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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 24 septembre 2024, n° 24/01070

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 24/01070

24 septembre 2024

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 24 SEPTEMBRE 2024

N° RG 24/01070 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NVJJ

S.A.S. AYOR WATER AND HEATING SOLUTIONS

c/

S.A.S. QAPI FRANCE (24)

Nature de la décision : APPEL D'UNE ORDONNANCE DE REFERE

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé rendue le 22 février 2024 (R.G. 2024000685) par le Tribunal de Commerce de PÉRIGUEUX suivant déclaration d'appel du 05 mars 2024

APPELANTE :

S.A.S. AYOR WATER AND HEATING SOLUTIONS, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

Représentée par Maître Frédéric CUIF de la SARL LX BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Eglantine LACARRIERE de la SELARL JOFFE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

S.A.S. QAPI FRANCE (24), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

Représentée par Maître Eugénie CRIQUILLION, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée par Maître Benjamin ENOS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 juillet 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Ayor Water and Heating Solutions (ci-après désignée société Ayor) appartient au groupe Ayor, spécialiste de la conception, la distribution de matériel de plomberie, sanitaire, chauffage auprès de professionnels.

La SAS QAPI France 24 (société QAPI) est spécialisée dans la production et l'assemblage de pièces plastiques.

Par contrat cadre de fabrication et disribution exclusive du 15 février 2018, la société QAPI s'est engagée à fabriquer et livrer divers produits du catalogue Ayor.

Le 15 décembre 2020 a été conclue entre les parties une convention de prêt d'outillage concernant divers moules destinés à assurer les besoins exclusifs de la fabrication des produits visés par le contrat cadre du 15 février 2018.

Un litige est apparu entre les parties, concernant le réglement par la société QAPI des remises commerciales prévues au contrat-cadre, en fonction du chiffre d'affaires réalisé, et le réglement de certaines factures émises par la société QAPI.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 décembre 2023, la SAS Ayor a notifié à la société QAPI la résiliation du contrat cadre et l'a mise en demeure d'avoir à lui restituer l'outillage.

A défaut de restitution, la SAS Ayor a saisi le juge des référés afin de se voir restituer l'outillage prêté.

Par acte du 21 février 2024, la société QAPI a fait assigner la société Ayor devant le tribunal de commerce de Périgueux en sollicitant l'indemnisation du préjudice qui lui aurait été causé par la rupture du contrat et le paiement de ses factures.

Par ordonnance contradictoire du 22 février 2024, le président du tribunal de commerce de Périgueux a statué comme suit :

- renvoie SAS Ayor à se pourvoir au fond comme elle avisera,

- déboute SAS Ayor de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- déboute la SAS Qapi France de se demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de la présente instance restent à la charge de la partie qui les a engagés.

Par déclaration au greffe du 5 mars 2024, la SAS Ayor Water and Heating Solutions a relevé appel de l'ordonnance en ses chefs expressément critiqués.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 13 juin 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Ayor Water and Heater Solutions demande à la cour de :

Vu les articles 485, 834 et 835 du code de procédure civile,

Vu les pièces versées aux débats,

Infirmer l'ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Périgueux le 22 février 2024, en ce qu'elle a :

Renvoyé AYOR Water and Heating Solutions « à se pourvoir au fond comme elle avisera » ;

Débouté AYOR Water and Heating Solutions de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les dépens resteront à la charge de la partie qui les a engagés ;

Et statuant à nouveau :

Faire injonction à la société QAPI de restituer à la société Ayor Water and Heating Solutions l'ensemble de l'Outillage prêté et listé à l'article 2 de la convention, le tout, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard et élément d'Outillage manquant à compter de l'ordonnance à intervenir ;

Condamner la société QAPI à verser à AYOR Water and Heating Solutions une somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société QAPI aux entiers dépens.

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 17 juin 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la société QAPI France 24 demande à la cour de :

Vu les articles 872 et 873 du code de procédure pénale,

Vu les articles 1219, 1226, 1915 et 1948 du code civil,

Vu les pièces versées aux débats,

Il est demandé au président de la 4e chambre commerciale de la cour d'appel de Bordeaux de :

Constater l'absence d'urgence au sens de l'article 872 du code de procédure civile,

Constater l'existence d'une contestation sérieuse au sens de l'article 872 du code de procédure civile,

Constater l'absence de trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du code de procédure civile,

En conséquence,

Confirmer l'ordonnance rendue le 22 février 2024 par le président du tribunal de commerce de Périgueux ;

Condamner la société AYOR Water And Heater Solutions à payer à la société QAPI France 24 France (24) la somme de 5.000,00 euros au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens ;

Condamner la societe AYOR Water And Heater Solutions à supporter les dépens de la présente instance.

Par ordonnance du 25 mars 2024, l'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 2 juillet 2024. L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DECISION:

1- En préalable à l'argumentation qu'elle développe dans la partie 'Discussion' de ses conclusions, la société appelante a indiqué que M. [N] [L], président du tribunal de commerce de Périgueux, aurait dû refuser de siéger dans le litige opposant les parties, compte tenu de sa qualité d'ancien mandataire social au sein de plusieurs sociétés du Groupe Ayor.

Toutefois, la société appelante n'a pas entendu tirer de conséquences procédurales de cet argument, dès lors qu'elle n'a pas demandé à la cour de prononcer la nullité de la décision rendue, dans le dispositif de ses conclusions.

Par ailleurs, il ne s'agit pas un motif péremptoire de réformation de la décision rendue.

Il n'y a donc pas lieu de statuer sur ce point.

2- Au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile, la société Ayor fait ensuite valoir qu'en dépit des stipulations claires du contrat-cadre, la société QAPI refuse de lui restituer l'outillage qu'elle lui avait prêté pour les seuls besoins de l'exécution de cette convention, désormais résiliée; qu'il existe pourtant une urgence à obtenir la restitution de ses outillages, puisqu'elle se trouve dans l'impossibilité de poursuivre la production de l'ensemble des référénces concernées; et qu'il n'existe aucune contestation sérieuse de la part de la société QAPI, de nature à faire échec à sa demande en référé.

Elle ajoute qu'il importe de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de la conservation indue de son outillage par la société QAPI, en dépit de la résiliation du contrat-cadre.

3- La société QAPI, intimée, réplique que la société Ayor ne peut utilement se prévaloir d'une prétendue urgence, alors qu'elle est à l'origine de l'absence de commandes de pièces depuis septembre 2023, et donc du dommage qu'elle invoque.

Elle précise en outre que la demande de restitution se heurte à plusieurs contestations sérieuses, relevant du juge du fond, compte tenu de l'entrelac d'exceptions d'inexécution invoquées par les parties.

Elle conteste l'existence d'un trouble manifestement illicite et soutient que les moules lui ont été confiés en dépôt (et non dans le cadre d'un prêt), de sorte qu'elle est fondée à opposer son droit de rétention afin d'obtenir le paiement des factures liés à leur exploitation, en application de l'article 1948 du code civil.

Sur ce:

4- Selon les dispositions de l'article 872 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans tous les cas d'urgence,et dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

5- Selon les dispositions de l'article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

6- Il convient de relever, en premier lieu, que la société Ayor ne produit au débat aucune pièce de nature à justifier de l'urgence qu'elle invoque à la récupération des moules.

Il n'est ainsi produit aucune pièce comptable ou attestation d'un expert-comptable, relative à la perte de chiffre d'affaire subie ou à l'épuisement depuis janvier 2024 des stocks des produits dont la fabrication est interrompue, ni correspondance de distributeurs concernant l'application à venir de pénalités importantes.

7- Par ailleurs, il est constant que la société QAPI se prévaut de l'existence de différentes factures non réglées par la société Ayor (ce que celle-ci ne conteste d'ailleurs pas), pour un montant total de 68 985.33 euros, correspondant à la fabrication de pièces, et du non-paiement des obsolètes (pour 80 130.47 euros). Elle fait en outre état du préjudice consécutif à une rupture brutale des relations commerciales, à la suite de la résiliation du contrat-cadre, ayant donné lieu à une assignation au fond, désormais portée devant le tribunal de commerce de Bordeaux.

8- La société Ayor a pour sa part invoqué l'existence d'impayés imputables à la société QAPI, au titre des BFA des exercices 2021 et 2022 (38 663.34 euros TTC), et de préjudices subis par suite des pénalités logistiques liées aux ruptures et retards de sa co-contractante (4252 euros).

9- Il existe une contestation sérieuse sur la qualification à donner au contrat par lequel la société QAPI s'est vue remettre la possession des outillages (dont les moules), compte tenu de la clause suivante, insérée en page 3 in fine de la convention du 15 décembre 2020: 'l'outillage est laissé (...) en dépôt chez la société QAPI France (Sodum) pour les besoins exclusifs de la fabrication des produits achetés par la société auprès de la société QAPI France (Sodum).'

A cet égard, seul le juge du fond peut apprécier si le contrat doit être qualifié de prêt à usage ou de dépôt nécessaire.

10- Par suite, seul le tribunal de commerce (désormais saisi au fond) peut également déterminer, au vu de la qualification retenue, si la société QAPI est fondée à exercer un droit de rétention sur les moules par application de l'article 1948 du code civil, propre au contrat de dépôt, soit le cas échéant sur le fondement plus général de l'article 2286 du code civil.

11- A ce stade, le refus de restitution de l'outillage ne peut donc être qualifié de trouble manifestement illicite, et les moyens invoqués en défense par la société QAPI constituent une contestation sérieuse.

12- Il convient dès lors de dire n'y avoir lieu à référé et de confirmer l'ordonnance entreprise, en toutes ses dispositions.

Sur les demandes accessoires:

13- Il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge de leurs frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

Dit n'y avoir lieu à référé,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 22 février 2024,

Y ajoutant,

Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président