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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 26 septembre 2024, n° 22/06916

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Le Béton Contrôlé (SARL)

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barbier

Conseillers :

Mme Maitrepierre, Mme Fenayrou

Avocats :

Me Maigret, Me Tragin

CA Paris n° 22/06916

25 septembre 2024

FAITS ET PROCÉDURE

1.La Cour est saisie d'un recours formé par Le Béton Contrôlé contre la décision n° 22-D-09 du 10 mars 2022 de l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité ») relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon.

I. LE SECTEUR ET LES ACTEURS CONCERNÉS

A. Le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon

2.Le secteur est celui des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon

3.Les agrégats constituent une catégorie d'intrants du secteur du bâtiment et des travaux publics. Les agrégats sont des matières premières d'origine minérale issues de l'activité extractive des carrières, des sablières et du sous-sol.

4.Parmi les agrégats, les granulats sont des petits morceaux de roches, sables et graviers calibrés entre 0,01 et 125 millimètres.

5.Les différentes sortes d'agrégats ' les farines minérales ou « fillers », les sables, les gravillons et les pierres concassées, les blocs et enrochements et les produits de pré-criblage ' sont principalement utilisés pour les chantiers du bâtiment et les travaux publics, soit en l'état, soit transformés en béton ou en enrobés, associés à d'autres composants (bitume, sable, ciment etc.).

6.En tant qu'intrants primaires, les agrégats doivent faire l'objet d'une série d'opérations avant d'être utilisés, telles que l'extraction, le concassage, le criblage et le lavage des granulats ; le chargement, le pesage ou l'emmétrage des matériaux sur les véhicules de transport ; le transport de ces matériaux et leur déchargement sur les aires de stockage.

7.Onze entreprises locales ont des besoins en agrégats. La demande d'agrégats à Saint-Pierre-et-Miquelon porte sur les enrobés bitumineux pour les travaux de voirie, sur les pierres concassées (granulats), notamment pour la production de béton, et sur les enrochements ' blocs rocheux massifs de 500 kg à 6 tonnes destinés au renfort des quais et d'autres ouvrages de protection du littoral.

8.L'offre d'agrégats provient essentiellement de la carrière dite du « [Localité 8] », seule carrière de roches massives de l'île de [Localité 6], exploitée depuis 1985 par des entreprises locales, réunies au sein du GIE « Exploitation des carrières » (ci-après « le GIE »).

9.Le secteur du BTP, largement soutenu par la commande publique, représente un nombre d'emplois important dans l'archipel.

B. Les acteurs concernés

10.Les entreprises locales ayant des besoins en agrégats se répartissent en deux groupes distincts : d'une part, les entreprises à la fois productrices et utilisatrices d'agrégats, membres du GIE et, d'autre part, les entreprises tierces, uniquement utilisatrices d'agrégats.

a. La société saisissante, Le Béton Contrôlé

11.Créée en 1992 sous la forme d'une société à responsabilité limitée (ci-après « SARL »), Le Béton Contrôlé (ci-après « Béton Contrôlé »). Elle a pour activité principale la fabrication d'éléments en béton pour la construction, en particulier le gros oeuvre.

12.Béton Contrôlé se décrit comme appartenant au « groupe informel [I] », un ensemble de sociétés détenues par les membres de la famille [I]. Outre Béton Contrôlé, ce groupe comprend notamment les sociétés Bâti-Coffrage et Bâti-Bois.

b. La société en nom collectif « Société d'exploitation des carrières », précédemment GIE « Exploitation des Carrières »

13.Quatre entreprises locales ' les SARL Allen-Mahé, Atelier Fer, Guibert Frères et la société anonyme Société Saint-Pierraise de Transports ' ont la particularité d'être à la fois productrices et utilisatrices d'agrégats, et donc présentes du côté de l'offre et de la demande.

14.Elles étaient réunies, jusqu'en 2012, au sein du GIE. Le 5 novembre 2012, le GIE a été transformé par ses membres en société en nom collectif (ci-après « SNC »), dénommée la SNC Société de participations industrielles (ci-après « la SPI »).

15.Cette transformation opérée par les membres du GIE a entraîné une répartition en quotités égales du capital de la SPI entre eux : les sociétés SARL Allen Mahé, SARL Atelier Fer, SARL Guibert Frères et SA SPT détiennent 25 % chacune de ce capital.

16.Trois sociétés filiales ont été créées en vue de scinder les activités auparavant exercées cumulativement par le GIE : la SARL Société de travaux routiers (ci-après « la STR »), la SARL Société de travaux publics (ci-après « la STP ») et la SNC Société d'Exploitation des Carrières (ci-après « la SEC »).

17.Par un apport partiel d'actifs du 22 novembre 2012, la SPI a transféré à la SEC tous les actifs corporels et incorporels nécessaires à l'extraction et à la transformation des agrégats de la carrière du [Localité 8].

18.Un arrêté préfectoral du 12 avril 2013 a transféré du GIE à la SEC l'intégralité des droits et obligations relatifs à l'exploitation de la carrière du [Localité 8]. L'autorisation d'exploitation a été renouvelée par la préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon, au profit de la SEC, par arrêté préfectoral du 21 décembre 2018.

II. L'ORIGINE DU RECOURS

19.Le 25 mai 2009, l'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en oeuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon.

20.Dans sa décision n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon, l'Autorité a retenu des pratiques anticoncurrentielles mises en oeuvre sur ce territoire, d'une part, sur des marchés amont constitués des activités de production de trois types distincts d'agrégats et, d'autre part, sur les trois marchés aval correspondant aux travaux publics pour lesquels ces agrégats sont nécessaires.

21.Le GIE et ses membres ont été sanctionnés au titre de l'article L. 420-1 du code de commerce, pour s'être entendus :

' pour limiter l'accès aux agrégats par un encadrement discriminatoire de l'accès au groupement ;

' pour fixer un barème commun de prix pour les membres du GIE éliminant toute concurrence entre eux ;

' pour que seul le GIE soumissionne aux marchés de fourniture d'enrobés, afin d'éliminer toute concurrence ;

' et pour avoir mis en oeuvre une répartition de chiffres d'affaires s'agissant de la fourniture d'agrégats transformés au GIE et des travaux exécutés en sous-traitance du GIE, qui avait pour objet et pour effet de garantir un niveau d'activité équitable aux entreprises Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères, et donc de diminuer l'intensité concurrentielle intra-groupement.

22.Ils ont également été sanctionnés au titre de l'article L. 420-2, pour avoir utilisé leur position dominante collective sur le marché de la commercialisation des enrochements afin de réserver la vente de ceux-ci au GIE, alors que leurs concurrents ne disposaient pas d'autres solutions économiquement et techniquement acceptables.

23.Les sanctions pécuniaires infligées au GIE et à ses membres se sont élevées à un montant total de 381 400 euros, après réduction du montant initial dans une proportion de 20 % du fait de la non-contestation des griefs et de la prise d'engagements par les mis en cause.

24.Cette décision a rendu obligatoires les engagements suivants, souscrits par le GIE et ses membres pour répondre aux préoccupations de concurrence de l'Autorité :

' organiser l'accès des tiers à la production de la carrière du [Localité 8], sur des bases objectives, transparentes et non-discriminatoires, en appliquant des conditions générales de vente (ci-après « CGV ») et des tarifs non discriminatoires à tout tiers mais également aux membres du GIE (engagement n° 1) ;

' organiser l'accès des tiers à l'activité de concassage et de production d'enrobés, notamment en proposant des prestations de concassage et de production d'enrobés sur la base de CGV et de tarifs prédéfinis et appliqués de manière non discriminatoire aux tiers et aux associés (engagement n° 2) ;

' formaliser, à travers un règlement intérieur, une procédure d'accès des tiers au GIE selon les conditions précisées par cet engagement (engagement n° 3) ;

' limiter les activités du GIE aux activités d'extraction de matière brute et de transformation (concassage et production d'enrobés), le GIE ne devant plus répondre à aucun appel d'offres en matière de travaux publics (engagement n° 4) ;

25.Par lettre recommandée avec avis de réception du 3 novembre 2014 (annexe 38, cote 569 à 670) adressée au Conseil Territorial de Saint-Pierre & Miquelon, Béton Contrôlé a reproché à la collectivité territoriale l'attribution de l'exploitation et de la gestion de la carrière du [Localité 8] à la SEC pour une longue durée ' du 1er octobre 2014 au 31 décembre 2034 ' sans aucune consultation des autres acteurs du secteur du bâtiment.

26.Par lettre du 13 mai 2016 adressée à la SEC, Béton Contrôlé a demandé à accéder à la SEC « au titre de nouveau membre », en se fondant sur les engagements visés au § 146 de la décision n°12-D-06 du 26 janvier 2012 de l'Autorité.

27.Par lettre du 13 juin 2016 adressée à Béton Contrôlé, la SEC a communiqué à celle-ci sa grille tarifaire et ses CGV en vigueur au 14 avril 2016 et a sollicité des documents complémentaires pour pouvoir instruire utilement sa candidature.

28.Par lettre du 4 août 2017, Béton Contrôlé a transmis à la SEC une série de documents satisfaisant, selon elle, aux exigences de cette dernière.

29.Par lettre du 5 septembre 2017, la SEC a informé Béton Contrôlé que, n'ayant pas reçu l'ensemble des pièces sollicitées dans son précédent courrier, elle n'était pas en mesure d'instruire la candidature de Béton Contrôlé du 13 mai 2016 et que les éléments communiqués à ce stade suscitaient des doutes et interrogations sur la capacité de Béton Contrôlé à remplir les conditions d'accès au GIE. Elle a sollicité à nouveau l'envoi de documents et d'informations complémentaires qu'elle promettait d'étudier avec rigueur et diligence.

30.Par lettre du 25 septembre 2017, Béton Contrôlé a communiqué à la SEC des pièces répondant selon elle aux exigences posées par l'engagement n° 3 et lui a demandé de rendre un avis définitif sur sa candidature.

31.Par lettre du 11 novembre 2017, la SEC a rejeté la candidature de Béton Contrôlé, estimant qu'en l'état des éléments transmis, les conditions d'éligibilité ne pouvaient pas être considérées comme satisfaites.

III. LA PROCÉDURE DEVANT L'AUTORITÉ

32.Le 19 avril 2018, Béton Contrôlé a saisi l'Autorité pour non-respect par la SNC des engagements 1, 2 et 3, sur le fondement de l'article L. 464-3 du code de commerce.

33.Dans la décision attaquée, l'Autorité a pour partie déclaré irrecevables les demandes de Béton Contrôlé relatives à la condamnation de la SEC à lui verser 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à l'exécution provisoire de la décision sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile, au prononcé d'intérêts au taux légal à compter de la date de la saisine, et à la capitalisation des intérêts échus par application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

34.Pour le surplus, l'Autorité a rejeté les demandes de Béton Contrôlé au motif qu'elles n'étaient pas appuyées d'éléments suffisamment probants.

IV. LE RECOURS ENTREPRIS DEVANT LA COUR

35.Le 20 avril 2022, Béton Contrôlé a formé un recours contre ladite décision.

36.Aux termes de ses dernières écritures, Béton Contrôlé demande à la Cour, à titre principal :

' de réformer la décision n° 22-D-09 du 10 mars 2022 en ce qu'elle a rejeté la saisine enregistrée sous le n° 18/0039 R à la requête de Béton Contrôlé ;

' de constater que la SEC, venant aux droits du GIE, n'a pas respecté les engagements pris par le GIE aux termes de la décision n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 de l'Autorité ;

' de prononcer les sanctions applicables à la SEC et à ses associés, conformément aux dispositions des articles L. 464-2 et L. 464-3 du code de commerce.

37.À titre subsidiaire, Béton Contrôlé demande à la Cour d'ordonner le renvoi à l'instruction de l'Autorité des pratiques de la SEC en violation des engagements pris par le GIE aux termes de la décision n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 de l'Autorité ;

38.Sur les recours en annulation et, subsidiairement, en réformation, l'Autorité demande à la Cour d'écarter l'ensemble des moyens et de rejeter le recours formé par Béton Contrôlé.

39.Le ministère public invite la Cour à rejeter l'ensemble des moyens et à confirmer la décision attaquée.

MOTIVATION

40.Les trois engagements dont Béton Contrôlé invoque la méconnaissance s'énoncent, aux termes de la décision n° 12-D-06 du 26 janvier 2012, de la façon suivante :

' Engagement n° 1 :

« 1. Organiser l'accès des tiers à la production de la carrière du [Localité 8] sur des bases objectives, transparentes et non discriminatoires.

Le GIE Exploitation des carrières (agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale) s'engage à vendre sa production à tout tiers. Une grille tarifaire et des CGV figurent en annexe aux présentes, prêtes à être appliquées dès à présent. Les CGV et tarifs sont appliqués de manière non discriminatoire à tout tiers mais également aux membres du GIE.

Au plus tard le 1er février de chaque année civile, le GIE (agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale) transmettra à la Commission des carrières un état prévisionnel de production détaillé par type de matériau, cet engagement venant s'ajouter à l'obligation de transmission de l'état semestriel prévu par l'arrêté préfectoral ».

' Engagement n° 2 :

« 2. Organiser l'accès des tiers à l'activité de concassage et de production d'enrobés

Les membres du GIE Exploitation des carrières s'engagent à transférer au GIE (agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale), l'activité de concassage, le GIE conservant l'activité de production d'enrobés (centrale à enrobés).

Les prestations de concassage et de production d'enrobés seront également proposées aux tiers sur la base de CGV et tarifs prédéfinis, appliqués de manière non discriminatoire aux tiers et aux associés. Une grille tarifaire et des CGV figurent en annexe aux présentes, prêtes à être appliquées dès à présent (pour le concassage, cette grille et les CGV ne pourront être appliquées qu'à l'issue des transferts d'actifs des membres vers le GIE).

Les parties s'engagent à réaliser les opérations de transfert d'actifs (et plus généralement l'ensemble des opérations structurelles prévues aux présentes) avant le 31 décembre 2012 ».

' Engagement n° 3 :

« 3. L'accès au GIE

Les parties s'engagent à formaliser au sein d'un règlement intérieur, une procédure d'accès des tiers au GIE (celui-ci agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale).

Une version complète de ce règlement intérieur sera adressée à l'Autorité de la concurrence, au plus tard dans un délai de deux mois à compter de la décision de l'Autorité de la concurrence ».

La procédure d'accès au GIE (lequel, agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale) est la suivante :

« Accès de nouveaux membres au GIE lequel agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale :

- Définition.

Par « nouveaux membres », il convient d'entendre toute entreprise non contrôlée directement ou indirectement par les membres actuels ou par ceux qui contrôlent les entreprises membres.

- Conditions d'éligibilité du nouveau membre.

Le candidat devra être une entreprise active en matière de travaux publics.

La candidature présentée devra satisfaire aux conditions d'honorabilité (absence de condamnation de l'entreprise, de ses dirigeants ou des personnes en détenant le contrôle directement ou indirectement) et de solvabilité suffisantes. [...].

- Procédure d'acceptation.

Le candidat devra présenter sa candidature par courrier recommandé AR, en justifiant de l'ensemble des conditions d'éligibilité.

L'intégration de nouveaux membres se fera par un vote à l'unanimité des membres du GIE, après examen de la candidature déposée par le candidat.

Dès réception de la candidature, le GIE vérifiera s'il remplit l'ensemble des conditions d'éligibilité précitées. Si l'ensemble des conditions sont satisfaites, le GIE devra, dans le délai d'un mois à compter de l'envoi de la candidature, informer les services de la Préfecture et de la Collectivité Territoriale de cette candidature afin de leur demander s'ils acceptent l'intégration du candidat au sein du GIE (de façon à éviter notamment tout risque de remise en cause de la convention d'occupation et de l'autorisation d'exploitation de la carrière), et de se prononcer dans un délai d'un mois.

L'absence d'acceptation de la Préfecture ou de la Collectivité Territoriale pourra constituer un motif légitime de refus d'adhésion.

Le GIE se prononcera sur la candidature au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la réception de toutes les informations permettant l'examen des conditions d'admissibilité.

L'éventuel refus de la candidature sera motivé par écrit.

Si la candidature est acceptée, le bénéficiaire devra s'acquitter d'un droit d'entrée équivalent à l'actif net corrigé du GIE (en tant que GIE ou sous toute autre forme sociale) rapporté au prorata de la participation du candidat ».

41.Le contrôle de la Cour portera sur l'existence d'éléments rendant vraisemblables les atteintes à la concurrence alléguées. En effet, si la partie saisissante n'a pas à prouver l'existence des pratiques dénoncées, il est cependant nécessaire qu'elle justifie, dès le stade de sa saisine, d'éléments rendant vraisemblables les atteintes à la concurrence alléguées. Il n'appartient pas à l'Autorité de suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve (Cass. Com., 19 janvier 2016, pourvoi n° 14-21670).

I. SUR LE CARACTÈRE SUFFISAMMENT PROBANT DES ÉLÉMENTS PRODUITS AU SOUTIEN DE LA SAISINE CONCERNANT LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ENGAGEMENT N° 3 RELATIF À LA PROCÉDURE D'ACCÈS À LA SEC

42.L'Autorité, dans la décision attaquée, a considéré qu'aucune méconnaissance de cet engagement ne pouvait être retenue dès lors que :

' la procédure d'accès avait bien été mise en place et formalisée dans un règlement intérieur, établi d'abord pour le GIE puis pour la SEC ;

' la SEC avait pris le temps de vérifier si Béton Contrôlé remplissait les conditions, ce que démontraient les différentes demandes d'informations supplémentaires adressées à cette société et la motivation de sa décision rejetant sa candidature ;

' le 3ème engagement relatif à l'accès au GIE n'impliquait que de fixer une procédure d'adhésion et non pas d'admettre toute entreprise tierce qui en ferait la demande ;

' la SEC n'avait pas posé d'exigences démesurées pour apprécier les conditions d'éligibilité et qu'elle a toujours motivé les demandes d'informations complémentaires adressées à Béton Contrôlé.

43.Béton Contrôlé considère que la SEC, qui bénéficie d'une position dominante sur le marché des agrégats, a mis en oeuvre diverses manoeuvres pour limiter l'accès à son capital social et contourner l'application des engagements souscrits auprès de l'Autorité en 2012.

44.En premier lieu, Béton Contrôlé fait valoir que la SEC a multiplié les demandes de documents complémentaires, qu'elle qualifie de fallacieuses à son égard, dans le cadre de l'instruction de sa demande d'accès à la SEC.

45.S'agissant de la condition d'activité en matière de travaux publics, Béton Contrôlé relève que les sociétés du groupe informel [I] dont elle fait partie n'ont pas obtenu de marchés publics depuis 2014. Elle attribue cette situation à l'incapacité du groupe [I] de proposer des prix aussi concurrentiels que ceux des sociétés appartenant au périmètre de la SPI ' holding de la SEC ' qui bénéficieraient de conditions d'achat plus favorables du fait de leur accès à la carrière du [Localité 8], en vertu de discriminations tarifaires pratiquées par la SEC.

46.Béton Contrôlé estime, par ailleurs, avoir satisfait à la condition d'honorabilité.

47.Concernant la communication des pièces comptables demandées par la SEC pour satisfaire à la condition de solvabilité, Béton Contrôlé rappelle qu'elle était disposée à faire examiner ses comptes sociaux par un auditeur indépendant, ce qui aurait permis de garantir la préservation du secret des affaires.

48.Ainsi, Béton Contrôlé conteste la décision attaquée en ce qu'elle a retenu qu'elle aurait « refusé expressément de fournir les informations nécessaires à l'examen de sa candidature » et assure avoir toujours rempli les conditions d'éligibilité cumulatives requises pour accéder à la SEC. Le refus de la SEC de l'intégrer à son capital social empêcherait Béton Contrôlé de garantir la transparence des prix pratiqués et une véritable équité économique à l'égard des tiers, en violation des engagements souscrits en 2012.

49.En second lieu, les membres du GIE auraient fait le choix, selon Béton Contrôlé, de créer une SNC, en lieu et place du GIE, pour pouvoir refuser aisément un candidat en se fondant sur une absence d'affectio societatis propre au droit des sociétés et sur des exigences tenant à la responsabilité solidaire et indéfinie des associés.

50.Dans ses observations, l'Autorité, en premier lieu, fait valoir que la procédure d'accès à la SEC a bel et bien été mise en place et formalisée dans un règlement intérieur qui lui a été transmis, comme le prévoyait l'engagement n° 3.

51.En second lieu, après analyse des différents courriers échangés par la SEC et Béton Contrôlé à la suite de la demande d'accès déposée par celle-ci, l'Autorité constate que la SEC s'est attachée à vérifier que Béton Contrôlé remplissait les exigences d'éligibilité fixées dans le règlement intérieur, que ses demandes de compléments étaient détaillées et argumentées par référence aux termes de l'engagement n° 3 et que le rejet de sa candidature était précisément motivé.

52.L'Autorité écarte donc toute mauvaise foi de la SEC dans l'appréciation des conditions d'éligibilité et relève que, pour sa part, Béton Contrôlé a laissé s'écouler plus d'une année avant de répondre à la première demande de compléments de la SEC et qu'elle a refusé de fournir certaines informations nécessaires à l'examen de sa candidature.

53.Concernant la transformation du GIE en SNC, l'Autorité rappelle que le changement de forme juridique était expressément prévu par l'engagement n° 3, qui s'appliquait au GIE « agissant sous cette forme ou sous toute autre forme sociale », et que cet engagement impose seulement de définir une procédure d'adhésion, et non d'admettre toute entreprise tierce qui en ferait la demande.

54.Le ministère public partage les analyses de l'Autorité.

Sur ce, la Cour,

55.La Cour rappelle qu'en application de l'article L. 464-2, I, du code de commerce, les engagements sont proposés par les entreprises ou organismes mis en cause, qui doivent s'assurer dès l'origine de leur capacité à les mettre en oeuvre. Les engagements pris sont ensuite acceptés par l'Autorité lorsqu'ils sont de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence. Ces engagements sont rendus obligatoires au stade de la notification de la décision par l'Autorité.

56.S'agissant du contrôle de l'exécution des engagements pris par une entreprise, la caractérisation d'un manquement à des engagements conduit à vérifier leur respect formel puis, le cas échéant, l'absence de manquement au regard des préoccupations de concurrence ayant donné lieu à ces engagements (Com., 26 septembre 2018, pourvoi n° 16-25.403).

57.Si, au stade de la saisine, il n'est pas exigé de l'entreprise plaignante d'établir l'absence de respect formel des engagements, voire un manquement au regard des préoccupations de concurrence de l'espèce, il lui incombe néanmoins d'apporter des indices suffisants en ce sens.

58.Concernant, en premier lieu, le respect formel des engagements, il n'est pas contesté que le GIE, devenu depuis la SEC, s'est conformé à la lettre de l'engagement n° 3 en formalisant une procédure d'accès aux tiers dans un règlement intérieur en date du 22 mars 2012 et en l'adressant à l'Autorité dans le délai imparti.

59.Ce règlement intérieur prévoit, comme cela a déjà été indiqué (paragraphe 40 du présent arrêt), des conditions d'accès au GIE s'énonçant en ces termes :

« 3. L'accès au GIE

['] La procédure d'accès au GIE (lequel agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale) est la suivante :

Accès de nouveaux membres au GIE lequel agissant sous forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale :

- Définition.

Par « nouveaux membres », il convient d'entendre toute entreprise non contrôlée directement ou indirectement par les membres actuels ou par ceux qui contrôlent les entreprises membres.

- Conditions d'éligibilité du nouveau membre.

Le candidat devra être une entreprise active en matière de travaux publics.

La candidature présentée devra satisfaire aux conditions d'honorabilité (absence de condamnation de l'entreprise, de ses dirigeants ou des personnes en détenant le contrôle directement ou indirectement) et de solvabilité suffisantes. [...]

Le GIE se prononcera sur la candidature au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la réception de toutes les informations permettant l'examen des conditions d'admissibilité.

L'éventuel refus de la candidature sera motivé par écrit » (souligné par la Cour).

60.Cette rédaction du règlement intérieur, qui n'a pas varié dans le temps, s'impose mutatis mutandis à la SEC.

61.Il n'est pas non plus contesté par Béton Contrôlé que la SEC a vérifié, dès réception de la candidature de Béton Contrôlé, si celle-ci remplissait l'ensemble des conditions d'éligibilité, qu'elle s'est prononcée le 25 octobre 2017 sur sa candidature dans un délai inférieur à trois mois à compter de la réception des dernières informations communiquées par Béton Contrôlé et qu'elle a motivé sa décision de lui refuser l'accès à son capital.

62.Concernant, en deuxième lieu, l'appréciation faite par la SEC des conditions d'éligibilité prévues par le règlement intérieur, il s'infère des termes du règlement intérieur précité que l'accès de Béton Contrôlé au capital social de la SEC est soumis à la satisfaction de trois conditions de fond, exigées de manière cumulative, tenant à fois à son activité en matière de travaux publics, à son honorabilité et à celle de ses dirigeants ainsi qu'à sa solvabilité.

63.La Cour précise que dans son courrier du 25 octobre 2017 (annexe 8, cotes 118 à 122), la SEC a retenu que les conditions d'éligibilité cumulatives fixées par le règlement intérieur ne pouvaient être considérées comme satisfaites, puisque que Béton Contrôlé reconnaissait ne pas être active dans le secteur des travaux publics et qu'elle refusait de fournir des éléments complémentaires qui permettraient d'examiner la condition d'honorabilité.

64.Dès lors que la SEC a pris acte, dans ce courrier, que Béton Contrôlé pourrait accepter de soumettre l'analyse de ses comptes sociaux détaillés à un tiers expert aux fins d'examen de la dernière condition relative à la solvabilité du candidat, seuls les éléments fournis par Béton Contrôlé relatifs à l'appréciation par la SEC des deux premières conditions ' sur lesquelles sa décision de rejet est fondée ' seront examinés par la Cour.

65.S'agissant de la première condition tenant à l'obligation d'avoir une activité en matière de travaux publics, les éléments versés à la procédure n'établissent pas de façon suffisamment probante que la SEC a multiplié les demandes fantaisistes de production de documents pour y satisfaire, afin d'opposer un refus à la candidature de Béton Contrôlé.

66.En effet, la Cour relève que Béton Contrôlé n'a produit, dans son dossier de candidature, qu'un tableau comportant son chiffre d'affaires des trois dernières années, sans précision des marchés publics réalisés.

67.Au regard des termes de l'engagement n° 3, la SEC était donc fondée à demander à Béton Contrôlé, dans son premier courrier du 13 juin 2016 (annexe 4, cotes 95 à 102), de lui transmettre l'exposé des marchés de travaux publics réalisés, la présentation de ses moyens matériels et humains et le détail de son chiffre d'affaires, pour les cinq dernières années.

68.La Cour constate qu'en réponse aux demandes de la SEC, Béton Contrôlé lui a communiqué le 4 août 2017 d'une part, un document intitulé « Quelques références travaux de la société 'Béton Contrôlé' (liste non exhaustive) » établissant, sous forme de tableau, une liste de 19 travaux réalisés par la société pour le compte de maitres d'oeuvre publics mais aussi de maitres d'oeuvre privés et, d'autre part, une liste de ses principaux clients comprenant à la fois les « Entreprises clientes » et les « Services administratifs » avec lesquels elle travaille (annexe 5, cotes 103 à 107), ces documents ne comportant aucune précision relative aux dates et aux montants des marchés réalisés.

69.À cet égard, Béton Contrôlé n'explique pas de façon suffisamment probante les raisons pour lesquelles la SEC n'aurait pas été fondée, pour vérifier l'étendue de l'activité de Béton Contrôlé en matière de travaux publics et son caractère actuel au moment de sa candidature, à réitérer ses demandes de pièces, d'autant que les marchés évoqués paraissaient dater de plus de 10 ans et que la valeur nette comptable des immobilisations productives ressortant des comptes sociaux de Béton Contrôlé suggéraient qu'elle ne disposait pas d'un matériel servant à une activité de travaux publics (annexe 6, cotes 108 à 114).

70.Il y a lieu de relever que Béton Contrôlé, aux pages 14 et 16 de son mémoire, s'est bornée à reproduire à nouveau la liste de ses clients des secteurs privé et public et la liste non exhaustive de ses ouvrages réalisés avec du béton, dont un certain nombre ne relève pas, à l'évidence, de la catégorie des « marchés publics » au sens de l'engagement n° 3, sans préciser le chiffrage de ces marchés ni leur date d'attribution et d'exécution.

71.En outre, Béton Contrôlé ne saurait reprocher à la SEC sa mauvaise foi dans l'appréciation de la première des conditions d'éligibilité, dès lors qu'elle admet dans ses écritures ' comme elle l'avait fait dans ses courriers des 4 août et 25 septembre 2017 (annexe 5, cote 105 et annexe 7, cote 115) ' que « le fait de ne pouvoir présenter des offres équivalentes aux offres des différents concurrents retenus, considérant les discriminations tarifaires dont est victime la société Le Béton Contrôlé sur les agrégats, représentant une part non négligeable du prix total d'une offre, a eu raison, au fil des ans, de ses velléités de candidater, au regard de l'impossibilité in fine de 'décrocher' l'attribution d'un marché » (page 23 du mémoire de la requérante, souligné par la Cour).

72.La Cour précise que l'argument tenant à l'existence supposée de conditions tarifaires préférentielles au profit des sociétés du périmètre de la SPI, qui auraient empêché les sociétés du groupe [I] de déposer des offres compétitives par rapport aux offres faites par ces entreprises et de se voir attribuer des marchés publics, est inopérant, dès lors que l'engagement n° 3 porte uniquement sur la procédure d'accès au GIE, devenu la SEC.

73.S'agissant de la deuxième condition relative à l'honorabilité de l'entreprise, de ses dirigeants ou des personnes en détenant le contrôle, il ressort des éléments versés au dossier de la Cour qu'avant d'accepter de communiquer à la SEC les bulletins n° 3 du casier judiciaire des responsables de la société, Béton Contrôlé s'était contentée de joindre à son dossier de candidature une attestation sur l'honneur de son gérant, qui se bornait à indiquer que ce dernier n'avait « jamais fait l'objet, au cours des cinq dernières années, d'une condamnation inscrite au bulletin n°2 du casier judiciaire, pour les infractions visées aux articles L. 221-1, L. 8251-1 et 2, L. 8254-1 et suivants, L. 5221-8 et 11, L. 8231-1 et L. 8241-1 et suivants du code du travail ou de toute autre condamnation pour des infractions similaires et de ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation pour une infraction de même nature dans un état tiers » (annexe 3, cote 93).

74.Dès lors, la SEC a demandé à Béton Contrôlé, par une motivation faisant toujours référence aux termes de l'engagement n° 3 et rappelant le caractère intuitu personae de la SNC, de justifier de l'honorabilité de chaque personne physique détenant le contrôle directement ou indirectement de Béton Contrôlé, par la communication de tout document utile et notamment d'extraits de casier judiciaire (courrier du 13 juin 2016, annexe 4, cote 98), puis de lui communiquer, pour chacune de ces personnes physiques, une liste des condamnations prononcées par une juridiction commerciale, administrative ou judiciaire, en matière civile et pénale, quelle qu'en soit la date ou la nature, ou, en l'absence de toute condamnation, d'une attestation sur l'honneur portant sur l'absence de condamnation (courrier du 13 juin 2016, annexe 6, cote 113).

75.Sans expliquer autrement que par « l'usage » son refus de produire, en complément desdits bulletins n° 3 du casier judiciaire, soit la liste des éventuelles condamnations prononcées à l'encontre de chaque personne physique détenant directement ou indirectement son contrôle, soit, en l'absence de toute condamnation, une attestation sur l'honneur portant sur l'absence de condamnation ' alors même qu'elle avait, de sa propre initiative, eu recours initialement au procédé d'une déclaration sur l'honneur pour répondre à la condition d'honorabilité ', Béton Contrôlé n'a pas étayé, de façon suffisamment probante, le caractère abusif des demandes de la SEC afférentes à la satisfaction de la condition n° 2.

76.Par ailleurs, la Cour relève que Béton Contrôlé a indiqué dans son courrier du 4 août 2017 et dans son troisième et dernier courrier du 25 septembre 2017, qu'elle considérait que les pièces produites suffisaient à engager la décision de la SEC d'accepter ou non sa candidature, sans pour autant apporter à la SEC les réponses attendues.

77.C'est donc à juste titre que la décision attaquée retient, en son paragraphe 69, que Béton Contrôlé a refusé expressément de fournir les informations nécessaires à l'examen de sa candidature.

78.Il ressort de ces considérations que les pièces produites ne font pas apparaître de façon suffisamment probante une volonté de la SEC d'écarter par des moyens infondés la candidature de Béton Contrôlé, à l'occasion de la mise en oeuvre de la procédure prévue par l'engagement n° 3.

79.Concernant, en dernier lieu, la création d'une SNC en lieu et place du GIE, il est constant que l'engagement n° 3 prévoyait ab initio la possibilité pour le GIE de faire évoluer sa forme sociale :

« Les parties s'engagent à formaliser au sein d'un règlement intérieur, une procédure d'accès des tiers au GIE (celui-ci agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale » (souligné par la Cour).

80.Il y a lieu de relever que le choix de transformer le GIE en une SNC ' détenant majoritairement le capital de trois filiales, dont la SEC ' aurait été motivé par l'obligation pour tout GIE d'avoir un objet statutaire rattaché à l'activité économique de ses membres, laquelle faisait en l'espèce obstacle à la détention par ses membres de participations dans des sociétés relevant du secteur de la pêche (paragraphes 14 et 66 de la décision attaquée).

81.Dans ses écritures, Béton Contrôlé se borne à faire valoir qu'en créant une SNC, les membres du GIE ont souhaité pouvoir se fonder, d'une part, sur la responsabilité solidaire et indéfinie des associés leur permettant de « prétendre contrôler la solvabilité de tout candidat » et, d'autre part, sur l'affectio societatis, pour exclure toute personne qu'ils ne voulaient pas voir entrer dans le capital social de la société.

82.Or, le choix de recourir à la forme d'une SNC pour maintenir entre les associés le régime de responsabilité solidaire et indéfinie applicable au GIE n'apparait pas en contradiction avec les termes de l'engagement n° 3, qui imposait seulement au GIE ' agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale ' de définir une procédure d'adhésion, et non d'admettre toute entreprise tierce qui en ferait la demande.

83.La circonstance qu'aucune société tierce n'a intégré le capital social de la SEC depuis sa création en 2012 est donc indifférente.

84.Il ressort de l'ensemble de ces développements que Béton Contrôlé n'a pas assorti sa saisine d'éléments suffisamment probants sur le prétendu manquement à l'engagement n° 3.

85.Les moyens sont donc rejetés.

II. SUR LE CARACTÈRE SUFFISAMMENT PROBANT DES ÉLÉMENTS PRODUITS AU SOUTIEN DE LA SAISINE CONCERNANT LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ENGAGEMENTS N° 1 ET N° 2 RELATIFS À L'ACCÈS DES TIERS À LA PRODUCTION DE LA CARRIÈRE DU [Localité 8] ET À L'ACTIVITÉ DE CONCASSAGE ET DE PRODUCTION D'ENROBÉS

86.L'Autorité, dans la décision attaquée, a retenu que Béton Contrôlé n'apportait pas la preuve de tarifications discriminatoires entre les entreprises tierces et les entreprises membres de la SEC.

87.Béton Contrôlé soutient qu'elle est dans l'impossibilité de présenter des offres plus compétitives que celles de ses concurrents de la SEC, dans la mesure où l'écart entre les offres de ces derniers et les siennes ne peut s'expliquer que par le fait qu'ils bénéficient de conditions commerciales certainement préférentielles pour l'achat des agrégats.

88.Béton Contrôlé conclut à l'existence d'une pratique de tarification discriminatoire au profit des sociétés détenant indirectement la SEC, qui expliquerait l'attribution quasi systématique des marchés de BTP à ces dernières.

89.L'Autorité considère, après examen des pièces du dossier, que les engagements n° 1 et n° 2 n'ont pas été méconnus, dès lors :

' qu'il ressort de la grille tarifaire des agrégats et enrobés bitumineux de la SEC qu'à volume identique d'achat, la qualité de l'acheteur est indifférente ;

' qu'aucune divergence n'est constatée entre le prix unitaire moyen pratiqué à l'égard des associés et celui pratiqué à l'égard des entreprises tierces, au regard de l'examen des factures établies par la SEC entre 2013 et 2018, quelle que soit la catégorie de produit examinée ;

' que Béton Contrôlé ne produit pas d'éléments probants susceptibles d'étayer son argument tenant à l'impossibilité de proposer des tarifs du niveau de ceux de ses concurrents sans perdre de l'argent.

90.Le ministère public partage les analyses de l'Autorité. Il précise que si certaines variations de prix unitaire peuvent apparaître à l'analyse des factures, elles sont susceptibles d'être justifiées par des frais de transport, des remises ou des prestations additionnelles. Il relève enfin que, si l'offre de la STP constituait réellement une offre anormalement basse, le pouvoir adjudicateur n'aurait pas pu la retenir, en application des dispositions de l'article L. 2152-6 du code de la commande publique.

Sur ce, la Cour,

91.À cet égard, la Cour rappelle les termes de l'engagement n° 1, tel qu'il a été accepté et rendu obligatoire :

« 1. Organiser l'accès des tiers à la production de la carrière du [Localité 8] sur des bases objectives, transparentes et non discriminatoires.

Le GIE Exploitation des carrières (agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale) s'engage à vendre sa production à tout tiers. Une grille tarifaire et des CGV figurent en annexe aux présentes, prêtes à être appliquées dès à présent. Les CGV et tarifs sont appliqués de manière non discriminatoire à tout tiers mais également aux membres du GIE.

Au plus tard le 1er février de chaque année civile, le GIE (agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale) transmettra à la Commission des carrières un état prévisionnel de production détaillé par type de matériau, cet engagement venant s'ajouter à l'obligation de transmission de l'état semestriel prévu par l'arrêté préfectoral. ».

92.L'engagement n° 2, quant à lui, est ainsi rédigé :

« 2. Organiser l'accès des tiers à l'activité de concassage et de production d'enrobés

Les membres du GIE Exploitation des carrières s'engagent à transférer au GIE (agissant sous la forme sociale d'un GIE ou sous toute autre forme sociale), l'activité de concassage, le GIE conservant l'activité de production d'enrobés (centrale à enrobés).

Les prestations de concassage et de production d'enrobés seront également proposées aux tiers sur la base de CGV et tarifs prédéfinis, appliqués de manière non discriminatoire aux tiers et aux associés. Une grille tarifaire et des CGV figurent en annexe aux présentes, prêtes à être appliquées dès à présent (pour le concassage, cette grille et les CGV ne pourront être appliquées qu'à l'issue des transferts d'actifs des membres vers le GIE).

Les parties s'engagent à réaliser les opérations de transfert d'actifs (et plus généralement l'ensemble des opérations structurelles prévues aux présentes) avant le 31 décembre 2012 ».

93.Concernant, en premier lieu, l'existence même d'une tarification, il n'est pas contesté par Béton Contrôlé que le GIE, puis la SEC, de 2012 à 2017 (annexe 27, cotes 512 à 518), se sont conformés chaque année à l'obligation de prévoir des CGV et des tarifs prédéfinis pour la fourniture sur site ' hors transport ' de différents types d'enrochements, de concassés et d'enrobés bitumineux, applicables quelle que soit la qualité de l'acheteur.

94.Concernant, en second lieu, l'application effective de ces conditions tarifaires, Béton Contrôlé fonde principalement sa critique des pratiques de la SEC sur l'exemple du marché des travaux de construction du quai dédié à l'exploitation des ferries à [Localité 6], dont le lot 1 a été attribué en juin 2019 à la STP, en se bornant :

' d'une part, à souligner l'écart ressortant du rapport d'analyse des offres entre l'offre de la STP d'un montant de 9 700 189 € TTC et celles de la société Bati-Bois, appartenant au groupe informel [I], ayant présenté une offre de base pour un montant de 15 018 592 € TTC et une offre variante de 17 990 620 € TTC (pièce 11, § 5.1) ;

' d'autre part, à dénoncer le niveau de prix très faible des matières premières qu'aurait proposé la STP ' en particulier pour le poste remblais ' tel qu'il ressortirait d'une simulation de l'offre de prix que la STP est susceptible d'avoir présentée pour ce marché, selon une simulation élaborée par Béton Contrôlé d'après une méthodologie non communiquée, faisant apparaître la comparaison suivante en termes de prix (extraits du tableau produit par Béton Contrôlé en annexe 38, cotes 654 à 657) :

Bati-Bois

TITULAIRE STP

ÉCART

Total Prix généraux

2 338 768,20 €

194 636,37 €

2 144 131, 83 €

Total Travaux préparatoires

256 303,50 €

156 518,07 €

99 785,43 €

Total Terrassements

dont fourniture et mise en oeuvre de remblai :

pour la plateforme M3

pour le noyau de la digue M3

pour le remplissage des blocs b M3

5 863 850,00 €

2 331 000,00 €

977 500,00 €

556 990,00 €

4 279 407,00 €

1 800 975,00 €

915 280,00 €

567 064,00 €

1 584 443,00 €

530 025,00 €

62 220,00 €

10 074,00 €

Total Assainissements

826 252,80 €

549 474,37 €

276 778,43 €

Total Equipements

958 845,90 €

545 882,25 €

412 963,65 €

Total Génie civil

7 441 464,20 €

3 766 039,54 €

3 675 424,66 €

Total Réseau adduction d'eau

258 010,30 €

191 884,62 €

66 125, 68 €

Total Réseau incendie

47 125,60 €

16 346,38 €

30 779,22 €

TOTAL GÉNÉRAL

17 990 620,50 €

9 700 188,60 €

8 290 431,90 €

95.Or, à supposer même que la simulation versée aux débats soit fiable, Béton Contrôlé ne saurait soutenir que « sur ce type de marchés, la différence ne se fait pas sur les frais de personnel ou sur les temps de réalisation mais sur le coût des matières premières », dès lors que, si l'offre présumée de la STP apparaît effectivement inférieure d'environ 27 % à celle de Bati-Bois pour l'ensemble des postes de la rubrique « Terrassements » ' et d'environ 15 % pour le poste remblai en particulier (offre totale de 3 865 490 € pour Bati-bois et de 3 283 319 € pour la STP) ' elle s'avère être plus basse encore s'agissant d'autres postes, spécialement celui des « Prix généraux » pour lequel l'offre de la STP apparaît 12 fois inférieure à celle de Bati-Bois (offre de 194 636,37 € pour la STP au lieu de 2 338 768,20 € pour Bati-bois).

96.À cet égard, il convient de souligner qu'aucune offre anormalement basse au sens de l'article L. 2152-6 du code de la commande publique, n'a été identifiée dans le rapport d'analyse des offres du marché en cause.

97.Par ailleurs, la taille et le niveau d'activité de certains des concurrents du groupe informel [I], en particulier la STP, sont susceptibles de générer des économies d'échelle dont Béton Contrôlé ne tient pas compte lorsqu'elle fait valoir que les sociétés attributaires des marchés publics entre 2014 et 2016 ont été majoritairement des sociétés du périmètre de la SPI, associé unique de la SEC.

98.En effet, le niveau de facturation de la STP de 2013 à 2018 s'est élevé, après application des remises prévues par les CGV à partir de 1 000 tonnes de matériaux achetées, à un montant de 1 616 533,84 € et a représenté environ 12 % du chiffre d'affaires de la SEC, ce qui la place au deuxième rang des clients de la SEC après la STR, laquelle représente à elle seule environ 76 % du chiffre d'affaires de la SEC.

99.Par comparaison, les seules sociétés du groupe [I] clientes de la SEC ' les sociétés Établissements Max [I] et SCI [I] ' ne lui ont acheté des matériaux, sur la même période, que pour un montant total de 7 543,80 € (voir les factures communiquées par la SEC, cote 911 - annexe 47).

100.Ainsi, la circonstance que la STP aurait été attributaire de plus d'un tiers des marchés de travaux publics auxquels Bati-Bois a soumissionné de 2014 à 2018 (pièce 10) ne revêt à elle seule aucun caractère probant.

101.En outre, la Cour constate que Béton Contrôlé ne fait pas état de difficultés d'approvisionnement auprès de la carrière du [Localité 8], ni d'accès à l'activité de concassage et de production d'enrobés, qui ont fait l'objet des engagements n° 1 et 2 pris par le GIE.

102.Enfin, la Cour relève que Béton Contrôlé ne conteste pas la décision attaquée en ce qu'elle retient que l'analyse de l'ensemble des factures établies par la SEC entre 2013 et 2018 ne montre aucune différence, pour un même produit à conditions de volumes identiques, entre le prix unitaire moyen pratiqué à l'égard des associés de la SEC et celui pratiqué à l'égard des entreprises tierces (paragraphe 75 de la décision attaquée) et, surtout, qu'elle ne verse pas aux débats sa propre analyse de l'application par la SEC des prix unitaires et des remises prévus par la grille tarifaire et les CGV édictées par la SEC.

103.Il résulte de l'ensemble de ces considérations que Béton Contrôlé n'apporte pas d'indices suffisants rendant vraisemblable le non-respect par la SEC des engagements n° 1 et n° 2.

104.Dès lors, le moyen est rejeté.

105.Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours de Béton Contrôlé.

106.Comme cela a déjà été indiqué, il n'appartient pas à l'Autorité de suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve. Dès lors, la demande de Béton Contrôlé de renvoi à l'instruction de l'Autorité, qui vise à suppléer sa propre carence dans l'administration de la preuve, ne peut qu'être rejetée.

III. SUR LES DÉPENS

107.L'équité commande que la requérante conserve la charge des dépens par elle exposés.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement,

REJETTE le recours formé par Le Béton Contrôlé contre la décision n° 22-D-09 du 10 mars 2022 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon ;

REJETTE la demande de renvoi à l'instruction de l'Autorité ;

LAISSE à Le Béton Contrôlé la charge des dépens par elle exposés.