CA Rennes, 2e ch., 24 septembre 2024, n° 23/07125
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Earl de Keravezen
Défendeur :
Afden (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jobard
Conseillers :
M. Pothier, Mme Barthe-Nari
Avocats :
Me Lhermitte, Me Miossec
EXPOSÉ DU LITIGE :
A la suite d'un démarchage, l'Earl de Keravezen a passé commande, le 30 juin 2016, d'un condensateur de batteries de marque Legrand, dans le but de faire des économies d'énergie, auprès de la société Agence française des énergies nouvelles (ci-après la société Afden) pour le prix de 12 618 euros, payable en 60 mensualités de 202,80 euros TTC.
Soutenant que le matériel livré n'était pas de la marque attendue et que les économies d'énergie annoncées n'étaient pas atteintes, l'Earl de Keravezen a souhaité de se désengager de sa commande.
En l'absence d'accord de la société Afden, elle a, par acte d'huissier en date du 21 décembre 2016, fait assigner cette dernière devant le tribunal d'instance de Brest en nullité des contrats souscrits.
Par jugement en date du 18 septembre 2018, le tribunal a :
- débouté l'Earl de Keravezen de l'ensemble de ses demandes,
- condamné l'Earl de Keravezen à verser à la société Afden la somme de 9 782,45 euros, outre les intérêts légaux à compter de la signification de la décision,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné l'Earl de Keravezen à verser à la société Afden la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamner l'Earl de Keravezen aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 20 décembre 2018, l'Earl de Keravezen a relevé appel de cette décision.
Par conclusions d'incident en date du 6 juin 2019, la société Afden a saisi le conseiller de la mise en état sur le fondement de l'article 526 du code de procédure civile, d'une demande de radiation, faisant valoir que l'appelante n'avait pas payé la totalité des condamnations mises à sa charge. Elle a également conclu à la caducité de l'appel.
Par ordonnance en date du 20 décembre 2019, il a été dit que l'appel interjeté par l'Earl de Keravezen n'était pas caduc. La demande de radiation a été rejetée.
Par jugement en date du 25 novembre 2020, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Afden et désigné M. [C] [D] [S] en qualité de mandataire liquidateur. L'Earl de Keravezen a déclaré sa créance au passif de la liquidation.
En l'état d'une procédure pénale en cours à l'encontre de la société Afden et de son dirigeant notamment pour des faits de tromperie, il a été prononcé un sursis à statuer par ordonnance du 18 février 2022.
A la suite du jugement de condamnation de la société Afden et de son gérant prononcé par le tribunal correctionnel de Créteil par jugement du 20 octobre 2022, transmis en juin 2023, l'Earl de Keravezen a sollicité le 8 décembre 2023 la remise au rôle de l'affaire.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 février 2024, l'Earl de Keravezen demande à la cour de :
Vu l'article L.221-3 du code de la consommation, l'article L. 311-13 du code rural,
- dire et juger que les conventions des parties étant bien soumises au code de la consommation,
Vu les articles 1156 à 1164 du code civil, 1133 à1147 du code civil,
Vu les articles L. 111-1,L. 111-2, L. 221-1 et L. 221-5 du code de la consommation et suivants,
Vu l'article 1116 du code civil,
- accueillir l'Earl de Keravezen en son appel, l'y déclarer fondée et réformer le jugement du tribunal d'instance de Brest du 18 septembre 2018 qui a rejeté toutes ses demandes, fins et conclusions,
- constater que le contrat intitulé 'location' est en réalité un contrat de vente,
- prononcer la nullité des engagements à savoir le bon de commande de matériel et le contrat de location auxquels la société Afden a fait adhérer la demanderesse et en conséquence réformer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné au paiement de la prestation au profit de la société Afden,
en tout état de cause, vu l'article L. 121-27 et R.121-1 du code de la consommation et l'article 6 du code civil,
- prononcer la nullité des engagements recueillis par la société Afden,
Vu les articles L. 121-27, L. 121-29 et L. 121-30, R. 121-1 du code de la consommation,
- prononcer la nullité des engagements à raison de l'absence de bons de rétractations en application des articles L. 121-21-6, L. 121-26 et L. 121-27 du code de la consommation,
à défaut vu l'article 1604 du code civil,
- prononcer la nullité des engagements recueillis par la société Afden,
à défaut vu les articles 1110 et 1171 du code civil,
- dire et juger que l'ensemble des clauses sont réputées non écrites et en conséquence, débouter l'intimée de toutes ses demandes,f ins et conclusions,
à défaut vu l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce et le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,
- annuler l'ensemble desdites clauses contractuelles et débouter l'intimée de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Afden au versement d'une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts à l'Earl de Keravezen pour réparation des différents préjudices occasionnés par son attitude déloyale,
- condamner la société Afden au versement d'une somme de 4 000 euros à l'Earl de Keravezen à titre de frais irrépétibles d'instance et d'appel et la condamner aux entiers dépens,
- débouter la société Afden de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires.
Maître [S], ès qualité de mandataire liquidateur de la société Afden, n'a pas constitué avocat devant la cour.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu'aux dernières conclusions précitées, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 février 2024.
EXPOSÉ DES MOTIFS :
Sur l'application des dispositions du code de la consommation :
L'Earl de Keravezen revendique le bénéfice des dispositions du code de la consommation que le premier juge lui a refusé, faisant valoir que le matériel livré n'est pas prévu pour une destination spécifique de professionnels et n'entre pas davantage dans l'activité agricole telle qu'elle est strictement définie par le code rural. Elle souligne également que les fiches d'information précontractuelles font expressément référence aux articles du code de la consommation et que l'objet du contrat n'entre pas dans son activité principale.
Selon l'article L.121-16-1, III, devenu l'article L.221-3 du code de la consommation, les dispositions des sections 2,3 et 6 du chapitre de ce code relatifs aux contrats conclus à distance ou hors établissement sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels, dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.
L'Earl de Keravezen exerçait, au moment du contrat, et exerce toujours une activité d'élevage de vaches laitières.
Le contrat conclu le 30 juin 2016 avec la société Afden porte sur la fourniture et l'installation d'une batterie de condensateurs dont l'objet est de réduire la consommation électrique de l'exploitation.
Il est incontestable que la fourniture et l'installation de ce matériel n'entrent pas dans le champ de compétences de l'Earl de Keravezen qui ne dispose d'aucune compétence professionnelle particulière dans le domaine du contrat, dont l'économie n'apparaît pas indispensable à l'exercice d'éleveur de vaches laitières.
Il s'ensuit que l'objet du contrat litigieux n'entre pas dans le champ de l'activité principale de l'Earl de Keravezen.
Par ailleurs, l'appelante certifie, par une attestation de sa comptable, n'employer aucun salarié mais que le groupement employeur de Keravezen dont elle est membre lui met à disposition, partiellement, une salariée.
En conséquence, le contrat en date du 30 juin 2016, qui a été conclu hors établissement, à [Localité 6] (29) à l'adresse de l'Earl, alors que le siège social de la société Afden se situe à [Localité 5] (94), est bien soumis aux règles du code de la consommation relatives aux contrats conclus hors établissement. Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions.
Sur la nullité du contrat :
Aux termes des articles L 121-18-1 et L. 121-17 devenus L. 221-9, L 221-5, L. 242-1, L. 111-1, R. 111-1 et R. 111-2 du code de la consommation, les ventes et fournitures de services conclues à l'occasion d'une commercialisation hors établissement doivent faire l'objet d'un contrat dont un exemplaire est remis au client, et notamment comporter, à peine de nullité, les mentions suivantes :
le nom du professionnel ou la dénomination sociale et la forme juridique de l'entreprise, l'adresse géographique de son établissement et, si elle est différente, celle du siège social, son numéro de téléphone et son adresse électronique,
le cas échéant, son numéro d'inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers,
les informations relatives à ses activités, pour autant qu'elles ne ressortent pas du contexte,
son éventuelle garantie financière ou l'assurance de responsabilité professionnelle souscrite par lui, ainsi que les coordonnées de l'assureur ou du garant,
les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du bien ou service concerné,
le prix du bien ou du service,
les modalités de paiement,
en l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à livrer le bien ou à exécuter le service,
les modalités prévues par le professionnel pour le traitement des réclamations,
s'il y a lieu, les informations relatives à la garantie légale de conformité, à la garantie des vices cachés de la chose vendue ainsi que, le cas échéant, à la garantie commerciale et au service après-vente,
la possibilité de recourir à un médiateur de la consommation,
lorsque le droit de rétractation existe, les conditions, le délai et les modalités d'exercice de ce droit ainsi que le formulaire de rétractation conforme au formulaire type figurant à l'annexe à l'article R. 121-1 devenu R. 221-1.
En l'espèce, le bon de commande laissé en possession de l'Earl de Keravezen n'est pas conforme aux dispositions du code de la consommation puisqu'il ne comporte aucune indication sur les caractéristiques essentielles des biens, objet de l'opération, ni ne mentionne le prix global de la prestation.
De surcroît, les conditions, le délai et les modalités d'exercice du droit de rétractation, prévus par l'article L.221-5, ne sont pas reproduits dans le contrat, lequel, au demeurant, ne fait aucune référence à l'exercice d'une quelconque faculté de rétractation ni ne comporte de formulaire destiné à faciliter un tel exercice, privant ainsi le client de la possibilité de se rétracter.
Le contrat de prestation de services conclu le 30 juin 2016 entre l'Earl de Keravezen et la société Afden est donc entaché d'irrégularités. Ainsi et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres motifs de nullité invoqués ni de statuer sur le dol allégué, il convient d'en prononcer la nullité.
L'appelante sollicite la condamnation de la société Afden à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par son attitude totalement déloyale et les désagréments qui en sont résultés. Mais l'existence d'un préjudice distinct du préjudice déjà réparé par l'annulation du contrat de prestation de services n'est nullement caractérisée ni démontrée de sorte que l'Earl de Keravezen sera déboutée de sa demande.
En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de l'Earl de Keravezen l'intégralité des frais, non compris dans les dépens, qu'elle a dû exposer à l'occasion de la procédure de première instance et d'appel. Aussi il convient de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Afden à la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 septembre 2018 par le tribunal d'instance de Brest,
Prononce la nullité du contrat de prestation de services en date du 30 juin 2016 conclu entre l'Earl de Keravezen et la société Agence française des énergies nouvelles,
Déboute l'Earl de Keravezen de sa demande en dommages-intérêts,
Fixe à titre chirographaire, la créance de l'Earl de Keravezen au passif de la liquidation judiciaire de la société Agence française des énergies nouvelles à la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ainsi que les dépens de première instance et d'appel,
Rejette toute demande plus ample ou contraire.