CA Poitiers, 2e ch., 24 septembre 2024, n° 23/01478
POITIERS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pascot
Conseillers :
M. Vetu, M. Lecler
Avocats :
Me Michot, Me Clerc, Me Noel, SELARL Villainne
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte du 7 mai 2002, Monsieur [W] [S] et Madame [U] [X] épouse [S] (ci-après 'époux [S]') ont consenti à la société Gestion Patrimoine Loisirs, aux droits de laquelle se trouve la SARL [Localité 7], un bail commercial portant sur une maison à usage d'habitation au sein de la résidence 'Le Domaine de Vertmarines' de modèle Aigue-Marine, composant le logement n°40, moyennant un loyer annuel de 7.848,68 euros hors taxes.
Ledit contrat est adossé à un contrat d'acquisition de lots au sein d'une résidence de tourisme et, conformément au dispositif, les lots privatifs devaient être mis en location, les loyers perçus servant à financer tout ou partie des prêts bancaires pris en vue de leur acquisition.
Le 31 juillet 2002, les époux [S] ont régularisé l'acte d'acquisition contenant la vente de locaux en copropriété.
Par courrier du 21 mai 2021 adressé à la société [Localité 7], les époux [S] se sont prévalus d'une clause contractuelle de variation du loyer afin de solliciter le règlement d'un arriéré locatif à compter du mois d'août 2016 pour un montant total de 21.600,48 euros. Cette demande est demeurée infructueuse.
Le 4 janvier 2022, les époux [S] ont attrait la société [Localité 7] devant le tribunal judiciaire des Sables d'Olonne aux fins de la voir condamner au paiement de la somme de 21.600,48 euros au titre de l'arriéré d'indexation, outre 4.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Dans le dernier état de ses demandes, la société [Localité 7] a demandé de :
- Dire et juger que le bail liant les parties ne contient pas de clause d'échelle mobile,
- Débouter les époux [S] de leurs demandes de paiement de loyers indexés,
Subsidiairement,
- Dire et juger prescrits les arriérés de loyers dus postérieurement au 4 janvier 2017,
- Dire et juger que l'arriéré de loyers ne peut être supérieur à la somme de 19.855,86 euros,
En tout état de cause,
- Débouter les époux [S] de l'intégralité de leurs demandes,
- Condamner les époux [S] à verser à la société [Localité 7] une somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par jugement en date du 21 mars 2023, le tribunal judiciaire des Sables d'Olonne a statué ainsi :
- Déboute les époux [S] de leur demande en paiement au titre d'un arriéré d'indexation, comme mal fondée,
- Condamne les époux [S] à payer à la société [Localité 7] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles,
- Rejette la demande d'indemnité pour frais irrépétibles formée par les époux [S],
- Condamne les époux [S] aux entiers dépens,
- Ecarte l'exécution provisoire de droit assortissant le présent jugement.
Par déclaration en date du 22 juin 2023, les époux [S] ont relevé appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués en intimant la société [Localité 7].
Les époux [S] ont, par dernières conclusions transmises le 14 septembre 2023, demandé à la cour de :
- Réformer le jugement du tribunal judiciaire des Sables d'Olonne du 21 mars 2023 en ce qu'il a :
- Débouté les époux [S] de leur demande en paiement au titre d'un arriéré d'indexation, comme mal fondée,
- Condamné les époux [S] à payer à la société [Localité 7] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles,
- Rejeté la demande d'indemnité pour frais irrépétibles formée par les époux [S],
- Condamné les époux [S] aux entiers dépens.
Statuant à nouveau,
- Juger que la clause prévue au bail commercial en son article 4 page 14 alinéas 1, 2 et 3, est une clause d'indexation,
- Condamner la société [Localité 7] à payer aux époux [S] la somme de 34.152,75 euros au titre de l'arriéré d'indexation arrêté au 31 décembre 2023 outre les intérêts de droit à compter de la mise en demeure en date du 21 mai 2021,
- Condamner la société [Localité 7] à payer aux époux [S] la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles,
- Condamner la société [Localité 7] aux entiers dépens.
La société [Localité 7] a, par dernières conclusions transmises le 7 décembre 2023, demandé à la cour de :
- Déclarer les époux [S] mal fondés en leur appel,
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions à savoir en ce qu'il a :
- Débouté les époux [S] de leur demande en paiement au titre d'un arriéré d'indexation, comme mal fondée,
- Condamné les époux [S] à payer à la société [Localité 7] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles,
- Rejeté la demande d'indemnité pour frais irrépétibles formée par les époux [S],
- Condamné les époux [S] aux entiers dépens.-Juger que le bail liant les parties ne contient pas de clause d'échelle mobile,
- Débouter les époux [S] de leurs demandes de paiement de loyers indexés,
Subsidiairement,
- Juger prescrits les arriérés de loyers dus antérieurement au 4 janvier 2017,
- Juger que l'arriéré de loyer ne peut être supérieur à la somme de 19 855,86 euros,
En tout état de cause,
- Débouter les époux [S] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,
- Condamner les époux [S] à verser à la société [Localité 7] une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à assumer les entiers dépens de l'instance.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 juin 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1) Sur l'interprétation de la clause litigieuse :
Le contrat de bail comprend en son article 4 consacré au prix du loyer, la clause suivante ainsi libellée : « Le loyer payable en espèces est fixé pour la période triennale seulement. Il variera automatiquement de plein droit et sans formalité, à l'expiration de chaque période triennale courue depuis la prise d'effet du bail proportionnellement aux variations de l'indice du coût de la construction publié trimestriellement par l'INSEE, conformément à la révision triennale légale prévue par les articles 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953 (...) »
Il convient de rappeler au préalable qu'une clause d'échelle mobile est une clause par laquelle les parties ont prévu une révision automatique du loyer ; elle s'oppose à la révision du loyer selon le dispositif prévu par les articles L. 145-37 et L. 145-38 du code de commerce qui ne prévoit qu'une révision facultative au cours de l'exécution du bail à l'initiative de l'une ou l'autre des parties.
Le présent litige repose sur la qualification de la clause sus-énoncée en ce que :
- soit elle consiste en la révision triennale légale telle que prévue par les articles 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953 (désormais codifiés aux articles L 145-37 et L 147-38 du code de commerce), et sa mise en oeuvre suppose le respect du formalisme de l'article R 145-20, à savoir une demande de révision par acte extra judiciaire ou lettre recommandée avec avis de réception,
- soit elle consiste en une clause d'indexation ou clause d'échelle mobile distincte de la révision triennale légale et sa mise en oeuvre, automatique ne requiert aucun formalisme.
Le premier juge a débouté les bailleurs de leurs demandes de paiement de l'arriéré locatif au motif :
- que la clause litigieuse était ambigue voire obscure en ce qu'elle vise les articles 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953 et une révision triennale et non annuelle comme souvent en matière de clause d'indexation automatique, et dans le même temps, de façon contradictoire, énonce une variation automatique, de plein droit et sans formalité,
- qu'il convenait de rechercher la commune intention des parties,
- que celle-ci était d'autant plus difficile à déterminer que le bailleur n'avait pas entendu se prévaloir de cette clause pendant près de vingt ans,
- qu'un doute manifeste existait quant à l'interprétation de cette clause,
- qu'en application de l'article 1190 du code civil, s'agissant d'un contrat de gré à gré, la clause devait s'interpréter contre le créancier et en faveur du débiteur, la société preneuse en l'occurrence.
Devant la cour les époux [S] défendent la thèse de la clause d'indexation ou clause d'échelle mobile distincte de la révision triennale légale en faisant valoir :
- que la clause recourt au verbe 'variera' qui évoque une variation future mais certaine et aux termes 'automatiquement de plein droit et sans formalité',
- que c'est à tort que le premier juge a estimé que la référence à une révision triennale renvoyait à la révision triennale légale prévue par les articles L145-38 et R145-20 du code de commerce,
- que le fait que le bailleur ne se soit pas prévalu de la clause pendant des années ne valait pas renonciation à ladite clause,
- que si l'article 1190 du code civil sur le doute quant à l'interprétation d'une clause devait trouver application, le contrat liant les parties n'est pas un contrat de gré à gré mais d'adhésion en ce que la société preneuse est un exploitant unique face à des bailleurs multiples et se retrouve en position de force, et doit s'interpréter contre la société [Localité 7].
La société [Localité 7] défend la thèse de la clause légale de révision triennale soumise à formalisme en faisant valoir :
- que le contrat dit expressément : 'conformément à la révision triennale légale prévue par les articles 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953", et parle de révision et non d'indexation,
- que la clause de révision contient des dispositions contradictoires qui doivent s'interpréter en faveur de la société [Localité 7], le contrat litigieux étant un contrat de gré à gré car la société intimée n'a nullement imposé quelques conditions que ce soit mais n'a fait que reprendre un bail en cours d'exécution entre les époux [S] et la société Gestion Patrimoine et Loisirs.
Ces moyens appellent les observations suivantes :
La clause litigieuse indique notamment : 'Il [le loyer payable en espèces] variera automatiquement de plein droit et sans formalité'. La cour constate que la succession du verbe 'variera', de l'adverbe 'automatiquement' et des formules 'de plein droit' et 'sans formalité' constitue une accumulation de termes - à tel point surabondante - qu'elle pose de façon claire et incontestable le principe d'une variation de loyer sans qu'aucune démarche n'ait à être effectuée. Si, en fin de clause, référence est faite à la révision triennale légale prévue par les articles 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953, celle-ci est précédée de l'adverbe 'conformément'. Il y a donc lieu de considérer qu'une fois le principe de l'automaticité de la variation posé, les parties ont choisi de se référer à la loi uniquement pour déterminer la fréquence de cette variation, à savoir un délai de trois ans. La cour considère dès lors que la clause est sans ambiguïté et prévoit une variation automatique du loyer. Le fait que cette variation n'ait pas été mise en oeuvre pendant plusieurs années ne constitue nullement une renonciation, mais seulement une circonstance qui réduira le montant de l'arriéré susceptible d'être réclamé, par le jeu de la prescription.
Le cour rappelle en outre, que quand bien même la clause litigieuse devrait être considérée comme n'étant pas claire et précise, le code civil dispose :
- en son article 1191 : 'Lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l'emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun.'
- en son article 1190 : 'Dans le doute, le contrat de gré à gré s'interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d'adhésion contre celui qui l'a proposé.'
En application de l'article 1191, si la clause litigieuse devait être considérée comme la simple mise en oeuvre de dispositions légales d'ordre public - articles L145-38 et R145-20 du code de commerce en l'occurrence - elle ne produirait aucun effet.
Pour appliquer l'article 1190, il faut déterminer au préalable si le bail est un contrat de gré à gré ou un contrat d'adhésion. A cet égard, la cour constate que ce bail s'inscrit dans un modèle économique bien identifié au terme duquel, divers particuliers, sans aucun lien entre eux, acquièrent diverses villas, quasiment identiques, organisées sur un mode pavillonnaire au sein d'une résidence de loisirs. Cette acquisition a lieu, à charge pour les acheteurs de donner les villas à bail à un preneur unique, exploitant un fonds de commerce constitué par l'ensemble des villas ainsi données à la location. Les différents baux concernés comportent des conditions générales et des conditions particulières. Pour l'ensemble de ces raisons, il y a lieu de considérer que le bail en cause est un contrat d'adhésion. Si la société [Localité 7] oppose le fait qu'elle n'a imposé aucune condition mais n'a fait que reprendre un bail en cours d'exécution entre les époux [S] et la société Gestion Patrimoine et Loisirs, ce moyen est parfaitement inopérant en ce que la société intimée vient précisément aux droits de la société preneuse initiale.
Dès lors, si la clause devait être considérée comme obscure, elle devrait, soit s'analyser en une clause d'échelle mobile en application de l'article 1191, soit s'interpréter contre la société [Localité 7] venant aux droits de la société qui a proposé le contrat à l'origine.
Au vu des observations qui précèdent, les époux [S] sont fondés en leur demande de paiement d'un arriéré locatif en application de la clause litigieuse.
2) Sur le jeu de la prescription :
L'instance devant le tribunal a été introduite par acte d'huissier de justice en date du 4 janvier 2022. Les parties s'accordent à dire que c'est la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil qui s'applique. Si bien que les époux [S] sont fondés à réclamer les arriérés de loyers postérieurs au 4 janvier 2017. Le contrat de bail stipule en page 13 : 'Le loyer sera payé le 31 décembre de chaque année'. Les appelants peuvent dont solliciter le paiement des arriérés au titre des années 2017 à 2023 inclus, étant donné que les loyers 2024 seront payés à l'issue de l'année en cours.
La comparaison des chiffres retenus par les chacun des concluants (page 9 des conclusions des appelants, page 7 des conclusions de l'intimée) permet de constater que les parties sont d'accord sur la méthode de calcul à utiliser pour évaluer l'arriéré annuel.
Si la société [Localité 7] propose à titre subsidiaire, la somme totale de 19.855,86 €, la cour constate que cette somme ne concerne que les années 2017 à 2021 alors que les appelants sont aussi fondés à réclamer les arriérés aux titre des années 2022 et 2023. Il sera fait droit à leur demande (31.047,96 euros HT, soit 34.152,75 euros TTC) et le jugement déféré sera réformé en ce sens.
3) Sur les demandes accessoires :
Le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions sur les dépens et les frais irrepétibles.
La société [Localité 7] qui succombe sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et condamnée à payer aux époux [S] la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel. Elle sera en outre condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau,
Condamne la société [Localité 7] à payer aux époux [S] la somme de 34.152,75 euros TTC au titre de l'arriéré d'indexation arrêté au 31 décembre 2023 outre les intérêts de droit à compter de la mise en demeure en date du 21 mai 2021,
Déboute la société [Localité 7] de sa demande au titre des frais irrépétibles,
Condamne la société [Localité 7] à payer aux époux [S], pris comme une seule et même partie, 4000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société [Localité 7] aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Rejette toute demande plus ample ou contraire.