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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 24 septembre 2024, n° 23/07123

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Gaec des Deux Abers (Sté)

Défendeur :

Afden (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jobard

Conseillers :

M. Pothier, Mme Barthe-Nari

Avocats :

Me Lhermitte, Me Miossec

CA Rennes n° 23/07123

23 septembre 2024

EXPOSÉ DU LITIGE :

A la suite d'un démarchage, le 22 juin 2016, le Gaec des deux Abers a passé commande d'une batterie de condensateurs de marque Legrand, dans le but de réaliser une économie d'énergie, auprès de la société Agence française des énergies nouvelles (ci-après la société Afden) pour le prix de 12 168 euros, payable en 60 mensualités de 202,80 euros TTC.

Soutenant que le matériel livré n'était pas de la marque attendue et que les économies d'énergie annoncées n'étaient pas atteintes, le Gaec des deux Abers a souhaité de se désengager de sa commande.

En l'absence d'accord de la société Afden, il a, par acte d'huissier en date du 21 décembre 2016, fait assigner cette dernière devant le tribunal d'instance de Brest en nullité des contrats souscrits.

Par jugement en date du 18 septembre 2018, le tribunal a :

- débouté le Gaec des deux Abers de l'ensemble de ses demandes,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné le Gaec des deux Abers à verser à la société Afden la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamner le Gaec des deux Abers aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 18 septembre 2018, le Gaec des deux Abers a relevé appel de cette décision.

Par jugement en date du 25 novembre 2020, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Afden et désigné M. [G]-[U] [R] en qualité de mandataire liquidateur. Ce dernier a été assigné en intervention forcée par le Gaec des deux Abers le 21 décembre 2020.

En l'état d'une procédure pénale en cours à l'encontre de la société Afden et de son dirigeant pour des faits notamment de tromperie, il a été ordonné le retrait du rôle à la demande du Gaec des deux Abers par arrêt du 28 janvier 2022.

A la suite du jugement de condamnation de la société Afden et de son gérant prononcé par le tribunal correctionnel de Créteil par jugement du 20 octobre 2022, le Gaec des deux Abers a sollicité le 8 décembre 2023 la remise au rôle de l'affaire.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 février 2024, il demande à la cour de :

Vu l'article L.221-3 du code de la consommation, l'article L. 311-13 du code rural,

- dire et juger que les conventions des parties étant bien soumises au code de la consommation,

Vu les articles 1156 à 1164 du code civil, 1133 à1147 du code civil,

Vu les articles L. 111-1,L. 111-2, L. 221-1 et L. 221-5 du code de la consommation et suivants,

Vu l'article 1116 du code civil,

- accueillir le Gaec des deux Abers en son appel, l'y déclarer fondé et réformer le jugement du tribunal d'instance de Brest du 18 septembre 2018 qui a rejeté toutes ses demandes, fins et conclusions,

- constater que le contrat intitulé 'location' est en réalité un contrat de vente,

- prononcer la nullité des engagements à savoir le bon de commande de matériel et le contrat de location auxquels la société Afden a fait adhérer la demanderesse et en conséquence réformer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné au paiement de la prestation au profit de la société Afden,

en tout état de cause, vu l'article L. 121-27 et R.121-1 du code de la consommation et l'article 6 du code civil,

- prononcer la nullité des engagements recueillis par la société Afden,

Vu les articles L. 121-27, L. 121-29 et L. 121-30, R. 121-1 du code de la consommation,

- prononcer la nullité des engagements à raison de l'absence de bons de rétractations en application des articles L. 121-21-6, L. 121-26 et L. 121-27 du code de la consommation,

à défaut vu l'article 1604 du code civil,

- prononcer la nullité des engagements recueillis par la société Afden,

à défaut vu les articles 1110 et 1171 du code civil,

- dire et juger que l'ensemble des clauses sont réputées non écrites et en conséquence, débouter l'intimée de toutes ses demandes, fins et conclusions,

à défaut vu l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce et le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,

- annuler l'ensemble desdites clauses contractuelles et débouter l'intimée de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- prononcer l'admission à titre chirographaire des créances du Gaec des deux Abers au passif de la liquidation judiciaire de la société Afden aux montants suivants :

au coût de financement du matériel d'un montant de 11 659,59 euros,

- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour réparation des différents préjudices occasionnés par son attitude déloyale,

4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

- condamner Maître [R] ès qualités de liquidateur de la société Afden aux entiers dépens,

- débouter le défendeur de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires.

Maître [R], ès qualité de mandataire liquidateur de la société Afden n'a pas constitué avocat devant la cour.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu'aux dernières conclusions précitées, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 février 2024.

EXPOSÉ DES MOTIFS :

Sur l'application des dispositions du code de la consommation :

Le Gaec des deux Abers revendique le bénéfice des dispositions du code de la consommation que le premier juge lui a refusé, faisant valoir que le matériel livré n'est pas prévu pour une destination spécifique de professionnels et n'entre pas davantage dans l'activité agricole telle qu'elle est strictement définie par le code rural. Il souligne également que les fiches d'information précontractuelles font expressément référence aux articles du code de la consommation et que l'objet du contrat n'entre pas dans son activité principale.

Selon l'article L.121-16-1, III, devenu l'article L.221-3 du code de la consommation, les dispositions des sections 2,3 et 6 du chapitre de ce code relatifs aux contrats conclus à distance ou hors établissement sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels, dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.

Le Gaec des deux Abers dirige une exploitation agricole dans l'élevage de vaches laitières. Il en était de même au moment de la conclusion du contrat le 22 juin 2016.

Le contrat passé avec la société Afden porte sur la fourniture et l'installation d'une batterie de condensateurs dont l'objet est de réduire la consommation électrique de l'exploitation.

Il est incontestable que la fourniture et l'installation de ce matériel n'entrent pas dans le champ de compétences du Gaec des deux Abers qui ne dispose d'aucune compétence professionnelle particulière dans le domaine du contrat, dont l'économie n'apparaît pas indispensable à l'exercice d'éleveur de vaches laitières.

Il s'ensuit que l'objet du contrat litigieux n'entre pas dans le champ de l'activité principale du Gaec des deux Abers.

Par ailleurs, l'appelant certifie, par une attestation de son expert- comptable, n'employer aucun personnel salarié sur son exploitation dont l'activité repose entièrement sur les deux associés.

En conséquence, le contrat en date du 22 juin 2016, qui a été conclu hors établissement, à [Localité 3] (29) à l'adresse du Gaec, alors que le siège social de la société Afden se situe à [Localité 5] (94), est bien soumis aux règles du code de la consommation relatives aux contrats conclus hors établissement. Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions.

Sur la nullité du contrat :

Aux termes des articles L 121-18-1 et L. 121-17 devenus L. 221-9, L 221-5, L. 242-1, L. 111-1, R. 111-1 et R. 111-2 du code de la consommation, les ventes et fournitures de services conclues à l'occasion d'une commercialisation hors établissement doivent faire l'objet d'un contrat dont un exemplaire est remis au client, et notamment comporter, à peine de nullité, les mentions suivantes :

le nom du professionnel ou la dénomination sociale et la forme juridique de l'entreprise, l'adresse géographique de son établissement et, si elle est différente, celle du siège social, son numéro de téléphone et son adresse électronique,

le cas échéant, son numéro d'inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers,

les informations relatives à ses activités, pour autant qu'elles ne ressortent pas du contexte,

son éventuelle garantie financière ou l'assurance de responsabilité professionnelle souscrite par lui, ainsi que les coordonnées de l'assureur ou du garant,

les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du bien ou service concerné,

le prix du bien ou du service,

les modalités de paiement,

en l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à livrer le bien ou à exécuter le service,

les modalités prévues par le professionnel pour le traitement des réclamations,

s'il y a lieu, les informations relatives à la garantie légale de conformité, à la garantie des vices cachés de la chose vendue ainsi que, le cas échéant, à la garantie commerciale et au service après-vente,

la possibilité de recourir à un médiateur de la consommation,

lorsque le droit de rétractation existe, les conditions, le délai et les modalités d'exercice de ce droit ainsi que le formulaire de rétractation conforme au formulaire type figurant à l'annexe à l'article R. 121-1 devenu R. 221-1.

En l'espèce, le bon de commande laissé en possession du Gaec des deux Abers n'est pas conforme aux dispositions du code de la consommation puisqu'il ne comporte aucune indication sur les caractéristiques essentielles des biens, objet de l'opération, ni ne mentionne le prix global de la prestation.

De surcroît, les conditions, le délai et les modalités d'exercice du droit de rétractation, prévus par l'article L.221-5, ne sont pas reproduits dans le contrat, lequel, au demeurant, ne fait aucune référence à l'exercice d'une quelconque faculté de rétractation ni ne comporte de formulaire destiné à faciliter un tel exercice, privant ainsi le client de la possibilité de se rétracter.

Le contrat de prestation de services conclu le 22 juin 2016 entre le Gaec des deux Abers et la société Afden est donc entaché d'irrégularités. Ainsi et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres motifs de nullité invoqués ni de statuer sur le dol allégué, il convient d'en prononcer la nullité.

L'appelant demande la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Afden des sommes suivantes :

- 11 675,69 euros correspondant au financement du matériel,

- 2 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- 4 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Il sera toutefois constaté que la déclaration de créance effectuée, le 12 janvier 2021, entre les mains du mandataire liquidateur, par le Gaec des deux Abers porte uniquement sur les sommes de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, 3000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et 500 euros à parfaire au titre des dépens de procédure. Il n'est pas justifié d'une déclaration de créance à hauteur de 11 675,69 euros au titre du financement du matériel, dont il n'est d'ailleurs pas démontré qu'il ait été acquitté en totalité par le Gaec. Cette demande sera donc rejetée.

Par ailleurs, l'existence d'un préjudice distinct du préjudice déjà réparé par l'annulation du contrat de prestation de services n'est nullement caractérisée ni démontrée de sorte que le Gaec des deux Abers sera débouté de sa demande en dommages-intérêts.

En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge du Gaec des deux Abers l'intégralité des frais, non compris dans les dépens, qu'il a dû exposer à l'occasion de la procédure de première instance et d'appel. Aussi il convient de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Afden à la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 septembre 2018 par le tribunal d'instance de Brest,

Prononce la nullité du contrat de prestation de services en date du 22 juin 2016 conclu entre le Gaec des deux Abers et la société Agence française des énergies nouvelles,

Déboute le Gaec des deux Abers de sa demande tendant à l'inscription au passif de la liquidation de la société Agence française des énergies nouvelles à hauteur de 11 675,69 euros au titre du financement du matériel,

Déboute le Gaec des deux Abers de sa demande en dommages-intérêts,

Fixe à titre chirographaire, la créance du Gaec des deux Abers au passif de la liquidation judiciaire de la société Agence française des énergies nouvelles à la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ainsi que les dépens de première instance et d'appel,

Rejette toute demande plus ample ou contraire.