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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 24 septembre 2024, n° 22/14588

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cilpat (SAS)

Défendeur :

Bellensa (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Dubois-Stevant, Mme Lacheze

Avocats :

Me Mouchot, Me Guyonnet, Me Wekstein, Me Steg

T. com. Paris, du 5 juill. 2022, n° 2021…

5 juillet 2022

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La société Cilpat a été créée en 2005 sous forme de société à responsabilité limitée par Mme [T] [Y] et Mme [O] [R] pour exploiter un salon de coiffure situé [Adresse 5], à [Localité 3], sous l'enseigne Mod's Hair.

Sa gérante Mme [Y] détient 56% du capital social tandis que Mme [R] sa cogérante détenait les 44% restant jusqu'au 10 juin 2016, date à laquelle elle a apporté ses parts sociales à la société Bellensa, société à responsabilité limitée à associé unique qu'elle venait de créer et dont elle demeure la gérante depuis lors.

Le 23 juin 2016, la société Cilpat a été transformée en société par actions simplifiée, la société Bellensa a été nommée présidente et Mme [Y] directrice générale rémunérée à hauteur de 2 600 euros brut mensuels.

Le 25 juin 2016, les sociétés Cilpat et Bellensa ont signé une convention de prestation de services par laquelle la société Bellensa s'engage à fournir un certain nombre de prestations notamment en matière de gestion des ressources humaines, de gestion et de développement commercial.

Le 4 décembre 2020, Mme [Z] a interrogé Mme [R] quant à la perception d'une rémunération au titre du mois de novembre 2020, période de confinement, puis s'est enquis des comptes sociaux à partir de l'année 2018, constatant la perception récurrente d'importantes sommes d'argent par la société Bellensa depuis le 25 juin 2016 ainsi que des erreurs dans l'établissement de ses propres fiches de paie. Elle prétend avoir découvert la convention du 25 juin 2016 à cette occasion.

Le 3 mai 2021, l'assemblée des actionnaires de la société Cilpat a voté la révocation de la société Bellensa de son mandat de présidente de la société Cilpat et nommé pour la remplacer Mme [Z]. Le même jour, la société Bellensa a fait parvenir à Mme [Y] un courrier de contestation de sa révocation.

C'est dans ce contexte que la société Cilpat a assigné la société Bellensa devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir annuler la convention du 25 juin 2016 et que la société Bellensa a formé des demandes reconventionnelles d'indemnisation de sa révocation.

Par jugement du 5 juillet 2022 le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Cilpat de sa demande de nullité de la convention du 25 juin 2016 ;

- condamné la société Cilpat à verser à la société Bellensa la somme de 13 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamné la société Cilpat à payer à la société Bellensa la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.

Le tribunal a considéré que la réalisation de prestations par la société Bellensa était effective, a relevé la coexistence de deux versions de la convention du 25 juin 2016 et que les rémunérations versées à la société Bellensa l'ont été conformément à l'une de ces versions prévoyant la somme de 680 euros HT par journée de prestation et qu'à ce titre une somme moyenne de 22 000 euros en moyenne a été facturée chaque année depuis 2017 sauf en 2020 la somme de 9 520 euros.

Sur la révocation, il a jugé que les statuts prévoient la révocation pour motifs graves, qu'étant dépourvue de motif grave, la révocation de la société Bellensa lui donne droit à une indemnisation fixée à 10 000 euros. Le tribunal a en outre, pour allouer une somme complémentaire de 3 000 euros, jugé que la société Cilpat a fait preuve d'une particulière mauvaise foi en prétendant avoir découvert l'existence de la convention du 25 juin 2016 près de quatre ans après la signature de celle-ci et en procédant à la révocation brutale de la société Bellensa.

Par déclaration du 1er août 2022 régularisée le 26 octobre 2022, la SAS Cilpat a relevé appel de ce jugement. Par ordonnance du 19 septembre 2023, les dossiers ont été joints sous le numéro de répertoire général 22/14588.

Par ordonnance du 14 mars 2023, le conseiller de la mise en état a ordonné, après avoir recueilli l'accord des parties, une mesure de médiation qui n'a pas abouti.

Par dernières conclusions (n°3) remises au greffe et notifiées par voie électronique le 13 mars 2024, la société Cilpat demande à la cour :

- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 juillet 2022 en toutes ses dispositions ;

- de débouter la société Bellensa de l'ensemble de ses demandes ;

- de prononcer la nullité de la convention de prestations de services datée du 25 juin 2016 dans ses deux rédactions ;

- de condamner la société Bellensa à lui rembourser la somme de 113 660,64 euros TTC avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 18 mai 2021 ;

- de condamner la société Bellensa à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions (n°2) remises au greffe et notifiées par voie électronique du 6 mars 2024, la société Bellensa demande à la cour :

- de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 juillet 2022 « dans toutes ses dispositions » (sic) ;

- de rejeter la demande de nullité de la convention de prestation de services conclue entre elle et la société Cilpat le 25 juin 2016 ;

- de rejeter la demande de sa condamnation à payer à la société Cilpat la somme de 113 660,64 euros TTC avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 18 mai 2021 ;

- de rejeter la demande de sa condamnation à payer à la société Cilpat la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de rejeter la demande de sa condamnation au paiement des dépens ;

- à titre reconventionnel, de la déclarer « recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions et en son appel incident » (sic) ;

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes ;

- de condamner la société Cilpat à lui payer la somme de 40 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 18 des statuts de la société Cilpat pour absence de motif grave à l'appui de la révocation de ses fonctions de présidente ;

- de condamner la société Cilpat à lui payer la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts pour révocation abusive de ses fonctions de présidente ;

- de condamner la société Cilpat à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile et aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 2 avril 2024.

SUR CE,

Sur la demande d'annulation de la convention du 25 juin 2016

La société Cilpat soutient que la convention du 25 juin 2016 permettant à la société Bellensa d'être rémunérée constitue une fraude à la décision de l'assemblée générale du 23 juin 2016 de ne pas la rémunérer au titre de ses fonctions de présidente de la société Cilpat, qu'elle encourt la nullité sur le fondement des articles 1108 et 1131 du code civil pour défaut de cause, qu'entre 2016 et 2021, la société Bellensa a perçu irrégulièrement la somme de 113 600,64 euros TTC (ou 94 717,2 euros HT) sans assumer d'autres tâches que celles relevant des missions de président, qu'au vu des tâches effectivement accomplies, Mme [Y] n'a pu prendre connaissance du contenu de cette convention que le 8 mai 2021, que les deux versions de cette convention ont été successivement appliquées pour permettre une augmentation de la rémunération de la société Bellensa et que le commissaire aux comptes n'ayant pas été saisi par Mme [R] pour Cilpat sur la « deuxième » convention, il n'a pas établi de rapport dessus, ce qui entraîne, en outre, sa nullité sur le fondement de l'article L. 227-10 du code de commerce.

La société Bellensa réplique que si Mme [Y] n'était pas partie à la convention litigieuse conclue entre Cilpat et Bellensa, elle a néanmoins été avertie de son existence à l'occasion des assemblées générales qui se déroulaient toujours en présentiel, de l'accès dont elle bénéficiait sur les comptes bancaires de la société Cilpat ainsi que de la consultation des comptes sociaux, que la convention a fait l'objet d'un rapport spécial du commissaire aux comptes lors de l'assemblée générale du 30 juin 2017, qu'elle prévoyait à concurrence de 680 euros HT par jour la rémunération de prestations d'aide au recrutement de collaborateurs clés, la supervision des équipes, le développement commercial, la définition et le suivi de la création d'évènements, le choix des prestataires et la supervision de leur intervention, l'assistance et la gestion au sens large (stocks, comptabilité, stratégie financière, obligations sociales, locaux, etc.), que l'assemblée générale de la société Cilpat ne s'étant pas prononcée sur la question de la rémunération du président, elle ne constitue pas une fraude à la décision des associés et que la société Bellensa ne facturait ses prestations que dans la mesure où la trésorerie de la société Cilpat lui permettait de les régler d'où des remises en 2019 et 2020.

Sur ce,

L'article 1108 ancien du code civil, dans sa version applicable au moment de la conclusion du contrat, dispose que quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention: le consentement de la partie qui s'oblige, sa capacité de contracter, un objet certain qui forme la matière de l'engagement, une cause licite dans l'obligation.

Aux termes de l'article L. 277-10 du code de commerce, le commissaire aux comptes ou, s'il n'en a pas été désigné, le président de la société présente aux associés un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et son président, l'un de ses dirigeants, l'un de ses actionnaires disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ou, s'il s'agit d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L. 233-3. / Les associés statuent sur ce rapport. / Les conventions non approuvées, produisent néanmoins leurs effets, à charge pour la personne intéressée et éventuellement pour le président et les autres dirigeants d'en supporter les conséquences dommageables pour la société. (')

En l'espèce, il ressort du procès-verbal de délibérations de l'assemblée générale extraordinaire du 23 juin 2016 que la société Bellensa représentée par Mme [R] a été nommée aux fonctions de président de la société Cilpat, qu'il n'a pas été prévu de rémunération au bénéfice du président et qu'il n'a pas non plus été prévu qu'il ne pouvait être rémunéré. Autrement dit la conclusion d'une convention de prestation de service permettant la rémunération des prestations fournies par la société Bellensa en tant que présidente n'était pas exclue.

Par convention du 25 juin 2016, dont deux versions ont été communiquées aux débats, la société Bellensa s'est vu confier la réalisation de prestations de conseil : conseil stratégique, conseil en développement commercial, création et direction artistique, aide à la production des évènements, finance, contrôle de gestion, administration, outre la possibilité de rendre des « services spécifiques » à la demande, moyennant une rémunération égale à 680 euros HT par journée de prestation, à effet du 1er juillet 2016 et pour une durée indéterminée. La seconde version est identique à ceci près qu'elle stipule une rémunération annuelle de 20 400 euros HT.

Ainsi, les prestations susceptibles d'être facturées à la société Cilpat étaient définies de manière suffisamment large pour englober les missions d'un dirigeant de société.

Le 15 juin 2017, le commissaire aux comptes de la société Cilpat a dressé un rapport spécial sur les conventions réglementées mentionnant une « convention de services conclue le 25 juin 2016 entre la société Cilpat et la société Bellensa associée pour services généraux ['] et services spécifiques à la demande » et a comptabilisé en charges sur l'exercice 2016 un montant de 10 200 euros. Ce rapport qui figurait à l'ordre du jour de l'assemblée générale de la société Cilpat qui s'est déroulée le 30 juin 2017, à laquelle Mme [Y] était présente et désignée comme secrétaire, a donné lieu à l'examen des conventions conclues durant l'exercice écoulé suivi de l'approbation de la convention litigieuse à l'unanimité.

Force est de constater que dans ces conditions, la convention du 25 juin 2016 a été dûment approuvée à l'assemblée des actionnaires du 30 juin 2017 conformément aux prescriptions de l'article L. 227-10 du code de commerce, étant au surplus rappelé que les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets à charge pour la personne intéressée et éventuellement pour le président et les autres dirigeants d'en supporter les conséquences dommageables pour la société.

Il n'y a pas de contradiction entre le fait de ne pas expressément voter de rémunération du président le 23 juin 2016, sans pour autant l'exclure, et le fait d'approuver ensuite une convention de prestation de services dont les missions recoupent celles du président après information dûment délivrée au cours de l'assemblée des associées.

Postérieurement à la signature de cette convention, la société Bellensa a perçu de juillet 2016 à avril 2017, la somme mensuelle de 1 700 euros HT (2 040 euros TTC) au titre d'un « acompte mensuel sur convention de service » puis à compter du mois de mai 2017, a facturé la somme mensuelle de 2 040 euros HT (2 448 euros TTC) au titre de « 3 journées de prestation à 680 euros HT selon convention de service » (avec détail du temps passé annexé) et ce jusqu'au 31 décembre 2019 à l'exception des mois de juillet et août 2019 durant lesquels les prestations fournies n'ont pas été facturées. Au titre de l'année 2020, les factures produites montrent une absence de facturation des prestations en janvier et février, une facture de 680 euros HT (816 euros TTC) en mars et avril, une facture de 2 040 euros HT (2 448 euros TTC) au titre de « 3 journées de prestations à 680 euros » en mai, des annexes de factures sans facturations afférentes de juin à novembre listant les diligences accomplies durant cette période, une facture de facture de 1 632 euros TTC pour deux journées de prestations en juillet 2020 et une facture de 2 040 euros HT (2 448 euros TTC) en décembre. Par la suite, les versements ont repris à compter de janvier à mars 2021 à raison de 2 136,39 euros HT (2 563,67 euros TTC), de 3 327,94 euros HT (3 993,53 euros TTC) en avril puis de 1 052,64 euros en mai 2021.

Dès lors, et alors qu'il n'est pas discuté que la société Bellensa a exercé sa mission de présidente de la société Cilpat, les engagements réciproques des deux sociétés n'étaient pas dénués de contrepartie compte tenu de la fourniture de prestations diverses moyennant rétribution, de sorte que la société Cilpat ne saurait valablement prétendre que le contrat était dépourvu de cause, étant rappelé que l'erreur sur les motifs est indifférente.

Mme [Y], qui a signé le procès-verbal de l'assemblée du 30 juin 2017 et ne justifie pas d'une contrainte ou de man'uvres dolosives à cette occasion, ne peut sérieusement soutenir avoir ignoré son contenu en dépit de la confiance qu'elle pouvait témoigner à Mme [R].

En outre, cette « convention Bellensa » apparaît chaque année dans les comptes annuels de la société Cilpat dans le compte de résultat détaillé : 10 200 euros en 2016, 23 120 euros en 2017, 24 480 euros en 2018, 20 400 euros en 2019 et 9 520 euros en 2020.

En admettant que Mme [Y] n'ait pas disposé des factures émises par la société Bellensa à la société Cilpat, elle ne pouvait ignorer en sa qualité d'actionnaire et de directrice générale de la société Cilpat les rémunérations versées à la société Bellensa qui figurent explicitement dans les comptes annuels sous l'intitulé « convention Bellensa ».

La société Cilpat ne peut donc valablement à l'appui de sa demande d'annulation, se prévaloir du caractère illicite de la cause de son engagement en l'absence de fraude à ses droits et à ceux de son associée Mme [Y], dès lors que les prescriptions de l'article L. 227-10 du code de commerce ont été respectées et qu'elle ne pouvait ni ne devait ignorer les sommes facturées au titre de la « convention Bellensa ».

Si la coexistence de deux versions de cette convention pose question, cela n'a d'incidence que sur le montant des facturations et non sur l'existence des obligations réciproques, étant relevé que si les modalités de calcul de la rémunération de la société Bellensa sont différentes, les résultats auxquels elles aboutissent ne sont pas éloignés.

Enfin, les pièces du dossier ne permettent en aucune manière de considérer que les sommes facturées à la société Cilpat ont servi à rémunérer la société Bellensa de sa présidence de la société Boté12 contrairement à ce que fait valoir la société Cilpat, étant rappelé que la société Boté 12 a été créée par Mmes [Y] et [R] pour exploiter un salon de coiffure dans le 12ème arrondissement sous l'enseigne Mods'hair et avait pour dirigeante la société Bellensa.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la convention de prestation de services conclue entre les sociétés Bellensa et Cilpat, en ce qu'elle met à la charge de la société Bellensa la réalisation de prestations de services contre rémunérations versées par la société Cilpat, en ce qu'elle ne présentait pas de caractère occulte et en ce qu'elle a été approuvée unanimement par les actionnaires de cette dernière dès l'origine, n'est pas dépourvue de cause ni affectée d'une cause illicite, ni entachée d'une violation des dispositions du code de commerce relatives aux conventions réglementées.

La société Cilpat doit donc être déboutée de sa demande d'annulation de la convention de prestation de service du 25 juin 2016 et de sa demande subséquente de restitution des sommes perçues par la société Bellensa.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur la demande d'indemnisation de la révocation de la société Bellensa

A titre reconventionnel puis à hauteur d'appel, la société Bellensa entend contester sa révocation de son mandat de présidente. Elle fait valoir en premier lieu que sa révocation était dépourvue d'un motif grave conditionnant la révocation du dirigeant en violation des statuts et en second lieu que sa révocation était abusive au regard des circonstances.

Le tribunal a considéré que la révocation de la société Bellensa était intervenue sans qu'un motif grave n'ait été établi et alloué à cette dernière la somme de 10 000 euros en réparation, puis que les conditions de cette révocation, à la fois brutales et sans que soient exprimés les reproches à son encontre et les réponses apportées, étaient fautives et justifiaient l'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 3 000 euros.

1. Sur le motif de la révocation.

La société Bellensa se prévaut de l'article 18 des statuts de la société Cilpat et soutient en premier lieu que sa révocation est contraire aux statuts de la société Cilpat en ce qu'elle est dépourvue de motif grave, que la baisse de rémunération de Mme [Y] a été décidée d'un commun accord, oralement dans l'intérêt social de Cilpat en pleine crise du Covid-19, que le motif grave susceptible de justifier une révocation ne peut être caractérisé que si la faute invoquée a porté gravement atteinte à l'intérêt social, que le 12 avril 2021 Mme [Y] cherchait un prétexte à sa révocation en lui demandant de justifier le fondement de sa rémunération alors que quatre jours plus tard, elle faisait état d'erreurs dans l'établissement de ses propres bulletins de salaire, que Mme [Y] n'a pas été « traitée comme une salariée » et n'a jamais réclamé les rémunérations qu'elle estime désormais manquantes avant le 16 avril 2021, que la société Bellensa n'a violé ni l'article L. 227-6 du code de commerce, ni l'article 19 des statuts, ni la décision du 23 juin 2016 et que la violation des statuts n'est pas par essence contraire à l'intérêt social.

La société Cilpat répond que la société Bellensa a commis une faute grave justifiant la révocation de son mandat de présidente en application de l'article 18 des statuts, en n'accordant pas à Mme [Y] la rémunération brute intégrale de 2 600 euros à laquelle elle avait droit en tant que directrice générale et mandataire sociale d'une part, et en déduisant comme à une salariée diverses sommes au titre d'absences d'autre part, que la société Bellensa a ainsi violé l'article L. 227-6 du code de commerce, l'article 19 des statuts et la cinquième délibération prise en assemblée générale le 23 juin 2016 et qu'il n'est pas nécessaire de caractériser la violation de l'intérêt social dès lors que la faute grave invoquée est une violation des statuts qui emporte violation de l'intérêt social.

Sur ce,

Il résulte de la combinaison des articles L. 227-1 et L. 227-5 du code de commerce que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son dirigeant.

Il est constant que l'article 18 des statuts de la société Cilpat subordonne la révocation du dirigeant à la justification d'un motif grave.

L'article 19 des statuts constitutifs de la société Cilpat sous forme de société à responsabilité limitée (seuls statuts versés aux débats) est relatif à la « responsabilité du gérant » envers la société et les tiers et non à la révocation du dirigeant. Etant de surcroît rappelé que la société Cilpat a été constituée sous forme de SARL avant d'être transformée en SAS, le régime juridique applicable depuis cette transformation est celui de la SAS, de sorte que cet article 19 est inopérant.

En l'espèce, il est reproché à la société Bellensa le motif de révocation suivants : « L'assemblée du 23 juin 2016 a nommé Mme [T] [Y], épouse [V], en tant que directeur général, avec une rémunération de 2 600 euros brut mensuel.

Quand bien même les mandataires sociaux d'une société par actions simplifiée sont assimilés aux salariés pour le calcul des cotisations sociales (ce qui justifie l'établissement de bulletins de paie comme pour les salariés), ce ne sont juridiquement en aucun cas des salariés.

Ce faisant, le fait que vous ayez fait établir régulièrement par la comptabilité des « bulletins de paie » où apparaissent des absences (quelle que soit leur qualification : congés payés, maladie, sans solde), est totalement illégal, sans même que le directeur général ait à justifier de la fausseté desdites mentions portées sur des « bulletins de paie », qui n'ont d'autre objectif que de faire échec à la rémunération fixe de 2 600 euros mensuel décidée souverainement par l'assemblée du 23 juin 2016. »

En effet, alors que sa rémunération en tant que directrice générale avait été fixée à 2 600 euros mensuel par la cinquième résolution de l'assemblée générale du 23 juin 2016, Mme [Y] a perçu les rémunérations suivantes : 0 euro en janvier et février 2020, 120 euros en mars 2020, 320,05 euros en mai 2020, 0 euro en juin 2020, 1 280,03 euros en juillet 2020, 300 euros en août 2020, 0 euro en septembre 2020 et 159,95 euros en octobre 2020, aux divers motifs de congés sans solde, d'activité partielle, d'absence complète, d'absence non rémunérée, etc.

Si le non-respect de la décision de l'assemblée des associés fixant la rémunération du directeur général à la somme mensuelle de 2 600 euros est avéré sans qu'il soit justifié que Mme [Y] a formellement donné son accord, il apparaît que la restriction de rémunération n'a été appliquée que sur une période de neuf mois en 2020, qu'en 2020, la rémunération facturée par la société Bellensa a pareillement été réduite sur neuf mois ramenée à une somme de 5 032 euros HT selon les factures susmentionnées (la société Bellensa produisant un décompte mentionnant la somme de 9 520 euros mais demeurant sans emport sur le raisonnement) loin des sommes contractuellement prévues quelle que soit la version de la convention litigieuse qui ait été appliquée, que pour une large part cette réduction est intervenue dans des circonstances exceptionnelles liées aux conséquences financières de la pandémie de covid-19 pour ce type de commerce, et que Mme [Y] ne s'en est pas plaint immédiatement et n'a signalé la difficulté que le 16 avril 2021, à l'occasion de la convocation de la société Bellensa à l'assemblée générale prévoyant sa révocation et la désignation de Mme [Y] en ses lieu et place.

Dans ce contexte, ce motif ne constitue pas un motif suffisamment grave pour justifier la révocation de la société Bellensa.

Au surplus, cette faute n'a pas porté atteinte à l'intérêt social mais uniquement aux intérêts de Mme [Y].

La révocation de la société Bellensa étant dépourvue de motifs graves en violation des statuts, elle justifie l'octroi à son profit d'une indemnité de 10 000 euros comme l'a jugé le tribunal.

1. Sur les circonstances de la révocation

La société Bellensa soutient qu'elle a été abusivement révoquée, que les serrures du salon de coiffure ont tout d'abord été changées à son insu sans qu'elle en ait reçu un jeu de clés et lui interdisant un accès à sa convenance, que Mme [R] n'a pas pu avoir accès à certaines informations qui auraient permis d'assurer sa défense, qu'elle ne disposait pas d'un accès à distance du logiciel et n'a pu établir correctement des bulletins de paie des salariés en avril 2021, qu'en second lieu, elle n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations préalablement à sa révocation, que le procès-verbal de l'assemblée ayant décidé de sa révocation devrait comporter un résumé des débats selon l'article R. 225-106 du code de commerce, ce qui n'a pas été le cas avec la mention « Un échange s'instaure », qu'en réalité, la société Cilpat a évincé la société Bellensa sous un faux prétexte alors que la cause réelle était la mésentente entre les deux associées.

La société Cilpat conteste avoir agi avec brutalité, ayant attendu le mois d'avril 2021 pour convoquer la société Bellensa en vue de sa révocation et rétorque que le changement des serrures avait vocation à se prémunir de tout acte malveillant en son absence, que cela n'a pas empêché Mme [R] de se présenter au salon de coiffure durant les heures d'ouverture, que Mme [R] avait également accès au logiciel du salon de coiffure depuis son ordinateur professionnel installé à son domicile, que les absences comptabilisées dans les bulletins de paie de Mme [Y] n'avaient jamais fait l'objet d'un accord entre les parties et ont été décidées unilatéralement par Mme [R], que le procès-verbal d'assemblée mentionne les reproches exprimés à l'encontre de la société Bellensa, que l'article R. 225-106 du code de commerce n'impose pas de mentionner la teneur des échanges, que la publication de ce procès-verbal aurait par ailleurs nécessité d' « expurger lesdits propos » (sic), que dans son courrier de contestation de sa révocation du 3 mai 2021, la société Bellensa ne présente aucune défense sur le motif de révocation invoqué par Mme [Y].

Sur ce,

Le président d'une société par actions simplifiée peut être révoqué dans des conditions abusives, brutales ou vexatoires qui justifient son indemnisation.

Est abusive la révocation du président d'une société par actions simplifiée décidée sans que celui-ci ait été préalablement mis en mesure de présenter ses observations, celles-ci n'ayant pas à être consignées par écrit si ce n'est à des fins probatoires.

En l'espèce, par courrier recommandé avec accusé de réception du 16 avril 2021, Mme [Y] agissant en sa qualité d'associée disposant de plus de 25% des droits de vote a convoqué la société Bellensa à l'assemblée générale du 3 mai suivant en vue notamment de sa révocation de son mandat de présidente de la société Cilpat, de la nomination de Mme [Y] en ses lieu et place et de la fixation de sa rémunération. Ce courrier indique le motif de la révocation précité et un projet de résolution.

Par courrier du 3 mai 2016 postérieur à la réunion de l'assemblée générale, la société Bellensa a contesté sa révocation, nié le motif et sa gravité et précisé que la réduction des rémunérations des présidente et directrice générale en 2020 résultait d'un commun accord entre elles pour faire face aux charges fixes. Elle a également fait état du caractère abusif de sa révocation et des critiques suivantes concernant l'assemblée générale : la mention d'une identité erronée sur la feuille de présence, le défaut de convocation des commissaires aux comptes, le refus d'acter par écrit ses observations que ce soit au procès-verbal de l'assemblée ou par acte séparé, concluant comme suit : « Au final, tu m'as présenté un procès-verbal avec une identité erronée pour la SARL Bellensa, qui ne comportait ni mes observations, ni mes questions diverses, indiquant la présence de la convocation des commissaires aux comptes, pour toutes ces raisons j'ai refusé de signer ce procès-verbal. »

De ce procès-verbal, il ressort que « il a été donné lecture de la lettre de convocation, notamment du motif de révocation invoqué », que « Un échange s'instaure » puis qu'il a été procédé au vote des résolutions.

Il s'ensuit que bien qu'il n'en figure pas trace au procès-verbal, Mme [R] en qualité de dirigeante de la société Bellensa a pu faire valoir ses observations comme elle l'indique dans son courrier du 3 mai.

L'article R. 225-106 du code de commerce qui concerne la société anonyme n'a pas vocation à trouver application dans la mesure où son contenu n'est pas compatible avec les règles applicables aux sociétés par action simplifiées notamment l'article L. 227-5 du code de commerce qui dispose que les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée et l'article L. 227-9 du code de commerce qui prévoit que les statuts déterminent les formes et conditions des décisions prises collectivement par les associés, et alors qu'il n'est pas justifié d'un renvoi à l'application de l'article R. 225-106 dans les statuts.

Alors qu'elle a pu présenter ses observations par l'intermédiaire de sa gérante, la révocation de la société Bellensa ne saurait être considérée comme abusive.

En revanche, les circonstances de cette révocation, non seulement le fait que Mme [Y] ne se soit pas plaint de la réduction de sa rémunération sur l'année 2020 avant la convocation du 16 avril 2021, mais surtout le changement des serrures « afin de se prémunir de tout acte malveillant en son absence » selon ses dires privant de fait Mme [R] de l'accès au salon de coiffure en dehors des horaires d'ouverture, sont brutales à la fois de par leur caractère soudain et inattendu et de par leur caractère vexatoire en ce qu'elles laissent supposer que la société Bellensa représentée par Mme [R] pourrait commettre un acte malveillant alors qu'il n'était reproché à la société Bellensa que des erreurs dans l'établissement des bulletins de salaire de Mme [Y], ce qui justifie l'octroi d'une indemnité justement appréciée par le tribunal à la somme de 3 000 euros.

Le jugement sera en conséquence confirmé, à ces motifs substitués, en ce qu'il a alloué à la société Bellensa la somme globale de 13 000 euros. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du jour du jugement.

Sur les demandes accessoires

La société Cilpat, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel, le jugement étant confirmé de ce chef et ne peut prétendre à l'octroi d'une somme quelconque sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à verser à la société Bellensa la somme de 5 000 euros à ce titre et déboutée de sa demande de ce même chef.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement déféré ;

Y ajoutant,

Condamne la société Cilpat aux dépens ;

Condamne la société Cilpat à payer à la société Bellensa la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Cilpat de sa demande de ce même chef.