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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 24 septembre 2024, n° 20/09872

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Espace de Location (SAS)

Défendeur :

Espace de Location (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brue

Conseillers :

Mme Ouvrel, Mme Allard

Avocats :

Me Romieu, Me Cabrol, Me Grosso

TJ Aix-en-Provence, du 3 sept. 2020, n° …

3 septembre 2020

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [L] [E] était propriétaire d'un local commercial situé [Adresse 7]. Le bien a été donné à bail à la société AGL suivant contrat du 21 août 2001 pour une durée de 9 ans.

Selon acte sous seing privé du 16 août 2005, la société AGL a cédé son fonds de commerce à la SAS Espace de Location EDL, qui exploite un fonds de commerce de location de véhicules sous la dénomination Lovauto. La cession a été notifiée à M. [L] [E] qui a renouvelé le bail.

Par jugement du 22 mars 2016, M. [L] [E] a été placé sous mesure de tutelle dont la gestion a été confiée à Mme [J] [E], sa fille.

Par ordonnance du 3 juin 2016, le juge des tutelles a autorisé Mme [J] [E], ès qualités de tutrice de M. [L] [E], conformément à sa requête à cette fin, à vendre à l'amiable le local commercial et le hangar situés [Adresse 7] à [Localité 10] au prix de 225 000 € nets vendeur payables comptant à la signature de l'acte authentique.

Le 28 mars 2017, Mme [J] [E] a confié à l'agence immobilière du cours un mandat de vente n°1491 du bien au prix de 270 000 € avec honoraires de négociation fixés à 15 000 €, sans précision du débiteur de cette somme, acquéreur ou vendeur.

- 2-

Le 8 juin 2017, Mme [J] [E], agissant en qualité de tutrice de M. [L] [E], a régularisé un compromis de vente avec la SCI des Salins portant sur le local commercial au prix de 265 000 € payables comptant le jour de la signature de l'acte authentique, le vendeur ayant seul la charge de la rémunération de 15 000 € TTC due à l'agence immobilière du cours.

Par courrier recommandé du 15 juin 2017, reçu le 19 juin 2017, Mme [Y] [P], notaire de M. [L] [E], a informé la SAS Espace de Location EDL de l'intention du bailleur de vendre l'immeuble qu'elle occupe au titre du bail commercial et lui en a proposé l'acquisition, en application des dispositions résultant de l'article L 145-46-1 du code de commerce au conditions suivantes : 'prix de 265 000 € payable comptant le jour de la signature de l'acte authentique de vente auquel il convient d'ajouter le paiement des frais, droits et émoluments de l'acte authentique évalués à la somme de 20 200 €, en ce non compris les frais de prêt. Les honoraires de commission d'intermédiaire qui sont à la charge du vendeur (qui) sont inclus dans ce prix.'

Par courrier du 12 juillet 2017, la SAS Espace de Location EDL exerçant sous l'enseigne Lovauto a informé Mme [Y] [P], notaire, de son intention de se porter acquéreur du bien aux conditions fixées et de recourir à un prêt. La date pour la réitération en la forme authentique de la vente en la forme authentique a été fixée au 9 novembre 2017.

Le 7 novembre 2017, les parties ont signé un avenant au mandat n°1491 précisant le prix net vendeur de 255 000 € auxquels s'ajoute 15 000 € d'honoraires d'agence à la charge du vendeur représentant un prix, frais d'agence inclus, de 270 000 €.

Considérant que les conditions de la vente avaient été modifiées une heure avant la signature- de l'acte, par suite de l'insertion d'une clause mettant à sa charge des travaux de dépollution du site en lien avec la présence d'une cuve de carburant, la SAS Espace de Location EDL a pris acte de l'offre du notaire du vendeur de proroger le délai à un mois pour régulariser l'acte de vente, par acte du 13 novembre 2017.

La vente n'a pas été régularisée.

Par acte du 28 novembre 2017, la SAS Espace de Location EDL a assigné Mme [J] [E], ès qualités de tutrice de M. [L] [E], afin de voir constater une vente parfaite au prix de 250 000 €, outre 15 000 € d'honoraires d'agence à la charge du vendeur, et forcée des locaux à son profit, ainsi qu'aux fins d'être indemnisée des frais de dépollution et de dommages et intérêts.

Par actes des 19 et 27 février 2010, Mme [J] [E] a fait assigner en garantie Mme [Y] [P], notaire à [Localité 10], et M. [T] [B], notaire à [Localité 10].

Les procédures ont été jointes le 3 septembre 2019.

Par jugement réputé contradictoire en date du 3 septembre 2020, le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a :

débouté la SAS Espace de Location EDL de toutes ses demandes,

débouté Mme [J] [E], ès qualités de tutrice de M. [L] [E], de son appel en garantie à l'encontre de Mme [Y] [P], notaire à [Localité 10], et de M. [T] [B], notaire à [Localité 10],

condamné Mme [Y] [P], notaire à [Localité 10], à payer à Mme [J] [E], ès qualités de tutrice de M. [L] [E], la somme de 3 500 € à titre de dommages et intérêts,

débouté Mme [J] [E] ès qualités de tutrice de M. [L] [E] de ses demandes indemnitaires contre M. [T] [B], notaire à [Localité 10],

débouté Mme [J] [E] ès qualités de tutrice de M. [L] [E] de ses demandes reconventionnelles de dommages et intérêts contre la SAS Espace de Location EDL,

- 3-

condamné Mme [Y] [P], notaire à [Localité 10], à verser à Mme [J] [E], ès qualités de tutrice de M. [L] [E], la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté la SAS Espace de Location EDL de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

rejeté le surplus des demandes,

condamné la SAS Espace de Location EDL au paiement des dépens de la procédure,

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.

D'une part, le tribunal a estimé que la chose objet du contrat de vente était parfaitement déterminée au moment de l'offre du vendeur, que la SAS Espace de Location EDL avait été informée dès le 18 juillet 2017 de l'existence d'une cuve sur le site, que la SAS Espace de Location EDL connaissait parfaitement le site pour le louer depuis 12 ans, qu'elle était donc libre d'accepter ou non l'acquisition si elle estimait que les conditions portant sur la chose objet du contrat étaient modifiées par l'insertion d'une clause relative à ladite cuve et aux frais potentiels de dépollution du site. Le tribunal a ajouté que la situation de pollution du site n'était en outre pas établie avec certitude, de sorte que rien ne permettait à la SAS Espace de Location EDL d'exiger que le vendeur supporte de potentiels frais de dépollution.

D'autre part, le tribunal a estimé que la précision relative au montant des honoraires d'intermédiaire et le prix auquel le locataire pouvait acquérir le bien faisait défaut dans l'offre faite au locataire par le notaire du vendeur dans le courrier recommandé du 15 juin 2017, de sorte qu'il n'y avait pas eu d'accord sur le prix de chose vendue. Il a retenu que le prix indiqué de 265 000 € n'était pas celui dont le locataire devait s'acquitter à l'occasion de l'exercice de son droit de préférence, sans que ce dernier ait pu connaître le montant des honoraires de l'agent immobilier.

Le tribunal en a déduit que la vente n'était pas parfaite et ne pouvait être forcée.

Selon déclaration reçue au greffe le 15 octobre 2020, la SAS Espace de Location EDL a interjeté appel de cette décision, l'appel portant uniquement sur le rejet de ses demandes ainsi que sa condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Le 30 décembre 2020, M. [L] [E] est décédé, laissant 4 enfants pour lui succéder, Mme [J] [E], Mme [F] [E] épouse [M], M. [I] [E] et Mme [S] [E].

Par dernières conclusions transmises le 24 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS Espace de Location EDL sollicite de la cour qu'elle :

déclare recevable et bien fondé son appel,

réforme le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes, l'a condamnée au paiement des dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau :

À titre principal :

constate qu'elle a convenu avec Mme [J] [E], ès qualités de tutrice de M. [L] [E], de lui acheter le bien immobilier situé [Adresse 7], cadastré section AM [Cadastre 5], comprenant une parcelle de terrain sur laquelle sont édifiées deux bâtiments, savoir un local commercial élevé d'un simple rez-de-chaussée, un hangar de plusieurs travées, au prix de 265 000 €,

dise que le prix de vente du bien immobilier susvisé doit être diminué de la somme de 15 000 euros d'honoraires d'agence indus et fixe le prix de la vente à la somme de 250 000 €,

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dise que la vente du bien immobilier susvisé est parfaite entre eux, et que le transfert de propriété de ceux-ci est acquis de droit à son profit,

constate qu'elle est disposée à remettre au vendeur le prix de vente qui sera fixé,

constate la nullité du mandat de vente,

En tout état de cause :

' dise que l'arrêt qui sera rendu vaudra vente et sera publié au bureau des hypothèques du lieu de situation de l'immeuble, pour valoir titre de propriété,

' ordonne aux vendeurs de délivrer le bien vendu à la demanderesse,

' dise que les travaux de dépollution nécessaires seront mis à la charge exclusive du vendeur,

A titre subsidiaire :

' condamne solidairement Mme [J] [E], Mme [F] [E] épouse [M], M. [I] [E] et Mme [S] [E] à lui payer la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts,

' déboute Mme [J] [E], Mme [F] [E] épouse [M], M. [I] [E] et Mme [S] [E] de l'ensemble de leurs demandes,

' condamne solidairement Mme [J] [E], Mme [F] [E] épouse [M], M. [I] [E] et Mme [S] [E] à payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamne solidairement Mme [J] [E], Mme [F] [E] épouse [M], M. [I] [E] et Mme [S] [E] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Sur l'exécution forcée de la vente, l'appelante soutient qu'aux termes de l'offre qu'elle a reçu le 19 juin 2017 et en application de l'exercice de son droit de préférence le 12 juillet suivant, les parties ont convenu de la vente du bien immobilier situé [Adresse 7] à [Localité 10] au prix de 265 000 €, payable comptant le jour de la signature de l'acte authentique. Elle estime donc la vente parfaite à la date du 12 juillet 2017.

La SAS Espace de Location EDL fait valoir que la clause relative à la prise en charge par l'acquéreur des frais de dépollution résulte d'une modification unilatérale des conditions de vente par le vendeur, ces éléments n'étant pas précédemment dans le champ contractuel et n'ayant pas été portés à sa connaissance par le vendeur lors de la transmission de l'offre. L'appelante fait valoir que le courriel mis en avant par les intimés date du 18 juillet 2017, donc postérieurement à son acceptation qui a formalisé le caractère parfait de la vente. La SAS Espace de Location EDL s'appuie sur l'article L 145-46-1 du code de commerce pour assurer que l'offre faite dans ce cadre par le vendeur doit reprendre toutes les conditions particulières de la vente, et pas seulement les informations générales sous prétexte que le locataire connaît le bien. Elle conteste avoir connu l'existence d'un cuve sur le site, malgré son occupation des lieux depuis 12 ans. Elle affirme donc qu'ici le vendeur a ajouté de nouvelles conditions de vente postérieurement à l'acceptation des seuls éléments contractuels connus, étant observé que le compromis signé par Mme [J] [E] ès qualités avec la SCI Les Salins ne lui a jamais été communiqué. Elle ajoute qu'en tout état de cause, les honoraires de l'intermédiaire immobilier ne peuvent être mis à sa charge, dans le cadre de son droit de préférence. Elle en déduit que la vente doit être reconnue au prix de 250 000 €.

S'agissant de la prise en charge du coût de la réhabilitation du site, la SAS Espace de Location EDL fait valoir que Mme [J] [E] avait communiqué à la SCI Les Salins l'état de risque de pollution des sols dans le cadre du compromis signé le 8 juin 2017, mais ne l'a pas avisée, elle, de ce risque dans son offre du 15 juin suivant. Sur le fondement de l'article L 514-20 du code de l'environnement, l'appelante entend donc, à titre principal, que le vendeur supporte les frais de dépollution. A titre subsidiaire, elle s'estime victime de manoeuvres dolosives par défaut d'information de cette pollution du sol, et entend obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

En outre, la SAS Espace de Location EDL soutient que le mandat de vente signé le 28 mars 2017 est nul pour ne comporter aucune indication de la partie qui a la charge des honoraires de l'intermédiaire, cette carence ayant été palliée par le notaire lors de la notification du droit de préférence le 15 juin 2017. L'appelante fait valoir que l'avenant dont les intimés se prévalent, en date du 9 novembre 2017 est inopérant. Elle en déduit qu'en aucun cas, les honoraires de l'agent immobilier ne peuvent lui incomber.

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Enfin, s'agissant de l'appel incident des intimés, la SAS Espace de Location EDL soutient qu'aucun comportement fautif de sa part n'est justifié, de sorte que toute demande de dommages et intérêts doit être rejetée.

Par dernières conclusions transmises le 10 juin 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [J] [E], Mme [F] [E] épouse [M], M. [I] [E], Mme [S] [E], tous ès qualités d'héritiers de M. [L] [E], décédé le 30 décembre 2020, sollicitent de la cour qu'elle :

déboute la SAS Espace de Location EDL de toutes ses demandes,

Sur l'appel principal :

confirme le jugement en ce qu'il a débouté la SAS Espace de Location EDL de ses demandes et l'a condamnée aux dépens,

Sur l'appel incident :

réforme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [J] [E], ès qualités de tutrice de M. [L] [E], de ses demandes reconventionnelles de dommages et intérêts contre la SAS Espace de Location EDL,

condamne la SAS Espace de Location EDL à leur payer la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

En tout état de cause :

condamne la SAS Espace de Location EDL à leur verser 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Les intimés font valoir la mauvaise foi de l'appelante, rappelant que Mme [J] [E] a engagé des discussions avec elle dès 2016 pour la vente des locaux, sans succès compte tenu du manque de réactivité de la SAS Espace de Location EDL, et soulignant le caractère contradictoire de l'attitude de celle-ci qui refuse la signature de l'acte prenant prétexte de la présence d'une cuve, dont elle était antérieurement informée, pour refuser de signer la vente, tout en assignant ensuite en vente forcée.

S'agissant du caractère parfait de la vente, les intimés soutiennent qu'ils ont parfaitement rempli leur obligation d'information de l'acquéreur quant à l'existence potentielle d'une cuve, ce dans le délai d'un mois suivant la notification de son droit de préférence, cette information étant rentrée dans le champ contractuel. Ils font valoir que la vente ne pouvait être parfaite au 12 juillet 2017 puisqu'il existait une condition suspensive d'obtention d'un prêt. Compte tenu de la contestation relative à la cuve, en tout état de cause, ils estiment que l'appelante ne peut faire valoir un accord des parties sur la chose. Les intimés assurent que la SAS Espace de Location EDL n'a en rien été lésée puisque les conditions de vente auprès de la SCI des Salins sont identiques et qu'elle a été informée de la présence de la cuve, non pas une heure avant la vente, mais dès le 18 juillet 2017.

A titre principal, les intimés soutiennent que la vente ne peut être parfaite, faute d'accord sur la chose et sur le prix puisque la notification du 15 juin 2017 n'était pas de nature à décrire précisément la chose objet de la vente, et faute de signature d'un compromis, sur la base d'un simple projet.

A titre subsidiaire, si la cour devait considérer la vente parfaite et la notification du 15 juin 2017 conforme et suffisante, alors, ils soutiennent que cette vente est parfaite au 9 novembre 2017 et au prix de 265 000 €.

S'agissant des travaux de dépollution, les intimés soutiennent que la SAS Espace de Location EDL a été informée par son notaire et qu'il lui appartient, si elle estime cette information insuffisante, qu'elle se retourne contre son notaire. S'appuyant sur l'article L 514-20 du code de l'environnement, ils font en outre valoir qu'il n'est pas démontré que l'installation en cause soit soumise à autorisation ou enregistrement, et donc qu'elle relève de ces dispositions. Quand bien même, elle ressortirait de cette réglementation, les intimés assurent avoir informé l'acquéreur par écrit, comme exigé, des risques encourus, étant observé que cette information doit ressortir de l'acte de vente alors qu'aucun compromis n'a été signé entre les parties. Ils ajoutent qu'au vu de l'activité exercée par la SAS Espace de Location EDL dans les lieux et ce depuis douze ans, une éventuelle pollution du site n'empêche en rien la poursuite de son exploitation.

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Les intimés soutiennent, par ailleurs, que la commission d'agence à hauteur de 15 000 € est due, ayant toujours été incluse dans le prix de vente, ce que l'appelante savait quant elle a accepté ce prix, et, que la SAS Espace de Location EDL ne peut solliciter la nullité du mandat de vente, étant tiers à ce contrat. En tout état de cause, ils invoquent le mandat de mars 2017 et son avenant du 9 novembre 2017 pour assurer qu'il comporte toutes les mentions requises et n'est donc pas invalide. Ils affirment encore que les honoraires sont dus, correspondent à un vrai travail d'intermédiaire, rendu nécessaire par l'attitude même de l'appelante, qui a accepté de les payer en acceptant l'offre sans réserve alors que celle-ci précisait que le prix incluait les honoraires d'agence.

S'agissant de la demande d'indemnisation présentée par la SAS Espace de Location EDL, les intimés contestent l'existence d'un préjudice par elle souffert, ainsi que d'une faute de la part de Mme [J] [E] qui a satisfait à toutes ses obligations. Ils font au contraire valoir que le retard pris dans la vente résulte de la seule attitude de l'appelante.

A titre incident, les intimés assurent subir un préjudice du fait de l'attitude de la SAS Espace de Location EDL qui s'obstine à poursuivre déraisonnablement cette vente judiciaire, après avoir mis en échec les pourparlers et avoir retardé la vente d'un bien destinée à financer la maison de retraite de feu M. [L] [E]. Ils demandent donc à en être indemnisés.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 28 mai 2024, révoquée et de nouveau clôturée le 11 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution forcée de la vente

En vertu de l'article 1583 du code civil, la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.

Par application de l'article L145-46-1 du code de commerce, dans sa version ici applicable, lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d'acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois.

Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet.

(...)

Les dispositions des quatre premiers alinéas du présent article sont reproduites, à peine de nullité, dans chaque notification.

En l'occurrence, par ordonnance du 3 juin 2016, le juge des tutelles a autorisé Mme [J] [E], tutrice de M. [L] [E], à vendre le bien appartenant à ce dernier composé d'un local commercial situé [Adresse 7], alors loué à la SAS Espace de Location EDL depuis août 2005, au prix net vendeur de 225 000 € payable comptant.

Le 28 mars 2017, Mme [J] [E] a confié à l'agence immobilière du Cours un mandat de vente n°1491 du bien au prix de 270 000 € avec honoraires de négociation fixés à 15 000 €, sans précision du débiteur de cette somme, acquéreur ou vendeur.

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Le 8 juin 2017, Mme [J] [E], agissant en qualité de tutrice de M. [L] [E], a régularisé un compromis de vente avec la SCI des Salins portant sur le local commercial au prix de 265 000 € payables comptant le jour de la signature de l'acte authentique, le vendeur ayant seul la charge de la rémunération de 15 000 € TTC due à l'agence immobilière du Cours.

Par la voix de son notaire, Mme [Y] [P], le propriétaire bailleur, représenté par sa tutrice, Mme [J] [E], a dénoncé à la SAS Espace de Location EDL, sa locataire, son droit de préférence, par l'envoi d'un courrier recommandé du 15 juin 2017 dont cette dernière a accusé réception le 19 juin 2017, dans les termes suivants :

"Je vous informe que M. [L] [E] entend procéder à la vente du local à usage commercial/artisanal que vous louez à [Adresse 1]. Le prix de vente de l'immeuble est de 265 000 €, prix payable comptant le jour de la signature de l'acte authentique de vente.

Auquel il y a lieu d'ajouter le paiement des frais, droits et émoluments de l'acte authentique de vente évaluée à la somme de 20 200 €, en ce non compris les frais de prêt.

Les honoraires de commission d'intermédiaires qui sont à la charge du vendeur sont inclus dans ce prix.

En vertu de l'article L 145-46-1 du code de commerce, le locataire bénéficie dans votre cas d'un droit de préférence. Ainsi, vous voudrez bien, dans le délai d'un mois à compter de la réception de la présente notification, faire connaître à l'office notarial par courrier recommandé avec demande d'accusé réception si vous entendez ou non acquérir ces locaux au prix et conditions prévus. "

Cette notification du droit de préférence comprend en outre la reprise des quatre premiers alinéas de l'article L 145-46-1 du code de commerce.

Le 12 juillet 2017, par lettre recommandée avec accusé de réception, donc dans le mois de la notification de l'offre de vente, la SAS Espace de Location EDL a effectivement exercé son droit de préférence en indiquant : 'pour faire suite à votre lettre du 15 juin reçue le 19 juin 2017, je vous informe que je me porte acquéreur du bien aux conditions mentionnées. Je vous informe que j'ai l'intention de recourir à un prêt'.

Il résulte d'un courrier adressé par Mme [Y] [P], notaire, à Mme [J] [E], en date du 17 avril 2018, que le notaire du vendeur indique avoir transmis au notaire de l'acquéreur, le 18 juillet 2017, divers éléments en sa possession, ce dernier sollicitant le titre de propriété, l'état des servitudes, les diagnostics, permis de construire, etc. Mme [Y] [P] précise avoir répondu au notaire de la SAS Espace de Location EDL en ces termes :

"Je n'ai pas connaissance de servitudes, toutefois le vendeur m'a déclaré que le bien était antérieurement occupé pour une activité de négociant en vin et que les camions de livraison étaient alimentés en carburant sur place. Par suite il est vraisemblable qu'il y ait eu sur ce site une cuve, peut-être enterrée, dont on ignore si elle existe encore. Je vous adresserai les états des risques de pollution des sols dès que possible, lesdits états ne faisant pas mention d'un site sur le bien vendu."

Le compromis de vente signé le 8 juin 2017 par Mme [J] [E], ès qualités de tutrice de M. [L] [E], avec la SCI des Salins, mentionnait expressément en page 13, au titre des dispositions relatives à la protection de l'environnement : 'le vendeur déclare qu'à sa connaissance aucune activité polluante n'a été exercée sur ce bien, ni installation classée n'a été installée sur ce terrain ; en effet, avant d'être loué au locataire actuel, ce bien a été essentiellement occupé par une activité de négociant en vin. Le vendeur déclare toutefois que les camions de transports étaient alimentés en carburant sur place. Par suite, il est vraisemblable qu'il y ait eu sur ce site, une cuve, enterrée ou pas. L'acquéreur déclare être informé de cette situation et en faire son affaire personnelle. Il déclare être informé de la nécessité de s'assurer de la pollution du sol, en cas de projet de construction, en particulier pour un usage d'habitation'.

Or, le projet d'acte de vente soumis à la SAS Espace de Location EDL ne comprenait que la reprise des dispositions de l'article L 514-20 du code de l'environnement, et non les mentions relatives à la présence vraisemblable d'une cuve enterrée ainsi qu'à la prise en charge du coût éventuel de dépollution du site par l'acquéreur.

- 8-

C'est ainsi que le 9 novembre 2017, jour convenu pour la signature du compromis de vente entre Mme [J] [E], ès qualités, et la SAS Espace de Location EDL, une modification du projet de vente a été sollicitée par la venderesse, en vue d'intégrer au compromis des mentions similaires à celles figurant dans le compromis signé le 8 juin 2017 avec la SCI des Salins.

La SAS Espace de Location EDL a invoqué une modification des conditions de la vente et a refusé la signature du compromis modifié.

Il appert ainsi qu'alors que l'offre de vente dénoncée au locataire par le bailleur dans le cadre de l'article L 145-46-1 du code de commerce doit être aussi précise que possible et correspondre exactement au prix et conditions de la vente envisagée, tel n'a pas été le cas de l'offre adressée le 15 juin 2017 et reçue par la SAS Espace de Location EDL le 19 juin 2017. En effet, celle-ci ne comprenait aucune mention relative à la présence potentielle d'une cuve et de coûts possibles de dépollution du site, ce dont pourtant Mme [J] [E], ès qualités, avait parfaitement conscience puisque le compromis signé avec le premier acquéreur envisagée, la SCI des Salins, en faisait pleinement état. Or, cette dénonciation par le propriétaire bailleur vaut offre de vente. Celle-ci a été acceptée en l'espèce le 12 juillet 2017 par la SAS Espace de Location EDL, donc dans le délai qui lui était imparti, celle-ci indiquant 'se porter acquéreur du bien aux conditions mentionnées'.

Certes, dans le délai d'acceptation de l'offre, dont bénéficie l'acquéreur, le vendeur, par la voix de son notaire, a fait état de l'existence possible de cette cuve. Or, cet élément ne peut être considéré comme inclus dans l'offre de vente, et, est partiel, puisque la charge de la dépollution éventuelle du site n'est pas envisagée. Le mail adressé le 18 juillet 2017 par le notaire de Mme [J] [E], tutrice de M. [L] [E], au notaire de la SAS Espace de Location EDL, ne peut valoir complément à l'offre de vente du 15 juin 2017 alors que celle-ci avait été acceptée le 12 juillet 2017. Il a pourtant pour objet de spécifier la chose vendue, et non de développer le devoir d'information du vendeur.

Par ailleurs, le fait que la SAS Espace de Location EDL envisage de recourir à un prêt, de sorte qu'une condition suspensive d'obtention du prêt devait être incluse dans le compromis, est sans incidence sur l'appréciation de l'accord des parties sur la chose et sur le prix, au sens de l'article 1583 du code civil.

De plus, la connaissance présumée du site par la SAS Espace de Location EDL, locataire des lieux depuis plus de douze ans, ne peut décharger le vendeur de ses propres obligations, et, surtout, ne règle pas la question de la charge du coût de dépollution.

Il apparaît également qu'aucun diagnostic n'a été réalisé en termes de pollution du site, de sorte que la réalité de l'atteinte environnementale n'est pas démontrée avec certitude. De même, il n'est pas établi que l'installation précédemment exploitée dans les lieux soit une installation soumise à autorisation ou à enregistrement, de sorte qu'il n'est pas justifié que les dispositions de l'article L 514-20 du code de l'environnement s'appliquent effectivement.

Dès lors, il appert qu'aucun accord sur la chose vendue n'est intervenu puisque, d'une part, l'offre de vente du 15 juin 2017 est incomplète à ce titre, n'en faisant pas état, de sorte que l'acceptation de l'acquéreur n'a pu porter sur la chose réellement existante et clairement déterminée, et, d'autre part, précisément, la SAS Espace de Location EDL a immédiatement remis en cause la présence d'une cuve sur le terrain, ainsi que le sort du coût de dépollution potentiellement induit.

En outre, par ailleurs, il convient d'apprécier l'existence ou non d'un accord des parties sur le prix de vente.

L'offre de vente notifiée au preneur à bail commercial, au sens de l'article L 145-46-1 du code de commerce ne peut, en principe, inclure dans le prix offert des honoraires de négociation d'un agent immobilier, dès lors qu'aucun intermédiaire n'est nécessaire ou utile pour réaliser la vente qui résulte de l'effet de la loi. Aussi, il est admis que la seule mention dans la notification de vente, en sus du prix principal, du montant des honoraires de l'agent immobilier, n'est pas une cause de nullité de l'offre de vente puisqu'il n'y a pu y avoir aucune confusion dans l'esprit du preneur, qui savait ne pas avoir à en supporter la charge.

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Il convient cependant que le prix de vente en principal puisse être clairement identifié.

Or, l'offre du 15 juin 2017, acceptée 'aux conditions mentionnées' le 12 juillet 2017, mentionnait un prix de vente de 265 000 € incluant les honoraires de commission d'intermédiaires dont le montant n'était pas précisé. Ces seuls éléments ont été communiqués à la SAS Espace de Location EDL qui n'avait pas connaissance du mandat de vente du 28 mars 2017, n'engageant que Mme [J] [E], ès qualités de tutrice de M. [L] [E], et l'agence immobilière du Cours, et faisant état d'honoraires d'intermédiation à hauteur de 15 000 € relativement à un prix de vente déterminé à hauteur de 270 000 €.

La validité de ce mandat de vente, ensuite complété par avenant du 7 novembre 2017 quant au montant du prix de vente en principal à 255 000 € et donc quant à la charge de ces frais d'agence supportés par le vendeur, ne saurait être directement contestée par la SAS Espace de Location EDL qui n'est pas partie à cet acte. En tout état de cause, aucune conséquence juridique n'est tirée par les parties d'une potentielle nullité de celui-ci. De plus, il est acquis que les honoraires de l'agent immobilier ne peuvent être mis à la charge du preneur qui se porte acquéreur des locaux dans les conditions de l'article L 145-46-1 du code de commerce.

Il n'est pas davantage justifié de la communication préalable à la SAS Espace de Location EDL de la teneur du compromis de vente signé le 8 juin 2017 par l'intimée avec la SCI des Salins.

Au demeurant, il convient d'observer que la SAS Espace de Location EDL a accepté le 12 juillet 2017 l'offre du 15 juin 2017 'aux conditions mentionnées, celles-ci faisant état du prix de 265 000 €, honoraires inclus, sans émettre donc aucune réserve sur la charge de ses honoraires. Il en résulte que si le principe de ceux-ci ne peut être mis à sa charge, il n'en demeure pas moins que leur quantum n'est pas déterminé dans les documents échangés entre le bailleur-vendeur et le locataire-acheteur, de sorte que le prix en principal du bien concerné n'est pas déterminé.

Force est de relever qu'il n'existait donc pas non plus d'accord manifesté et matérialisé le 12 juillet 2017 sur le prix des locaux vendus, la SAS Espace de Location EDL ne connaissant pas le prix d'acquisition qu'elle devait acquitter à l'occasion de l'exercice de son droit de préférence.

En définitive, faute d'accord sur la chose et sur le prix, aucune vente parfaite n'est intervenue entre Mme [J] [E], ès qualités de tutrice de M. [L] [E], d'une part, et, la SAS Espace de Location EDL, d'autre part. Aucune vente forcée ne peut donc être ordonnée.

La décision entreprise qui a rejeté ces prétentions sera donc confirmée, par substitution de motifs.

Sur la demande de dommages et intérêts présentée par la SAS Espace de Location EDL

La SAS Espace de Location EDL sollicite l'octroi de dommages et intérêts à raison de la pollution du site et du coût requis pour y mettre un terme, du fait de manoeuvres dolosives imputées aux vendeurs.

Or, d'une part, la SAS Espace de Location EDL ne démontre pas la réalité de cette pollution qui n'est établie par aucun diagnostic.

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D'autre part, cette prétention, subsidiaire, ne s'entend que dans la mesure où le caractère parfait de la vente serait retenu puisqu'en tant que locataire, un tel coût ne peut être mis à sa charge, ce qui n'est en rien allégué par les intimés.

Dans ces conditions, cette prétention ne peut qu'être rejetée et la décision entreprise sera confirmée sur ce point.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts des consorts [E]

Le droit d'agir en justice ne peut donner lieu à octroi de dommages et intérêts que lorsqu'il dégénère en abus.

En l'occurrence, la SAS Espace de Location EDL bénéficiait, en tant que locataire des lieux objets de la vente, d'un droit de préférence lors de celle-ci. Des désaccords sont intervenus entre les parties sur la chose et sur le prix. La SAS Espace de Location EDL a agi en justice en vente forcée. Si l'appelante a pu observer à certains égards une attitude ambigüe, voire contradictoire, son action en justice ne caractérise aucun abus et le rejet de ces prétentions ne justifie pas en soi l'octroi de dommages et intérêts.

En outre, l'échec de la vente projetée au titre d'un bien appartenant à M. [L] [E] et dont il était espéré que le produit de la vente puisse financer son hébergement en maison de retraite, n'est pas spécifiquement et uniquement imputable à la SAS Espace de Location EDL.

Dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a rejeté cette prétention ; la décision entreprise doit être, là encore, confirmée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La SAS Espace de Location EDL, qui succombe au litige, supportera les dépens de première instance et d'appel. En outre, une indemnité globale de 4 000 € sera mise à sa charge au bénéfice de Mme [J] [E], Mme [F] [E] épouse [M], M. [I] [E] et Mme [S] [E], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en considération de l'équité et de la situation économique respectives des parties.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant :

Condamne la SAS Espace de Location EDL à payer à Mme [J] [E], Mme [F] [E] épouse [M], M. [I] [E] et Mme [S] [E] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

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Déboute la SAS Espace de Location EDL de sa demande sur ce même fondement,

Condamne la SAS Espace de Location EDL au paiement des dépens.