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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 24 septembre 2024, n° 22/02738

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Granulats Vicat (SAS)

Défendeur :

Granulats Vicat (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Martin de la Moutte, Mme Moulayes

Avocats :

Me Parera, Me Hirchi, Me Sorel

TJ Toulouse, du 7 juin 2022, n° 19/01031

7 juin 2022

Faits et procédure

Par acte sous seing privé en date du 21 décembre 1998 à effet au 1er janvier 1999, Monsieur [F] [J] et Madame [L] [E] épouse [J] ont donné à bail à usage commercial à la Sa [J] [K] un terrain cadastré parcelle [Cadastre 9] (ancienne parcelle [Cadastre 11]), commune de [Localité 13], entre la Rn 10 et le Cd N°14, d'une superficie de 10.010m2.

Cette parcelle fait partie d'un ensemble réunissant cette parcelle avec des parcelles voisines, pour une contenance totale de 56.689 m2 supportant une installation de gravières, une centrale à [K], ainsi que des immeubles bâtis, également prises à bail par la Sas Granulats Vicat.

Le bail a pris fin le 31 décembre 2007 et a été prolongé tacitement.

Par suite d'une fusion-absorption du 30 avril 2012, la Sas Granulats Vicat vient aux droits de la Sa [J] [K].

Suivant exploit d'huissier du 23 janvier 2018 Monsieur [F] [J] a fait délivrer congé à la locataire pour le 30 septembre suivant, avec offre de renouvellement du bail, moyennant le paiement d'un loyer d'un montant annuel de 45.000 euros ht et hc.

Par exploit d'huissier du 06 juillet 2018, la Sas Granulats Vicat a accepté le principe du renouvellement du bail, mais s'est opposée au déplafonnement et à la hausse du loyer en l'absence d'une évolution significative des facteurs locaux de commercialité et de modifications des paramètres locatifs.

Madame [H] [J] épouse [N], Monsieur [T] [J] et Monsieur [S] [J], venant aux droits des époux [J] ont par exploit d'huissier du 29 mars 2019, fait assigner la Sas Granulats Vicat devant le juge des loyers commerciaux pour que soit ordonnée à titre principal, la fixation du montant du loyer du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2018 à la somme en principal de 45.000 euros par an et à titre subsidiaire, que soit ordonnée une mesure d'expertise.

Par jugement rendu le 5 novembre 2019, le juge des loyers commerciaux a :

- dit que le bail unissant les parties a une durée de 9 ans à compter du 1er octobre 2018,

- ordonné une expertise judiciaire et désigné M. [M] [P]-[R] pour y procéder,

- avant dire droit, fixé le montant du loyer provisionnel selon la variation indiciaire,

- réservé les dépens en fin d'instance,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

L'expert a déposé son rapport le 15 mars 2021.

Par jugement du 7 juin 2022, le tribunal judiciaire de Toulouse a :

- rappelé que le bail unissant les parties a une durée de 9 ans à compter du 1er octobre 2018 ;

- fixé le loyer du bail renouvelé concernant la parcelle n°[Cadastre 9] sise commune de [Localité 13], entre la Rn 10 et le Cd n°14, d'une superficie de 10.010m2 à la somme de 40.000 euros par an hors taxes et hors charges ;

- laissé les dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire à la charge de la Sas Granulats Vicat ;

- condamné la Sas Granulats Vicat à payer Mme [H] [J] épouse [N], M. [T] [J] et M. [S] [J] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

- dit qu'à défaut d'exercice par l'une ou l'autre des parties de son droit d'option prévu par les dispositions de l'article L.145-57 du Code de commerce et l'exécution provisoire étant prononcée, le présent jugement constituera un titre exécutoire conforme aux dispositions des articles L.111-2, L.111-3 et L.111-6 du Code des procédures civiles d'exécution.

Par déclaration en date du 20 juillet 2022, la Sas Granulats Vicat a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est la réformation des chefs du jugement qui ont :

- fixé le loyer du bail renouvelé concernant la parcelle n°[Cadastre 9] sise commune de [Localité 13], entre la Rn 10 et le Cd n°14, d'une superficie de 10.010m2 à la somme de 40.000 euros par an hors taxes et hors charges ;

- laissé les dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire à la charge de la Sas Granulats Vicat ;

- condamné la Sas Granulats Vicat à payer Mme [H] [J] épouse [N], M. [T] [J] et M. [S] [J] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

- dit qu'à défaut d'exercice par l'une ou l'autre des parties de son droit d'option prévu par les dispositions de l'article L.145-57 du Code de commerce et l'exécution provisoire étant prononcée, le présent jugement constituera un titre exécutoire conforme aux dispositions des articles L.111-2, L.111-3 et L.111-6 du Code des procédures civiles d'exécution.

La clôture est intervenue le 29 avril 2024.

Prétentions et moyens

Vu les conclusions d'appelant devant la cour d'appel de Toulouse notifiées le 18 octobre 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sas Granulats Vicat demandant de :

- infirmer le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Toulouse le 7 juin 2022,

Par conséquent et statuant à nouveau,

- fixer le montant du loyer du bail renouvelé de la parcelle [Cadastre 9] sur la commune de [Localité 13] entre la Rn 10 et la Cd 14 (10 010 m2) à compter du 1er octobre 2018 à la somme de 8.000 euros ht/hc/an.

- rejeter les demandes des consorts [J] visant à voir condamner la société Granulats Vicat aux dépens et à une indemnité au titre de l'article 700 du cpc ;

- condamner les consorts [J] à verser à la société Granulats Vicat la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du cpc ;

- condamner les mêmes aux entiers dépens.

Le preneur adresse plusieurs critiques au rapport d'expertise, dont les conclusions ont été reprises par le juge des loyers commerciaux.

Il conteste en premier lieu l'absence de différenciation des différentes parcelles louées sur la commune de [Localité 13], et rappelle que la mission de l'expert était de déterminer la valeur locative de chacun des terrains loués, et non de l'ensemble.

Il ajoute qu'il convenait de tenir compte de la situation urbanistique de chaque parcelle ; celle objet du litige étant située en zone inconstructible, il était opportun d'appliquer une décote de 95%.

Par ailleurs, il critique l'utilisation par l'expert judiciaire de la seule méthode par comparaison, rappelant que ledit expert n'a pas répondu au dire lui demandant d'utiliser la méthode du rendement locatif.

Vu les conclusions d'intimé responsives et récapitulatives notifiées le 18 janvier 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Madame [H] [J] épouse [N], Monsieur [S] [J], Monsieur [T] [J] demandant de :

- débouter la Société Granulats Vicat de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions ;

- confirmer en toutes ses dispositions le Jugement du Juge des loyers commerciaux du Tribunal Judiciaire de Toulouse en date du 7 juin 2022 en ce qu'il a :

- fixé le loyer du bail renouvelé concernant la parcelle n°[Cadastre 9] sis commune de [Localité 13], entre la RN 10 et le CD n°14, d'une superficie de 10.010 m2 à la somme de 40.000 euros par an hors taxes et hors charges ;

- laissé les dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire à la charge de la Sas Granulats Vicat ;

- condamné la Sas Granulats Vicat à payer à Mme [H] [J] épouse [N], Monsieur [T] [J] et Monsieur [S] [J] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la Société Granulats Vicat au paiement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance d'appel.

Les bailleurs rappellent que les dispositions du bail insistent sur l'indivisibilité des parcelles données à bail sur la commune de [Localité 13].

De ce fait, lors de la fixation initiale du loyer sur les cinq parcelles concernées, les différences étaient minimes ; la volonté des parties était donc bien de ne pas différencier les valeurs locatives de chaque parcelle.

Sur les spécificités de la parcelle n°[Cadastre 9] concernée par le présent litige, ils rappellent qu'elle n'est pas concernée par la présence du plan d'eau invoqué par le preneur pour appliquer un abattement.

Ils ajoutent que le caractère constructible de cette parcelle n'a pas été érigé comme une condition essentielle au preneur dans le bail initial, et que le terrain a été loué nu ; le preneur ne démontrant pas la nécessité de procéder à des constructions sur ce terrain, il n'y a pas lieu à décote.

Enfin, ils affirment que l'emploi de la méthode du rendement pour le calcul de la valeur locative ne permet pas d'obtenir des résultats conformes à la réalité ; en l'espèce l'expert a utilisé des références de comparaison pertinentes.

MOTIFS

Sur la fixation du loyer renouvelé

Il ressort des dispositions de l'article L145-33 du code de commerce que le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1o Les caractéristiques du local considéré ;

2o La destination des lieux ;

3o Les obligations respectives des parties ;

4o Les facteurs locaux de commercialité ;

5o Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

L'article L 145-34 du Code de Commerce, pose la règle du plafonnement des loyers commerciaux sur renouvellement, en fonction de la variation de l'indice des loyers commerciaux ou de l'indice des loyers des activités tertiaires, ; dans son avant-dernier alinéa, ce même article prévoit toutefois que ce plafonnement est écarté si, par l'effet de la tacite prolongation, la durée du bail à renouveler a excédé 12 ans.

En l'espèce, le litige porte sur la fixation du loyer renouvelé au 1er octobre 2018.

Ce renouvellement est le premier entre les parties depuis la signature du bail initial le 21 décembre 1998, à effet au 1er janvier 1999.

Dès lors, la Cour constate que le premier bail s'est poursuivi par tacite prolongation au-delà de la durée de douze ans, justifiant de ce fait du déplafonnement du loyer.

En application des dispositions de l'article L145-33 du code de commerce, il appartient ainsi à la Cour de fixer la valeur locative des locaux donnés à bail, au jour du renouvellement.

Selon la présentation générale des lieux et de l'activité de la Sas Granulats Vicat faite par l'expert, les 4 terrains loués sont implantés à l'est de la [Adresse 15] et à l'ouest de la [Adresse 16] et ne forment qu'une seule entité locative, sans séparation ni clôture.

La société preneuse exploite sur cette emprise d'une part une centrale à [K] et exerce l'activité de fabrication de granulats ou gravière, matériaux entrant dans la composition du [K], d'autre part une activité de gestion et recyclage de déchets et de valorisation des matériaux liés à la déconstruction, en séparant les agglomérats de [K], blocs de pierre et roches de l'acier des matériaux de construction.

L'emprise louée supporte une centrale à [K] aux termes du bail, ainsi qu'une installation de criblage-concassage dont le preneur est propriétaire et le restera en fin de jouissance selon les prévisions expresses du bail.

L'expert a également pu y visiter un bâtiment ancien de type hangar développant 890 m² séparé en deux par un mur en ossature métallique avec bardage et toiture en fibrociment amiante, ainsi qu'un bâtiment de type Algeco abritant 4 bureaux et une pièce d'accueil.

Selon le PLUi-H exécutoire depuis le 18 mai 2019, cette parcelle est en zone urbanistique AUEo, qui est une zone d'urbanisation future, ce qui rend le terrain inconstructible sauf modification des règles d'urbanisme.

Au 1er octobre 2018, le montant du loyer résultant de la variation indiciaire s'établissait pour cette parcelle à 11 563,56 € par an hors taxes et hors charges.

Pour rechercher la valeur locative des lieux loués, l'expert a retenu les éléments suivants, non contestés par les parties :

- s'agissant des caractéristiques du local et de sa destination, il s'agit d'un terrain nu inclus dans un ensemble de 5 parcelles, dont la superficie totale représente une zone d'activité et de stockage tout à fait adaptés à l'activité exercée ;

- les obligations respectives des parties résultant du bail sont relativement classiques, la taxe foncière reste à la charge du preneur,

- s'agissant des facteurs locaux de commercialité, les lieux étudiés se situent en limite d'un centre commercial qui s'est agrandi par la création d'un Retail park.

L'expert a recherché la valeur locative par rapport aux prix couramment pratiqués dans le voisinage et en appliquant la méthode dite par comparaison, en prenant pour élément de référence la valeur métrique annuelle.

Le preneur demande à la Cour d'appliquer la valeur locative résultant du rapport amiable de Monsieur [V], et conteste les conclusions de l'expertise judiciaire de Monsieur [P] [R], sur plusieurs points, à savoir :

- l'absence d'individualisation des terrains donnés à bail sur le secteur de [Localité 13] ;

- l'absence de prise en compte des spécificités urbanistiques de chaque parcelle, et notamment de l'inconstructibilité et de la présence d'un plan d'eau, que le preneur estime être des motifs d'abattement ;

- l'application de la méthode par comparaison, alors qu'en l'espèce le preneur estime plus opportun de retenir la méthode par rendement locatif.

La Cour analysera successivement ces critiques.

Sur l'individualisation des terrains donnés à bail sur le secteur de [Localité 13]

Il convient de rappeler qu'à la même date, quatre bailleurs différents ont donné à bail au seul et même preneur, 5 parcelles voisines sur la commune de [Localité 13], à savoir les parcelles n° [Cadastre 9] (objet de la présente procédure et d'une superficie de 10 010 m²), [Cadastre 12], [Cadastre 1], [Cadastre 4] et [Cadastre 6], pour une surface totale de 56 689 m².

Le bail commercial initial signé le 21 décembre 1998, pour la parcelle n°[Cadastre 9], mentionne expressément en pages 6 et 7 :

« le preneur a pris à bail les biens ci-dessus désignés avec comme condition substantielle et essentielle du contrat que :

- les terrains cadastrées section BB numéros [Cadastre 4] (') et [Cadastre 6], Lieudit [Adresse 17] à [Localité 13], propriétés de la Sci Windigo

- les terrains cadastrés parcelle [Cadastre 12] à [Localité 13], propriétés de la Sci La Tournelle

- les terrains cadastrées parcelle [Cadastre 1] à [Localité 13], propriétés de Monsieur [F] [J]

terrains qui forment un ensemble indivisible, soient régis par des baux conclus selon des conditions et pour des durées analogues. »

Il est précisé qu'aux termes des baux conclus le même jour, les bailleurs de toutes ces parcelles « s'engagent solidairement à faire en sorte que les baux en cause soient soumis aux mêmes conditions et même durée et à ne pas résilier séparément lesdits baux ».

Il est donc certain que l'intention des parties en signant ces quatre baux similaires à la même date, pour la même durée et selon les mêmes conditions, était de créer un ensemble donné à bail au preneur.

Cette unicité ressort d'ailleurs des loyers fixés pour ces parcelles initialement, à hauteur de :

- 1,14 €/m² pour la parcelle n°[Cadastre 9]

- 1,15 €/m² pour les parcelles n°[Cadastre 12] et [Cadastre 1]

- 1,62 €/m² pour les parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 6] (objets d'un seul bail)

Pour autant, l'expert a été saisi de plusieurs missions distinctes par le juge des loyers commerciaux, qui a rendu un jugement par bail concerné le 5 novembre 2019, ordonnant une expertise.

Monsieur [P]-[R] n'a pas manqué aux missions confiées, dans la mesure où, s'il a analysé l'ensemble de ces parcelles en même temps, il a étudié les particularités de chacune d'entre elles, et a in fine donné une évaluation de la valeur locative de chacun des terrains donnés à bail, par mètre carré.

Ses conclusions se fondent sur des éléments de référence qui s'appliquent à chacun des terrains donnés à bail au preneur.

L'alternative à ce rapport d'expertise proposée par le preneur, à savoir un rapport amiable non contradictoirement réalisé par Monsieur [V], ne procède d'ailleurs pas de manière plus individualisée, dans la mesure où il propose une valeur locative non pas au m², mais pour l'intégralité de la surface des quatre baux signés sur la commune de [Localité 13].

En conséquence, si l'expert judiciaire Monsieur [P]-[R], retient la même valeur locative pour chacun des terrains donnés à bail dans l'ensemble sis sur la commune de [Localité 13], la Cour constate que cette analyse non seulement est conforme à l'intention des parties découlant des baux initiaux d'unifier la location de l'ensemble des terrains, mais par ailleurs ne fait pas obstacle à une individualisation par le juge saisi du fond du litige.

Sur la prise en compte des spécificités urbanistiques des terrains

Le preneur affirme que deux spécificités nécessitent l'application d'un abattement sur la valeur locative de la parcelle n°[Cadastre 9], à savoir la présence d'un plan d'eau occupant une partie du terrain, et le placement de la parcelle en zone AUEo par le plan local d'urbanisme, la rendant inconstructible.

Il convient en premier lieu de constater que si un plan d'eau existe sur les terrains occupés par le preneur, il ne se situe pas sur la parcelle n°[Cadastre 9], mais sur les parcelles n°[Cadastre 12] et [Cadastre 1].

Il n'y a donc pas lieu à un quelconque abattement de ce chef s'agissant du bail de la parcelle n°[Cadastre 9].

Par ailleurs, il ressort de la lecture du bail signé entre les parties, et du plan qui y est annexé, que le terrain a été donné en location nu, sans construction, et il n'est ni indiqué ni démontré que le preneur entendait y opérer une quelconque construction.

La Cour constate d'ailleurs qu'en 20 ans d'exploitation avant le classement du terrain en zone inconstructible, le preneur n'a pas eu la nécessité de procéder à des constructions sur la parcelle.

Aucune disposition du bail ne fait obligation au bailleur de mettre à disposition un terrain constructible, l'activité du preneur étant définie comme une « activité de producteur de BPE » l'autorisant à « maintenir tous stocks nécessaires à son activité », n'impliquant pas de construction.

Le classement de cette parcelle en zone inconstructible, quelques semaines avant le renouvellement du bail, ne fait pas obstacle à l'exercice de son activité par le preneur, dans les mêmes conditions que précédemment ; il n'est pas plus démontré que ce classement ait une conséquence sur le bâti existant sur les parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 6], qui ne sont pas l'objet du litige, mais qui sont exploitées avec les trois autres parcelles en une seule et même entité.

Dès lors, il n'est pas justifié d'une cause d'abattement de la valeur locative ; la Cour confirmera en conséquence la décision du premier juge qui a rejeté ce moyen.

Sur le choix de la méthode par comparaison retenue par l'expert

Le calcul de la valeur locative selon la méthode de comparaison consiste à déterminer la valeur d'un bien par comparaison directe avec d'autres biens loués, ayant des caractéristiques similaires ou tout du moins comparables, sur un même marché immobilier.

La méthode du rendement locatif part du principe que la valeur d'un bien immobilier est en relation avec les revenus qu'il génère. La valeur vénale se calcule en divisant le revenu par le taux de capitalisation.

Il est donc nécessaire que l'expert ait connaissance du revenu (loyers ou valeur locative, sans abattement) et du taux de capitalisation, qui résulte de l'analyse du marché, de la nature du bien, de sa situation géographique, et du régime d'occupation.

Le taux de capitalisation varie en sens inverse de la valeur vénale de l'immeuble. Plus le taux est élevé plus la valeur de l'immeuble s'en trouve amoindrie.

En l'espèce, l'expert judiciaire Monsieur [P]-[R] a fait usage de la méthode par comparaison, en retenant six éléments de référence, constitués par des terrains nus situés sur [Localité 18] ou en périphérie, dont quatre sont loués à usage de centrale à [K].

Après avoir retenu la valeur médiane de ces six références (6 €/m²), l'expert a appliqué deux minorations :

- la première en fonction de la différence de surface entre le terrain étudié pris dans son ensemble, et les superficies des terrains de référence ; l'expert rappelle en effet que le prix en mètre carré décroit lorsque la surface augmente et applique un abattement de 25% ;

- la seconde en fonction de la localisation des terrains, ceux situés à [Localité 18] ou en proche périphérie bénéficiant d'un meilleur emplacement que celui objet du litige, situé à [Localité 13] ; l'expert applique une décote de 10%.

Ainsi, l'expert judiciaire a retenu une valeur locative de 4,05 €/m².

Le preneur verse aux débats le rapport réalisé par Monsieur [V], à sa demande, de manière non contradictoire, qui propose les deux méthodes, par comparaison et par rendement locatif.

Les conclusions de cet expert ont été soumises par voie de dires à Monsieur [P]-[R], qui les a écartées ; l'expert judiciaire reproche à la méthode par rendement d'être trop aléatoire, Monsieur [V] ayant retenu trois composantes différentes pour calculer le taux de rendement, qui peuvent toutes varier et provoquer des écarts importants. L'expert judiciaire s'est par ailleurs étonné qu'en procédant selon les deux méthodes de calcul, Monsieur [V] en arrive à la même valeur locative, à l'euro près.

La Cour constate qu'en utilisant la méthode par rendement locatif, Monsieur [V] a retenu sans plus d'explications ni de justificatifs, un taux de rendement de 4,55% (en additionnant 1,05% de taux moyen de rendement des obligations + 2% de prime de risque + 1,50% d'illiquidité), appliqué à une valeur vénale calculée selon des références de ventes de terrains constructibles à usage professionnel, qui n'ont pas pu être discutées au contradictoire des bailleurs.

Le juge du fond saisi du litige peut retenir l'une ou l'autre de ces méthodes, à la condition de disposer au dossier des éléments de preuve suffisants pour s'assurer de la pertinence de l'évaluation de la valeur locative.

En l'espèce, le calcul par la méthode du rendement locatif n'a fait l'objet que d'une expertise amiable non discutée de manière contradictoire, et repose sur des éléments dont il n'est pas justifié.

C'est donc à bon droit que le premier juge n'a pas retenu cette méthode en l'espèce, aucun élément justifiant du calcul opéré n'ayant été soumis au contradictoire des parties.

A l'inverse, la méthode par comparaison utilisée par l'expert judiciaire repose sur des éléments de référence pertinents en terme de localisation, de surface, d'usage et d'activité exploitée ; il ne peut qu'être relevé que Monsieur [V], dans son rapport amiable réalisé à la demande du preneur, arrive à une évaluation de la valeur locative très similaire lorsqu'il applique également la méthode par comparaison (5,85 €/m²/an).

Les bailleurs produisent à leur tour un rapport d'expertise amiable réalisé à leur demande, de manière non contradictoire, par Monsieur [Z] lors du renouvellement du bail ; en procédant par comparaison, celui-ci a également retenu une valeur locative avant abattement, proche de celle retenue par l'expert judiciaire (6,33 €/m²).

Ainsi, l'expert judiciaire, en procédant par comparaison, selon des éléments de référence également repris par les expertises amiables soumises par le preneur et les bailleurs, a apprécié de manière sérieuse et juste la valeur locative du terrain donné à bail.

Il n'est pas démontré que les éléments de comparaison retenus ne sont pas conformes à la réalité du marché de la location des terrains nus, destinés à un usage professionnel correspondant à l'activité exercée par le preneur.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de retenir les éléments non discutés d'une expertise amiable non-contradictoire, alors que les éléments de comparaison retenus par l'expertise judiciaire sont sérieux, pertinents et adaptés à la configuration du terrain.

Les autres éléments du rapport d'expertise, et notamment les abattements appliqués, n'étant pas contestés, le premier juge a justement retenu l'évaluation de la valeur locative résultant de la méthode par comparaison appliquée par l'expert judiciaire Monsieur [P]-[R], fixant la valeur métrique annuelle à 4,05 €, et l'appliquant à la surface de 10 010 m².

Dans ces conditions, c'est par des motifs pertinents que le juge des loyers commerciaux a fixé le loyer renouvelé de la parcelle n°[Cadastre 9] objet du présent litige, à la somme arrondie de 40 000 euros par an, hors taxes et hors charges ; la Cour confirmera cette décision.

Sur les demandes accessoires

La Sas Granulats Vicat succombant en ses demandes, il convient de confirmer le premier jugement mettant à sa charge les dépens de première instance, en ce compris les frais d'expertise.

Partie perdante en cause d'appel, la société Sas Granulats Vicat supportera également les dépens d'appel.

La Cour confirmera également les dispositions du premier jugement relatives à l'article 700 du code de procédure civile ; par ailleurs, la Sas Granulats Vicat sera condamnée à verser aux bailleurs la somme de 1 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel.

La Sas Granulats Vicat sera en revanche déboutée de ses demandes tendant à voir condamner les bailleurs au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant dans les limites de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux le 7 juin 2022 ;

Y ajoutant,

Condamne la Sas Granulats Vicat aux entiers dépens d'appel,

Déboute la Sas Granulats Vicat de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Sas Granulats Vicat à verser à Madame [H] [J] épouse [N], Monsieur [T] [J] et Monsieur [S] [J] la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel ;