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Décisions

CA Chambéry, 2e ch., 20 juin 2024, n° 22/00682

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Axa France Iard (SA), MSLREST (SAS)

Défendeur :

Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Loire (Sté), MSA Alpes Du Nord (Sté), Mutualia Territoires Solidaires (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fouchard

Conseillers :

M. Therolle, M. Gauvin

Avocats :

SCP Girard-Madoux et Associés, SCP Riva et Associés, Selarl Legi Rhône Alpes, Selarl Traverso-Trequattrini et Associés

CA Chambéry n° 22/00682

19 juin 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 9 juin 2019 à 15h50, M. [I] [F], 79 ans, a chuté sur le sol de la cafétéria [9] qu'un employé était en train de laver.

Pris en charge par les pompiers, il a été transporté au centre hospitalier d'[Localité 8] où les médecins ont constaté la présence d'un traumatisme crânien, d'un hématome sous-dural aigu, d'une hémorragie sous-arachnoïdienne et d'une fracture de l'écaille temporale. Il a été hospitalisé jusqu'au 18 juin 2019, puis transféré au sein de la clinique [10] pour des soins de rééducation jusqu'au 24 juillet 2019.

Par actes en dates des 25, 28 août et 1er septembre 2020, M. [I] [F] a fait assigner la société MSLREST, exploitant de l'enseigne [9], son assureur la compagnie Axa France Iard et la MSA Alpes du Nord devant le tribunal judiciaire d'Annecy aux fins d'indemnisation.

Par acte du 4 mars 2021, il a appelé en cause la compagnie Mutualia Territoires Solidaires et la CPAM de la Loire.

Par jugement réputé contradictoire du 16 mars 2022, le tribunal judiciaire d'Annecy a :

- déclaré la société MSLREST entièrement responsable de la chute dont a été victime M. [I] [F] au sein de la cafétéria [9] le 9 juin 2019,

- condamné solidairement la société MSLREST et la compagnie Axa France Iard à indemniser M. [I] [F] des préjudices en résultant,

- ordonné une mission d'expertise médicale aux fins d'évaluer les préjudices subis par M. [I] [F],

- commis pour y procéder le docteur [V] [S], expert près la cour d'appel de Chambéry,

- déclaré le jugement commun à la MSA Alpes du Nord, la CPAM de la Loire, la société Mutualia Territoires Solidaires,

- condamné solidairement la société MSLREST et la compagnie Axa France Iard à payer à M. [I] [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens de l'instance,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 20 avril 2022, la SA Axa France Iard et la SAS MSLREST ont interjeté appel de la décision.

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 1er février 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SA Axa France Iard et la SAS MSLREST demandent à la cour de :

- réformer le jugement déféré en ce qu'il a :

déclaré la société MSLREST entièrement responsable de la chute dont a été victime M. [I] [F] au sein de la cafétéria [9] le 9 juin 2019,

condamné solidairement la société MSLREST et la compagnie Axa France Iard à indemniser M. [I] [F] des préjudices en résultant,

ordonné une mission d'expertise médicale aux fins d'évaluer les préjudices subis par M. [I] [F],  commis pour y procéder le docteur [V] [S], expert près la cour d'appel de Chambéry,

déclaré le jugement commun à la MSA Alpes du Nord, la CPAM de la Loire, la société Mutualia Territoires Solidaires,

condamné solidairement la société MSLREST et la compagnie Axa France Iard à payer à M. [I] [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

- débouter M. [I] [F] de l'ensemble de ses demandes dès lors qu'aucun manquement contractuel de la société MSLREST n'est établi,

A titre subsidiaire,

- débouter M. [I] [F] de l'ensemble de ses demandes dès lors que la preuve du caractère anormal de la chose n'est pas rapportée,

- constater que le dommage résulte de la faute exclusive de la victime,

- condamner M. [I] [F] à leur payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [I] [F] aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de la SCP Girard-Madoux.

Dans ses conclusions adressées par voie électronique le 21 février 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [I] [F] demande à la cour de :

- débouter la société MSLREST et la SA Axa France Iard de leur appel,

Au principal,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Y ajoutant,

- condamner la société MSLREST et la SA Axa France Iard à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

- condamner la société MSLREST et la SA Axa France Iard aux entiers dépens,

Subsidiairement,

- dire que la responsabilité pleine et entière de la société MSLREST est engagée dans sa chute et les dommages qui en résultent par application des dispositions de l'article 1231-1 du code civil,

- condamner la société MSLREST, solidairement avec la SA Axa France, son assureur, à l'indemniser des préjudices en résultant,

- condamner la société MSLREST et la SA Axa France Iard à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

- condamner la société MSLREST et la SA Axa France Iard aux entiers dépens.

L'organisme CPAM de la Loire a constitué avocat le 9 juillet 2022, ce dernier n'a pas conclu.

La déclaration d'appel a été signifiée le 1er juillet 2022 à l'organisme MSA Alpes du Nord (signification à personne habilitée), lequel n'a pas constitué avocat. Les conclusions des appelants lui ont été signifiées le 28 juillet 2022 (signification à personne habilitée).

La déclaration d'appel a été signifiée le 13 juillet 2022 à la société Mutualia Territoires Solidaires (signification à personne habilitée), laquelle n'a pas constitué avocat. Les conclusions des appelants lui ont été signifiées le 18 janvier 2023 (signification à personne habilitée).

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur l'existence d'un lien contractuel entre la société MSLREST et M. [I] [F]

La société MSLREST et la compagnie Axa France Iard prétendent que, si la responsabilité de la première est engagée ce doit être au titre de la responsabilité contractuelle et non délictuelle. Elles rappellent que, lorsque les conditions de la première sont réunies, la victime ne peut se prévaloir de la seconde même si elle y a un intérêt. Au soutien de leurs prétentions, elles versent aux débats la copie d'un ticket de caisse du 9 juin 2019 faisant apparaître le numéro de la carte de fidélité du client prouvant, selon elle, le contrat entre elle et M. [I] [F]. Elles ajoutent que, si la carte de fidélité est au nom de Mme [Z] [F], celle-ci avait coutume de venir avec son mari et des amis tous les dimanches et jours fériés pour déjeuner à midi et passer une bonne partie de l'après-midi sur place.

L'article 1358 du code civil dispose que, hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tous moyens. En ce qui concerne les actes juridiques, l'article 1359 du code civil précise que l'acte portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret (actuellement 1 500 euros) doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique.

En l'espèce le contrat à prouver porte sur une somme inférieure à 1 500 euros et son existence peut donc être rapportée par tous moyens.

La société MSLREST produit la copie d'un ticket de caisse délivré le 9 juin 2019 à 12h31 concernant la vente de deux plats (un travers de porc, une pintade braisée) d'un pichet de vin rouge, de deux tartelettes aux fraises et de 2 cafés. Il s'agit manifestement de deux repas. Le paiement a été fait par 'carte de crédit' et une carte client a été présentée (pièce appelant n°4). Le numéro de cette carte correspond au numéro de celle attribuée à Mme [Z] [F] (pièce appelant n°5). La société MSLREST produit en outre des témoignages montrant que M. et Mme [F] étaient des habitués, venant principalement les dimanches et les jours fériés avec des amis, occupant toujours la même table et restant jusque tard dans l'après-midi en se déplaçant ponctuellement vers le bar pour prendre des cafés, des boissons ou des glaces (pièces appelant n°7 et 8). Il est constant que l'accident a eu lieu un dimanche vers 15h50.

Il résulte de ce qui précède que la nature de la commande suggère une commande pour deux personnes, réglée avec présentation de la carte de fidélité de Mme [F]. Aucun élément rapporté par M. [I] [F] ne permet de dire que cette commande a été faite pour une autre personne accompagnant Mme [F] que lui-même.

Au regard des témoignages concernant leurs habitudes, il y a lieu de dire que la preuve est rapportée de ce que M. [I] [F] était en lien contractuel avec la société MSLREST au temps de l'accident. En effet, quand bien même ce dernier est survenu plus de trois heures après la commande, les témoignages montrent que, habitué du lieu les dimanches et jours fériés, M. [I] [F] pouvait y rester souvent jusqu'à 16 heures. Les éléments présentés par la société MSLREST sont donc en parfaite cohérence avec les habitudes de M. [I] [F] et de son épouse dans cette cafétéria et suffisent à établir l'existence du contrat le jour des faits.

2. Sur la responsabilité de la société MSLREST

Il est constant que le principe de non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle a pour conséquence d'interdire au créancier de l'obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle (cass, com. 24 octobre 2018, n°17-25.672). Dans la mesure où il a été retenu ci-dessus l'existence d'un contrat entre la société MSLREST et M. [I] [F], il convient de dire que ce sont les règles de la responsabilité contractuelle découlant des articles 1231-1 et suivant du code civil, qui s'appliqueront au cas d'espèce.

Il est encore constant en jurisprudence qu'un restaurateur est tenu, à l'égard de ses clients, d'une obligation de sécurité conçue comme une obligation de moyens. Il est en effet tenu d'observer, dans l'aménagement, l'organisation et le fonctionnement de son établissement, les règles de prudence et de surveillance qu'exige la sécurité des clients. Il appartient donc au créancier de l'obligation de démontrer que le débiteur de cette obligation a commis une faute dans l'exécution du contrat.

La société MSLREST expose qu'elle n'est pas fautive car ayant mis en oeuvre des mesures appropriées pour assurer la sécurité des clients en les prévenant, par des panneaux de signalisation adéquats, d'un risque de chute sur les zones glissantes de nettoyage. Elle produit une modélisation du restaurant (lequel a depuis été détruit) permettant de visualiser les lieux et la visibilité dont disposait M. [I] [F] en quittant sa table. Elle en déduit que le panneau était parfaitement visible.

La cour observe, à la lecture du rapport de modélisation (pièce appelant n°9) que le panneau d'avertissement 'sol glissant' était situé au devant du point de chute de M. [I] [F] (rapport p. 5 et 6). Le rapport matérialise le point de chute, puis le trajet 'non réalisé' par M. [I] [F] sur lequel se situe le panneau. Il en résulte que, nécessairement, ce dernier est tombé avant le panneau. Or, en toute logique, M. [I] [F] ne pouvait pas se douter de ce que le sol serait mouillé et glissant dans une zone située avant l'avertissement. En outre, le même rapport situe deux autres emplacements potentiels de panneaux d'avertissement dont l'un ne pouvait pas être vu de l'intéressé et dont l'autre aurait été situé encore plus loin que le panneau litigieux. Enfin, le rapport situe l'équipe de nettoyage dans une zone sur la gauche du cheminement de la victime en un endroit ne lui permettant pas de se douter que le sol, sous ses propres pieds serait soudainement humide.

Il résulte donc de l'analyse du propre rapport produit par la société MSLREST qu'elle n'a pas pris toutes les précautions utiles pour éviter les chutes sur le sol mouillé, en omettant d'installer une signalétique appropriée à l'entrée de la zone dangereuse. Au demeurant ce rapport est en parfaite harmonie avec le schéma élaboré par l'un des témoins et qui montre les mêmes éléments (point de chute avant le panneau, équipe de nettoyage situé dans une autre zone - pièce intimé n°

1). A cet égard, la société MSLREST et son assureur ne démontrent pas l'existence d'une faute commise par la victime qui serait à l'origine de son dommage : elle a en effet chuté en glissant sur un sol mouillé non signalé comme tel et dont elle ne pouvait deviner le caractère glissant.

Il résulte de ce qui précède que le jugement déféré sera confirmé, par substitution de motifs et sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en toutes ses dispositions.

3. Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la société MSLREST et la compagnie Axa France Iard qui succombent seront tenus in solidum aux dépens de première instance et d'appel. Elles seront, dans le même temps déboutées de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile comme n'en remplissant pas les conditions d'octroi.

Il n'est pas inéquitable de faire supporter par la société MSLREST et la compagnie Axa France Iard partie des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposés par M. [I] [F] en première instance et en appel. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il les a condamnées à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elles seront en outre condamnées in solidum à lui payer une somme supplémentaire de 2 000 euros sur le même fondement en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf à dire que la responsabilité en jeu est une responsabilité contractuelle,

Y ajoutant,

Condamne la société MSLREST et la compagnie Axa France Iard aux dépens d'appel,

Déboute la société MSLREST et la compagnie Axa France Iard de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la société MSLREST et la compagnie Axa France Iard à payer à M. [I] [F] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.