CA Versailles, ch. com. 3-2, 24 septembre 2024, n° 24/02105
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerlot
Vice-président :
M. Roth
Conseiller :
Mme Cougard
Avocats :
Me Cizeron, Me Fournier La Touraille
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 13 décembre 2023, le ministère public a déposé au greffe du tribunal de commerce de Versailles une requête aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement, ou subsidiairement, de liquidation judiciaire de la société Montaigne B.E. (la société Montaigne).
Par un jugement réputé contradictoire du 14 mars 2024, ce tribunal a :
- constaté l'absence de la société Montaigne et son état de cessation des paiements ;
- ouvert une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société Montaigne.
- fixé définitivement la date de cessation des paiements au 14 septembre 2022 ;
- désigné Mme [R] en qualité de juge-commissaire ;
- désigné la SELARL ML Conseils en qualité de liquidateur ;
- désigné la SELARL [Y] [N] [J] & [E] [C] en qualité de commissaire de justice aux fins de réaliser l'inventaire prévu à l'article L. 622-6 du code de commerce ;
- en tant que de besoin, donné de pouvoir au liquidateur de procéder à l'archivage des documents du débiteur ;
- fixé à huit mois, à compter du terme du délai de déclaration des créances, le délai dans lequel le liquidateur devra, le cas échéant, déposer la liste des créances ;
- fixé à deux ans, à compter du présent jugement, le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée ;
- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure.
Par déclaration du 29 mars 2024, la société Montaigne a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition.
Par dernières conclusions du 22 mai 2024, elle demande à la cour de :
- reformer le jugement en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire ;
Statuant à nouveau,
- prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son bénéfice.
Par dernières conclusions du 10 juin 2024, la société ML Conseils, ès qualités, demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- condamner la société Montaigne à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Montaigne aux entiers dépens.
Par conclusions du 4 avril 2024, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement dans toutes ses dispositions.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 août 2023.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
1- Sur la demande de redressement judiciaire
L'appelante expose que ses difficultés financières proviennent de la situation personnelle de son président, M. [M] qu'il l'a déstabilisée (décès de son épouse et de sa mère et maladie de sa fille dans les entreprises de laquelle il a dû investir). Elle expose que ces circonstances expliquent que M. [M] n'a pas pu s'investir dans sa gestion et qu'il n'a pas eu connaissance de l'assignation en liquidation judiciaire.
S'agissant de ses perspectives de redressement, elle fait valoir que M. [M] a obtenu du Crédit mutuel un cautionnement de 480 000 euros le 31 juillet 2018 et explique avoir viabilisé un terrain de 13,5 ha à [Localité 6] aux fins de vente de lots qui ont été tous vendus depuis 2022. Elle ajoute être créancière d'une somme de 11 150,22 euros à l'encontre de quatre acquéreurs et de 20 000 euros au titre d'un crédit de TVA. Elle termine en soulignant avoir confié à la société KPMG la reprise de sa comptabilité.
Le liquidateur répond que l'appelante n'établit pas avoir obtenu le cautionnement précité et avoir finalisé un projet de lotissement. Il expose également que l'appelante ne justifie ni la réalité de la créance de 11 150,22 euros, ni du bénéfice d'un crédit de TVA. Il fait valoir qu'aucun chiffre justifiant la poursuite de l'activité ne lui a été communiqué et qu'aucun actif n'a pu être recouvré, le commissaire de justice ayant établi un procès-verbal de carence. Il soutient que l'appelante est en état de cessation des paiements et que les deux créances alléguées ne suffiront pas à apurer le passif et à payer les charges courantes. Il ajoute que la société Montaigne n'a pas communiqué d'état prévisionnel, de factures ou de bons de commande de nature à justifier qu'elle est en mesure de se redresser.
Le ministère public est d'avis que la cour confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf à ce que l'appelante, qui n'était pas comparante en première instance, démontre par la production d'un compte prévisionnel sur quatre mois certifié par son expert-comptable, soit qu'un redressement judiciaire serait envisageable, soit qu'elle ne serait pas en état de cessation des paiements au jour de l'audience.
Réponse de la cour
L'article L. 631-1, alinéa 1er, du code de commerce prévoit :
« Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements. »
L'article L. 640-1, alinéa 1er, du même code dispose :
« Il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible. »
- Sur la cessation des paiements
L'appelante ne discute pas l'état de cessation des paiements.
Selon la liste des créances établie par le liquidateur à jour au 22 mai 2024, le passif de la société Montaigne s'élève à 180 607,66 euros dont 46 939,66 euros à titre définitif. Ce passif est constitué par les créances suivantes :
- SIE [Localité 7] à hauteur de 17 555 euros à titre définitif ;
- SIE [Localité 8] à hauteur de 17 555,24 euros à titre définitif ;
- Crédit mutuel à hauteur de 35 548 euros à échoir ;
- AGEIS à hauteur de 9 909 euros à titre définitif ;
- Crédit mutuel à hauteur de 231,42 euros à titre définitif ;
- Crédit mutuel à hauteur de 97 120 euros à échoir ;
- SPIE Citynetworks à hauteur de 1 689 euros à titre définitif.
S'agissant de l'actif disponible, le commissaire de justice chargé de l'inventaire a relevé que, malgré sa convocation, le dirigeant de la société Montaigne ne s'était pas manifesté, de sorte qu'il a établi un procès-verbal de carence le 25 avril 2024.
Par ailleurs, aucun élément ne vient étayer l'affirmation de l'appelante selon laquelle elle est créancière d'une somme de 11 150,22 euros à l'encontre d'acquéreurs de lots et d'un crédit de TVA d'un montant de 20 000 euros et qu'il s'agit d'actifs réalisables à bref délai.
Il n'est pas non plus justifié, comme l'ont relevé les premiers juges, de moratoire accordé à l'entreprise par ses créanciers.
Au regard de ces éléments, le tribunal a retenu par des motifs pertinents que la société Montaigne ne pouvait pas faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
Aucune des pièces produites en cause d'appel ne permet de retenir l'existence d'une évolution de cette situation.
Il en résulte que l'appelante est aujourd'hui en état de cessation des paiements. Il convient de confirmer le jugement de ce chef.
- Sur la demande de redressement
Pour démontrer l'existence de perspectives de redressement, la société Montaigne fait état de la régularisation le 31 juillet 2018 d'un cautionnement de 480 000 euros, de la finalisation d'un projet de lotissement, de la vente de lots à [Localité 6] et des créances précitées.
La cour relève d'une part, que ces affirmations ne sont pas étayées, aucune pièce n'étant produites par l'appelante, et surtout, d'autre part, que l'appelante ne communique aucun état prévisionnel ou autres éléments relatifs à son activité permettant d'apprécier qu'elle serait en mesure d'apurer son passif, de faire face à ses charges courantes et de se redresser.
Faute d'autres éléments de nature à démontrer la réalité des capacités financières de la société Montaigne, il se déduit de ce qui précède que son redressement est manifestement impossible. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de l'appelante.
2- Sur les demandes accessoires
L'équité commande de rejeter la demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective ;
Rejette la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.