mentionne le prix global de la prestation.
De surcroît, les conditions, le délai et les modalités d'exercice du droit de rétractation, prévus par l'article L.221-5, ne sont pas reproduits dans le contrat, lequel, au demeurant, ne fait aucune référence à l'exercice d'une quelconque faculté de rétractation ni ne comporte de formulaire destiné à faciliter un tel exercice, privant ainsi le client de la possibilité de se rétracter.
Le contrat de prestation de services conclu le 1er décembre 2016 entre l'Earl de [Adresse 4] et la société Afden est donc entaché d'irrégularités. Ainsi et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres motifs de nullité invoqués ni de statuer sur le dol allégué, il convient d'en prononcer la nullité.
Les appelants demandent la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Afden des sommes suivantes :
- 11 675,69 euros correspondant au financement du matériel,
- 2 000 euros à titre de dommages intérêts,
- 4 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Il sera toutefois constaté que la déclaration de créance effectuée, le 12 janvier 2021, entre les mains du mandataire liquidateur, par l'Earl de [Adresse 4] porte uniquement sur les sommes de
2 000 euros à titre de dommages-intérêts, 3000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et 500 euros à parfaire au titre des dépens de procédure. Il n'est par contre, pas justifié d'une déclaration de créance à hauteur de 11 675,69 euros au titre du financement du matériel. La déclaration de créance est accompagnée d'une pièce relative à des fermages échus mais qui ne concerne pas le litige soumis à la cour. En outre, l'Earl de [Adresse 4] n'allègue ni ne démontre avoir exécuté les causes du jugement assorti de l'exécution provisoire. Cette demande sera donc rejetée.
Par ailleurs, l'existence d'un préjudice distinct du préjudice déjà réparé par l'annulation du contrat de prestation de services n'est nullement caractérisée ni démontrée de sorte que l'Earl de [Adresse 4] sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts.
En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de l'Earl de [Adresse 4] l'intégralité des frais, non compris dans les dépens, qu'elle a dû exposer à l'occasion de la procédure de première instance et d'appel. Aussi il convient de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Afden à la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 septembre 2018 par le tribunal d'instance de Brest,
Prononce la nullité du contrat de prestation de services en date du 1er décembre 2016 conclu entre l'Earl de [Adresse 4] et la société Agence française des énergies nouvelles,
Déboute l'Earl de [Adresse 4] de sa demande tendant à l'inscription au passif de la liquidation de la société Agence française des énergies nouvelles à hauteur de 11 675,69 euros au titre du financement du matériel,
Déboute l'Earl de [Adresse 4] de sa demande en dommages-intérêts,
Fixe à titre chirographaire, la créance de l'Earl de [Adresse 4] au passif de la liquidation judiciaire de la société Agence française des énergies nouvelles à la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ainsi que les dépens de première instance et d'appel,
Rejette toute demande plus ample ou contraire.