Décisions
CA Montpellier, ch. com., 24 septembre 2024, n° 23/01537
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2024
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/01537 - N° Portalis DBVK-V-B7H-PYKY
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 23 JANVIER 2023
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2022 006291
APPELANTE :
Madame [Z] [M]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Marie Pierre DAMON, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
S.A. CIC SUD OUEST prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Gilles LASRY de la SCP SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 05 Juin 2024
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thibault GRAFFIN, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Jacqueline SEBA
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
FAITS et PROCÉDURE :
Le 28 septembre 2017, la SA CIC Sud-Ouest a octroyé deux prêts professionnels à la SAS LS Constructions': l'un d'un montant de 8 673,76 euros, au taux de 1,55% l'an en 60 mensualités ayant pour objet l'achat d'un véhicule utilitaire et l'autre d'un montant de 18'500 euros au taux de 1,55% l'an en 60 mensualités pour l'achat d'un véhicule d'occasion.
Le 1er octobre 2017, lesdits prêts ont été garantis par les cautionnements solidaires de M. [J] [H], président de la SAS LS Constructions, et celui de Mme [Z] [M], sa compagne, dans la limite de 24'000 euros, incluant le principal, les intérêts et les pénalités et intérêts de retard, et ce, pour une durée de 60 mois.
À compter du 15 avril 2021, la société LS Constructions n'a plus honoré les échéances des deux prêts.
Par jugement du 7 septembre 2021, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société LS Constructions et a désigné M. [V] [T] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par lettre du 7 octobre 2021, la banque CIC Sud-Ouest a déclaré sa créance auprès de M. [V] [T], ès qualités, pour un montant de 12'460,55 euros au titre du solde débiteur du compte courant et des deux prêts professionnels.
Par lettre du 14 octobre 2021, la banque CIC Sud-Ouest a vainement mis en demeure les cautions de régler la somme de 12'412,61 euros, puis par exploit du 9 mars 2022, la banque CIC Sud-Ouest les a assignés en paiement.
Par jugement réputé contradictoire du 23 janvier 2023, le tribunal de commerce de Montpellier a':
- condamné M. [J] [H] et Mme [Z] [M], in solidum ou l'un, à défaut de l'autre, à payer à la banque CIC Sud-Ouest, la somme principale de 12 489,76 euros, montant de la créance à hauteur du cautionnement, avec intérêts au taux de 1,230% à compter du 26 juin 2020';
- débouté la banque CIC Sud-Ouest de sa demande en paiement de la somme de 3'000 euros à titre de dommages et intérêts';
- prononcé la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil';
- ordonné l'exécution provisoire';
- et condamné M. [J] [H] et Mme [Z] [M] in solidum ou l'un à défaut de l'autre, au paiement de la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
Par déclaration du 21 mars 2023, Mme [Z] [M] a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 22 mai 2024, elle demande à la cour, au visa de l'article 9 du code de procédure civile, des articles 1104 et 1343-5 du code civil, des articles 2289, 2290 anciens du code civil, des articles L. 332-1 et L. 343-4 anciens du code de la consommation et de l'article L. 212-1 du code de la consommation de :
à titre principal,
- déclarer son appel recevable et bien fondé';
- infirmer le jugement entrepris';
statuant à nouveau
- déclarer que le montant de la créance de la banque CIC Sud-Ouest ne saurait être supérieur à la somme de 1'500 euros à titre principal';
- dire abusive au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation, la clause de déchéance du terme stipulée au contrat'et que la banque CIC Sud-Ouest ne peut s'en prévaloir ;
- prononcer la déchéance du droit aux intérêts';
- donner injonction à la banque CIC Sud-Ouest de produire un relevé de la créance tenant compte de la déchéance du droit aux intérêts prononcés';
- débouter la banque CIC Sud-Ouest de l'ensemble de ses demandes';
- condamner, en conséquence de ses manquements, la banque CIC Sud-Ouest, à lui payer la somme de 24'000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de ne pas contracter';
à titre subsidiaire
- octroyer à Mme [Z] [M] le bénéfice des plus larges délais de paiement de toute somme qui serait mise à sa charge, par règlement de 24 mensualités égales';
- et en tout état de cause, condamner la banque CIC Sud-Ouest à lui payer la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions du 3 juin 2024, la banque CIC Sud-Ouest demande à la cour, au visa des articles 1103, 2288, 1902 et suivants du code civil et de l'article L. 343-4 du code de la consommation de':
- juger que la créance est exigible et n'a pas fait l'objet de règlement'; que l'engagement de caution de Mme [Z] [M] n'était pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus lors de sa souscription et lorsque celle-ci a été appelée'; que la banque n'était tenue d'aucun devoir de mise en garde à l'égard de la caution, et n'a pas commis de manquement';
- débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes';
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris';
- et ajoutant, la condamner à lui payer la somme de 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 5 juin 2024.
MOTIFS
Sur le déséquilibre significatif de la clause de déchéance du terme
Selon l'article 2313 du code civil, dans sa version applicable à l'espèce, la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette ; elle ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur.
Au visa de l'article L. 212-1 alinéa 1er du code de la consommation et de la jurisprudence européenne et nationale associée, Mme [M] soutient que la banque doit être déchue de ses intérêts en raison du déséquilibre significatif présent dans la clause de déchéance du terme intitulée «'exigibilité anticipée'» et insérée uniquement dans l'acte de prêt, à laquelle la caution n'est pas partie.
Or, les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation, relatives aux clauses abusives, ne sont pas applicables en l'espèce, la société LS Constructions, professionnelle au sens dudit code, ayant souscrit le contrat de prêt dans le cadre de son activité commerciale, à des fins professionnelles.
Néanmoins, au titre par ailleurs de l'article 1171 du code civil, dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation.
Mme [M] fait valoir que la clause de déchéance du terme, stipulée dans les conditions générales des prêts souscrits par la société LS Constructions, est abusive pour déséquilibre significatif car ladite clause n'a pas été négociée entre les parties et qu'en sa qualité de caution, elle n'a pas été éclairée des effets de celle-ci.
Or en paraphant lesdites conditions générales, il est établi que Mme [M] a pris connaissance et été informée de l'existence de cette clause, dont la formulation est dépourvue d' équivoque.
L'appelante ajoute que le déséquilibre significatif est également dû au fait que la banque n'ait pas correctement mis en 'uvre cette clause, puisqu'elle n'a pas réceptionné la mise en demeure et que cette dernière ne lui laissait pas un délai raisonnable pour procéder au paiement.
Au soutien de sa démonstration, la caution se borne à reprendre le paragraphe 1.1 sous l'intitulé «'1. résiliation du contrat de crédit pour inexécution des engagements de l'emprunteur'» de la clause «'exigibilité anticipée'» insérée à la page 10 des conditions générales du contrat de prêt précisant que «'le présent contrat sera résilié de plein droit après mise en demeure restée infructueuse durant un délai raisonnable indiqué dans la lettre de mise en demeure et toute somme restant due au titre du contrat sera immédiatement exigible dans l'un des cas suivants':
- non-paiement à bonne date de toute somme due en vertu du présent crédit,
- survenance d'incidents de paiement sur les comptes de l'emprunteur ouverts auprès du prêteur (')'» ; mais cette clause n'a pas vocation à s'appliquer au litige puisque la déchéance du terme n'est pas due aux cas énumérés par le paragraphe 1.1 mais à une procédure d'ouverture de liquidation judiciaire à l'encontre du débiteur.
Le paragraphe 2 «'déchéance du terme du crédit pour autres motifs'» s'applique en revanche à l'espèce, puisqu'il stipule que «'le prêteur pourra sur simple notification prononcer la déchéance du terme du crédit et exiger le remboursement immédiat de toute somme restant due au titre du crédit si l'un des évènements listés ci-après remet en cause la situation financière de l'emprunteur au vu de laquelle le crédit a été octroyé': (')
' liquidation amiable ou judiciaire de l'emprunteur'».
Les conséquences pécuniaires de l'exigibilité anticipée sont prévues à la clause suivante, notamment que «'le prêteur aura droit à une indemnité de 7% du capital dû à la date d'exigibilité anticipée du crédit'». Celle-ci a bien été déclarée au passif de la société LS Constructions par lettre du 7 octobre 2021 adressée à M. [T], le mandataire judiciaire.
Suite à la liquidation judiciaire de la société débitrice et en application de l'article L.641-3 du code de commerce, la banque a mis en demeure la caution d'avoir à lui payer, au plus tard le 28 octobre 2021, la somme de 12'412,61 euros.
La lettre a été envoyée le 14 octobre 2021 à l'adresse mentionnée sur la fiche patrimoniale de la caution ; elle a été retournée «'pli avisé et non réclamé'» à une autre adresse de la caution, celle mentionnée sur le jugement déféré. La caution, qui ne démontre pas avoir transmis sa nouvelle adresse à la banque, ne peut lui reprocher un envoi à son ancienne adresse.
De plus, il est constant qu'une mise en demeure contractuelle non réclamée par le débiteur ne prive pas d'effets cette dernière.
Mme [M], qui ne s'est pas acquittée de la moindre somme entre cette mise en demeure et l'assignation de la banque en mars 2022, ne fait pas la démonstration qu'un délai plus long lui aurait permis d'apurer sa dette.
Par conséquent, aucun déséquilibre significatif affectant la clause pénale de déchéance du terme insérée au contrat de prêt, ne peut être retenu et le moyen tiré de son supposé caractère abusif sera écarté.
Sur la disproportion manifeste de l'engagement de caution
Il résulte de l'article L. 341-4, devenu l'article L. 332-1 du code de la consommation, qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
La disproportion manifeste du cautionnement doit être évaluée lors de la conclusion du contrat, au regard du montant de l'engagement et en fonction des revenus et du patrimoine de la caution déclarés par celle-ci, en prenant également en considération l'endettement global de celle-ci, dont le créancier avait ou pouvait avoir connaissance, y compris l'endettement résultant d'autres engagements de caution souscrits antérieurement.
La charge de la preuve du caractère disproportionné de l'engagement appartient à la caution qui l'invoque. Le créancier est quant à lui en droit de se fier aux informations qui lui ont été fournies dans la fiche de renseignements, sans avoir, en l'absence d'anomalies apparentes l'affectant, à en vérifier l'exactitude et la caution n'est pas admise à établir, devant le juge, que sa situation était, en réalité, moins favorable que celle qu'elle avait déclarée à la banque.
Dans l'hypothèse d'une pluralité de cautions solidaires, la proportionnalité doit faire l'objet d'une appréciation individuelle, pour chacune d'elles, puisque chaque caution solidaire est tenue au paiement intégral de la dette, sans pouvoir opposer les bénéfices de discussion ou de division.
En l'espèce, la banque invoque l'engagement de caution solidaire de Mme [Z] [M] du 1er octobre 2017 en garantie des deux prêts professionnels accordés à la SAS LS Constructions, dans la limite de la somme de 24'000 euros et pour une durée de 5 ans. Au titre de ce prêt et à la même date, M. [J] [H] s'était également porté caution solidaire, et ce, dans les mêmes modalités.
La banque produit une déclaration de situation patrimoniale de Mme [M] datée du 1er octobre 2017 aux termes de laquelle celle-ci a indiqué vivre en concubinage avec une personne à charge, disposer d'un revenu net annuel de 16'200 euros en tant que salariée des compagnons du devoir depuis 1 an, et n'avoir ni patrimoine ni épargne monétaire.
Au titre de ses charges et de son endettement, elle a indiqué être locataire, sans préciser le montant du loyer qu'elle acquittait.
Il en résulte qu'au regard de son patrimoine, l'engagement de caution souscrit par Mme [M] était manifestement disproportionné.
Par ailleurs, le créancier qui entend se prévaloir d'un cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, doit établir qu'au moment où il l'appelle, soit au jour où la caution est assignée, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son engagement.
A la date de l'assignation, soit le 9 mars 2022, Mme [M] était salariée de la SAS Chabaud. Elle verse aux débats uniquement son bulletin de paie du mois d'avril 2023 faisant état d'un salaire net de 2'186,22 euros, de sorte que son revenu annuel s'établit à environ 26'235 euros.
Mme [M] verse aux débats une quittance de loyer de mai 2023 postérieure à la date de l'assignation et des échéanciers de prélèvements d'assurance automobile à compter de septembre 2022 et d'assurance habitation à compter de février 2023, charges d'un montant total insuffisant à grever le montant de ses revenus au moment où elle a été appelée.
Etant recherchée au titre de son engagement de caution du 1er octobre 2017 pour un montant en principal de 12'489,76 euros, ses revenus, au jour où elle est appelée, lui permettent de satisfaire à son engagement et aucune disproportion manifeste n'est caractérisée.
Sur le devoir de mise en garde de la banque
Mme [M] soutient que, néophyte en matière bancaire, elle ne disposait pas de toutes les informations sur la vie de la société débitrice, étant seulement la compagne du dirigeant et que la banque aurait dû l'alerter sur son endettement excessif ainsi que sur celui de la société LS Constructions.
La caution non avertie bénéficie du devoir de mise en garde obligeant le banquier à l'alerter des risques d'endettement encourus par elle à raison de ses capacités financières, mais également des risques d'endettement encourus par le débiteur lui-même lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
En présence d'une caution avertie, la banque n'est tenue à ce devoir de mise en garde qu'à la condition qu'elle ait détenu des informations sur les revenus de cette caution, son patrimoine et ses capacités de remboursement raisonnablement prévisibles en l'état du succès escompté de l'opération financée ou de la société cautionnée, que la caution aurait elle-même ignorées.
Le caractère averti d'une caution ne peut être déduit des seules fonctions de dirigeant et associé de la société débitrice principale. Cette qualité s'apprécie non seulement au regard de son âge et de son expérience des affaires, mais aussi de la complexité de l'opération envisagée et de son implication personnelle dans l'affaire.
La preuve du caractère averti incombe à la banque.
Or, contrairement à ce que soutient l'établissement bancaire, la seule circonstance qu'elle soit la compagne du dirigeant de la société débitrice ne suffit pas à établir qu'elle aurait disposé des informations nécessaires sur l'état des comptes de l'entreprise, de ses charges et des engagements financiers, et ne lui confère pas la qualité de caution avertie.
En cas de crédit excessif, la banque engage sa responsabilité contractuelle à l'égard d'une caution non avertie pour ne pas l'avoir mise en garde du risque d'endettement qu'elle encourt du fait de son engagement, ou si l'opération financée était manifestement inadaptée aux capacités financières de l'emprunteur.
Or la société LS Constructions a remboursé sans difficulté pendant 3 ans et demi les prêts souscrits auprès de la CIC Sud-Ouest, de sorte que les crédits consentis étaient donc adaptés aux capacités financières de la société, il a été précédemment constaté que Mme [M] rapportait la preuve du caractère manifestement disproportionné de son engagement de caution lors de sa souscription.
Par conséquent, la CIC Sud-Ouest a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de Mme [M] pour ne pas l'avoir mise en garde du risque d'endettement qu'elle encourait du fait de son engagement.
Sur la demande de réparation du préjudice de perte de chance de ne pas s'engager
Le préjudice né du manquement de la banque à son devoir de mise en garde s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter, étant constant que le montant de la réparation accordée par le juge ne peut égaler le montant de l'obligation de règlement de la caution.
En l'espèce, son engagement de caution, certes considéré comme disproportionné, représentait néanmoins seulement une fois et demi ses revenus. De plus, en se rendant caution, elle a permis à son compagnon, M. [H], de réaliser son projet professionnel, durant trois ans et demi, aboutissant à une liquidation judiciaire, mais à l'issue de l'épidémie du Covid-19.
Si Mme [M] avait été correctement mise en garde, elle aurait pu décider de limiter le montant de son cautionnement, la cour estimant cependant que la chance perdue de le faire était modeste.
La réparation de la perte d'une chance ne pouvant équivaloir à la chance perdue, ce préjudice sera entièrement réparé par l'octroi de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, que la banque CIC Sud-Ouest sera condamnée à verser à l'appelante.
Sur le montant de la créance de la banque
Selon les dispositions de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En l'espèce, la banque indique avoir dénoncé le 10 avril 2024 à Mme [M] le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation de son véhicule de la marque Renault et qu'en conséquence, le solde à payer s'élevait à 1'500 euros au principal outre les intérêts, soit la somme totale de 2'226,67 euros. Cependant, la banque a ensuite donné mainlevée de cette saisie, et verse aux débats l'e-mail envoyé à Mme [M] par le commissaire de justice concernant le retour du Service d'Immatriculation des Véhicules (SIV) sur l'acte de main levée signifié le 16 avril 2024.
De surcroît, la banque produit les lettres envoyées par l'huissier de justice d'avril à mai 2024 à M. [J] [H] lui reprochant de ne pas avoir réglé l'acompte de 3'000 euros, ce qui est corroboré par le décompte de la créance arrété à la date du 29 mai 2024 d'un montant total de 14'150,69 euros dont 12'489,76 euros en principal.
Néanmoins, il résulte d'échanges postérieurs que la banque a accepté ensuite la mise en place d'un échéancier à partir de juin 2024 comportant des mensualités de 800 euros, à régler par M. [H] avant le 10 de chaque mois.
Par conséquent, la banque démontre qu'à la date du 29 mai 2024, sa créance envers la caution s'élevait à 14'150,69 euros, soit 12'489,76 euros en principal outre intérêts et Mme [M] a été justement condamnée par les premiers juges à ce montant.
Sur la demande de délais de paiement
La dette est ancienne et Mme [M] a de fait bénéficié de délais de paiement. La demande de délai de grâce sera rejetée.
En définitive, le jugement sera approuvé, en lui ajoutant l'octroi de dommages et intérêts pour manquement par la banque à son devoir d'information, sollicités pour la première fois en cause d'appel par Mme [M], défaillante en première instance.
Mme [M] succombant encore plus large part devra supporter la charge des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant
Condamne la SA CIC Sud-Ouest à payer à Mme [Z] [M] la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts ;
Ordonne la compensation entre les créances respectives des parties ;
Rejette la demande de délai de grâce ;
Condamne Mme [Z] [M] aux dépens d'appel, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
le greffier, la présidente,
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2024
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/01537 - N° Portalis DBVK-V-B7H-PYKY
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 23 JANVIER 2023
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2022 006291
APPELANTE :
Madame [Z] [M]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Marie Pierre DAMON, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
S.A. CIC SUD OUEST prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Gilles LASRY de la SCP SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 05 Juin 2024
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thibault GRAFFIN, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Jacqueline SEBA
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
FAITS et PROCÉDURE :
Le 28 septembre 2017, la SA CIC Sud-Ouest a octroyé deux prêts professionnels à la SAS LS Constructions': l'un d'un montant de 8 673,76 euros, au taux de 1,55% l'an en 60 mensualités ayant pour objet l'achat d'un véhicule utilitaire et l'autre d'un montant de 18'500 euros au taux de 1,55% l'an en 60 mensualités pour l'achat d'un véhicule d'occasion.
Le 1er octobre 2017, lesdits prêts ont été garantis par les cautionnements solidaires de M. [J] [H], président de la SAS LS Constructions, et celui de Mme [Z] [M], sa compagne, dans la limite de 24'000 euros, incluant le principal, les intérêts et les pénalités et intérêts de retard, et ce, pour une durée de 60 mois.
À compter du 15 avril 2021, la société LS Constructions n'a plus honoré les échéances des deux prêts.
Par jugement du 7 septembre 2021, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société LS Constructions et a désigné M. [V] [T] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par lettre du 7 octobre 2021, la banque CIC Sud-Ouest a déclaré sa créance auprès de M. [V] [T], ès qualités, pour un montant de 12'460,55 euros au titre du solde débiteur du compte courant et des deux prêts professionnels.
Par lettre du 14 octobre 2021, la banque CIC Sud-Ouest a vainement mis en demeure les cautions de régler la somme de 12'412,61 euros, puis par exploit du 9 mars 2022, la banque CIC Sud-Ouest les a assignés en paiement.
Par jugement réputé contradictoire du 23 janvier 2023, le tribunal de commerce de Montpellier a':
- condamné M. [J] [H] et Mme [Z] [M], in solidum ou l'un, à défaut de l'autre, à payer à la banque CIC Sud-Ouest, la somme principale de 12 489,76 euros, montant de la créance à hauteur du cautionnement, avec intérêts au taux de 1,230% à compter du 26 juin 2020';
- débouté la banque CIC Sud-Ouest de sa demande en paiement de la somme de 3'000 euros à titre de dommages et intérêts';
- prononcé la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil';
- ordonné l'exécution provisoire';
- et condamné M. [J] [H] et Mme [Z] [M] in solidum ou l'un à défaut de l'autre, au paiement de la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
Par déclaration du 21 mars 2023, Mme [Z] [M] a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 22 mai 2024, elle demande à la cour, au visa de l'article 9 du code de procédure civile, des articles 1104 et 1343-5 du code civil, des articles 2289, 2290 anciens du code civil, des articles L. 332-1 et L. 343-4 anciens du code de la consommation et de l'article L. 212-1 du code de la consommation de :
à titre principal,
- déclarer son appel recevable et bien fondé';
- infirmer le jugement entrepris';
statuant à nouveau
- déclarer que le montant de la créance de la banque CIC Sud-Ouest ne saurait être supérieur à la somme de 1'500 euros à titre principal';
- dire abusive au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation, la clause de déchéance du terme stipulée au contrat'et que la banque CIC Sud-Ouest ne peut s'en prévaloir ;
- prononcer la déchéance du droit aux intérêts';
- donner injonction à la banque CIC Sud-Ouest de produire un relevé de la créance tenant compte de la déchéance du droit aux intérêts prononcés';
- débouter la banque CIC Sud-Ouest de l'ensemble de ses demandes';
- condamner, en conséquence de ses manquements, la banque CIC Sud-Ouest, à lui payer la somme de 24'000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de ne pas contracter';
à titre subsidiaire
- octroyer à Mme [Z] [M] le bénéfice des plus larges délais de paiement de toute somme qui serait mise à sa charge, par règlement de 24 mensualités égales';
- et en tout état de cause, condamner la banque CIC Sud-Ouest à lui payer la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions du 3 juin 2024, la banque CIC Sud-Ouest demande à la cour, au visa des articles 1103, 2288, 1902 et suivants du code civil et de l'article L. 343-4 du code de la consommation de':
- juger que la créance est exigible et n'a pas fait l'objet de règlement'; que l'engagement de caution de Mme [Z] [M] n'était pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus lors de sa souscription et lorsque celle-ci a été appelée'; que la banque n'était tenue d'aucun devoir de mise en garde à l'égard de la caution, et n'a pas commis de manquement';
- débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes';
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris';
- et ajoutant, la condamner à lui payer la somme de 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 5 juin 2024.
MOTIFS
Sur le déséquilibre significatif de la clause de déchéance du terme
Selon l'article 2313 du code civil, dans sa version applicable à l'espèce, la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette ; elle ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur.
Au visa de l'article L. 212-1 alinéa 1er du code de la consommation et de la jurisprudence européenne et nationale associée, Mme [M] soutient que la banque doit être déchue de ses intérêts en raison du déséquilibre significatif présent dans la clause de déchéance du terme intitulée «'exigibilité anticipée'» et insérée uniquement dans l'acte de prêt, à laquelle la caution n'est pas partie.
Or, les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation, relatives aux clauses abusives, ne sont pas applicables en l'espèce, la société LS Constructions, professionnelle au sens dudit code, ayant souscrit le contrat de prêt dans le cadre de son activité commerciale, à des fins professionnelles.
Néanmoins, au titre par ailleurs de l'article 1171 du code civil, dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation.
Mme [M] fait valoir que la clause de déchéance du terme, stipulée dans les conditions générales des prêts souscrits par la société LS Constructions, est abusive pour déséquilibre significatif car ladite clause n'a pas été négociée entre les parties et qu'en sa qualité de caution, elle n'a pas été éclairée des effets de celle-ci.
Or en paraphant lesdites conditions générales, il est établi que Mme [M] a pris connaissance et été informée de l'existence de cette clause, dont la formulation est dépourvue d' équivoque.
L'appelante ajoute que le déséquilibre significatif est également dû au fait que la banque n'ait pas correctement mis en 'uvre cette clause, puisqu'elle n'a pas réceptionné la mise en demeure et que cette dernière ne lui laissait pas un délai raisonnable pour procéder au paiement.
Au soutien de sa démonstration, la caution se borne à reprendre le paragraphe 1.1 sous l'intitulé «'1. résiliation du contrat de crédit pour inexécution des engagements de l'emprunteur'» de la clause «'exigibilité anticipée'» insérée à la page 10 des conditions générales du contrat de prêt précisant que «'le présent contrat sera résilié de plein droit après mise en demeure restée infructueuse durant un délai raisonnable indiqué dans la lettre de mise en demeure et toute somme restant due au titre du contrat sera immédiatement exigible dans l'un des cas suivants':
- non-paiement à bonne date de toute somme due en vertu du présent crédit,
- survenance d'incidents de paiement sur les comptes de l'emprunteur ouverts auprès du prêteur (')'» ; mais cette clause n'a pas vocation à s'appliquer au litige puisque la déchéance du terme n'est pas due aux cas énumérés par le paragraphe 1.1 mais à une procédure d'ouverture de liquidation judiciaire à l'encontre du débiteur.
Le paragraphe 2 «'déchéance du terme du crédit pour autres motifs'» s'applique en revanche à l'espèce, puisqu'il stipule que «'le prêteur pourra sur simple notification prononcer la déchéance du terme du crédit et exiger le remboursement immédiat de toute somme restant due au titre du crédit si l'un des évènements listés ci-après remet en cause la situation financière de l'emprunteur au vu de laquelle le crédit a été octroyé': (')
' liquidation amiable ou judiciaire de l'emprunteur'».
Les conséquences pécuniaires de l'exigibilité anticipée sont prévues à la clause suivante, notamment que «'le prêteur aura droit à une indemnité de 7% du capital dû à la date d'exigibilité anticipée du crédit'». Celle-ci a bien été déclarée au passif de la société LS Constructions par lettre du 7 octobre 2021 adressée à M. [T], le mandataire judiciaire.
Suite à la liquidation judiciaire de la société débitrice et en application de l'article L.641-3 du code de commerce, la banque a mis en demeure la caution d'avoir à lui payer, au plus tard le 28 octobre 2021, la somme de 12'412,61 euros.
La lettre a été envoyée le 14 octobre 2021 à l'adresse mentionnée sur la fiche patrimoniale de la caution ; elle a été retournée «'pli avisé et non réclamé'» à une autre adresse de la caution, celle mentionnée sur le jugement déféré. La caution, qui ne démontre pas avoir transmis sa nouvelle adresse à la banque, ne peut lui reprocher un envoi à son ancienne adresse.
De plus, il est constant qu'une mise en demeure contractuelle non réclamée par le débiteur ne prive pas d'effets cette dernière.
Mme [M], qui ne s'est pas acquittée de la moindre somme entre cette mise en demeure et l'assignation de la banque en mars 2022, ne fait pas la démonstration qu'un délai plus long lui aurait permis d'apurer sa dette.
Par conséquent, aucun déséquilibre significatif affectant la clause pénale de déchéance du terme insérée au contrat de prêt, ne peut être retenu et le moyen tiré de son supposé caractère abusif sera écarté.
Sur la disproportion manifeste de l'engagement de caution
Il résulte de l'article L. 341-4, devenu l'article L. 332-1 du code de la consommation, qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
La disproportion manifeste du cautionnement doit être évaluée lors de la conclusion du contrat, au regard du montant de l'engagement et en fonction des revenus et du patrimoine de la caution déclarés par celle-ci, en prenant également en considération l'endettement global de celle-ci, dont le créancier avait ou pouvait avoir connaissance, y compris l'endettement résultant d'autres engagements de caution souscrits antérieurement.
La charge de la preuve du caractère disproportionné de l'engagement appartient à la caution qui l'invoque. Le créancier est quant à lui en droit de se fier aux informations qui lui ont été fournies dans la fiche de renseignements, sans avoir, en l'absence d'anomalies apparentes l'affectant, à en vérifier l'exactitude et la caution n'est pas admise à établir, devant le juge, que sa situation était, en réalité, moins favorable que celle qu'elle avait déclarée à la banque.
Dans l'hypothèse d'une pluralité de cautions solidaires, la proportionnalité doit faire l'objet d'une appréciation individuelle, pour chacune d'elles, puisque chaque caution solidaire est tenue au paiement intégral de la dette, sans pouvoir opposer les bénéfices de discussion ou de division.
En l'espèce, la banque invoque l'engagement de caution solidaire de Mme [Z] [M] du 1er octobre 2017 en garantie des deux prêts professionnels accordés à la SAS LS Constructions, dans la limite de la somme de 24'000 euros et pour une durée de 5 ans. Au titre de ce prêt et à la même date, M. [J] [H] s'était également porté caution solidaire, et ce, dans les mêmes modalités.
La banque produit une déclaration de situation patrimoniale de Mme [M] datée du 1er octobre 2017 aux termes de laquelle celle-ci a indiqué vivre en concubinage avec une personne à charge, disposer d'un revenu net annuel de 16'200 euros en tant que salariée des compagnons du devoir depuis 1 an, et n'avoir ni patrimoine ni épargne monétaire.
Au titre de ses charges et de son endettement, elle a indiqué être locataire, sans préciser le montant du loyer qu'elle acquittait.
Il en résulte qu'au regard de son patrimoine, l'engagement de caution souscrit par Mme [M] était manifestement disproportionné.
Par ailleurs, le créancier qui entend se prévaloir d'un cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, doit établir qu'au moment où il l'appelle, soit au jour où la caution est assignée, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son engagement.
A la date de l'assignation, soit le 9 mars 2022, Mme [M] était salariée de la SAS Chabaud. Elle verse aux débats uniquement son bulletin de paie du mois d'avril 2023 faisant état d'un salaire net de 2'186,22 euros, de sorte que son revenu annuel s'établit à environ 26'235 euros.
Mme [M] verse aux débats une quittance de loyer de mai 2023 postérieure à la date de l'assignation et des échéanciers de prélèvements d'assurance automobile à compter de septembre 2022 et d'assurance habitation à compter de février 2023, charges d'un montant total insuffisant à grever le montant de ses revenus au moment où elle a été appelée.
Etant recherchée au titre de son engagement de caution du 1er octobre 2017 pour un montant en principal de 12'489,76 euros, ses revenus, au jour où elle est appelée, lui permettent de satisfaire à son engagement et aucune disproportion manifeste n'est caractérisée.
Sur le devoir de mise en garde de la banque
Mme [M] soutient que, néophyte en matière bancaire, elle ne disposait pas de toutes les informations sur la vie de la société débitrice, étant seulement la compagne du dirigeant et que la banque aurait dû l'alerter sur son endettement excessif ainsi que sur celui de la société LS Constructions.
La caution non avertie bénéficie du devoir de mise en garde obligeant le banquier à l'alerter des risques d'endettement encourus par elle à raison de ses capacités financières, mais également des risques d'endettement encourus par le débiteur lui-même lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
En présence d'une caution avertie, la banque n'est tenue à ce devoir de mise en garde qu'à la condition qu'elle ait détenu des informations sur les revenus de cette caution, son patrimoine et ses capacités de remboursement raisonnablement prévisibles en l'état du succès escompté de l'opération financée ou de la société cautionnée, que la caution aurait elle-même ignorées.
Le caractère averti d'une caution ne peut être déduit des seules fonctions de dirigeant et associé de la société débitrice principale. Cette qualité s'apprécie non seulement au regard de son âge et de son expérience des affaires, mais aussi de la complexité de l'opération envisagée et de son implication personnelle dans l'affaire.
La preuve du caractère averti incombe à la banque.
Or, contrairement à ce que soutient l'établissement bancaire, la seule circonstance qu'elle soit la compagne du dirigeant de la société débitrice ne suffit pas à établir qu'elle aurait disposé des informations nécessaires sur l'état des comptes de l'entreprise, de ses charges et des engagements financiers, et ne lui confère pas la qualité de caution avertie.
En cas de crédit excessif, la banque engage sa responsabilité contractuelle à l'égard d'une caution non avertie pour ne pas l'avoir mise en garde du risque d'endettement qu'elle encourt du fait de son engagement, ou si l'opération financée était manifestement inadaptée aux capacités financières de l'emprunteur.
Or la société LS Constructions a remboursé sans difficulté pendant 3 ans et demi les prêts souscrits auprès de la CIC Sud-Ouest, de sorte que les crédits consentis étaient donc adaptés aux capacités financières de la société, il a été précédemment constaté que Mme [M] rapportait la preuve du caractère manifestement disproportionné de son engagement de caution lors de sa souscription.
Par conséquent, la CIC Sud-Ouest a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de Mme [M] pour ne pas l'avoir mise en garde du risque d'endettement qu'elle encourait du fait de son engagement.
Sur la demande de réparation du préjudice de perte de chance de ne pas s'engager
Le préjudice né du manquement de la banque à son devoir de mise en garde s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter, étant constant que le montant de la réparation accordée par le juge ne peut égaler le montant de l'obligation de règlement de la caution.
En l'espèce, son engagement de caution, certes considéré comme disproportionné, représentait néanmoins seulement une fois et demi ses revenus. De plus, en se rendant caution, elle a permis à son compagnon, M. [H], de réaliser son projet professionnel, durant trois ans et demi, aboutissant à une liquidation judiciaire, mais à l'issue de l'épidémie du Covid-19.
Si Mme [M] avait été correctement mise en garde, elle aurait pu décider de limiter le montant de son cautionnement, la cour estimant cependant que la chance perdue de le faire était modeste.
La réparation de la perte d'une chance ne pouvant équivaloir à la chance perdue, ce préjudice sera entièrement réparé par l'octroi de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, que la banque CIC Sud-Ouest sera condamnée à verser à l'appelante.
Sur le montant de la créance de la banque
Selon les dispositions de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En l'espèce, la banque indique avoir dénoncé le 10 avril 2024 à Mme [M] le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation de son véhicule de la marque Renault et qu'en conséquence, le solde à payer s'élevait à 1'500 euros au principal outre les intérêts, soit la somme totale de 2'226,67 euros. Cependant, la banque a ensuite donné mainlevée de cette saisie, et verse aux débats l'e-mail envoyé à Mme [M] par le commissaire de justice concernant le retour du Service d'Immatriculation des Véhicules (SIV) sur l'acte de main levée signifié le 16 avril 2024.
De surcroît, la banque produit les lettres envoyées par l'huissier de justice d'avril à mai 2024 à M. [J] [H] lui reprochant de ne pas avoir réglé l'acompte de 3'000 euros, ce qui est corroboré par le décompte de la créance arrété à la date du 29 mai 2024 d'un montant total de 14'150,69 euros dont 12'489,76 euros en principal.
Néanmoins, il résulte d'échanges postérieurs que la banque a accepté ensuite la mise en place d'un échéancier à partir de juin 2024 comportant des mensualités de 800 euros, à régler par M. [H] avant le 10 de chaque mois.
Par conséquent, la banque démontre qu'à la date du 29 mai 2024, sa créance envers la caution s'élevait à 14'150,69 euros, soit 12'489,76 euros en principal outre intérêts et Mme [M] a été justement condamnée par les premiers juges à ce montant.
Sur la demande de délais de paiement
La dette est ancienne et Mme [M] a de fait bénéficié de délais de paiement. La demande de délai de grâce sera rejetée.
En définitive, le jugement sera approuvé, en lui ajoutant l'octroi de dommages et intérêts pour manquement par la banque à son devoir d'information, sollicités pour la première fois en cause d'appel par Mme [M], défaillante en première instance.
Mme [M] succombant encore plus large part devra supporter la charge des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant
Condamne la SA CIC Sud-Ouest à payer à Mme [Z] [M] la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts ;
Ordonne la compensation entre les créances respectives des parties ;
Rejette la demande de délai de grâce ;
Condamne Mme [Z] [M] aux dépens d'appel, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
le greffier, la présidente,