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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 28 septembre 2023, n° 22/01862

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Association Carisiolas (Sté), Axa France Iard (SA), CPAM de l’Oise (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dias Da Silva

Conseillers :

Mme Berthiau-Jezequel, M. Maimone

Avocats :

Me Paternotte, Me Gouysse, Me Comme, Me Grevot

TGI Compiègne, du 4 janv. 2022

4 janvier 2022

DECISION :

Le 30 mai 2014, Mme [T] [B] a été victime d'un accident survenu au Parc d'accrobranche exploité par l'association Carisiolas.

Alors qu'elle se trouvait sur une tyrolienne, elle s'est mal réceptionnée sur le matelas de protection en fin de parcours entraînant pour elle une double fracture tibia-péroné de la cheville droite.

Considérant que l'exploitant avait commis une faute à l'origine de son préjudice, Mme [B] a fait assigner devant le juge des référés l'association Carisiolas et son assureur la société Axa France Iard afin notamment de voir ordonner une expertise médicale.

Par ordonnance du 20 décembre 2017, le juge des référés du tribunal judiciaire de Compiègne a fait droit à la demande d'expertise et désigné pour y procéder le Docteur [G].

L'expert a déposé son rapport définitif le 25 février 2019.

Par actes d'huissier en dates des 1er et 11 mars 2020, Mme [B] a fait assigner, sur le fondement de l'article 1242 du code civil, l'association Carisiolas, la société Axa et la CPAM de l'Oise devant le tribunal judiciaire de Compiègne en réparation de son préjudice corporel.

Aux termes de ses dernières écritures de première instance, Mme [B] a demandé :

- la condamnation in solidum de l'association Carisiolas et de la société Axa à lui payer une somme décomposée comme suit :

Préjudices Patrimoniaux :

.13 128,80 € au titre de l'intervention d'une tierce personne,

Préjudices Extra-Patrimoniaux :

.14 005 € au titre du déficit fonctionnel temporaire,

.1 000 € au titre du préjudice esthétique temporaire,

.12 000 €au titre des souffrances endurées,

.1 100 € au titre du déficit fonctionnel permanent,

.3 000 € au titre de l'incidence professionnelle,

.6000 € au titre du préjudice d'agrément,

.5 000 € au titre du préjudice esthétique permanent,

.1 000 €au titre du préjudice sexuel,

- la condamnation in solidum de l'association Carisiolas et de la société Axa à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamnation in solidum de l'association Carisiolas et de la société Axa aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

Par jugement du 4 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Compiègne a :

- Rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme [T] [B] dirigée à l'encontre de l'association Carisiolas et de son assureur la société Axa ;

- Condamné Mme [T] [B] aux dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

- Condamné Mme [T] [B] à payer à l'association Carisiolas et à la société Axa la somme de l 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de droit.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 15 avril 2022, Mme [T] [B] a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions transmises par la voie électronique le 17 mai 2022, Mme [T] [B] demande à la cour de :

- La déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- Infirmer en tous points la décision entreprise,

Et statuant à nouveau :

Et retenant la déclaration de créances définitive de la CPAM appelée en la cause,

- Condamner in solidum Carisiolas et son assureur, Axa à lui payer les somme de :

14.005 € en réparation du déficit fonctionnel temporaire

14.300 € en réparation du déficit fonctionnel permanent

12.000 € en réparation du pretium doloris

1.000 € en réparation du préjudice esthétique temporaire-

5.000 € en réparation du préjudice esthétique permanent

13.128,80 € en réparation de I'assistance d'une tierce personne

6.000 € en réparation de son préjudice d'agrément

3.000 € en réparation de l'incidence professionnelle

1.000 € en réparation de son préjudice sexuel

5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile aux entiers dépens en ce compris le coût des frais d'expertise

- Débouter les parties défenderesses de l'ensemble de leurs prétentions contraires,

Par conclusions transmises par la voie électronique le 12 août 2022, l'association Carisiolas et la société Axa demandent à la cour de :

A titre principal,

- Confirmer le jugement entrepris,

Y ajoutant,

- Condamner Mme [T] [B] à leur payer la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner Mme [T] [B] aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Emmanuelle Grevot.

A titre subsidiaire,

- Allouer à Mme [T] [B] les sommes suivantes :

. Déficit fonctionnel temporaire : 14.005 €

. Souffrances endurées :7.000 €

. Préjudice esthétique permanent :2000 €

. Assistance tierce personne : 6.320 €

- Surseoir à statuer sur le poste de déficit fonctionnel permanent dans l'attente de la production de la créance définitive de l'organisme social

- Débouter Mme [T] [B] du surplus de ses demandes

- Réduire à de plus justes proportions l'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.

La CPAM n'a pas constitué avocat.

Par ordonnance du 12 avril 2023, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture et renvoyé l'affaire pour plaidoiries à l'audience du 15 juin 2023.

La déclaration d'appel ayant été signifiée à la CPAM par acte d'huissier remis à personne habilitée, conformément aux dispositions de 474 alinéa premier du code de procédure civile, il convient de statuer par décision réputée contradictoire.

CECI EXPOSE, LA COUR,

Sur la responsabilité de l'association Carisiolas :

Aux termes des articles 1231-1 à 1231-4 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure et le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. Dans le cas même où l'inexécution du contrat résulte d'une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.

L'organisateur d'une activité sportive est tenu envers son cocontractant d'une obligation de sécurité, qui s'analyse selon les cas en une obligation de moyens ou en une obligation de résultat. S'agissant d'une activité s'analysant en un parcours d'aventures pratiqué en autonomie par 1'usager sur un parcours déterminé, l'organisateur est tenu à l'égard de son client à une obligation de sécurité, non pas de résultat mais de moyens puisque l'accomplissement du parcours d'aventure implique la participation active du client et que la sécurité de l'exercice dépend également du comportement aléatoire du client soumis à des consignes.

En pareil cas il incombe au client invoquant avoir subi un préjudice au cours du parcours d'aventure en tyrolienne de rapporter la preuve d'une faute commise par l'organisateur dans la mise en 'uvre des moyens de sécurité.

De son coté l'organisateur d'un parcours d'aventure doit démontrer qu'il a informé la victime des dangers du sport concerné en lui fournissant des consignes d'utilisation du matériel. Il a encore l'obligation d'assurer l'encadrement des activités qu'il propose à sa clientèle.

En l'espèce, il ressort des éléments de la cause que selon la déclaration d'accident signée par Mme [B], le responsable de l'exploitation et le témoin de l'accident, Mme [B] 's'est mal réceptionnée sur le matelas en arrivée de tyrolienne' alors qu'elle se trouvait, non pas sur le parcours d'accrobranche, mais sur le parcours d'initiation auxquels sont soumis à leur arrivée dans le parc les candidats à la pratique de cette activité d'accrobranche.

Mme [B] a déclaré à l'expert avoir reçu des explications de l'agent responsable de l'attraction par la remise d'un dépliant. Cependant l'association ne produit pas le dépliant dont il est question alors qu'il lui appartient de rapporter la preuve de ce qu'elle a bien informé la victime les dangers du sport concerné en lui fournissant des consignes d'utilisation du matériel. L'association ne justifie pas non plus de la teneur des consignes qui avaient effectivement été données à Mme [B] notamment quant à la façon de se réceptionner sur le matelas en arrivée de tyrolienne.

L'initiation suppose la présence d'un moniteur expérimenté accompagnant chaque client individuellement au cours de celle-ci. Or selon les déclarations de Mme [B] et les attestations de ses deux fils, ils n'ont pas bénéficié d'un accompagnement par un moniteur lors de leur initiation et si un moniteur était présent sur le site, il n'encadrait pas spécifiquement l'initiation de chacun des participants.

L'association Carisiolas, sur qui pèse l'obligation de rapporter la preuve du respect des obligations de sécurité, se contente d'indiquer qu'un moniteur diplômé était présent sur le site mais ne justifie pas de la présence d'un moniteur ayant accompagné Mme [B] lors de son parcours d'initiation. Il s'ensuit que l'association Carisiolas ne justifie pas avoir respecter l'obligation de sécurité pesant sur elle.

Il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme [B] à l'encontre de l'association Carisiolas et son assureur la société Axa et de les condamner in solidum à indemniser Mme [B] des conséquences de l'accident dont elle a été victime le 30 mai 2014.

Sur la liquidation des préjudices subis par Mme [B] :

.Déficit fonctionnel temporaire :

L'expert a retenu les périodes suivantes :

-DF Total : hospitalisation. : - 30 mai 2014 au 3 juin 2014 puis le 26 novembre 2014.

-DFTemporaire 75 % : 4 juin 2014 au 4 décembre 2014 : soit 183 jours

-DFTemporaire 50%: 05 décembre 2014 au 30 janvier 2017 soit 787 jours

-DFTemporaire 20 %: 1er février 2017 au 11 décembre 2018 : 678 jours

Soit un total de 235 semaines.

Mme [B] réclame à ce titre :

15 € par jour pour un déficit temporaire de 75% soit 2745 € pour les 183 jours correspondants.

10 €par jour pour un déficit temporaire de 50% soit 7870 € pour les 787 jours correspondants.

5 € par jour pour les déficits temporaires de 2ème classe soit 3390 € pour les 678 jours correspondants.

Au total, Mme [B] réclame en réparation à ce titre la somme de 14.005 €.

Cette somme est justifiée et il convient d'allouer à Mme [B] la somme de 14.005 € au titre du déficit fonctionnel temporaire.

.Déficit fonctionnel permanent :

L'expert a chiffré ce déficit à 13% et Mme [B] était âgée de 48 ans.

Les intimés estiment justement que ce poste doit être évalué sur la base de 1500 € du point, soit pour 13 % 19.500€ alors que Mme [B] ne réclame que 14.300 € à ce titre.

Toutefois les intimés n'offrent pas de régler 19.500 € à ce titre et demandent qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de la justification de la créance de la CPAM.

Cependant, la connaissance de la créance de la CPAM qui a été régulièrement appelée en la cause n'a d'intérêt que pour connaître le montant de son recours qu'elle pourra exercer à ce titre.

Le montant de la créance de la CPAM n'est pas nécessaire à la fixation de ce poste de préjudice et ne saurait faire obstacle à la demande d'indemnisation de la victime.

Il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer sur la demande formée par Mme [B] et il appartiendra à la

CPAM, à l'égard de laquelle la présente décision sera déclarée commune et opposable, lorsqu'elle estimera devoir faire connaître le montant de sa créance d'exercer un recours à l'encontre de Mme [B] de ce chef.

Il convient donc de rejeter la demande de sursis à statuer sur ce poste de préjudice et de fixer ce poste de préjudice à la somme de 14.300€ réclamée.

.Préjudice esthétique temporaire :

L'expert n'a pas retenu l'existence d'un préjudice esthétique temporaire et Mme [B] ne justifie pas de l'existence d'un tel préjudice.

Il convient donc de rejeter la demande de Mme [B] au titre du préjudice esthétique temporaire.

.Préjudice esthétique permanent :

L'expert a fixé ce préjudice à 2,5/7.

L'accident ayant pour conséquence une claudication et l'obligation d'utiliser constamment une canne anglaise, la somme de 5.000 € réclamée à ce titre est excessive. Il convient de réparer ce poste de préjudice en allouant à Mme [B] la somme de 3.000 €.

.Souffrances endurées :

L'expert a chiffré à 3.5/7 ce poste de préjudice.

L'accident a eu pour conséquence une double fracture de la cheville ayant nécessité une ostéosynthèse latérale, vissage de la maléole interne, immobilisation.

Ce poste de préjudice sera justement réparé par l'allocation de la somme de 8.000 €.

.Préjudice d'agrément :

Mme [B] explique qu'elle a exercé l'activité sportive de Chandara dans laquelle elle a été championne de France mais elle ne justifie pas qu'elle pratiquait encore cette activité au moment de l'accident.

Il est cependant établi que l'accident rendant difficile la marche et entraînant une raideur de la cheville droite, il a pour conséquence de rendre difficile toute activité sportive. Il convient donc d'allouer à Mme [B] la somme de 1.500 € au titre du préjudice d'agrément.

.Préjudice sexuel :

L'expert a retenu l'existence d'un préjudice sexuel lié au plaisir.

Il convient donc de faire droit à la demande de Mme [B] au titre de ce chef de préjudice et de lui allouer la somme de 500 € qu'elle réclame.

.Recours à une tierce personne :

L'expert a fixé le besoin en aide humaine à 4heures par semaine pendant la période de DFT classe 4 puis 3heures durant la période de DFT classe 3 et enfin 2 heures par semaines durant la période de DFT classe 2.

S'agissant d'une aide humaine non spécialisée le taux horaire peut être évalué à 10 €.

Il convient donc d'allouer à Mme [B] à ce titre la somme de 6.320 € au titre du recours à une tierce personne se décomposant comme suit :

-26 semaines x4x10 € = 1.040 €

-112 semaines x3x10 €=3.360 €

-96 semaines x2hx10 €=1.920 €.

.Incidence professionnelle :

Même si Mme [B] ne justifie pas d'une activité professionnelle avant l'accident et qu'elle n'a exercé une activité professionnelle qu'après l'accident, il est certain que son placement en qualité de travailleur handicapé suite à l'accident l'empêche de pouvoir aspirer à la même évolution professionnelle que celle qu'elle aurait pu normalement avoir.

Il convient donc d'allouer à ce titre à Mme [B] la somme de 3.000 € qu'elle réclame.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L'association Carisiolas et la société Axa succombant, il convient :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [B] aux dépens de première instance ;

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [B] à payer à Carisiolas et Axa la somme de 1.000 € au titre des frais irrépétibles pour la procédure de première instance ;

- de condamner Carisiolas et Axa in solidum aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

- de débouter Carisiolas et Axa de leur demande au titre des frais irrépétibles tant pour la procédure de première instance que celle d'appel ;

L'équité commandant de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de Mme [B], il convient de lui allouer de ce chef la somme de 3.000 €.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort :

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Condamne in solidum l'association Carisiolas et la SA Axa France IARD à payer à Mme [T] [B] les sommes de :

14.005 € en réparation du déficit fonctionnel temporaire,

14.300 € en réparation du déficit fonctionnel permanent,

3.000 € en réparation du préjudice esthétique permanent,

8.000 € en réparation du pretium doloris,

1.500 € en réparation de son préjudice d'agrément,

500 € en réparation de son préjudice sexuel,

6.320 € en réparation de I'assistance d'une tierce personne,

3.000 € en réparation de l'incidence professionnelle ;

Condamne in solidum l'association Carisiolas et la SA Axa France IARD à payer à Mme [T] [B] la somme de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs plus amples demandes ;

Condamne in solidum l'association Carisiolas et la SA Axa France IARD aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

Déclare le présente décision commune et opposable à la CPAM de l'Oise.