Décisions
CA Angers, ch. a - com., 24 septembre 2024, n° 19/01874
ANGERS
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - COMMERCIALE
JC/ILAF
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 19/01874 - N° Portalis DBVP-V-B7D-ESEX
jugement du 10 Juillet 2019
Tribunal de Commerce d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance 2018/09646
ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2024
APPELANTE :
SARL ETABLISSEMENTS [Z] [P]
représentée par son Gérant domiciliée en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Thierry BOISNARD de la SELARL LEXCAP, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 13801546 substitué par Me Nicolas MARIEL
INTIMEE :
S.A.S. RAUTUREAU APPLE SHOES
représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Thierry GUYARD de la SELARL 08H08 AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 20180093 substitué par Me Raphaël PAPIN
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 27 Mai 2024 à 14'H'00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. CHAPPERT, conseiller qui a été préalablement entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
M. CHAPPERT, conseiller
Mme GANDAIS, conseillère
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 24 septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
~~~~
FAITS ET PROCÉDURE :
La SASU Rautureau-Apple Shoes est une entreprise spécialisée dans la fabrication de chaussures située à [Localité 4] (Vendée). La'SARL'Etablissements [Z] [P] est, quant à elle, spécialisée dans la récupération de matières premières pour l'industrie de la chaussure et la maroquinerie,
Le 17 juillet 2017, la SASU Rautureau-Apple Shoes a adressé à la SARL'Etablissements [Z] [P] une proposition de cession de stock matière' ainsi libellée :
'Nous faisons suite à nos discussions et vous confirmons que nous acceptons de mettre à votre disposition en vos locaux le stock de matières qui vous intéressent pour vous permettre d'en contrôler la qualité et l'inventorier précisément.
Celui-ci reste notre pleine propriété jusqu'à l'accord à intervenir sur les conditions de la cession.
Des confirmations, nous établirons la facture correspondante'.
Le 13 septembre 2017, le tribunal de commerce d'Angers a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la SARL Etablissements [Z] [P], M. [X] [M] étant désigné en tant que mandataire judiciaire et la SARL 2M & Associés, prise en la personne de M. [H], étant désignée comme administrateur provisoire.
Par un courriel du 13 octobre 2017, le gérant de la SARL Etablissements [Z] [P] a indiqué à la SASU Rautureau-Apple Shoes que :
"suite à ma dernière visite, je vous remercie tout d'abord de votre bon accueil et vous confirme par le présent mail notre accord concernant les conditions de règlement sur lesquelles nous sommes tombés d'accord.
1) vous pouvez établir la facture globale des marchandises mises en disposition chez nous,
2) les règlements seront étalés sur une période de 6 mois avec un minimum de 5 000 mensuels (plus à voir selon encaissements),
3) en tout état de cause, la totalité de la créance sera soldée au 12 mars 2018"
Le 31 octobre 2017, la SASU Rautureau-Apple Shoes a établi trois factures n° 751634 (24 963,52euros), n° 751635 (35'114,14 euros) et n° 751636 (3 552 euros).
Seule la facture n° 751636 a été réglée, le 22 novembre 2017.
Le 8 mars 2018, la SASU Rautureau-Apple Shoes a sollicité l'administrateur judiciaire afin qu'il procède au paiement des factures mais ce dernier a refusé en opposant que les marchandises avaient été livrées avant le 13 septembre 2017, soit antérieurement à l'ouverture de la procédure judiciaire.
Le 14 mai 2018, la SASU Rautureau-Apple Shoes a mis en demeure la SARL'Etablissements [Z] [P], par l'intermédiaire de l'administrateur judiciaire, de lui payer la somme de 60 077,92 euros au titre des deux factures impayées.
Cette mise en demeure étant restée sans effet, elle a fait assigner la SARL'Etablissements [Z] [P] et M. [H], ès qualités en paiement devant le tribunal de commerce d'Angers, par des actes du 9 juillet 2018 et du 16'juillet 2018.
Le 30 novembre 2018, un plan de continuation a été adopté, la SELARL 2M & Associés étant désignée en tant que commissaire à l'exécution de ce plan.
Par un jugement du 10 juillet 2019, le tribunal de commerce d'Angers :
- a dit que l'action de la SASU Rautureau-Apple Shoes est recevable,
- a dit que les factures n° 751 634, n° 751 635 et n° 751 636 concernent des créances postérieures à l'ouverture de la procédure collective,
- a condamné in solidum la SARL Etablissements [Z] [P] et la SELARL 2M & Associés, ès qualités, à payer à la SASU Rautureau-Apple Shoes la somme de 60 077,92 euros TTC, outre les intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2018,
- a dit que la SARL Etablissements [Z] [P] pourra s'acquitter de sa dette par 24 versements mensuels égaux, le premier ayant lieu dans les trente jours de la signification du jugement, et que, faute pour elle de payer à bonne date une seule des mensualités prévues, la totalité des sommes restant dues deviendra de plein droit immédiatement exigible,
- a condamné in solidum la SARL Etablissements [Z] [P] et la SELARL 2M & Associés, ès qualités, à payer à la SASU Rautureau-Apple Shoes la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
- n'a pas ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par une déclaration du 24 septembre 2019, la SARL Etablissements [Z] [P] a interjeté appel du jugement en attaquant toutes ses dispositions, intimant la SASU Rautureau-Apple Shoes.
La SARL Etablissements [Z] [P] et la SASU Rautureau-Apple Shoes ont conclu, cette dernière formant appel incident.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 mai 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières conclusions n° 3, remises au greffe par la voie électronique le 25 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens, la SARL Etablissements [Z] [P] demande à la cour :
- de constater que les créances dont le paiement est demandé sont antérieures à l'ouverture de la procédure collective,
- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Angers le 10 juillet 2019,
et statuant de nouveau,
- de débouter la SASU Rautureau-Apple Shoes de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
si par extraordinaire la cour confirmait la décision, de lui accorder 24 mois de délais de paiement sur le fondement des dispositions de l'article 1343-5 du code civil,
- de condamner la SASU Rautureau-Apple Shoes à lui régler la somme de 5'000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de débouter la SASU Rautureau-Apple Shoes de l'ensemble de ses demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la condamner aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe par la voie électronique le 23 mars 2020, auxquelles il est renvoyé par un exposé des moyens, la SASU Rautureau-Apple Shoes demande à la cour :
- de rejeter l'appel principal de la SARL Etablissements [Z] [P] et de la débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- de la recevoir en son appel incident, le dire bien-fondé,
en conséquence, confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
- dit que la SARL Etablissements [Z] [P] pourra s'acquitter de sa dette par 24 versements mensuels égaux, le premier ayant lieu dans les trente jours de la signification du jugement et que, faute pour elle de payer à bonne date une seule des mensualités prévues, la totalité des sommes restant dues deviendra de plein droit immédiatement exigible,
statuant à nouveau,
- de condamner la SARL Etablissements [Z] [P] à lui payer la somme globale de 60 077,92 euros TTC, outre les intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2018,
- de condamner la SARL Etablissements [Z] [P] à lui payer la somme de 5 000 euros en application l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- sur la demande de condamnation au paiement :
Le litige concerne essentiellement la question de la qualification de la créance de la SASU Rautureau-Apple Shoes sur la SARL Etablissements [Z] [P], la première demandant la condamnation de la seconde au paiement en affirmant que sa créance doit être considérée comme une créance postérieure et qu'elle doit lui être payée immédiatement nonobstant la procédure de redressement judiciaire.
Il ressort de l'article L. 622-17 I du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code, trois conditions au paiement par le débiteur d'une créance à son échéance. Il faut, d'abord, que cette créance soit née postérieurement au jugement d'ouverture ; ensuite, qu'elle soit née régulièrement ; et enfin, qu'elle soit née pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur.
Les parties s'opposent quant à la première de ces trois conditions. Elles se rejoignent sur le principe applicable, à savoir qu'en matière de vente, la créance naît à la date, non pas de la formation du contrat ou de l'émission des factures, mais de l'exécution par le vendeur de son obligation essentielle qu'est la livraison de la chose. Mais elles divergent en revanche s'agissant de la date à laquelle la livraison des biens est intervenue. L'appelante soutient en effet que la livraison est intervenue dès la remise des marchandises, en juillet 2017, et sans incidence quant au fait que la cession aurait été régularisée le 31 octobre 2017 seulement. Au contraire, la SASU Rautureau-Apple Shoes oppose que les marchandises n'ont été que déposées entre les mains de la SARL Etablissements [Z] [P] en juillet 2017 afin qu'elle puisse les inventorier et en contrôler leur qualité avant de définir les conditions de la vente mais que cette vente n'a effectivement été conclue que le 13 octobre 2017, date à laquelle est survenue la délivrance en application de l'article 1606 du code civil. Cette dernière position est celle qu'a consacrée le tribunal, en retenant que la SARL Etablissements [Z] [P] avait détenu le stock à un autre titre que sa cession après le 17 juillet 2017 et que la délivrance des biens n'était donc intervenue que le 13'octobre 2017, à la date de la régularisation de l'acte de cession.
Toute la question consiste donc à déterminer en quelle qualité les biens ont été confiés à la SARL Etablissements [Z] [P] en juillet 2017 puisque l'article 1606 du code civil prévoit qu'en matière de vente, la délivrance s'opère soit par la remise de la chose soit par le seul consentement des parties si l'acheteur les avait déjà en son pouvoir à un autre titre. Or, la réponse à cette interrogation ressort clairement des termes de la lettre adressée par l'intimée à la SARL Etablissements [Z] [P], le 17 juillet 2017, précédemment reproduits. En effet, la SASU Rautureau-Apple Shoes explique dans cette lettre qu'elle accepte de mettre à la disposition de la SARL Etablissements [Z] [P] le stock de matières afin de lui permettre de l'inventorier précisément et d'en contrôler sa qualité avant d'envisager son acquisition éventuelle, l'objet de la lettre rappelant qu'il ne s'agissait bien que d'une 'proposition de cession (...)' et une réserve étant mise sur la nécessité d'avoir encore à trouver un accord '(...) sur les conditions de la cession'. C'est donc en tant que simple détenteur précaire que la SARL Etablissements [Z] [P] a été mise en possession du stock de matières en juillet 2017, qualité qu'elle a conservée jusqu'à ce qu'elle devienne acquéreur des biens à la suite de l'accord des parties sur les conditions de la vente et qu'elles situent toutes deux à la date du courriel du 13 octobre 2017, également précédemment reproduit. C'est bien à la date de cet accord des parties, qui a entraîné l'interversion du titre en vertu duquel la SARL'Etablissements [Z] [P] détenait les biens, que la délivrance est intervenue.
La cour approuve ainsi les premiers juges d'avoir considéré que le fait générateur de la vente, consistant en la délivrance du stock de matières facturées le 31 octobre 2017, est survenu le 13 octobre 2017 et que la créance de la SASU Rautureau-Apple Shoes est donc postérieure au jugement d'ouverture.
Les deux autres conditions, tenant à la régularité de la créance et à son utilité au sens de l'article L. 622-7 I du code de commerce, ne sont pas discutées par l'appelante devant la cour, le tribunal s'étant prononcé sur la première pour conclure au fait que l'achat du stock était un acte de gestion normal par des motifs qui ne sont pas critiqués sur ce point par la société appelante.
La SARL Etablissements [Z] [P] soutient néanmoins qu'il appartenait à la SASU Rautureau-Apple Shoes de faire reconnaître l'opposabilité de son droit de propriété à la procédure collective et d'agir en revendication dans les conditions de l'article L. 624-9 du code de commerce, faute de quoi elle ne peut pas désormais réclamer le paiement des stocks litigieux. Toutefois, l'action de la SASU Rautureau-Apple Shoes ne consiste pas à revendiquer la propriété, ou à obtenir la restitution, des marchandises litigieuses, en nature ni même en valeur, mais à obtenir la condamnation de la SARL Etablissements [Z] [P] au paiement de sa créance au titre du prix de la vente intervenue au bénéfice de cette dernière. Le moyen soulevé par l'appelante est à cet égard hors de propos.
Dans ces circonstances, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SARL Etablissements [Z] [P] à payer à la SASU Rautureau-Apple Shoes la somme de 60 077,92 euros TTC au titre des factures n° 751634 et n°'751635, avec les intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2018, cette date n'étant pas discutée. Il convient néanmoins de préciser qu'aucune condamnation ne peut plus être prononcée contre la SELARL 2M & Associés en sa qualité qu'administrateur judiciaire, dès lors qu'il a été mis fin à sa mission avec l'adoption du plan de redressement, le 30 novembre 2018.
- sur les délais de paiement :
L'article 1343-5 du code civil autorise le juge, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, à reporter ou à échelonner le paiement des sommes dues dans la limite de deux années.
Le tribunal a fait droit à la demande d'échelonnement de la dette sur vingt-quatre mois, en tirant argument de ce que les factures du 31octobre 2017 ne reprenaient pas les modalités de paiement qui avaient été convenues aux termes du courriel du 13 octobre 2017 et de la nécessité de ne pas mettre en péril la poursuite du plan de continuation arrêté au profit de la SARL Etablissements [Z] [P]. C'est ce même argument tiré de la poursuite du plan de continuation que fait valoir la SARL Etablissements [Z] [P] en réponse à l'appel incident.
Mais force est de constater que la SARL Etablissements [Z] [P] ne fournit aucun justificatif sur sa situation financière actualisée, pas plus qu'elle ne produit aucun élément sur le plan de continuation arrêté il y a maintenant près de six ans ni sur les conditions de son exécution. De son côté, la SASU Rautureau-Apple Shoes poursuit le recouvrement de sommes exigibles et demeurées impayées depuis le 31 décembre 2017, correspondant au prix de marchandises dont l'appelante a elle-même reconnu qu'elles lui avaient été tout particulièrement précieuses au sauvetage de son entreprise mais au paiement desquelles elle s'est néanmoins déjà octroyé de très larges délais, en tout cas bien au-delà des vingt-quatre mois envisagés par les premiers juges dans leur décision du 10 juillet 2019.
En conséquence de quoi, le jugement sera infirmé en ce qu'il a accordé des délais de paiement et la SARL Etablissements [Z] [P] sera déboutée de sa demande à ce titre.
- sur les demandes accessoires :
Le jugement est confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance, sauf à rappeler l'absence de condamnation de la SELARL 2M & Associés, en sa qualité d'administrateur judiciaire, pour la raison précédemment évoquée.
La SARL Etablissements [Z] [P], partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à verser à la SASU Rautureau-Apple Shoes une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel, elle-même étant déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il accordé des délais de paiement à la SARL Etablissements [Z] [P] et sauf à préciser qu'aucune condamnation in solidum ne peut plus être prononcée à l'encontre de la SELARL 2M & Associés, en sa qualité d'administrateur judiciaire ;
statuant à nouveau de ce chef,
Déboute la SARL Etablissements [Z] [P] de sa demande de délais de paiement ;
y ajoutant,
Déboute la SARL Etablissements [Z] [P] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Etablissements [Z] [P] à verser à la SASU Rautureau-Apple Shoes une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;
Condamne la SARL Etablissements [Z] [P] aux dépens ;
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,
S. TAILLEBOIS C. CORBEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - COMMERCIALE
JC/ILAF
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 19/01874 - N° Portalis DBVP-V-B7D-ESEX
jugement du 10 Juillet 2019
Tribunal de Commerce d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance 2018/09646
ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2024
APPELANTE :
SARL ETABLISSEMENTS [Z] [P]
représentée par son Gérant domiciliée en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Thierry BOISNARD de la SELARL LEXCAP, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 13801546 substitué par Me Nicolas MARIEL
INTIMEE :
S.A.S. RAUTUREAU APPLE SHOES
représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Thierry GUYARD de la SELARL 08H08 AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 20180093 substitué par Me Raphaël PAPIN
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 27 Mai 2024 à 14'H'00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. CHAPPERT, conseiller qui a été préalablement entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
M. CHAPPERT, conseiller
Mme GANDAIS, conseillère
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 24 septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
La SASU Rautureau-Apple Shoes est une entreprise spécialisée dans la fabrication de chaussures située à [Localité 4] (Vendée). La'SARL'Etablissements [Z] [P] est, quant à elle, spécialisée dans la récupération de matières premières pour l'industrie de la chaussure et la maroquinerie,
Le 17 juillet 2017, la SASU Rautureau-Apple Shoes a adressé à la SARL'Etablissements [Z] [P] une proposition de cession de stock matière' ainsi libellée :
'Nous faisons suite à nos discussions et vous confirmons que nous acceptons de mettre à votre disposition en vos locaux le stock de matières qui vous intéressent pour vous permettre d'en contrôler la qualité et l'inventorier précisément.
Celui-ci reste notre pleine propriété jusqu'à l'accord à intervenir sur les conditions de la cession.
Des confirmations, nous établirons la facture correspondante'.
Le 13 septembre 2017, le tribunal de commerce d'Angers a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la SARL Etablissements [Z] [P], M. [X] [M] étant désigné en tant que mandataire judiciaire et la SARL 2M & Associés, prise en la personne de M. [H], étant désignée comme administrateur provisoire.
Par un courriel du 13 octobre 2017, le gérant de la SARL Etablissements [Z] [P] a indiqué à la SASU Rautureau-Apple Shoes que :
"suite à ma dernière visite, je vous remercie tout d'abord de votre bon accueil et vous confirme par le présent mail notre accord concernant les conditions de règlement sur lesquelles nous sommes tombés d'accord.
1) vous pouvez établir la facture globale des marchandises mises en disposition chez nous,
2) les règlements seront étalés sur une période de 6 mois avec un minimum de 5 000 mensuels (plus à voir selon encaissements),
3) en tout état de cause, la totalité de la créance sera soldée au 12 mars 2018"
Le 31 octobre 2017, la SASU Rautureau-Apple Shoes a établi trois factures n° 751634 (24 963,52euros), n° 751635 (35'114,14 euros) et n° 751636 (3 552 euros).
Seule la facture n° 751636 a été réglée, le 22 novembre 2017.
Le 8 mars 2018, la SASU Rautureau-Apple Shoes a sollicité l'administrateur judiciaire afin qu'il procède au paiement des factures mais ce dernier a refusé en opposant que les marchandises avaient été livrées avant le 13 septembre 2017, soit antérieurement à l'ouverture de la procédure judiciaire.
Le 14 mai 2018, la SASU Rautureau-Apple Shoes a mis en demeure la SARL'Etablissements [Z] [P], par l'intermédiaire de l'administrateur judiciaire, de lui payer la somme de 60 077,92 euros au titre des deux factures impayées.
Cette mise en demeure étant restée sans effet, elle a fait assigner la SARL'Etablissements [Z] [P] et M. [H], ès qualités en paiement devant le tribunal de commerce d'Angers, par des actes du 9 juillet 2018 et du 16'juillet 2018.
Le 30 novembre 2018, un plan de continuation a été adopté, la SELARL 2M & Associés étant désignée en tant que commissaire à l'exécution de ce plan.
Par un jugement du 10 juillet 2019, le tribunal de commerce d'Angers :
- a dit que l'action de la SASU Rautureau-Apple Shoes est recevable,
- a dit que les factures n° 751 634, n° 751 635 et n° 751 636 concernent des créances postérieures à l'ouverture de la procédure collective,
- a condamné in solidum la SARL Etablissements [Z] [P] et la SELARL 2M & Associés, ès qualités, à payer à la SASU Rautureau-Apple Shoes la somme de 60 077,92 euros TTC, outre les intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2018,
- a dit que la SARL Etablissements [Z] [P] pourra s'acquitter de sa dette par 24 versements mensuels égaux, le premier ayant lieu dans les trente jours de la signification du jugement, et que, faute pour elle de payer à bonne date une seule des mensualités prévues, la totalité des sommes restant dues deviendra de plein droit immédiatement exigible,
- a condamné in solidum la SARL Etablissements [Z] [P] et la SELARL 2M & Associés, ès qualités, à payer à la SASU Rautureau-Apple Shoes la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
- n'a pas ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par une déclaration du 24 septembre 2019, la SARL Etablissements [Z] [P] a interjeté appel du jugement en attaquant toutes ses dispositions, intimant la SASU Rautureau-Apple Shoes.
La SARL Etablissements [Z] [P] et la SASU Rautureau-Apple Shoes ont conclu, cette dernière formant appel incident.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 mai 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières conclusions n° 3, remises au greffe par la voie électronique le 25 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens, la SARL Etablissements [Z] [P] demande à la cour :
- de constater que les créances dont le paiement est demandé sont antérieures à l'ouverture de la procédure collective,
- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Angers le 10 juillet 2019,
et statuant de nouveau,
- de débouter la SASU Rautureau-Apple Shoes de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
si par extraordinaire la cour confirmait la décision, de lui accorder 24 mois de délais de paiement sur le fondement des dispositions de l'article 1343-5 du code civil,
- de condamner la SASU Rautureau-Apple Shoes à lui régler la somme de 5'000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de débouter la SASU Rautureau-Apple Shoes de l'ensemble de ses demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la condamner aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe par la voie électronique le 23 mars 2020, auxquelles il est renvoyé par un exposé des moyens, la SASU Rautureau-Apple Shoes demande à la cour :
- de rejeter l'appel principal de la SARL Etablissements [Z] [P] et de la débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- de la recevoir en son appel incident, le dire bien-fondé,
en conséquence, confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
- dit que la SARL Etablissements [Z] [P] pourra s'acquitter de sa dette par 24 versements mensuels égaux, le premier ayant lieu dans les trente jours de la signification du jugement et que, faute pour elle de payer à bonne date une seule des mensualités prévues, la totalité des sommes restant dues deviendra de plein droit immédiatement exigible,
statuant à nouveau,
- de condamner la SARL Etablissements [Z] [P] à lui payer la somme globale de 60 077,92 euros TTC, outre les intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2018,
- de condamner la SARL Etablissements [Z] [P] à lui payer la somme de 5 000 euros en application l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- sur la demande de condamnation au paiement :
Le litige concerne essentiellement la question de la qualification de la créance de la SASU Rautureau-Apple Shoes sur la SARL Etablissements [Z] [P], la première demandant la condamnation de la seconde au paiement en affirmant que sa créance doit être considérée comme une créance postérieure et qu'elle doit lui être payée immédiatement nonobstant la procédure de redressement judiciaire.
Il ressort de l'article L. 622-17 I du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code, trois conditions au paiement par le débiteur d'une créance à son échéance. Il faut, d'abord, que cette créance soit née postérieurement au jugement d'ouverture ; ensuite, qu'elle soit née régulièrement ; et enfin, qu'elle soit née pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur.
Les parties s'opposent quant à la première de ces trois conditions. Elles se rejoignent sur le principe applicable, à savoir qu'en matière de vente, la créance naît à la date, non pas de la formation du contrat ou de l'émission des factures, mais de l'exécution par le vendeur de son obligation essentielle qu'est la livraison de la chose. Mais elles divergent en revanche s'agissant de la date à laquelle la livraison des biens est intervenue. L'appelante soutient en effet que la livraison est intervenue dès la remise des marchandises, en juillet 2017, et sans incidence quant au fait que la cession aurait été régularisée le 31 octobre 2017 seulement. Au contraire, la SASU Rautureau-Apple Shoes oppose que les marchandises n'ont été que déposées entre les mains de la SARL Etablissements [Z] [P] en juillet 2017 afin qu'elle puisse les inventorier et en contrôler leur qualité avant de définir les conditions de la vente mais que cette vente n'a effectivement été conclue que le 13 octobre 2017, date à laquelle est survenue la délivrance en application de l'article 1606 du code civil. Cette dernière position est celle qu'a consacrée le tribunal, en retenant que la SARL Etablissements [Z] [P] avait détenu le stock à un autre titre que sa cession après le 17 juillet 2017 et que la délivrance des biens n'était donc intervenue que le 13'octobre 2017, à la date de la régularisation de l'acte de cession.
Toute la question consiste donc à déterminer en quelle qualité les biens ont été confiés à la SARL Etablissements [Z] [P] en juillet 2017 puisque l'article 1606 du code civil prévoit qu'en matière de vente, la délivrance s'opère soit par la remise de la chose soit par le seul consentement des parties si l'acheteur les avait déjà en son pouvoir à un autre titre. Or, la réponse à cette interrogation ressort clairement des termes de la lettre adressée par l'intimée à la SARL Etablissements [Z] [P], le 17 juillet 2017, précédemment reproduits. En effet, la SASU Rautureau-Apple Shoes explique dans cette lettre qu'elle accepte de mettre à la disposition de la SARL Etablissements [Z] [P] le stock de matières afin de lui permettre de l'inventorier précisément et d'en contrôler sa qualité avant d'envisager son acquisition éventuelle, l'objet de la lettre rappelant qu'il ne s'agissait bien que d'une 'proposition de cession (...)' et une réserve étant mise sur la nécessité d'avoir encore à trouver un accord '(...) sur les conditions de la cession'. C'est donc en tant que simple détenteur précaire que la SARL Etablissements [Z] [P] a été mise en possession du stock de matières en juillet 2017, qualité qu'elle a conservée jusqu'à ce qu'elle devienne acquéreur des biens à la suite de l'accord des parties sur les conditions de la vente et qu'elles situent toutes deux à la date du courriel du 13 octobre 2017, également précédemment reproduit. C'est bien à la date de cet accord des parties, qui a entraîné l'interversion du titre en vertu duquel la SARL'Etablissements [Z] [P] détenait les biens, que la délivrance est intervenue.
La cour approuve ainsi les premiers juges d'avoir considéré que le fait générateur de la vente, consistant en la délivrance du stock de matières facturées le 31 octobre 2017, est survenu le 13 octobre 2017 et que la créance de la SASU Rautureau-Apple Shoes est donc postérieure au jugement d'ouverture.
Les deux autres conditions, tenant à la régularité de la créance et à son utilité au sens de l'article L. 622-7 I du code de commerce, ne sont pas discutées par l'appelante devant la cour, le tribunal s'étant prononcé sur la première pour conclure au fait que l'achat du stock était un acte de gestion normal par des motifs qui ne sont pas critiqués sur ce point par la société appelante.
La SARL Etablissements [Z] [P] soutient néanmoins qu'il appartenait à la SASU Rautureau-Apple Shoes de faire reconnaître l'opposabilité de son droit de propriété à la procédure collective et d'agir en revendication dans les conditions de l'article L. 624-9 du code de commerce, faute de quoi elle ne peut pas désormais réclamer le paiement des stocks litigieux. Toutefois, l'action de la SASU Rautureau-Apple Shoes ne consiste pas à revendiquer la propriété, ou à obtenir la restitution, des marchandises litigieuses, en nature ni même en valeur, mais à obtenir la condamnation de la SARL Etablissements [Z] [P] au paiement de sa créance au titre du prix de la vente intervenue au bénéfice de cette dernière. Le moyen soulevé par l'appelante est à cet égard hors de propos.
Dans ces circonstances, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SARL Etablissements [Z] [P] à payer à la SASU Rautureau-Apple Shoes la somme de 60 077,92 euros TTC au titre des factures n° 751634 et n°'751635, avec les intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2018, cette date n'étant pas discutée. Il convient néanmoins de préciser qu'aucune condamnation ne peut plus être prononcée contre la SELARL 2M & Associés en sa qualité qu'administrateur judiciaire, dès lors qu'il a été mis fin à sa mission avec l'adoption du plan de redressement, le 30 novembre 2018.
- sur les délais de paiement :
L'article 1343-5 du code civil autorise le juge, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, à reporter ou à échelonner le paiement des sommes dues dans la limite de deux années.
Le tribunal a fait droit à la demande d'échelonnement de la dette sur vingt-quatre mois, en tirant argument de ce que les factures du 31octobre 2017 ne reprenaient pas les modalités de paiement qui avaient été convenues aux termes du courriel du 13 octobre 2017 et de la nécessité de ne pas mettre en péril la poursuite du plan de continuation arrêté au profit de la SARL Etablissements [Z] [P]. C'est ce même argument tiré de la poursuite du plan de continuation que fait valoir la SARL Etablissements [Z] [P] en réponse à l'appel incident.
Mais force est de constater que la SARL Etablissements [Z] [P] ne fournit aucun justificatif sur sa situation financière actualisée, pas plus qu'elle ne produit aucun élément sur le plan de continuation arrêté il y a maintenant près de six ans ni sur les conditions de son exécution. De son côté, la SASU Rautureau-Apple Shoes poursuit le recouvrement de sommes exigibles et demeurées impayées depuis le 31 décembre 2017, correspondant au prix de marchandises dont l'appelante a elle-même reconnu qu'elles lui avaient été tout particulièrement précieuses au sauvetage de son entreprise mais au paiement desquelles elle s'est néanmoins déjà octroyé de très larges délais, en tout cas bien au-delà des vingt-quatre mois envisagés par les premiers juges dans leur décision du 10 juillet 2019.
En conséquence de quoi, le jugement sera infirmé en ce qu'il a accordé des délais de paiement et la SARL Etablissements [Z] [P] sera déboutée de sa demande à ce titre.
- sur les demandes accessoires :
Le jugement est confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance, sauf à rappeler l'absence de condamnation de la SELARL 2M & Associés, en sa qualité d'administrateur judiciaire, pour la raison précédemment évoquée.
La SARL Etablissements [Z] [P], partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à verser à la SASU Rautureau-Apple Shoes une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel, elle-même étant déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il accordé des délais de paiement à la SARL Etablissements [Z] [P] et sauf à préciser qu'aucune condamnation in solidum ne peut plus être prononcée à l'encontre de la SELARL 2M & Associés, en sa qualité d'administrateur judiciaire ;
statuant à nouveau de ce chef,
Déboute la SARL Etablissements [Z] [P] de sa demande de délais de paiement ;
y ajoutant,
Déboute la SARL Etablissements [Z] [P] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Etablissements [Z] [P] à verser à la SASU Rautureau-Apple Shoes une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;
Condamne la SARL Etablissements [Z] [P] aux dépens ;
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,
S. TAILLEBOIS C. CORBEL