Décisions
CA Reims, 1re ch. sect..civ., 24 septembre 2024, n° 24/00481
REIMS
Arrêt
Autre
ARRET N°
du 24 septembre 2024
R.G : 24/00481
N° Portalis DBVQ-V-B7I-FO6L
SAS VALOCIME
c/
SAS HIVORY
Formule exécutoire le :
à :
Me Elizabeth BRONQUARD
SELARL SF CONSEIL ET ASSOCIES
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2024
APPELANTE :
d'une ordonnance de référé rendue le 12 mars 2024 par la présidente du tribunal judiciaire de TROYES,
SAS VALOCIME, société par actions simplifiée au capital de 117.446 euros, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 831.070.503, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié au siège :
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Elizabeth BRONQUARD, avocat au barreau de REIMS, postulant et Me Reynald BRONZONI, avocat au barreau de PARIS (AARPI ANTES AVOCATS), plaidant,
INTIMEE :
SAS HIVORY, société par actions simplifiée au capital de 35.343.347, 21 euros, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 838.867.323, prise en la personne de son représentant légal, domicilié de droit au siège :
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Aurélien CASAUBON, avocat au barreau de l'AUBE, postulant (SELARL SF CONSEIL ET ASSOCIES) et par Me Emmannuelle BON-JULIEN, avocat au barreau de RENNES, plaidant,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de la chambre,
Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre,
Madame Sandrine PILON, conseillère,
GREFFIER LORS DES DEBATS ET DE LA MISE A DISPOSITION :
Madame Jocelyne DRAPIER, greffier,
DEBATS :
A l'audience publique du 1er juillet 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 24 septembre 2024,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de la chambre, et Madame Jocelyne DRAPIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Le 2 juillet 2010, l'EARL Lautrey, aux droits de laquelle se trouve à présent la SCEA de la Vallée des Dames Lautrey, a conclu avec la société SFR, aux droits de laquelle a succédé la société Hivory, un bail prévoyant la mise à disposition d'une emprise de 100 m² sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 5] sur la commune de [Localité 4] pour l'installation de dispositifs d'antennes et d'équipements techniques reliés à un réseau de télécommunications.
Ce bail était conclu pour une durée de 12 ans et prévoyait une tacite reconduction par échéances de 5 années sauf décision de non-renouvellement adressée par une partie en respectant un préavis de 18 mois avant l'échéance du terme.
Suivant contrats des 5 et 28 janvier 2019, la SCEA Lautrey a consenti à la société Valocîme la réservation de la parcelle précitée, puis, à compter du départ de la société Hivory, la location de ladite parcelle.
Par lettre du 23 novembre 2020, la société Valocîme a notifié à la société Hivory la décision de la SCEA Lautrey de ne pas renouveler le bail après le 31 juillet 2022.
La société Hivory refusant de quitter la parcelle, la société Valocîme l'a fait assigner, le 11 octobre 2023, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Troyes sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile afin que soit ordonnée son expulsion et qu'elle soit condamnée à retirer tous biens, infrastructures et équipements du site.
Par ordonnance du 12 mars 2024, le juge des référés a :
rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Valocîme soulevée par la société Hivory,
déclaré la société Valocîme irrecevable en l'ensemble de ses demandes pour défaut d'intérêt à agir,
condamné la société Valocîme à verser à la société Hivory la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Valocîme aux dépens de l'instance.
Il a estimé que :
l'action en expulsion peut ressortir d'une action en cessation d'un trouble manifestement illicite au droit de jouissance d'un bien et ne constitue pas nécessairement une action en revendication,
si l'article L34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques réserve le droit de construire un site de téléphonie mobile aux seuls détenteurs d'un mandat opérateur, il ne saurait pour autant s'en déduire que l'action en expulsion de parcelles d'exploitation est une action attitrée, en ce que la loi ne subordonne pas expressément son exercice à la détention d'un mandat opérateur,
faute de remplir les conditions légales et contractuelles de construction et d'exploitation d'installations radioélectriques, la société ne peut jouir, en l'état, de la parcelle dans les conditions prévues par le contrat de mise à disposition des 5 et 28 janvier 2019, de sorte qu'elle ne justifie pas d'un intérêt né et actuel à obtenir l'expulsion de la société Hivory et que sa demande est irrecevable.
La SAS a relevé appel de ce jugement par déclaration du 26 mars 2024.
Par conclusions notifiées le 11 juin 2024, la SAS Valocîme demande à la cour de :
la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
En conséquence,
infirmer l'ordonnance en date du 12 mars 2024 (RG 23/00698) rendue entre les parties par la présidente du tribunal judiciaire de Troyes en ce qu'elle :
déclare la société Valocîme irrecevable en l'ensemble de ses demandes pour défaut d'intérêt à agir ;
condamne la société Valocîme à verser à la société HIVORY la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamne la société Valocîme aux dépens.
Statuant à nouveau,
déclarer son action recevable,
constater que la société Hivory est occupante sans droit ni titre de la parcelle de terrain située [Adresse 3], cadastrée section [Cadastre 5],
ordonner en conséquence l'expulsion de la société Hivory, ainsi que celle de tout occupant de son chef, de la parcelle de terrain située [Adresse 3], cadastrée section [Cadastre 5], et ce avec l'assistance d'un serrurier, du commissaire de police et de la force publique, si besoin est, sous astreinte définitive de 500 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir,
condamner la société Hivory à enlever tous biens, infrastructures et équipements de l'emplacement, et à le remettre en son état d'origine, sous la même astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 8e jour suivant la signification de l'ordonnance à intervenir,
condamner la société Hivory à lui verser une somme mensuelle de 350 euros à titre de provision sur indemnité d'occupation à compter du 1er août 2022 et jusqu'à parfaite libération des lieux,
débouter la société Hivory de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
condamner la société Hivory au paiement d'une somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la société Hivory aux entiers dépens d'instance, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de l'avocat constitué de l'appelante.
Elle soutient que :
la société Hivory, en qualité d'occupante sans droit ni titre de la parcelle, ne justifie d'aucune qualité, ni d'aucun intérêt, à présenter les moyens de défenses relatifs aux capacités de la nouvelle occupante à exploiter ladite parcelle, laquelle n'est pas une condition d'occupation,
aucun texte de loi n'interdit au nouveau locataire d'agir en expulsion contre le locataire sortant indélicat et aucun texte ne réserve, au sens de l'article 31 du code de procédure civile, au propriétaire l'exercice de cette action,
l'occupation de la parcelle sans droit ni titre par la société Hivory l'empêche d'exploiter la parcelle, ce qui suffit à caractériser un intérêt né et actuel, sans qu'elle ait à justifier de ce qu'elle fera de son droit de jouir du fonds, ni de ce qu'elle a la capacité d'exploiter le bien conformément aux prévisions contractuelles,
tant que la société Hivory se maintiendra illicitement sur le site, elle continuera à fournir un hébergement aux opérateurs avec qui elle est liée contractuellement, lesquels ne seront donc pas en mesure de contracter avec la société Valocîme,
la convention de mise à disposition lui confère le droit de jouir de l'emplacement depuis le 1er août 2022 et le maintien illicite de la société Hivory depuis cette date constitue une trouble manifestement illicite, justifiant l'exercice de la protection possessoire par la voie du référé,
le démontage des infrastructures ne peut être considéré comme une infraction à l'article 65 du code des postes et communications électroniques,
la société Hivory sait depuis près de 4 ans qu'elle doit quitter le site et n'a entrepris aucune diligence à l'effet de libérer les lieux,
la société Hivory est elle-même à l'origine du risque, qu'elle dénonce, de perte soudaine de couverture mobile pour le territoire concerné,
son maintien illicite constitue une entrave à la libre concurrence,
elle subit un préjudice matériel lié au paiement sans contrepartie d'un loyer et ce préjudice ne se heurte à aucune contestation sérieuse,
le bailleur a exprimé sa volonté de voir la parcelle libérée par la société Hivory en totalité, y compris des éléments non détachables (massif en béton et fondations qui supportent le pylône).
Par conclusions remises au greffe le 18 juin 2024, la SAS Hivory demande à la cour de :
SUR L'APPEL PRINCIPAL,
' déclarer la société Valocîme irrecevable et mal-fondée en son appel et en toutes ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter,
' confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance en date du 12 mars 2024 (RG 23/00698) rendue entre les parties par la présidente du tribunal judiciaire de Troyes,
A TITRE SUBSIDIAIRE,
SUR L'APPEL INCIDENT,
' déclarer la société Hivory recevable et bien-fondée en son appel incident,
' infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Valocîme,
Et statuant à nouveau :
' déclarer la société Valocîme irrecevable en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre la société Hivory faute de qualité à agir,
À TITRE ENCORE PLUS SUBSIDIAIRE,
' à titre principal, dire n'y avoir lieu à référé et renvoyer la société Valocîme à mieux se pourvoir au fond,
' à titre infiniment subsidiaire,
' octroyer à la société Hivory un délai de 6 mois à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir pour la remise en état de l'emplacement qu'elle occupe sur l'emprise de 100 m² dépendant de la parcelle cadastrée section [Cadastre 5] située [Adresse 3],
' circonscrire matériellement la remise en état des lieux à l'enlèvement des seuls éléments détachables de l'emplacement en application des dispositions de l'article 8 du bail conclu le 2 juillet 2010 entre la SCEA Lautrey et la société SFR aux droits de laquelle intervient la société Hivory,
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
' condamner la société Valocîme à payer à la société Hivory la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamner la société Valocîme aux entiers dépens de l'instance.
Elle affirme que :
les prescriptions de l'article 31 du code de procédure civile concerne l'action et non le moyen supportant cette action et le droit de discuter le bien-fondé de la prétention du demandeur est ouvert ou défendeur qui y a un intérêt légitime,
en tant que cocontractant des opérateurs de téléphonie mobile et titulaire d'un mandat de leur part, elle est légitime à soulever les fins de non-recevoir tirés de l'absence de mandat opérateur de la société Valocîme,
elle ne soulève aucun moyen au fond pris de la nullité du contrat conclu entre la SCEA Lautrey et la société Valocîme,
le contrat, sur lequel la société Valocîme fonde son action, stipule que le preneur devra respecter la réglementation en vigueur ; il a en outre pour seule et exclusive finalité la construction d'infrastructures destinées à l'accueil d'un opérateur de téléphonie mobile et le droit de jouissance qu'elle revendique est indissociablement lié à la mise en service d'un site de téléphonie mobile, donc faute de justifier de la détention d'un mandat émis par un opérateur de téléphonie (article L34-9-1-1 du code des postes et communications électroniques), d'un dossier information mairie (article L34-9-1 II B) et d'une autorisation d'urbanisme associée au mandat opérateur ( article L425-17 du code de l'urbanisme), qui sont des conditions de l'exécution du contrat, cette société ne justifie pas d'un intérêt né, actuel et certain à obtenir son expulsion et la remise en état des lieux, puisqu'elle ne peut les exploiter,
le défaut d'intérêt à agir découle également de la nullité du contrat conclu entre la société Valocîme et la SCEA Lautrey résultant de l'absence de mandat opérateur à la date de sa signature et cette illicéité porte atteinte à un intérêt général reconnu et protégé par le conseil d'Etat (couverture du territoire national par le réseau de téléphonie mobile).
Subsidiairement, elle maintient que la société Valocîme est dépourvue de qualité à agir dès lors que le contrat est nul en raison d'un objet illicite, puisque le mandat opérateur doit exister à la date de signature de l'acte de bail ou de l'acte de réservation et que, même à considérer que le contrat ne serait pas nul, parce que le contrat ne saurait recevoir exécution tant que les obligations posées par l'article L34-9-1-1 du codes postes et communications électroniques ne sont pas satisfaites.
A titre plus subsidiaire, elle conclut au rejet de la demande de la société Valocîme en soutenant qu'il n'y a pas lieu à référé aux motifs que :
la validité du congé n'est pas établie avec l'évidence requise en référé, dès lors qu'il a été signé par le gérant de la SCEA Lautrey mais par un associé,
en ne disposant pas d'un mandat opérateur et en ne sollicitant pas les autorisations nécessaires, la société Valocîme s'empêche elle-même d'exécuter le contrat sur lequel elle fonde son action et ne peut donc prétendre à l'existence d'un trouble manifestement illicite,
il n'existe pas de trouble manifestement illicite au terme d'un contrôle de proportionnalité mettant en balance les intérêts en présence (illicéité de la situation juridique, risque avéré d'atteinte à l'intérêt public de voir le territoire couvert par le réseau de téléphonie mobile, inertie de la société Valocîme dans la recherche d'un mandat opérateur et d'une décision d'urbanisme),
il n'existe pas de trouble manifestement illicite au regard du comportement illicite de la société Valocîme et de l'application de l'article L65 du code des postes et communications électroniques, l'exécution d'une éventuelle condamnation sous astreinte d'enlèvement des biens appartenant aux opérateurs de téléphonie mobile, dont la société Hivory n'est pas propriétaire, étant impossible en l'absence de ces derniers à l'instance, ce qui rend par suite impossible l'enlèvement des éléments lui appartenant.
La société Hivory s'oppose à la demande de provision de la société Valocîme au motif qu'elle ne rapporte pas la preuve de la validité du congé et ne justifie pas d'un préjudice dès lors qu'elle n'a aucune chance de pouvoir exploiter le terrain, faute d'accord avec un opérateur et d'autorisation d'urbanisme.
Subsidiairement, elle demande l'octroi d'un délai en invoquant la nécessité de rechercher un nouvel emplacement, alors que le site litigieux accueille 4 opérateurs de téléphonie, en évitant une rupture des signaux pour les usagers du téléphone sur la commune, située dans une « zone blanche ».
Elle ajoute qu'en application de son bail et en l'absence de demande du bailleur, elle n'est pas tenue d'enlever les éléments non-détachables (massif béton supportant le pylône).
MOTIFS :
L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
Sur l'intérêt de la société Hivory à présenter des fins de non-recevoir prises d'un défaut d'intérêt et de qualité à agir de l'appelante :
La société Valocîme a fait assigner la société Hivory afin que son expulsion de la parcelle litigieuse soit ordonnée.
Celle-ci, qui a été titulaire d'un contrat de bail sur ladite parcelle et qui l'occupe toujours, a nécessairement un intérêt à se défendre contre une telle demande, y compris en contestant la qualité et l'intérêt à agir de l'appelante.
La fin de non-recevoir de la société Valocîme sera donc rejetée.
Sur l'intérêt et la qualité à agir de la société Valocîme :
La société Valocîme invoque l'existence d'un trouble manifestement illicite pour obtenir l'expulsion de la société Hivory.
La société Hivory estime que la société Valocîme n'a pas d'intérêt né et actuel à agir dès lors qu'elle fonde son action sur un contrat qu'elle n'est pas en mesure d'exécuter faute d'avoir entrepris les démarches contractuelles et légales nécessaires, en obtenant un mandat d'opérateur téléphonique, ainsi que les autorisations d'urbanisme.
Ce faisant, la société Hivory conteste le caractère manifestement illicite du trouble que cause son maintien sur la parcelle de la société Valocîme.
Or l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.
La société Hivory dénie également toute qualité à agir à la société Valocîme en raison du caractère illicite et donc de la nullité du contrat conclu avec la SCEA Lautrey.
Toutefois, et comme le juge des référés l'a relevé, l'action du preneur d'un contrat de bail sur une parcelle destinée à accueillir une infrastructure de téléphonie mobile aux fins d'expulsion d'un occupant sans droit ni titre n'est pas réservée par la loi ou les règlements à la détention du mandat de l'opérateur de téléphonie mobile prévu par l'article L34-9-1-1 du codes des postes et communications électroniques, pas plus qu'à celle des autorisations d'urbanisme nécessaires à la construction de telles infrastructures.
En conséquence, les fins de non-recevoir invoquées par la société Hivory seront rejetées, l'ordonnance de référé étant infirmée en ce qu'elle a accueilli le moyen pris d'un défaut d'intérêt à agir de la société Valocîme.
Sur la demande d'expulsion :
Il résulte de l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
La société Valocîme affirme qu'il existe un trouble manifestement illicite du fait de l'occupation de la parcelle sans droit ni titre par la société Hivory, l'empêchant d'exploiter le fonds.
La convention de mise à disposition conclue entre la société Valocîme et la SCEA de la Vallée des Dames Lautrey stipule que le preneur disposera de la jouissance complète et exclusive de l'emplacement et des éléments d'infrastructures et techniques qui y sont ou y seront installés et que la date de mise à disposition correspond à l'expiration de la convention de bail conclue avec la société Hivory.
La société Valocîme a transmis à la société Hivory une lettre de non-renouvellement du bail que cette dernière avait signé avec l'EARL Lautrey.
Si cette lettre a manifestement été signée par M. Lautrey, ancien gérant de la SCEA Lautrey, la société Valocîme justifie de ce que celui-ci avait reçu pouvoir du nouveau gérant pour conclure avec elle la convention d'occupation, dont la lettre de non-renouvellement constitue l'annexe 5.
La société Hivory ne peut donc sérieusement contester qu'elle se trouve désormais sans droit ni titre sur la parcelle en cause.
Néanmoins, elle invoque l'article L34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques, aux termes duquel tout acquéreur ou preneur d'un contrat de bail ou de réservation d'un terrain qui, sans être soumis lui-même à l'article L. 33-1, destine ce terrain à l'édification de poteaux, de pylônes ou de toute autre construction supportant des antennes d'émission ou de réception de signaux radioélectriques aux fins de fournir au public un service de communications électroniques en informe par écrit le maire de la commune où se situe ce terrain ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale. Il joint à cette information un document attestant d'un mandat de l'opérateur de téléphonie mobile ayant vocation à exploiter ces installations.
Elle demande à la cour de faire la balance des intérêts en présence, en rappelant que le Conseil d'Etat a reconnu l'intérêt public qui s'attache à la couverture du territoire national par les réseaux de téléphonie mobile.
La société Valocîme ne conteste pas qu'elle ne dispose pas d'un mandat d'un opérateur de téléphonie mobile, elle ne soutient pas même qu'elle aurait engagé des démarches afin d'obtenir un tel mandat et ne justifie pas de l'impossibilité, qu'elle avance, d'obtenir un tel mandat tant que la société Hivory se maintient sur le site, un opérateur pouvant parfaitement décider de contracter, à de nouvelles conditions, avec le nouveau détenteur du droit d'occupation de la parcelle.
En outre, le texte précité ne distingue pas, pour l'information au maire et la production du mandat d'un opérateur, suivant que la construction destinée à supporter les antennes est nouvelle ou constitue une reconstruction.
A défaut d'un tel mandat, la société Valocîme ne justifie pas de ce qu'un opérateur de téléphonie mobile serait prêt à exploiter l'infrastructure d'accueil qu'elle se propose de construire ou de maintenir sur le site sur lequel elle a obtenu un droit de jouissance, après le départ de la société Hivory.
Or celle-ci soutient, sans être contredite par la société Valocîme, que la parcelle litigieuse se trouve dans une zone blanche, ce qui signifie qu'il n'existe pas, pour l'heure, d'autre station de téléphonie mobile susceptible de limiter les conséquences d'un retrait des opérateurs du site litigieux et qu'il est donc à craindre un risque d'interruption de la couverture mobile si la société Hivory devait, en l'état, évacuer la parcelle ainsi que la société Valocîme le demande, en retirant tous biens, infrastructures et équipements.
Un tel risque n'est pas improbable, puisque la société Hivroy justifie, précisément, de situations dites de « pylônes orphelins » existantes sur le territoire national, survenues après qu'un nouveau preneur de bail, succédant à un précédent occupant ayant quitté les lieux en démontant ses installations, a construit une nouvelle infrastructure passive (pylône, mat, '), sans trouver d'opérateur acceptant de s'y installer pour déployer l'infrastructure active nécessaire à la téléphonie mobile (antennes, notamment).
Dès lors et quand bien même il porte atteinte au droit de jouissance de la société Valocîme, le maintien de l'infrastructure passive de la société Hivory sur la parcelle appartenant à la SCEA Lautrey est strictement nécessaire à la protection de l'intérêt public s'attachant à la couverture du territoire national par les réseaux de téléphonie mobile, puisque celle-ci ne présente pas, pour l'heure, les conditions nécessaires à l'installation d'une station de téléphonie mobile.
L'existence d'un trouble manifestement illicite n'est donc pas établie et il n'y a donc pas lieu à référé sur les demandes de la société Valocîme.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le sort des dépens et frais irrépétibles de première instance a été exactement réglé par le premier juge.
La société Valocîme, qui succombe en son appel, est tenue aux dépens de cette procédure et ne peut prétendre au paiement d'une indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Il est équitable d'allouer à la société Hivory la somme de 3.000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement,
Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Valocîme,
Infirme l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Troyes le 12 mars 2024 en ce qu'elle déclare la société Valocîme irrecevable en l'ensemble de ses demandes pour défaut d'intérêt à agir,
Statuant à nouveau de ce seul chef,
Déboute la société Hivory de sa fin de non-recevoir prise d'un défaut d'intérêt à agir de la société Valocîme,
Confirme l'ordonnance pour le surplus et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à référé,
Condamne la société Valocîme à payer à la société Hivory la somme de 3.000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel,
Déboute la société Valocîme de sa propre demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Valocîme aux dépens d'appel.
Le greffier, La présidente de chambre,
du 24 septembre 2024
R.G : 24/00481
N° Portalis DBVQ-V-B7I-FO6L
SAS VALOCIME
c/
SAS HIVORY
Formule exécutoire le :
à :
Me Elizabeth BRONQUARD
SELARL SF CONSEIL ET ASSOCIES
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2024
APPELANTE :
d'une ordonnance de référé rendue le 12 mars 2024 par la présidente du tribunal judiciaire de TROYES,
SAS VALOCIME, société par actions simplifiée au capital de 117.446 euros, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 831.070.503, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié au siège :
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Elizabeth BRONQUARD, avocat au barreau de REIMS, postulant et Me Reynald BRONZONI, avocat au barreau de PARIS (AARPI ANTES AVOCATS), plaidant,
INTIMEE :
SAS HIVORY, société par actions simplifiée au capital de 35.343.347, 21 euros, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 838.867.323, prise en la personne de son représentant légal, domicilié de droit au siège :
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Aurélien CASAUBON, avocat au barreau de l'AUBE, postulant (SELARL SF CONSEIL ET ASSOCIES) et par Me Emmannuelle BON-JULIEN, avocat au barreau de RENNES, plaidant,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de la chambre,
Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre,
Madame Sandrine PILON, conseillère,
GREFFIER LORS DES DEBATS ET DE LA MISE A DISPOSITION :
Madame Jocelyne DRAPIER, greffier,
DEBATS :
A l'audience publique du 1er juillet 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 24 septembre 2024,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de la chambre, et Madame Jocelyne DRAPIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Le 2 juillet 2010, l'EARL Lautrey, aux droits de laquelle se trouve à présent la SCEA de la Vallée des Dames Lautrey, a conclu avec la société SFR, aux droits de laquelle a succédé la société Hivory, un bail prévoyant la mise à disposition d'une emprise de 100 m² sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 5] sur la commune de [Localité 4] pour l'installation de dispositifs d'antennes et d'équipements techniques reliés à un réseau de télécommunications.
Ce bail était conclu pour une durée de 12 ans et prévoyait une tacite reconduction par échéances de 5 années sauf décision de non-renouvellement adressée par une partie en respectant un préavis de 18 mois avant l'échéance du terme.
Suivant contrats des 5 et 28 janvier 2019, la SCEA Lautrey a consenti à la société Valocîme la réservation de la parcelle précitée, puis, à compter du départ de la société Hivory, la location de ladite parcelle.
Par lettre du 23 novembre 2020, la société Valocîme a notifié à la société Hivory la décision de la SCEA Lautrey de ne pas renouveler le bail après le 31 juillet 2022.
La société Hivory refusant de quitter la parcelle, la société Valocîme l'a fait assigner, le 11 octobre 2023, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Troyes sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile afin que soit ordonnée son expulsion et qu'elle soit condamnée à retirer tous biens, infrastructures et équipements du site.
Par ordonnance du 12 mars 2024, le juge des référés a :
rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Valocîme soulevée par la société Hivory,
déclaré la société Valocîme irrecevable en l'ensemble de ses demandes pour défaut d'intérêt à agir,
condamné la société Valocîme à verser à la société Hivory la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Valocîme aux dépens de l'instance.
Il a estimé que :
l'action en expulsion peut ressortir d'une action en cessation d'un trouble manifestement illicite au droit de jouissance d'un bien et ne constitue pas nécessairement une action en revendication,
si l'article L34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques réserve le droit de construire un site de téléphonie mobile aux seuls détenteurs d'un mandat opérateur, il ne saurait pour autant s'en déduire que l'action en expulsion de parcelles d'exploitation est une action attitrée, en ce que la loi ne subordonne pas expressément son exercice à la détention d'un mandat opérateur,
faute de remplir les conditions légales et contractuelles de construction et d'exploitation d'installations radioélectriques, la société ne peut jouir, en l'état, de la parcelle dans les conditions prévues par le contrat de mise à disposition des 5 et 28 janvier 2019, de sorte qu'elle ne justifie pas d'un intérêt né et actuel à obtenir l'expulsion de la société Hivory et que sa demande est irrecevable.
La SAS a relevé appel de ce jugement par déclaration du 26 mars 2024.
Par conclusions notifiées le 11 juin 2024, la SAS Valocîme demande à la cour de :
la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
En conséquence,
infirmer l'ordonnance en date du 12 mars 2024 (RG 23/00698) rendue entre les parties par la présidente du tribunal judiciaire de Troyes en ce qu'elle :
déclare la société Valocîme irrecevable en l'ensemble de ses demandes pour défaut d'intérêt à agir ;
condamne la société Valocîme à verser à la société HIVORY la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamne la société Valocîme aux dépens.
Statuant à nouveau,
déclarer son action recevable,
constater que la société Hivory est occupante sans droit ni titre de la parcelle de terrain située [Adresse 3], cadastrée section [Cadastre 5],
ordonner en conséquence l'expulsion de la société Hivory, ainsi que celle de tout occupant de son chef, de la parcelle de terrain située [Adresse 3], cadastrée section [Cadastre 5], et ce avec l'assistance d'un serrurier, du commissaire de police et de la force publique, si besoin est, sous astreinte définitive de 500 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir,
condamner la société Hivory à enlever tous biens, infrastructures et équipements de l'emplacement, et à le remettre en son état d'origine, sous la même astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 8e jour suivant la signification de l'ordonnance à intervenir,
condamner la société Hivory à lui verser une somme mensuelle de 350 euros à titre de provision sur indemnité d'occupation à compter du 1er août 2022 et jusqu'à parfaite libération des lieux,
débouter la société Hivory de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
condamner la société Hivory au paiement d'une somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la société Hivory aux entiers dépens d'instance, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de l'avocat constitué de l'appelante.
Elle soutient que :
la société Hivory, en qualité d'occupante sans droit ni titre de la parcelle, ne justifie d'aucune qualité, ni d'aucun intérêt, à présenter les moyens de défenses relatifs aux capacités de la nouvelle occupante à exploiter ladite parcelle, laquelle n'est pas une condition d'occupation,
aucun texte de loi n'interdit au nouveau locataire d'agir en expulsion contre le locataire sortant indélicat et aucun texte ne réserve, au sens de l'article 31 du code de procédure civile, au propriétaire l'exercice de cette action,
l'occupation de la parcelle sans droit ni titre par la société Hivory l'empêche d'exploiter la parcelle, ce qui suffit à caractériser un intérêt né et actuel, sans qu'elle ait à justifier de ce qu'elle fera de son droit de jouir du fonds, ni de ce qu'elle a la capacité d'exploiter le bien conformément aux prévisions contractuelles,
tant que la société Hivory se maintiendra illicitement sur le site, elle continuera à fournir un hébergement aux opérateurs avec qui elle est liée contractuellement, lesquels ne seront donc pas en mesure de contracter avec la société Valocîme,
la convention de mise à disposition lui confère le droit de jouir de l'emplacement depuis le 1er août 2022 et le maintien illicite de la société Hivory depuis cette date constitue une trouble manifestement illicite, justifiant l'exercice de la protection possessoire par la voie du référé,
le démontage des infrastructures ne peut être considéré comme une infraction à l'article 65 du code des postes et communications électroniques,
la société Hivory sait depuis près de 4 ans qu'elle doit quitter le site et n'a entrepris aucune diligence à l'effet de libérer les lieux,
la société Hivory est elle-même à l'origine du risque, qu'elle dénonce, de perte soudaine de couverture mobile pour le territoire concerné,
son maintien illicite constitue une entrave à la libre concurrence,
elle subit un préjudice matériel lié au paiement sans contrepartie d'un loyer et ce préjudice ne se heurte à aucune contestation sérieuse,
le bailleur a exprimé sa volonté de voir la parcelle libérée par la société Hivory en totalité, y compris des éléments non détachables (massif en béton et fondations qui supportent le pylône).
Par conclusions remises au greffe le 18 juin 2024, la SAS Hivory demande à la cour de :
SUR L'APPEL PRINCIPAL,
' déclarer la société Valocîme irrecevable et mal-fondée en son appel et en toutes ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter,
' confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance en date du 12 mars 2024 (RG 23/00698) rendue entre les parties par la présidente du tribunal judiciaire de Troyes,
A TITRE SUBSIDIAIRE,
SUR L'APPEL INCIDENT,
' déclarer la société Hivory recevable et bien-fondée en son appel incident,
' infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Valocîme,
Et statuant à nouveau :
' déclarer la société Valocîme irrecevable en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre la société Hivory faute de qualité à agir,
À TITRE ENCORE PLUS SUBSIDIAIRE,
' à titre principal, dire n'y avoir lieu à référé et renvoyer la société Valocîme à mieux se pourvoir au fond,
' à titre infiniment subsidiaire,
' octroyer à la société Hivory un délai de 6 mois à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir pour la remise en état de l'emplacement qu'elle occupe sur l'emprise de 100 m² dépendant de la parcelle cadastrée section [Cadastre 5] située [Adresse 3],
' circonscrire matériellement la remise en état des lieux à l'enlèvement des seuls éléments détachables de l'emplacement en application des dispositions de l'article 8 du bail conclu le 2 juillet 2010 entre la SCEA Lautrey et la société SFR aux droits de laquelle intervient la société Hivory,
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
' condamner la société Valocîme à payer à la société Hivory la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamner la société Valocîme aux entiers dépens de l'instance.
Elle affirme que :
les prescriptions de l'article 31 du code de procédure civile concerne l'action et non le moyen supportant cette action et le droit de discuter le bien-fondé de la prétention du demandeur est ouvert ou défendeur qui y a un intérêt légitime,
en tant que cocontractant des opérateurs de téléphonie mobile et titulaire d'un mandat de leur part, elle est légitime à soulever les fins de non-recevoir tirés de l'absence de mandat opérateur de la société Valocîme,
elle ne soulève aucun moyen au fond pris de la nullité du contrat conclu entre la SCEA Lautrey et la société Valocîme,
le contrat, sur lequel la société Valocîme fonde son action, stipule que le preneur devra respecter la réglementation en vigueur ; il a en outre pour seule et exclusive finalité la construction d'infrastructures destinées à l'accueil d'un opérateur de téléphonie mobile et le droit de jouissance qu'elle revendique est indissociablement lié à la mise en service d'un site de téléphonie mobile, donc faute de justifier de la détention d'un mandat émis par un opérateur de téléphonie (article L34-9-1-1 du code des postes et communications électroniques), d'un dossier information mairie (article L34-9-1 II B) et d'une autorisation d'urbanisme associée au mandat opérateur ( article L425-17 du code de l'urbanisme), qui sont des conditions de l'exécution du contrat, cette société ne justifie pas d'un intérêt né, actuel et certain à obtenir son expulsion et la remise en état des lieux, puisqu'elle ne peut les exploiter,
le défaut d'intérêt à agir découle également de la nullité du contrat conclu entre la société Valocîme et la SCEA Lautrey résultant de l'absence de mandat opérateur à la date de sa signature et cette illicéité porte atteinte à un intérêt général reconnu et protégé par le conseil d'Etat (couverture du territoire national par le réseau de téléphonie mobile).
Subsidiairement, elle maintient que la société Valocîme est dépourvue de qualité à agir dès lors que le contrat est nul en raison d'un objet illicite, puisque le mandat opérateur doit exister à la date de signature de l'acte de bail ou de l'acte de réservation et que, même à considérer que le contrat ne serait pas nul, parce que le contrat ne saurait recevoir exécution tant que les obligations posées par l'article L34-9-1-1 du codes postes et communications électroniques ne sont pas satisfaites.
A titre plus subsidiaire, elle conclut au rejet de la demande de la société Valocîme en soutenant qu'il n'y a pas lieu à référé aux motifs que :
la validité du congé n'est pas établie avec l'évidence requise en référé, dès lors qu'il a été signé par le gérant de la SCEA Lautrey mais par un associé,
en ne disposant pas d'un mandat opérateur et en ne sollicitant pas les autorisations nécessaires, la société Valocîme s'empêche elle-même d'exécuter le contrat sur lequel elle fonde son action et ne peut donc prétendre à l'existence d'un trouble manifestement illicite,
il n'existe pas de trouble manifestement illicite au terme d'un contrôle de proportionnalité mettant en balance les intérêts en présence (illicéité de la situation juridique, risque avéré d'atteinte à l'intérêt public de voir le territoire couvert par le réseau de téléphonie mobile, inertie de la société Valocîme dans la recherche d'un mandat opérateur et d'une décision d'urbanisme),
il n'existe pas de trouble manifestement illicite au regard du comportement illicite de la société Valocîme et de l'application de l'article L65 du code des postes et communications électroniques, l'exécution d'une éventuelle condamnation sous astreinte d'enlèvement des biens appartenant aux opérateurs de téléphonie mobile, dont la société Hivory n'est pas propriétaire, étant impossible en l'absence de ces derniers à l'instance, ce qui rend par suite impossible l'enlèvement des éléments lui appartenant.
La société Hivory s'oppose à la demande de provision de la société Valocîme au motif qu'elle ne rapporte pas la preuve de la validité du congé et ne justifie pas d'un préjudice dès lors qu'elle n'a aucune chance de pouvoir exploiter le terrain, faute d'accord avec un opérateur et d'autorisation d'urbanisme.
Subsidiairement, elle demande l'octroi d'un délai en invoquant la nécessité de rechercher un nouvel emplacement, alors que le site litigieux accueille 4 opérateurs de téléphonie, en évitant une rupture des signaux pour les usagers du téléphone sur la commune, située dans une « zone blanche ».
Elle ajoute qu'en application de son bail et en l'absence de demande du bailleur, elle n'est pas tenue d'enlever les éléments non-détachables (massif béton supportant le pylône).
MOTIFS :
L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
Sur l'intérêt de la société Hivory à présenter des fins de non-recevoir prises d'un défaut d'intérêt et de qualité à agir de l'appelante :
La société Valocîme a fait assigner la société Hivory afin que son expulsion de la parcelle litigieuse soit ordonnée.
Celle-ci, qui a été titulaire d'un contrat de bail sur ladite parcelle et qui l'occupe toujours, a nécessairement un intérêt à se défendre contre une telle demande, y compris en contestant la qualité et l'intérêt à agir de l'appelante.
La fin de non-recevoir de la société Valocîme sera donc rejetée.
Sur l'intérêt et la qualité à agir de la société Valocîme :
La société Valocîme invoque l'existence d'un trouble manifestement illicite pour obtenir l'expulsion de la société Hivory.
La société Hivory estime que la société Valocîme n'a pas d'intérêt né et actuel à agir dès lors qu'elle fonde son action sur un contrat qu'elle n'est pas en mesure d'exécuter faute d'avoir entrepris les démarches contractuelles et légales nécessaires, en obtenant un mandat d'opérateur téléphonique, ainsi que les autorisations d'urbanisme.
Ce faisant, la société Hivory conteste le caractère manifestement illicite du trouble que cause son maintien sur la parcelle de la société Valocîme.
Or l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.
La société Hivory dénie également toute qualité à agir à la société Valocîme en raison du caractère illicite et donc de la nullité du contrat conclu avec la SCEA Lautrey.
Toutefois, et comme le juge des référés l'a relevé, l'action du preneur d'un contrat de bail sur une parcelle destinée à accueillir une infrastructure de téléphonie mobile aux fins d'expulsion d'un occupant sans droit ni titre n'est pas réservée par la loi ou les règlements à la détention du mandat de l'opérateur de téléphonie mobile prévu par l'article L34-9-1-1 du codes des postes et communications électroniques, pas plus qu'à celle des autorisations d'urbanisme nécessaires à la construction de telles infrastructures.
En conséquence, les fins de non-recevoir invoquées par la société Hivory seront rejetées, l'ordonnance de référé étant infirmée en ce qu'elle a accueilli le moyen pris d'un défaut d'intérêt à agir de la société Valocîme.
Sur la demande d'expulsion :
Il résulte de l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
La société Valocîme affirme qu'il existe un trouble manifestement illicite du fait de l'occupation de la parcelle sans droit ni titre par la société Hivory, l'empêchant d'exploiter le fonds.
La convention de mise à disposition conclue entre la société Valocîme et la SCEA de la Vallée des Dames Lautrey stipule que le preneur disposera de la jouissance complète et exclusive de l'emplacement et des éléments d'infrastructures et techniques qui y sont ou y seront installés et que la date de mise à disposition correspond à l'expiration de la convention de bail conclue avec la société Hivory.
La société Valocîme a transmis à la société Hivory une lettre de non-renouvellement du bail que cette dernière avait signé avec l'EARL Lautrey.
Si cette lettre a manifestement été signée par M. Lautrey, ancien gérant de la SCEA Lautrey, la société Valocîme justifie de ce que celui-ci avait reçu pouvoir du nouveau gérant pour conclure avec elle la convention d'occupation, dont la lettre de non-renouvellement constitue l'annexe 5.
La société Hivory ne peut donc sérieusement contester qu'elle se trouve désormais sans droit ni titre sur la parcelle en cause.
Néanmoins, elle invoque l'article L34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques, aux termes duquel tout acquéreur ou preneur d'un contrat de bail ou de réservation d'un terrain qui, sans être soumis lui-même à l'article L. 33-1, destine ce terrain à l'édification de poteaux, de pylônes ou de toute autre construction supportant des antennes d'émission ou de réception de signaux radioélectriques aux fins de fournir au public un service de communications électroniques en informe par écrit le maire de la commune où se situe ce terrain ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale. Il joint à cette information un document attestant d'un mandat de l'opérateur de téléphonie mobile ayant vocation à exploiter ces installations.
Elle demande à la cour de faire la balance des intérêts en présence, en rappelant que le Conseil d'Etat a reconnu l'intérêt public qui s'attache à la couverture du territoire national par les réseaux de téléphonie mobile.
La société Valocîme ne conteste pas qu'elle ne dispose pas d'un mandat d'un opérateur de téléphonie mobile, elle ne soutient pas même qu'elle aurait engagé des démarches afin d'obtenir un tel mandat et ne justifie pas de l'impossibilité, qu'elle avance, d'obtenir un tel mandat tant que la société Hivory se maintient sur le site, un opérateur pouvant parfaitement décider de contracter, à de nouvelles conditions, avec le nouveau détenteur du droit d'occupation de la parcelle.
En outre, le texte précité ne distingue pas, pour l'information au maire et la production du mandat d'un opérateur, suivant que la construction destinée à supporter les antennes est nouvelle ou constitue une reconstruction.
A défaut d'un tel mandat, la société Valocîme ne justifie pas de ce qu'un opérateur de téléphonie mobile serait prêt à exploiter l'infrastructure d'accueil qu'elle se propose de construire ou de maintenir sur le site sur lequel elle a obtenu un droit de jouissance, après le départ de la société Hivory.
Or celle-ci soutient, sans être contredite par la société Valocîme, que la parcelle litigieuse se trouve dans une zone blanche, ce qui signifie qu'il n'existe pas, pour l'heure, d'autre station de téléphonie mobile susceptible de limiter les conséquences d'un retrait des opérateurs du site litigieux et qu'il est donc à craindre un risque d'interruption de la couverture mobile si la société Hivory devait, en l'état, évacuer la parcelle ainsi que la société Valocîme le demande, en retirant tous biens, infrastructures et équipements.
Un tel risque n'est pas improbable, puisque la société Hivroy justifie, précisément, de situations dites de « pylônes orphelins » existantes sur le territoire national, survenues après qu'un nouveau preneur de bail, succédant à un précédent occupant ayant quitté les lieux en démontant ses installations, a construit une nouvelle infrastructure passive (pylône, mat, '), sans trouver d'opérateur acceptant de s'y installer pour déployer l'infrastructure active nécessaire à la téléphonie mobile (antennes, notamment).
Dès lors et quand bien même il porte atteinte au droit de jouissance de la société Valocîme, le maintien de l'infrastructure passive de la société Hivory sur la parcelle appartenant à la SCEA Lautrey est strictement nécessaire à la protection de l'intérêt public s'attachant à la couverture du territoire national par les réseaux de téléphonie mobile, puisque celle-ci ne présente pas, pour l'heure, les conditions nécessaires à l'installation d'une station de téléphonie mobile.
L'existence d'un trouble manifestement illicite n'est donc pas établie et il n'y a donc pas lieu à référé sur les demandes de la société Valocîme.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le sort des dépens et frais irrépétibles de première instance a été exactement réglé par le premier juge.
La société Valocîme, qui succombe en son appel, est tenue aux dépens de cette procédure et ne peut prétendre au paiement d'une indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Il est équitable d'allouer à la société Hivory la somme de 3.000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement,
Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Valocîme,
Infirme l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Troyes le 12 mars 2024 en ce qu'elle déclare la société Valocîme irrecevable en l'ensemble de ses demandes pour défaut d'intérêt à agir,
Statuant à nouveau de ce seul chef,
Déboute la société Hivory de sa fin de non-recevoir prise d'un défaut d'intérêt à agir de la société Valocîme,
Confirme l'ordonnance pour le surplus et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à référé,
Condamne la société Valocîme à payer à la société Hivory la somme de 3.000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel,
Déboute la société Valocîme de sa propre demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Valocîme aux dépens d'appel.
Le greffier, La présidente de chambre,