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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 24 septembre 2024, n° 21/02075

CHAMBÉRY

Autre

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Eurogroup (SAS)

Défendeur :

Lmp Acacias Plbm (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pirat

Conseillers :

Mme Reaidy, Mme Real del Sarte

Avocats :

Me Chauvin, SCP Armand - Chat et Associés, SELARL Rivage Avocat

CA Chambéry n° 21/02075

23 septembre 2024

Faits et procédure

M. [D] [Y] et Mme [P] [C] ont constitué la société LMP Acacias PLBM. Par acte notarié du 30 décembre 2002, la société LMP Acacias PLBM a acquis de la société Promotion et Vente un appartement dans un ensemble immobilier à usage d'habitation, destinée à constituer une résidence de tourisme, situé à [Localité 4] constituant les lots n°4 et 26 de la copropriété dénommée [Adresse 3].

Auparavant un bail commercial avait été signé le 24 avril 2002 entre M. [Y] et Mme [C] d'une part et la société Eurogroup d'autre part pour des lots de copropriété susmentionnés en VEFA pour une durée de neuf ans à compter du 22 décembre 2002, moyennant un loyer annuel net de 8 189 euros HT payable semestriellement à terme échu en deux échéances les 15 avril et 15 janvier, la première échéance étant le 15 juillet 2003.

Le 5 avril 2012, un avenant a été signé entre M. [Y] et Mme [C] et la société Eurogroup aux termes duquel le bail a été renouvelé pour une période de 9 ans, à compter du 22 décembre 2011, soit un terme fixé au 21 décembre 2020, moyennant un loyer annuel de 9 535 euros HT payable semestriellement à terme échu les 15 avril et 15 janvier, le premier versement intervenant le 15 juillet 2012.

Le 18 juin 2020 M. [Y], Mme [C] et la société LMP Acacias PLBM ont donné congé de leur bien sans renouvellement de bail à la société Eurogroup pour le 21 décembre 2020.

Le 3 juillet 2020, la société LMP Acacias PLBM a adressé à la société Eurogroup une quittance de loyer d'un montant de 7 581 euros TTC correspondant au loyer du 1er trimestre, à la révision des loyers et des retenues considérées comme non justifiées. Les charges provisionnelles récupérables des premier et deuxième trimestres 2020 pour une somme estimative de 3 031, 40 euros apparaissaient mentionnées « en attente ».

Par courrier du 7 septembre 2020, la société LMP Acacias PLBM a vainement mis en demeure la société Eurogroup de payer les sommes réclamées.

Par acte d'huissier du 11 décembre 2020, la société LMP Acacias PLBM a fait assigner la société Eurogroup devant le tribunal de commerce de Chambéry, notamment aux fins de la faire condamner à lui payer la somme de 20 840,68 euros.

Par jugement du 28 juillet 2021, le tribunal de commerce de Chambéry :

- s'est déclaré compétent ;

- a condamné la société Eurogroup à payer, en deniers ou quittances valables, à la société LMP Acacias PLBM :

- la somme de 13 332,28 euros, montant principal de la cause sus-énoncée,

- les intérêts au taux légal de cette somme à compter du 7 septembre 2020,

- la somme de 1 000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les dépens ;

- a liquidé les frais de greffe à la somme de 73,22 euros TTC avec TVA 20 % comprenant les frais de mise au rôle et de la présente décision ;

- a rejeté toutes autres demandes.

Au visa principalement des motifs suivants :

' Le litige pendant oppose une société à responsabilité limitée à une société anonyme simplifiée, soit deux sociétés commerciales au sens de l'article L. 210-1 du code de commerce, et il ne pose aucune question relevant du statut des baux commerciaux ;

' La révision triennale est possible uniquement tous les 3 ans et, suivant les dispositions de l'article R. 145-20 du code de commerce, son activation doit respecter un certain formalisme. Or, la société LMP Acacias PLBM n'a pas fait le nécessaire dans ce sens, elle n'est donc pas fondée à solliciter un loyer différent de celui convenu aux termes de l'avenant, soit 9 535 euros HT ;

' L'activité de location saisonnière en résidence de tourisme de la société Eurogroup a été rendue temporairement impossible par les mesures gouvernementales, or, la société LMP Acacias PLBM ne peut être considérée responsable de cette situation ;

' La société Eurogroup n'apporte aucune preuve de difficultés de trésorerie rendant impossible l'exécution de son obligation de payer les loyers ;

' Il n'existe aucune preuve que le bailleur ait manqué à ses obligations contractuelles rendant ainsi impossible la location du bien et l'exercice par le preneur de son activité ;

' La demande de réduction du loyer tardive étant rejetée par le bailleur dans ses conclusions, il ne pourra être fait droit à cette dernière ;

' La société Eurogroup ne peut imposer une révision du bail sans accord du bailleur.

Par déclaration au greffe du 19 octobre 2021, la société Eurogroup a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures du 19 mai 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Eurogroup sollicite l'infirmation de la décision et demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné à payer en deniers ou quittances valables à la société LMP Acacias PLBM :

- la somme de 13 332,28 euros montant principal de la cause,

- les intérêts au taux légal de cette somme à compter du 7 septembre 2020,

- la somme de 1 000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les dépens ;

Et statuant à nouveau,

- Se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire d'Albertville ;

Subsidiairement,

- Débouter la société LMP Acacias PLBM de ses demandes, fins et prétentions ;

- Dire et juger qu'elle est dispensée du paiement des loyers, indemnités d'occupation et charges dus du 15 mars au 11 mai 2020 et du 28 octobre 2020 au 1er décembre 2021 ;

- Dire et juger qu'en vertu du bouleversement des circonstances économiques du contrat et du principe d'exécution de bonne foi des contrats et de la perte de la chose louée, il y a lieu de réviser le montant du loyer dus du 15 mars au 11 mai 2020 et du 28 octobre 2020 au 1er décembre 2021 ;

Très subsidiairement,

- Dire et juger qu'elle pourra bénéficier d'un délai de deux ans pour s'acquitter des sommes qui seraient mises à sa charge ;

En tout état de cause,

- Dire et juger que le bail ne comporte pas de clause d'échelle mobile ;

- Débouter la société LMP Acacias PLBM de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamner la société LMP Acacias PLBM à lui verser une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat ;

- Condamner la société LMP Acacias PLBM à lui verser une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à assumer les entiers dépens de l'instance.

Par dernières écritures du 25 août 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société LMP Acacias PLBM sollicite de la cour de :

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a considéré que la société Eurogroup était tenue de régler la totalité des loyers de l'année 2020 ;

- Condamner, en conséquence, la société Eurogroup à lui payer la somme de 13 332,28 euros due au 31 décembre 2020, avec intérêts de droit dès le jour de la demande, outre la capitalisation des intérêts par application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Y ajoutant,

- Condamner la société Eurogroup à lui payer la somme de 2 634,82 euros au titre de la révision des loyers, arrêtée au 31 décembre 2020 ;

- Condamner également la société Eurogroup à lui payer la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et ce complémentairement à l'indemnité allouée par le tribunal ;

- Condamner la société Eurogroup aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 11 mars 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 7 mai 2024.

Motifs et décision

I - Sur la compétence du tribunal de commerce

Selon l'article R 145-23 du code de commerce :

« Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.

Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l'alinéa précédent.

La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l'immeuble »

Aux termes de l'article R 211-3-26 du code de l'organisation judiciaire, le tribunal judiciaire connaît seul « de l'une ou plusieurs des compétences suivantes : (') 2° Des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce (concernent la durée, le renouvellement et ses conditions, le refus de renouvellement, la sous-location, le montant du loyer, la résiliation); et « a compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et règlements au nombre desquelles figurent les matières suivantes : (') 11° Baux commerciaux à l'exception des contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, baux professionnels et conventions d'occupation précaire en matière commerciale ».

Antérieurement, lorsque le litige opposait deux commerçants et ne concernait pas directement le statut des baux commerciaux mais le droit commun, la compétence des tribunaux de commerce était retenue.

Une interprétation extensive de la compétence du tribunal judiciaire a conduit à exclure celle du tribunal de commerce comme le décide désormais la jurisprudence (Com 18 oct. 2016 n° 14 27.212, Civ 3ème 24 octobre 2019 n° 18 20 838).

En l'espèce, le litige porte sur l'application d'une clause d'échelle mobile ainsi que sur les modalités de la révision triennale du loyer de sorte qu'il concerne le statut des baux commerciaux et que le tribunal de commerce s'est déclaré à tort compétent.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Selon l'article 90 du code de procédure civile, « Lorsque le juge s'est déclaré compétent et a statué sur le fond du litige dans un même jugement rendu en premier ressort, celui-ci peut être frappé d'appel dans l'ensemble de ses dispositions.

Lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente.

Si elle n'est pas juridiction d'appel la cour en infirmant du chef de la compétence la décision attaquée, renvoie l'affaire devant la cour qui est juridiction d'appel relativement à la juridiction qui eut été compétente en première instance. Cette décision s'impose aux parties et à la cour de renvoi. »

La présente cour étant juridiction d'appel tant du tribunal de commerce que du tribunal judiciaire de de Chambéry, il y a lieu de statuer sur le fond du litige.

II ' Sur le mode de révision du loyer prévu par le bail

Selon l'article L 145-37 du code de commerce : « les loyers des baux d'immeubles ou de locaux régis par les dispositions du présent chapitre, renouvelés ou non, peuvent être révisés à la demande l'une ou l'autre des parties sous les réserves prévues aux articles L. 145-8 et L 145-9 et dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. »

L'article L 145-38, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, dispose que la demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable.

L'avenant portant renouvellement du bail prévoit en son article III concernant le loyer :

« Le loyer sera révisable triennalement en fonction des variations de l'indice des loyers commerciaux publié par l'INSEE.

La première révision légale du loyer pourra donc intervenir lors du paiement du semestre anniversaire, soit avec une prise d'effet du bail au 22/12/2011, la révision triennale pourra être demandée pour la première fois à compter du 22/12/2014, et le paiement du premier loyer révisé pourra intervenir au cours du mois de juillet 2015.

Pour le calcul de cette variation, il est expressément convenu que l'indice de base sera celui du 2ème trimestre 2011, et l'indice de référence celui du 2ème trimestre de chacune des années de révision, ceci afin que l'indice applicable à chaque période triennale du bail soit connu.

Ce texte fait ainsi référence à la révision légale prévue par l'article L 145-37 du code de commerce, laquelle, en application des dispositions de l'article R 145-20 du même code, doit être demandée par acte extra-judiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et doit, sous peine de nullité, préciser le montant du loyer demandé ou offert.

Elle ne constitue en aucun cas une clause d'échelle mobile caractérisée par son automaticité, sans demande du bailleur et sans nécessité d'un accord du preneur. Elle fait référence à la révision légale, au principe et aux modalités de cette dernière sans indication d'une prise d'effet automatique ou de plein droit.

Au motif que l'avenant comporte la mention finale suivante « Les articles du bail signé le 24 avril 2002 et ayant pris effet le 22 décembre 2002 restent inchangés » la société LMP fait valoir qu'il y a lieu de prendre en compte la clause de révision du loyer figurant dans le bail initial qui est ainsi libellée : « le loyer augmentera selon l'indice du coût de la construction INSEE ou l'indice publié en remplacement s'il venait à disparaître, à partir de la 4ème année avec pour base de référence la fin de la troisième année du bail. »

Elle soutient qu'il s'agit d'une clause d'échelle mobile laquelle peut se cumuler avec la révision triennale légale du loyer.

Or, l'avenant au bail est précédé d'un préambule, lequel mentionne notamment :

« En date du 24 avril 2002, le Bailleur a donné en gestion au Preneur son logement n°442 situé dans la résidence « [Adresse 3] » pour une durée de neuf ans à compter du 22 décembre 2002. A son terme, soit le 21 décembre 2011, et à la demande du preneur, des discussions relatives au montant du loyer se sont engagées aux termes desquelles les parties ont décidé de conclure le présent avenant qui annule, remplace et se substitue à tout autre accord ou arrangement antérieur. »

Si la dernière ligne de l'avenant excipée par la société LMP peut prêter à

confusion sur l'application des articles du bail initial, le contenu du préambule confirme que les nouvelles dispositions de l'avenant annulent les précédents accords et il n'est pas produit d'autre accord que le bail initial.

Il n'est fait, par ailleurs, aucune référence dans le bail initial au caractère automatique de la révision du loyer telle qu'elle doit s'appliquer pour une clause d'échelle mobile.

Ainsi, seul doit être retenu le principe de la révision triennale prévu à l'avenant, lequel supposait de former une demande conforme aux dispositions de l'article R 145-20 précité, ce qui n'a pas été le cas.

Il sera donc jugé que la société LMP ne pouvait réclamer un loyer différent de celui convenu aux termes de l'avenant soit 9 535 euros HT annuels, lequel se substituait au loyer initial de 8 189 euros HT.

III ' Sur le paiement des loyers

Pour solliciter une dispense de paiement des loyers, indemnités d'occupation et charges du 15 mars au 11 mai 2020 et du 28 octobre 2020 au 1er décembre 2021, la société Eurogroup fait valoir que l'activité de location en résidence de tourisme a été rendue temporairement impossible par les mesures gouvernementales, ordonnant la fermeture de tous les lieux publics non indispensables à la vie de la nation tels que les résidences de tourisme, et invoque divers fondements au soutien de sa demande.

' Sur la force majeure

La société Eurogroup fait valoir que le preneur qui n'a pu exploiter la chose louée selon sa destination à cause de la fermeture des locaux pendant la crise sanitaire peut obtenir la suspension de son obligation en invoquant la force majeure, laquelle est caractérisée lorsque l'événement est imprévisible, irrésistible et extérieur.

Par application de l'article 1218 du code civil, il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.

La force majeure se caractérise donc par la survenance d'un événement extérieur au débiteur, imprévisible et irrésistible, de sorte qu'il rende impossible l'exécution de l'obligation.

Or, en l'espèce, s'agissant d'une obligation de somme d'argent, le moyen tiré de la force majeure soulevé par la société Eurogroup pour s'opposer aux demandes en paiement de la bailleresse est inopérant en ce qu'une obligation de paiement d'une somme d'argent est toujours susceptible d'exécution, le cas échéant forcée, sur le patrimoine du débiteur. Elle n'est, par nature, pas impossible : elle est seulement plus difficile ou plus onéreuse. Aucun caractère irrésistible ne peut donc être retenu.

' Sur la perte de la chose louée

L'article 1722 du code civil dispose que : « Si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement. »

La société Eurogroup fait valoir que la décision administrative empêchant l'usage de la chose louée est assimilable à la perte de la chose louée qui peut être matérielle ou juridique de sorte qu'en application de ce texte elle est fondée à obtenir la dispense de paiement du loyer durant les périodes de confinement et que le loyer soit réduit durant les autres périodes.

Or, il est jugé que l'interdiction de recevoir du public résultant des différents confinements a été décidée, selon les catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique et qu'ainsi l'effet de ces mesures générales et temporaires, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne pouvait être assimilé à la perte de la chose au sens de l'article 1722 du code civil (3ème Civ, 30 juin 2022 n° 21-19.889, 3ème Civ. 30 juin 2022 n° 21-20.127, 3ème Civ. 30 juin 2022 n° 21-20.190)

Le moyen est donc inopérant.

' Sur l'obligation de délivrance

Selon l'article ancien 1131 du code civil applicable aux faits de l'espèce, « l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet. »

L'article 1719 du code civil énonce que « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée (')

3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. »

De la même manière, il est jugé que l'interdiction de recevoir du public, décidée selon les catégories d'établissements recevant du public, résultant des décisions administratives prises l'ont été aux seuls fins de garantir la santé publique, et que cette interdiction sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne pouvait être imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne pouvait leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance et que la société Eurogroup ne peut valablement exciper de l'exception d'inexécution (3ème Civ, 30 juin 2022 n° 21-19.889, 3ème Civ. 30 juin 2022 n° 21-20.127, 3ème Civ. 30 juin 2022 n° 21-20.190).

' Sur le bouleversement des circonstances économiques du contrat

Au visa de l'article 1195 du code civil, la société Eurogroup fait valoir que les circonstances sanitaires qui ont rendu imparfaite l'exécution du bail justifient une réduction sensible du montant des loyers précisant que les circonstances ont perturbé l'équilibre général du contrat et qu'elles n'étaient pas prévisibles lors de sa conclusion.

Elle sollicite que le montant du loyer soit réduit jusqu'à la reprise normale des conditions d'exploitation en ce compris l'absence de contrainte pour tous voyageurs soit à minima jusqu'au 1er décembre 2021.

Or, d'une part l'article 1195 du code civil est issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er octobre 2016, avec cette précision que les contrats conclus avant cette date, comme en l'espèce, sont restés soumis à la loi ancienne y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public.

Or sous l'égide de la loi antérieure, en application de l'article 1134 ancien du code civil, le principe était l'intangibilité des conventions et l'impossibilité pour le juge judiciaire de modifier la convention des parties en raison d'un changement de circonstances.

D'autre part, et en tout état de cause, l'article 1195 du code civil prévoit que le bouleversement du contrat donne lieu, soit à sa renégociation voire à une révision judiciaire ou à une résiliation, et que concernant la révision, celle-ci est régie par les dispositions des articles L. 145-38 et L. 145-39 du code de commerce.

La révision du contrat ne peut en tout état de cause être envisagée que pour l'avenir et n'a aucun effet rétroactif. En effet, cette renégociation du contrat ne vaudrait que pour les obligations à venir du locataire et non sur celles passées, de sorte que le moyen tiré du bouleversement de l'économie du contrat est inopérant en l'espèce, étant précisé au surplus que la société LMP a donné congé sans offre de renouvellement à la société Eurogroup pour le 21 décembre 2020.

IV - Sur les conditions d'exécution du contrat et la mauvaise foi alléguée de la société LMP

Il résulte des pièces produites que la société Eurogroup qui a adressé une lettre circulaire le 29 avril 2020 aux propriétaires de la résidence [Adresse 3], pour indiquer que les circonstances actuelles ne lui permettaient pas de maintenir les conditions contractuelles régissant le règlement des loyers normalement exigibles et ce à minima durant la période de fermeture de ses résidences, n'a en fait versé aucun loyer sur la période allant du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020 et ne justifie d'aucune proposition de règlement même partielle.

Il est regrettable qu'elle n'ait pas pris les devants afin de négocier une révision ou une adaptation des conditions du bail avec son bailleur.

Dès lors, aucune mauvaise foi dans l'exécution du contrat ne peut être imputée à la société LMP de sorte que la demande indemnitaire de la société Eurogroup à hauteur de 10 000 euros présentée pour la première fois en appel, ne peut qu'être rejetée.

V ' Sur le montant des sommes dues et la demande de délais de paiement

Au vu des justificatifs produits, l'arriéré ,au 21 décembre 2020, en loyers et charges, s'établit à la somme de 13 332,28 euros TTC, que la société Eurogroup sera condamnée à payer avec intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2020, date de la mise en demeure.

Conformément à la demande de la société LMP, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, sur cette somme.

Au regard des capacités financières de la société Eurogroup, du montant des loyers dus, des délais que cette dernière s'est octroyée pendant plus d'une année, la demande de délais de paiement ne peut qu'être rejetée.

VI ' Sur les demandes accessoires

La société Eurogroup qui échoue en son appel est tenue aux dépens exposés en appel.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société LMP.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement en ses dispositions concernant la compétence d'attribution du tribunal de commerce de Chambéry,

Statuant à nouveau,

Déclare le tribunal de commerce incompétent pour statuer sur ce litige,

Faisant application des dispositions de l'article 90 du code de procédure civile,

Condamne la société Eurogroup à payer à la société LMP Acacias PLBM la somme de 13 332,28 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2020,

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière sur la somme de 13 332,28 euros TTC due par la société Eurogroup,

Déboute la société Eurogroup de sa demande indemnitaire pour exécution de mauvaise foi du bail par la société LMP Acacias PLBM,

Condamne la société Eurogroup aux dépens d'appel,

Condamne la société Eurogroup à payer à la société LMP Acacias PLBM la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 24 septembre 2024

à

la SCP ARMAND - CHAT ET ASSOCIES

Me Romane CHAUVIN

Copie exécutoire délivrée le 24 septembre 2024

à

Me Romane CHAUVIN