CA Paris, Pôle 4 ch. 1, 20 septembre 2024, n° 23/05236
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Financière (SNC)
Défendeur :
Époux
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Sentucq
Conseillers :
Mme Bret, Mme Girard-Alexandre
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Fraiche-Dupeyrat, Me Picot de Moras d'Aligny
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé en date des 12 et 18 juillet 2018, Madame [VD] [XY] divorcée [T] et la SNC FINANCIERE [LT] [C] ont conclu une promesse synallagmatique de vente, sous diverses conditions suspensives liées à l'absence de servitudes, charges, et d'inscriptions hypothécaires, portant sur les biens immobiliers suivants, tous loués:
les lots n°47 et 25 d'un immeuble en copropriété situé [Adresse 8] à [Localité 19] consistant en un appartement et une cave;
les lots 13 et 15, soit un appartement et une chambre indépendante en rez-de-chaussée, et deux box, de l'immeuble en copropriété situé [Adresse 9] à [Localité 16] (92) ;
les lots no 9, 10, 16, 19, 35, 36, 45, 53 et 54 dans un immeuble en copropriété situé [Adresse 5] à [Localité 16] (92) , correspondant à deux appartements au 4ème étage, deux pièces en rez-de-chaussée, des caves et des garages;
un immeuble situé [Adresse 20] à [Localité 1], consistant en un bâtiment élevé sur caves d'un rez-de-chaussée et de 6 étages, et d'une cour.
Le prix de vente global a été fixé à 10.500.000 euros, ventilé comme suit :
240.000 euros pour les biens situés [Adresse 8] à [Localité 19];
320.000 euros pour ceux situés [Adresse 9] [Localité 16];
1.440.000 euros pour les biens situés [Adresse 13] à [Localité 16] ;
8.500.000 euros pour l'immeuble [Adresse 20] à [Localité 1].
Il y est précisé qu'en cas d'exercice d'un droit de préemption par l'un de ses titulaires sur un des biens seulement, la vente portera uniquement sur le surplus des biens non préemptés.
L'acte indique que la SNC FINANCIERE [LT] [C] a versé entre les mains de Maître [PR], son notaire, la somme de 500.000 euros à titre de séquestre, et qu'elle peut en obtenir la restitution contre remise d'une caution bancaire au profit de [VD] [XY], ce qui a été fait le 25 septembre 2018, la société SOCFIM s'étant portée caution.
La vente devait être réitérée par acte authentique le 31 octobre 2018, délai pouvant être prorogé jusqu'au 30 novembre 2018, date à partir de laquelle chacun pouvait demander l'exécution du contrat en justice si les conditions suspensives étaient levées.
Par lettres en date du 24 septembre 2018, le Préfet des Hauts-de-Seine a informé Maître [AC], notaire du vendeur, de sa décision de renoncer à l'exercice du droit de préemption urbain pour les biens sis [Adresse 5] et [Adresse 9] à [Localité 16] .
Par acte du 2 novembre 2018, la Mairie de [Localité 17] a notifié sa décision d'acquérir l'immeuble situé [Adresse 20], au prix de 8.500.000 euros.
Le 28 décembre 2018, la SNC FINANCIERE [LT] [C] a déposé aux rangs des minutes de l'étude de son notaire, Maître [PR], l'acte des 12 et 18 juillet 2018.
Le 4 février 2019, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a informé les services de l'urbanisme de la ville de Paris de ce qu'il avait invité les notaires à suspendre les opérations de vente découlant du contrat, dans l'attente d'une décision du juge des tutelles saisi par ses soins d'une requête aux fins d'ouverture d'une mesure de protection à l'égard de [VD] [XY].
Madame [VD] [XY] a été placée sous sauvegarde de justice par ordonnance du 8 février 2019 du juge des tutelles du tribunal d'instance de Paris pour la durée de l'instance, et est décédée le 5 mai 2019, laissant pour lui succéder, selon acte de notoriété dressé le 27 mai 2019 par Maître [R], notaire à Paris, ses deux enfants, [B]-[VS] et [S], dite [H], [T].
Cet acte de notoriété fait état d'un testament olographe de la défunte du 18 juin 2018, aux termes duquel cette dernière lègue la quotité disponible à Madame [S] [T], et consent plusieurs legs à titre particulier.
Par lettre en date du 11 juin 2019, le conseil des héritiers a fait part à l'acquéreur de la volonté de ses derniers de conclure amiablement à la résolution du compromis de vente du 18 juillet 2018, excipant que les conditions qui entourent le compromis «anticiperaient un abus de confiance, un abus de faiblesse et une absence de consentement éclairé »
Le 10 mars 2020, Maître [N], notaire à [Localité 17], a reçu un acte contenant constatation de vente avec différé de transfert de propriété, par lequel [B]-[VS] et [S] [T] ont vendu l'immeuble situé [Adresse 20] à la Ville de [Localité 17] au prix de 8.500.000 euros, par suite d'une déclaration d'intention d'aliéner reçue par la Ville de [Localité 17] le 6 septembre 2018, de la demande du procureur de la République du 4 février 2019 de suspendre la vente, de la consignation par la Ville de [Localité 17] le 18 février 2019 du prix de vente et de la commission d'agence, soit 8.800.000 euros, du décès de [VD] [XY], de la demande des héritiers de poursuivre la vente pour régler les droits de succession, et de la levée par le procureur de la République de la demande de suspension.
En revanche, la vente pour le surplus des biens objets du contrat des 12 et 18 juillet 2018 n'a pas été réitérée.
Soutenant que les conditions suspensives insérées à l'acte précité avaient été réalisées, et que rien ne s'opposait à la réitération de la vente par acte authentique des biens non préemptés, la société SNC FINANCIÈRE [LT] [C] a fait assigner par acte du 10 juillet 2019 [B]-[VS] [T] et [S] [T] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins essentielles de voir déclarer la vente parfaite à son profit et obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
Les consorts [T] ont opposé à cette demande la nullité du contrat pour « absence et vice de consentement ».
Par ordonnance du 10 juin 2020, le juge de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer présentée par [B]-[VS] et [S] [T] dans l'attente de l'issue de la plainte pour abus de faiblesse qu'ils ont déposé.
Suivant jugement rendu le 16 février 2023, le tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :
- Annule le contrat de vente sous conditions suspensives conclu les 12 et 18 juillet 2018 entre [VD] [XY] divorcée [T] et la SNC FNANCIERE [LT] [C] et portant sur des biens immobiliers situé [Adresse 8] à [Localité 19] , [Adresse 9] à [Localité 16] (92), [Adresse 5] à [Localité 16] (92) et [Adresse 20] à [Localité 1] ,
- Rejette la demande de la SNC FNANCIERE [LT] [C] tendant à voir déclarer parfaite à son profit la vente des biens immobiliers précités situés [Adresse 8] à [Localité 19], [Adresse 9] à [Localité 16] (92) et [Adresse 5] à [Localité 16] (92), à ordonner à [B]-[VS] et [S] [T] de signer l'acte authentique de vente en l'étude de Me [PR], sous astreinte et à déclarer qu'à défaut de signature de I 'acte authentique de vente quinze jours après la signification du jugement à intervenir, ledit jugement vaudra acte authentique de vente,
- Rejette la demande de la SNC FINANCIERE [LT] [C] en condamnation solidaire de [B]-[VS] et [S] [T] à lui payer la somme de 500.000 euros au titre de la clause pénale prévue à l'acte des 12 et 18 juillet 2018,
- Condamne la SNC FINANCIERE [LT] [C] aux dépens,
- La condamne à payer à [B]-[VS] et [S] [T], pris ensemble, la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- Rejette toutes demandes plus amples ou contraires.
La SNC FINANCIERE [LT] [C] a interjeté appel suivant déclaration du 15 mars 2023.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 10 janvier 2024 auxquelles il est expressément référé pour l'exposé détaillé de ses moyens, la SNC FINANCIERE [LT] [C] demande à la cour, au visa des articles 1137, 1168 et 1171 du Code civil, et L.212-1 du code de la consommation, de :
- Confirmer le jugement rendu le 16 février 2023 par le Tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a rejeté la demande en nullité du compromis signé le 18 juillet 2018 pour insanité d'esprit ;
- L'infirmer en ce qu'il a
* annulé le contrat de vente sous conditions suspensives conclu les 12 et 18 juillet 2018 entre [VD] [XY] divorcée [T] et la SNC FINANCIERE [LT] [C] et portant sur des biens immobiliers situé [Adresse 8] à [Localité 19] , [Adresse 9] à [Localité 16] (92), [Adresse 5] à [Localité 16] (92) et [Adresse 20] à [Localité 1] ;
* rejeté la demande de la SNC FINANCIERE [LT] [C] tendant à voir déclarer parfaite à son profit la vente des biens immobiliers précités situés [Adresse 8] à [Localité 19], [Adresse 9] à [Localité 16] (92) et [Adresse 5] à [Localité 16] (92), à ordonner à [B]-[VS] et [S] [T] de signer l'acte authentique de vente en l'étude de Me [PR], sous astreinte et à déclarer qu'à défaut de signature de l'acte authentique de vente quinze jours après la signification du jugement à intervenir, ledit jugement vaudra acte authentique de vente ;
* rejeté la demande de la SNC FINANCIERE [LT] [C] en condamnation solidaire de [B]-[VS] et [S] [T] à lui payer la somme de 500.000 euros au titre de la clause pénale prévue à l'acte des 12 et 18 juillet 2018 ;
* condamné la SNC FINANCIERE [LT] [C] aux dépens ;
* l'a condamnée à payer à [B]-[VS] et [S] [T], pris ensemble, la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
* rejeté toutes demandes plus amples ou contraires », mais uniquement lorsqu'il rejette les demandes de la SNC FINANCIERE [LT] [C].
Statuant à nouveau
A titre principal,
- Dire et juger qu'il n'est pas rapporté la preuve par Monsieur [B]-[VS] [T] et Madame [S] [T] de l'existence de man'uvres dolosives commises par la SNC FINANCIERE [LT] [C] à l'encontre de Madame [RF] [XY] aux fins de conclusion du compromis le 18 juillet 2018 ;
- Dire et juger non déséquilibrée la clause relative à la purge du droit de préemption contenue dans le compromis du 18 juillet 2018 ;
En conséquence,
- Déclarer parfaite la vente portant sur les biens immobiliers tels que décrits par le compromis de vente en date des 12 et 18 juillet 2018 situés :
[Adresse 8] [Localité 19], dans un immeuble cadastré section FK n°[Cadastre 4] pour une contenance de 4 ares 53 centiares,
[Adresse 9] dans un immeuble cadastré section Y n°[Cadastre 3] pour une contenance de 8 ares 10 centiares,
[Adresse 5] dans un immeuble cadastré section AC n°[Cadastre 2] pour une contenance de 7 ares 63 centiares,
- Ordonner que la décision à intervenir tiendra lieu d'acte constatant la vente PAR
1°) Monsieur [B]-[VS] [T]
2°) Madame [S] [T]
Demeurant tous deux [Adresse 12] [Localité 1]
AU PROFIT DE
La SNC FINANCIERE [LT] [C], société en nom collectif au capital social de 544.005 euros, inscrite au RCS de Paris sous le numéro 750 156 754, dont le siège social est [Adresse 6] [Localité 7]
PORTANT SUR
- Dans un immeuble sis à [Localité 19], [Adresse 8], cadastré section FK n°[Cadastre 4] pour 4 ares 53 centiares.
a) Lot numéro 47
Un appartement situé au 3ème étage droite et les 48/1000èmes des parties communes générales
b) Lot numéro 25
Une cave n°5 au sous-sol et les 1/1000èmes des parties communes générales.
- Dans un immeuble sis à [Localité 16], [Adresse 9], cadastré section Y n°[Cadastre 3] pour 8 ares 10 centiares.
a) Lot numéro 13
Un appartement situé au rez-de-chaussée, 1ère porte à gauche et les 41/1000èmes des parties communes générales
A ce lot sont rattachés une cave et un parking à déterminer
b) Lot numéro 15
Une chambre indépendante avec lavabo située au rez-de-chaussée et les 41/1000èmes des parties communes générales
c) Un box au 1 er sous-sol portant le n°26 (numéro de lot indéterminé)
d) Un box au 1 er sous-sol portant le n°18 (numéro de lot indéterminé)
- Dans un immeuble sis à [Localité 16] [Adresse 5], cadastré section AC n°[Cadastre 2] pour 7 ares 63 centiares
a) Lot numéro 9
Un appartement au 4ème étage et les 61/1017èmes des parties communes générales
A ce lot sont rattachés une cave et 2 parkings à déterminer
b) Lot numéro 10
Un appartement au 4ème étage et les 54/1017èmes des parties communes générales
A ce lot sont rattachés une cave et 1 parking à déterminer
c) Lot numéro 16
Une pièce au rez de chaussée sur cour et les 7/1017èmes des parties communes générales
d) Lot numéro 19
une pièce au rez-de-chaussée et les 6/1017èmes des parties communes générales
PRIX
Et moyennant le prix de 2.000.000 € net vendeur (deux millions d'euros net vendeur), payable comptant lors de la publication de l'acte, cette somme étant ventilée de la façon suivante :
- Biens sis à [Localité 19] , [Adresse 8] 240.000 euros
- Biens sis à [Localité 16], [Adresse 9] 320.000 euros
- Biens sis à [Localité 16], [Adresse 5] 1.440.000 euros
A titre subsidiaire :
- Condamner Monsieur [B]-[VS] [T] et Madame [S] [T] à verser à la SNC FINANCIERE [LT] [C] la somme de 500.000 euros en application du paragraphe « STIPULATION DE PENALITE » du compromis de vente des 12 et 18 juillet 2018 ;
En toutes hypothèses :
- Débouter Monsieur [B]-[VS] [T] et Madame [S] [T] de toutes demandes contraires ;
- Condamner Monsieur [B]-[VS] [T] et Madame [S] [T] à verser à la SNC FINANCIERE [LT] [C] la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure devant la cour d'appel et la somme de 5.000 euros pour la procédure devant le tribunal judiciaire de Paris ;
- Condamner Monsieur [B]-[VS] [T] et Madame [S] [T] aux entiers dépens de la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure de première instance.
La SNC FINANCIERE [LT] [C] fait valoir, sur la nullité du « compromis », que le tribunal, après avoir, à juste titre, retenu que la preuve de l'insanité d'esprit de la venderesse au moment de sa signature n'était pas rapportée, a, à tort, annulé ce contrat sur le fondement d'une réticence dolosive caractérisée par une obligation d'information et de conseil renforcée non prévue par la loi sur le prétendu caractère déséquilibré de la clause relative au droit de préemption.
Sur l'insanité d'esprit, elle souligne qu'il ressort du certificat médical établi le 17 décembre 2018 par un médecin-expert désigné par le juge des tutelles, que [VD] [XY] a été évaluée capable d'exprimer sa volonté, au point qu'une simple mesure de curatelle renforcée a été recommandée, ce dont il résulte que [VD] [XY] était tout à fait capable de prendre la décision de vendre ses biens et de conclure un « compromis » de vente.
Elle ajoute que, si le procureur a demandé la suspension de la vente, il ne s'est jamais prononcé et n'a jamais confirmé l'insanité d'esprit de [VD] [XY] qui n'a d'ailleurs été ni confirmée par le médecin expert ni retenu par le Tribunal dans le jugement
Elle expose également que, comme indiqué par ce même médecin, elle a toujours eu toute l'aide qu'elle désirait, que ce soit, tant de la part de Monsieur [I], par l'intermédiaire duquel elle a rencontré, lors d'un cocktail, Monsieur [K], représentant de la société ODGAMM PRIME REALTY, elle-même titulaire du mandat de recherche ayant conduit à la signature du compromis litigieux, et qu'elle a d'ailleurs désigné comme son exécuteur testamentaire, que de celle de [G], la dame de compagnie qui l'accompagnait quotidiennement, ou encore son notaire, Maître [E] [AC] qui l'a assistée dans le cadre de la conclusion du compromis et a notamment mis en 'uvre la purge du droit de préemption portant sur une partie des biens objet de la vente litigieuse.
En outre, elle souligne qu'à réception de son offre d'achat pour un prix de 10.050.000 euros net vendeur, [VD] [XY] a formulé une contreproposition au prix de 10.500.000 euros, ce qui démontre qu'elle n'a pas imposé son prix, comme ont tenté de le faire croire les héritiers, et que [VD] [XY] était en pleine possession de ses capacités intellectuelles.
Enfin, elle précise que [S] [T] et [B]-[VS] [T] n'hésitent pas à soutenir la validité du testament que leur mère a dressé un mois avant à leur profit, sans apporter aucun élément relatif à une subite aggravation des capacités cognitives de leur mère entre juin et juillet 2018.
Concernant la réticence dolosive retenue par le tribunal, la SNC FINANCIERE [LT] [C] fait valoir que l'action en nullité sur ce fondement n'est ouverte qu'à la condition que soit rapportée la preuve de la réunion de trois conditions, à savoir que la réticence dolosive a provoqué une erreur ayant déterminé la victime à donner son consentement, que la dissimulation est intentionnelle et que l'auteur du dol a conscience du caractère déterminant de l'information dissimulée.
Or, elle estime que le tribunal n'a pas détaillé les man'uvres dolosives et plus particulièrement les informations qui auraient dû être, à son sens, transmises à la venderesse, et que les héritiers n'ont pas rapporté la preuve que l'attention de leur mère n'avait pas été attirée sur les conséquences de la teneur de la clause relative au droit de préemption, en cas de préemption sur un seul des biens, sur la valeur des biens non préemptés.
Elle ajoute que, quand bien même son attention n'aurait pas été attirée sur ce point, il n'est pas établi que [VD] [XY] n'aurait pas signé le compromis si elle avait été informée, dès lors que l'intention de cette dernière était de liquider une partie de son patrimoine afin d'éviter d'avoir à payer une imposition trop élevée et de procéder à une vente en bloc afin de limiter les démarches de vente et les frais y afférents ; que selon le raisonnement du tribunal, l'impact de la clause litigieuse porte sur la valeur de l'objet de la vente, alors que l'appréciation du déséquilibre significatif ne peut porter sur l'adéquation du prix à la prestation, comme cela résulte des dispositions des articles L.212-1 alinéa 3 du code de la consommation et 1171 alinéa 2 du code civil.
Elle ajoute que [S] [T] et [B]-[VS] [T] ne rapportent aucunement la preuve du caractère déséquilibré de la clause litigieuse, et conteste l'existence d'un quelconque déséquilibre, au regard du contexte dans lequel est intervenue la vente et des intérêts respectifs des parties, parfaitement respectés.
Par ailleurs, elle soutient que [S] [T] et [B]-[VS] [T] n'étaient nullement lésés par l'insertion de cette clause, dès lors qu'en cas de mise en 'uvre du droit de préemption par la mairie de [Localité 17] sur le bien du [Localité 1], ils perçoivent exactement le même montant que si les biens lui avaient été tous cédés en exécution du compromis.
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées par RPVA le 8 janvier 2024 auxquelles il y a lieu de se référer pour plus ample exposé de leurs moyens, [S] [T] et [B]-[VS] [T] demandent à la cour de :
Vu les articles 414-1, 464, 1128 et suivants, 1104 et 1137 du code civil,
Vu les articles L111-1 et suivants, L211-1 du code de la consommation,
Vu l'article 548 du code de procédure civile,
- CONFIRMER le jugement en toutes ses dispositions, que cela soit en raison de l'existence d'un dol de la SNC FINANCIERE [LT] [C] ou de l'insanité d'esprit de Madame [XY] ;
- DEBOUTER la SNC FINANCIERE [LT] [C] de toutes ses demandes contraires ou plus amples ;
Y ajoutant,
CONDAMNER la SNC FINANCIERE [LT] [C] aux entiers dépens dont distraction et au paiement d'une somme de 6.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de leurs prétentions, ils exposent en liminaire que l'absence de consentement de [VD] [XY] et les man'uvres fautives de la SNC FINANCIERE [LT] [C] sont démontrés par plusieurs éléments factuels, tels que son âge, 92 ans, à la date du « compromis », le fait qu'elle n'était pas dans une situation financière précaire rendant nécessaire la vente de biens immobiliers pour régler ses impôts, qu'elle séjournait seule dans un hôtel sur son lieu de vacances lors de la signature de l'acte sous seing privé pré-rédigé par le notaire de l'acquéreur, dans la précipitation et sans l'assistance d'un conseil ou de son notaire habituel, qu'elle n'a jamais donné un quelconque mandat pour vendre ses biens immobiliers, alors que la vente est intervenue à un prix sous-évalué, que dès le mois d'octobre 2018, la banque HSBC a déposé plainte pour suspicion d'abus de faiblesse au regard des retraits incohérents intervenus depuis un an, qu'à la suite d'un certificat médical du 17 décembre 2018 préconisant la mise en place d'une mesure de protection judiciaire, [VD] [XY] a été placée sous sauvegarde de justice par ordonnance du 8 février 2019.
Ils soutiennent que la SNC FINANCIERE [LT] [C] a, par des man'uvres dolosives, isolé Madame [XY], la privant de ses conseils et notamment de son notaire, étant observé que le montant de la transaction aurait nécessité l'établissement d'un acte notarié qui aurait permis à chaque partie d'être assistée et d'avoir conscience de la portée de toutes les clauses; qu'elle n'était pas accompagnée comme le soutient l'appelante, Monsieur [I], qui est exclusivement un ancien et âgé conseil financier de la concluante et qui n'a pas de compétences particulières en matière immobilière, n'ayant pas participé à la cession.
Ils ajoutent que l'appelante, dont ils soulignent le caractère de professionnel de l'immobilier, savait pertinemment que l'immeuble de la [Adresse 20] serait préempté par la Ville de [Localité 17], et qu'elle n'aurait ainsi à payer sur le prix de vente total que la somme de 2.000 000 €, qui constitue en outre un prix très inférieur à la valeur effective des biens, de 3.023.000 €.
Ils font également valoir qu'ils justifient de la dégradation de l'état physique et intellectuel de leur mère depuis l'été 2017, ainsi que de sa perte de repères concernant les questions financières, confirmées par le certificat médical du 17 décembre 2018 faisant état de sa vulnérabilité et son incapacité à pourvoir seule à ses intérêts.
Ils invoquent l'existence à la charge de la SNC FINANCIERE [LT] [C], d'une obligation d'information renforcée prévue par les articles L.111-1 à L.111-4 du code de la consommation, dont la preuve du respect incombe à cette dernière.
Selon eux, le déséquilibre dans le contrat créé par la clause liée à la préemption de la mairie a pour objet ou effet de créer au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, de sorte qu'il s'agit d'une clause abusive au sens de l'article L.212-1 du code de la consommation privant le contrat de toute valeur.
A titre subsidiaire et si par extraordinaire, la cour ne retenait pas la nullité de la vente pour vice du consentement, ils soutiennent que qu'elle ne pourra que retenir l'insanité d'esprit de Madame [XY] et en tirer les conséquences qui s'imposent, soit la nullité du contrat de vente sous conditions suspensives conclu les 12 et 18 juillet 2018 entre Madame [XY] et la SNC FINANCIERE [LT] [C] conformément aux dispositions des articles 414-1 et 464 du code civil.
MOTIFS DE LA DECISION
Le tribunal a, dans le corps de son jugement, estimé être saisi, par voie d'exception, d'une demande de nullité du contrat, d'une part pour insanité d'esprit, et d'autre part pour dol ou réticence dolosive, et a toujours dans le corps du jugement, rejeté la nullité invoquée sur le premier fondement, pour l'accueillir sur le second fondement, tant aux termes de ses motifs que de son dispositif.
La société [LT] [C] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a annulé la vente sur le fondement de la réticence dolosive, et à sa « confirmation » en ce qu'il a rejeté la demande de nullité pour insanité d'esprit.
Les consorts [T] concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat pour réticence dolosive, et subsidiairement, demandent de prononcer la nullité pour insanité d'esprit, au visa des articles 414-1 et 464 du code civil.
Dans un souci de cohérence, il apparaît nécessaire d'examiner en premier lieu les moyens tenant à l'insanité d'esprit et l'absence de consentement, et en second lieu uniquement ceux relatifs à l'existence d'un vice dudit consentement.
- Sur la nullité pour insanité d'esprit
Au soutien de cette prétention, les consorts [T] se prévalent tant de l'article 414-1 du code civil que de l'article 464 du même code.
Ces dispositions n'ont pas le même champ d'application, le premier édictant un principe général de nullité des actes juridiques pour trouble mental, indépendamment de l'existence d'un régime de protection tels que la curatelle et la tutelle, et le second sanctionnant, sous certaines conditions, par la nullité des actes antérieurs à l'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle à condition de rapporter la preuve d'un préjudice.
Elles ne sont toutefois pas exclusives l'une de l'autre, l'article 466 du code civil précisant que l'article 464 ne fait pas obstacle à l'application des articles 414-1 et 414-2.
L'article 464 précité dispose qu'un acte accompli par un majeur protégé moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture d'une mesure de protection, soit une curatelle ou une tutelle, peut être annulé si I'altération de ses facultés était notoire ou connue du cocontractant à l'époque où les actes ont été passés et si l'acte conclu a entraîné un préjudice pour le majeur protégé.
En l'espèce, si [VD] [XY] a été placée sous sauvegarde de justice par ordonnance du juge des tutelles du tribunal d'instance de Paris Ie 8 février 2019, saisi par requête du procureur de la République en date du 31 décembre 2018 d'une demande d'ouverture d'une mesure protection, et ce pour la durée de l'instance, elle n'a toutefois fait l'objet d'aucune mesure de protection avant son décès survenu le 5 mai 2019.
Les conditions d'application de l'article 464 du code civil, qui exigent qu'une mesure de protection soit ordonnée, ne sont pas remplies, de sorte que le jugement doit être approuvé en qu'il a rejeté la demande en nullité de ce chef.
Par ailleurs, aux termes de l'article 414-1 du code civil, pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit, soit ne pas souffrir d'affections mentales par l'effet desquelles son intelligence est altérée, ses capacités de jugement obscurcies ou sa faculté de discernement déréglée, et il incombe à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.
L'article 414-2 du même code dispose que « de son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé.
Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants:
1o Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental;
2o S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice;
3o Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou aux fins d'habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future. »
En l'espèce, une action aux fins d'ouverture d'une mesure de protection a bien été introduite avant le décès de [VD] [XY] à la requête du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris le 31 décembre 2018.
Les consorts [T] produisent aux débats les éléments suivants pour établir l'insanité d'esprit de [VD] [XY] au moment de la conclusion de I'acte dont la nullité est demandée, étant précisé que [VD] [XY] était alors âgée de 92 ans:
- un testament olographe du 18 juin 2018, remis par [VD] [XY] à Maître [AC], son notaire, pour être déposé au rang de ses minutes, et annexé à un procès-verbal de dépôt et de description de testament dressé par ce notaire le 21 août 2019, dans lequel, avec une écriture ferme, [VD] [XY] prend diverses dispositions à cause de mort, léguant à sa fille « outre sa part de réserve la quotité disponible de ma succession. Dans sa part elle aura dans l'immeuble [Adresse 12] l'appartement au 3è étage qu'elle occupe, les 2 appartements que j'occupe au 5è étage avec tout leur contenu, mobilier, tableau et autres biens meubles, mon [Adresse 14] à [Localité 11] avec ses terres et dépendances y compris les biens meubles et tous les bijoux », précisant que son fils [B] [T] « aura sa part de réservataire qui comprendra l'appartement qu'il habite au 2ème étage de l'[Adresse 12], ma propriété du Gros Hêtre aux Mesnuls maison et terres », et enfin notamment des biens immobiliers déterminés à ses petits-enfants.
- une note manuscrite et signée de [VD] [XY] du 18 juillet 2018, établie sur une feuille de papier à lettres de l'hôtel [15] à [Localité 10], d'une écriture moins ferme, dans laquelle elle indique « écrire à mon gestionnaire : je vous informe avoir vendu à Monsieur [C] [LT] mon immeuble de la [Adresse 20], l'appartement de la [Adresse 8], mes deux appartements du [Adresse 13] à [Localité 16] et leurs annexes, et les lots du R.de chaussée du [Adresse 9] avec leurs annexes. Je vous demande d'accepter tous les moyens et de ne pas relouer les biens qui viendraient à être libérés à compter de ce jour. Veuillez S.V.P remettre à Monsieur [C] [LT] ce qu'il vous demande 'demander à ' transmettre 500.000 du notaire de l'acquéreur à Maître [AC] pour le compte de Madame [XY]. »
- des attestations établies le 14 octobre 2020 par [Z] [V] [NK], gardienne de I'immeuble dans lequel résidait à titre principal [VD] [XY], le 6 octobre 2020 par [SX] [O], amie de la défunte, le 18 octobre 2020 par [WV] [U] [MH], ami de la défunte, à une date inconnue par [P] [Y], amie de la défunte, le 19 octobre 2020 par [L] [A], ami de la défunte, le 19 octobre 2020 par [F] [M], amie de la défunte, lesquels indiquent avoir constaté une dégradation de l'état de santé de [VD] [XY] à compter de l'été 2017, celle-ci rencontrant des difficultés pour se déplacer, mélangeant les dates de rendez-vous ou
de concerts, se trompant sur les sommes d'argent nécessaires pour faire les courses,
dépensant parfois à profusion, perdant ainsi progressivement la mémoire, son énergie, son dynamisme, sa culture et sa vivacité d'esprit antérieurs et manifestant une anxiété
nouvelle à l'idée de devoir faire face à des dépenses importantes, notamment d'impôts suite à la réforme de l'impot sur la fortune ;
- le certificat médical établi le 17 décembre 2018 à la demande du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris par le docteur [W], inscrit sur la liste prévue par l'article 431 du code civil, qui a examiné [VD] [XY] le 14 décembre 2018 à son domicile, qui mentionne :
* qu'elle est en bon état général, a une présentation adaptée à la situation, est fardée et porte des vêtements de marques et plusieurs bijoux en or ;
* qu'elle a une bonne mémoire autobiographique mais reste évasive (« j'ai eu une vie de relations' ») , tout en précisant que « son grand-père avait inventé la capitalisation' c'est lui qui en 1850 a acheté tous les terrains de l'[Adresse 12] », tient à faire bonne figure et dégage une impression de confiance en elle et d'autorité, refuse de préciser ses revenus, indique avoir voulu vendre un immeuble pour payer ses impôts, a une idée correcte du coût de la vie pour les choses courantes;
* qu'interrogée sur sa santé, elle précise avoir fait l'objet de sa 16ème opération, pour un double cancer du sein, avoir commencé les hormones et dans 15 jours la radiothérapie , et avoir un peu de tension ;
* que son discours est fluent, que l'entretien et les tests objectivent une diminution de la flexibilité mentale, une légère désorientation spatiale et un
trouble de la mémoire de travail retentissant sur le raisonnement ;
* que son score au test de Folstein est côté à 22 sur 30 (troubles cognitifs
modérés) et qu'elle est cotée GIR 5, soit une personne ayant seulement besoin d'une aide ponctuelle pour la toilette, la préparation des repas et le ménage ;
* qu'il a assisté à deux entretiens téléphoniques, l'un avec un magnétiseur qu'elle qualifie de formidable pour avoir guéri beaucoup de ses connaissances et
auquel elle promet d'envoyer un chèque de 60 euros comme d'habitude, le
second avec une tierce-personne à laquelle elle dit avoir raconté sa vie et qui va réaliser un disque pour ses petits-enfants et lui réclame 3.500 € ;
* qu'il s'est entretenu avec une prénommée [G], dame de compagnie de plus de 20 ans de [VD] [XY] qui considère qu'elle va mal, distribue beaucoup
d'argent, reçoit des "messieurs bizarres pour vendre l'immeuble mais ne veut pas qu'on s'en mêle ;
* qu'en conclusion, [VD] [XY] présente des troubles cognitifs modérés, qu'elle nie, sur un terrain vasculaire et pendant un traitement anti-tumoral, qu'elle présente une détérioration de ses fonctions intellectuelles la rendant vulnérable, qui l'empêche de pourvoir seule à ses intérêts, même si elle est capable d'exprimer sa volonté, et nécessite une assistance dans la vie civile, par la mise en place d'une mesure de curatelle renforcée.
Il ressort de ces éléments la démonstration de ce que [VD] [XY] disposait de toutes ses capacités de discernement et de réflexion lors de la rédaction de son testament olographe le 18 juin 2018 remis par elle-même à son notaire, dont la remarquable précision quant aux dispositions à cause de mort par elle prise à l'égard tant de ses enfants que de ses petits-enfants démontre sa parfaite lucidité d'esprit, quand bien même elle pouvait présenter, au regard des témoignages d'amis proches et anciens, des troubles de la mémoire et était manifestement diminuée tant intellectuellement que physiquement, ce qui n'a rien de surprenant au regard de son âge et de ses pathologies et traitements.
[B]-[VS] et [S] [T], qui ne soutiennent pas que [VD] [XY] était insane d'esprit au jour de la rédaction du testament du 18 juin 2018, n'apportent aucun élément permettant d'attester d'une subite aggravation des capacités cognitives de leur mère entre juin et juillet 2018, lui ayant fait perdre toute compréhension de la portée des actes de la vie civile.
Quand bien même serait-il établi que, comme ils le soutiennent, le testament olographe du 18 juin 2018 aurait été rédigé avec l'assistance du notaire de [VD] [XY], cette circonstance est sans incidence quant à la démonstration de l'insanité d'esprit de cette dernière.
Il convient en outre de souligner que leur mère avait elle-même chargé un expert immobilier de procéder à l'évaluation des biens immeubles, objet de la vente du 18 juillet 2018, ce que les consorts [T] ne contestent pas, et qu'à la suite de l'offre d'achat formulée par la société [LT] [C] le 23 mai 2018 pour un prix de 1.050.000 euros, elle avait formulé une contre- proposition à hauteur de 1.500.000 euros, soit le montant finalement retenu par les parties à l'acte litigieux.
Dès lors, la preuve de l'insanité d'esprit de [VD] [XY] au jour de la signature de l'acte litigieux le 18 juillet 2018, n'étant pas rapportée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en nullité sur ce moyen.
Sur la nullité pour dol ou réticence dolosive
Les consorts [T], qui invoquent dans le corps de leurs conclusions, la nullité « pour vice du consentement », développent tout à la fois des moyens relatifs à la valeur des biens, à l'existence de man'uvres dolosives ou à tout le moins d'une réticence dolosive de la part de la société [LT] [C], notamment par manquement de celle-ci à son obligation d'information précontractuelle prévue par les articles L.111-1 à L.111-4 du code de la consommation, outre la référence à la législation sur les clauses abusives, et plus particulièrement l'article L.212-1 du code de la consommation.
L'article 1130 du code civil dispose que « L'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.
Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné. ».
1°) Sur le dol par man'uvres ou mensonges
Aux termes de l'article 1137 alinéa 1er du code civil, le dol est défini, en premier lieu, comme le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges, dont il incombe à celui qui en allègue l'existence de rapporter la preuve.
En l'espèce, force est de constater que les consorts [T] qui soutiennent que la société [LT] [C] a, par des man'uvres dolosives, isolé Madame [XY], la privant de ses conseils et notamment de son notaire et de son chargé d'affaires habituel, ne précisent toutefois pas les man'uvres auxquelles elle se serait livrée afin d'isoler [VD] [XY], et ne produisent aucun élément de preuve permettant de caractériser l'existence de telles man'uvres.
Il sera au surplus observé que le seul fait établi de manière certaine, soit que [VD] [XY] a signé l'acte litigieux le 18 juillet 2018 alors qu'elle séjournait au cours de la période estivale à l'hôtel 5 étoiles [15] à [Localité 10], ne saurait suffire à admettre l'existence de man'uvres dolosives.
Enfin, il ressort incontestablement d'autres éléments de preuve produits que [VD] [XY] avait entrepris certaines démarches, préalablement à la signature de l'acte litigieux, qui confirment qu'elle envisageait bien de vendre certains de ses biens.
Ainsi, les consorts [T] produisent aux débats, comme en première instance, des avis de valeur des biens objets de cette vente réalisés le 5 avril 2018 par [J] [LE], expert immobilier, sans contester que, comme l'indique ce dernier, ces avis aient été réalisés à la demande de leur mère, qui souhaitait ainsi manifestement vérifier la valeur de son patrimoine et éventuellement en vendre une partie, ce qui est conforté par les attestations précitées ci-dessus des proches de la défunte et le certificat du docteur [W], qui relatent son inquiétude d'avoir à verser des sommes conséquentes à l'administration fiscale et son projet de vente d'immeuble pour les régler.
Il s'ensuit que la preuve de man'uvres dolosives ou de mensonges de la part de la société [LT] [C] ayant déterminé [VD] [XY] à contracter n'est pas rapportée.
2°) Sur le dol par réticence
Aux termes de l'article 1137 alinéa 2 et 3, « Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.»
Le dol peut donc être constitué par le simple silence d'une partie qui dissimule sciemment à son cocontractant un fait ou une information qui, s'ils avaient été connus de lui, l'auraient dissuadé de contracter ou l'auraient conduit à contracter dans des conditions différentes.
Il incombe à celui qui invoque l'existence d'un réticence dolosive de rapporter la preuve de la réunion de trois conditions, à savoir que la dissimulation a provoqué une erreur ayant déterminé la victime à donner son consentement, qu'elle était intentionnelle de la part de son auteur, et que ce dernier avait conscience du caractère déterminant de l'information dissimulée.
La référence par les consorts [T] à l'article L.111-1 du code de la consommation comme fondement de l'obligation précontractuelle d'information qui serait à la charge de la société [LT] [C] est inopérante, dès lors d'une part qu'il énonce les informations que le professionnel doit communiquer au consommateur relativement à des biens, produits et services mis sur le marché par le professionnel et non l'inverse comme en l'espèce, et que d'autre part, il n'assortit pas expressément de la nullité du contrat le manquement aux obligations d'information précontractuelles qu'il énonce.
De la même façon, est également inefficace l'invocation de l'article L.212-1 du code de la consommation qui définit les clauses abusives, la sanction édictée par l'article L.241-1 du même code n'étant pas la nullité du contrat, mais le caractère réputé non écrit de cette clause.
En revanche, il résulte de l'article 12 du code de procédure civile que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. »
Il s'ensuit que le juge peut changer la dénomination ou le fondement juridique de la demande, sous réserve de n'introduire aucun élément ou moyen nouveau dans les débats, ni modifier l'objet du litige.
En l'espèce, le moyen tiré du manquement par la société [LT] [C] à une obligation d'information précontractuelle comme constitutif d'une réticence dolosive est bien un moyen dans la cause, sur lequel les parties ont d'ailleurs toutes deux conclu, et qu'il convient donc d'examiner à l'aune des dispositions de l'article L.1112-1 du code civil qui instaure un devoir général d'information précontractuelle à la charge de chaque partie au contrat.
Ainsi, il résulte de l'article L.1112-1 précité que « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »
Il est constant qu'un manquement à une obligation d'information précontractuelle peut constituer une réticence dolosive à la condition que s'y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d'une erreur déterminante provoquée par celui-ci.
Enfin, en application de l'alinéa 3 de l'article 1137 du code civil, ne constitue pas un dol « le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».
En l'espèce, l'acte des 12 et 18 juillet 2018 porte sur la vente, en un seul acte et au prix total de 10.500.000 euros de plusieurs biens immobiliers de nature et de valeur fort différentes, avec la ventilation suivante du prix :
240.000 euros pour les biens [Adresse 8] [Localité 18] (un appartement et une cave),
320.000 euros pour les biens [Adresse 9] à [Localité 16] (un appartement et une chambre indépendante en rez-de-chaussée, et deux box),
1.440.000 euros pour les biens situés [Adresse 13] à [Localité 16] (deux appartements au 4ème étage, deux pièces en rez-de-chaussée, des caves et des garages)
8.500.000 euros pour l'immeuble élevé sur 6 étages situé [Adresse 20] à [Localité 1].
Les avis de valeur du cabinet [X] évaluent les biens susvisés, en leur état effectif d'occupation, à :
342.000 euros pour les biens situés [Adresse 8],
461.500 euros pour ceux situés [Adresse 9], à [Localité 16],
2.219.500 euros pour ceux [Adresse 13], à [Localité 16],
8.150.190 euros pour l'immeuble de la [Adresse 20].
Le prix de vente ainsi mentionné à l'acte litigieux est donc inférieur en moyenne de 30% à la valeur de marché déterminée par I'expert de [VD] [XY] pour les biens situés [Adresse 8] et à [Localité 16], et supérieur d'environ 5% à la valeur de marché déterminée pour l'immeuble de la [Adresse 20].
Le prix total de vente, soit 10.500.000 €, est certes inférieur de 5,5 % environ à la valeur de chacun des lots additionnée, mais est toutefois conforme à la contre-proposition formalisée par une mention manuscrite que [VD] [XY] a apposée sur l'offre de la société [LT] [C] du 23 mai 2018, à hauteur de 1.050.000 €.
Au surplus, il convient de souligner que [VD] [XY] a procédé à la signature de l'acte litigieux trois mois après l'établissement de ces avis de valeur, dont il n'est pas allégué qu'elle n'a pas eu connaissance, de sorte qu'il y a lieu de considérer qu'elle avait une parfaite conscience de la valeur vénale estimée des biens au moment de leur vente.
Outre qu'il n'est pas démontré que, comme le soutiennent les consorts [T], les valeurs finalement retenues l'ont été par le seul acquéreur en contradiction avec les expertises sans qu'il soit possible pour Madame [XY] ou son conseil d'objecter, et sans que [VD] [XY] soit informée des conséquences, sur le prix des biens non préemptés, de la mise en 'uvre du droit de préemption sur un seul bien, cela serait en toute hypothèse indifférent dès lors que, par application des dispositions susvisées, le devoir d'information précontractuelle ne peut porter sur l'estimation de la valeur de la prestation, et le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ne constitue pas un dol.
En revanche, le tribunal a considéré, par une motivation que les consorts [T] font leur, que si comme le soutient la société [LT] [C], « le prix de vente de plusieurs biens, vendus en un seul acte et en une seule fois, peut être inférieur au prix de vente de chacun de ces mêmes biens vendus isolément, puisque le vendeur peut consentir une réduction de prix s'il a intérêt à obtenir le prix global immédiatement et à limiter les démarches de vente, ce qui était manifestement le but recherché par [VD] [XY], qui, inquiète des sommes à payer à I'administration, cherchait à dégager rapidement des liquidités » et « si dans l'acte de vente des 12 et 18 juillet 2018, le prix de vente des biens est présenté comme un prix unique, la clause stipulant expressément en page 7 qu'en cas de préemption, par un titulaire d'un tel droit, d'un des biens seulement, la vente portera sur le surplus des biens préemptés, était particulièrement préjudiciable pour le vendeur en l'état de la ventilation des prix ci-dessus exposés, puisque, si l'immeuble évalué à un prix légèrement majoré est préempté, le vendeur est tenu de vendre les autres biens à un prix très inférieur à leur valeur réelle, sans bénéficier de l'avantage escompté, ayant motivé une réduction de prix, soit la perception de tout le prix le même jour. »
Elle ([VD] [XY]) devait ainsi recevoir une information précise quant à la nature des engagements pris et la SNC FINANCIERE [LT] [C], marchand de biens selon l'extrait Kbis à jour au 7 septembre 2020 versé aux débats en défense, qui ne pouvait ignorer I'avantage exorbitant dont elle bénéficiait par I'insertion de la clause précitée lui permettant d'acquérir seulement certains des biens à un prix faible en cas de préemption, n'a pas attiré l'attention de [VD] [XY] sur ce point ni ne lui a expliqué les incidences de cette clause.
Par cette réticence sur un élément essentiel du contrat, la SNC FINANCIERE [LT] [C] a amené [VD] [XY] à contracter à des conditions substantiellement différentes de celles qu'elle aurait accepté si elle avait su être liée par la vente isolée de certains biens"
Il résulte des propres écritures de la société [LT] [C] que « [VD] [XY], particulièrement inquiète de devoir régler des sommes importantes à l'administration fiscale, cherchait à dégager rapidement des liquidités, de sorte qu'il était dans son intérêt de vendre rapidement et si possible dans le cadre d'une vente globale les biens dont elle souhaitait se séparer. », et qu'une vente globale à un seul acheteur permet au vendeur, non seulement de vendre plus rapidement en minimisant les coûts et les démarches, mais en outre de céder plus facilement certains biens moins attractifs, et donc moins liquides s'ils avaient été mis en vente de façon isolée.
Ce faisant, la société [LT] [C] reconnaît que la possibilité et l'opportunité de vendre en bloc plusieurs de ses biens, à un seul acheteur, au terme d'une seule opération juridique, moyennant un prix global payé rapidement, constituait un élément déterminant du consentement de [VD] [XY], sans lequel elle n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes, indépendamment de la valeur globale de la vente, et qu'elle avait connaissance du caractère déterminant de cet élément.
Par ailleurs, il résulte des développements précédents que, si le 18 juillet 2018, [VD] [XY], si elle n'était pas insane d'esprit, était diminuée tant physiquement, ce qui pouvait être constatable par tout tiers, qu'intellectuellement, manifestant une anxiété quant au paiement de ses impositions, de même constatable par tout tiers engagé dans une discussion d'affaires ; que l'acte de vente a été négocié alors qu'elle séjournait dans un hôtel, éloigné de son domicile ; qu'elle n'a pas pu être éclairée sur la portée des clauses de l'acte litigieux, et plus spécialement de la clause relative au droit de préemption, par son notaire dès lors qu'il ressort de deux courriers adressés à [VD] [XY] par Maître [AC], que si ce dernier avait bien été informé de son projet de vendre avant la signature de l'acte le 18 juillet puisqu'il avait sollicité d'un syndic de copropriété de l'un des biens les éléments nécessaires à l'établissement de la promesse de vente ( courrier du 18 juillet 2018 pièce n°5 consorts [T]), il n'avait pas été le rédacteur de celle-ci, ni n'en avait eu connaissance préalablement à la signature, puisqu'il adresse le 23 juillet 2018 à [VD] [XY] copie du « compromis » signé le 18 juillet dernier à [Localité 10] et dont il indique avoir pris connaissance « ce jour , par courrier de Maître [PR], notaire de la SNC FINANCIERE [LT] [C] » (pèce n°6 consorts [T]).
Au regard de la volonté de [VD] [XY], déterminante de son consentement, de procéder à une vente globale de certains de ses biens, connue de la société [LT] [C], et des circonstances de la signature par [VD] [XY] de l'acte le 18 juillet 2018 telles que ci-avant analysées, il y a lieu de considérer que la société [LT] [C] était tenue, en sa qualité de professionnel de l'immobilier, à laquelle [VD] [XY] faisait légitimement confiance, de lui fournir une information précise et complète quant à la portée de la clause stipulant qu'en cas de préemption, par un titulaire d'un tel droit, d'un des biens seulement, la vente portera sur le surplus des biens préemptés, et plus précisément quant à l'incidence de la mise en 'uvre du droit de préemption de certains biens, non pas sur le prix des biens non préemptés, mais sur l'avantage recherché et escompté par [VD] [XY] des modalités d'une vente en bloc telles que ci-dessus rappelées.
Cette information était d'autant plus nécessaire que [VD] [XY] pouvait légitimement l'ignorer, compte tenu de son âge, de son état de santé et de l'absence d'assistance juridique, et que la vente litigieuse nécessitait la mise en 'uvre de deux droits de préemption urbains, l'un à [Localité 17] et l'autre à [Localité 16], ce qui rendait encore plus probable le risque de disparition de l'avantage escompté par [VD] [XY], ce que la société [LT] [C], habituée selon ses propres termes, à ne se positionner que sur des ventes en bloc, ne pouvait méconnaître.
En conséquence, la preuve étant rapportée que la société [LT] [C] était débitrice d'une obligation d'information précontractuelle, il lui incombe, conformément à l'article 1112-1 dernier alinéa, de démontrer qu'elle l'a bien fournie.
Or, force est de constater que la société [LT] [C], qui estime qu'en toute hypothèse, elle n'était débitrice d'aucune obligation d'information précontractuelle à l'égard de [VD] [XY], ne rapporte pas la preuve de la fourniture de cette information déterminante du consentement de la venderesse.
En conséquence, par cette réticence sur un élément essentiel du contrat, la SNC FINANCIERE [LT] [C] a amené [VD] [XY] à contracter à des conditions substantiellement différentes de celles qu'elle aurait acceptées si elle avait eu connaissance de l'incidence prévisible de l'exercice du droit de préemption quant à l'avantage recherché et escompté par elle des modalités d'une vente en bloc.
Il y a donc lieu, par ces motifs substitués à ceux du jugement critiqué, de confirmer celui-ci en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente sous condition des 12 et 18 juillet 2018, et rejeté les demandes de la SNC FINANCIERE [LT] [C] tendant à voir déclarée parfaite à son profit la vente des biens y figurant, à l'exception de l'immeuble de la [Adresse 20], et à obtenir paiement de la clause pénale prévue au contrat.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement quant aux dépens de première instance et l'application qui a été faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SNC FINANCIERE [LT] [C], partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel, ce qui justifie le rejet de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et sa condamnation à payer aux consorts [T] la somme de 6.000 euros au titre des frais non taxables en cause d'appel.
PAR CES MOTFS,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 16 février 2023 ;
Y ajoutant,
Condamne la SNC FINANCIERE [LT] [C] aux dépens d'appel ;
Condamne la SNC FINANCIERE [LT] [C] à payer à [S] [T] et [B]-[VS] [T] ensemble la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.