CA Colmar, 2e ch. civ., 4 mars 2022, n° 20/02697
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Commune de Haguenau, CPAM du Bas-Rhin (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Diepenbroek
Conseillers :
Mme Denort, Mme Hery
FAITS ET PROCEDURE
Le 5 novembre 2015, Mme Sylviane B. épouse K., se prévalant de ce qu'elle était tombée, le 11 octobre 2014, dans l'enceinte du parking « Les Houblons » à
Haguenau a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg à fin d'expertise, lequel, par ordonnance du 2 décembre 2015, a fait droit à sa demande d'expertise médicale et, par ordonnance du 3 août 2017, a demandé à l'expert de procéder à un nouvel examen de l'intéressée considération prise de la consolidation de son état de santé.
Le 3 janvier 2019, Mme B. a assigné en responsabilité la commune de Haguenau devant le tribunal de grande instance (TGI) de Strasbourg, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Bas-Rhin ayant été appelée dans la cause.
Par jugement du 29 juin 2020, le tribunal judiciaire remplaçant le TGI a :
- débouté Mme Sylviane B. de l'intégralité de ses prétentions ;
- débouté, en conséquence, la CPAM du Bas-Rhin de l'intégralité de ses demandes ;
- condamné Mme Sylviane B. aux entiers frais et dépens ;
- condamné Mme Sylviane B. à payer à la commune de Haguenau une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Considérant qu'il appartenait à Mme B. de rapporter la preuve des circonstances de l'accident, le tribunal a retenu que le courrier du Service Départemental d'Incendie et de Secours (SDIS) qu'elle produisait ne corroborait pas ses allégations puisqu'il y était fait état d'une chute dans les escaliers et non sur le sol devant les escaliers, aucun renseignement n'y étant donné sur l'état du sol alors que Mme B. reprochait à la commune de Haguenau un défaut d'entretien et de conception, et, à titre subsidiaire, recherchait sa responsabilité du fait des choses de sorte que, s'agissant d'une chose inerte, il appartenait à Mme B. de rapporter la preuve de l'anormalité de la chose, ce qu'elle ne parvenait pas à faire.
Le tribunal en a conclu que la responsabilité de la commune de Haguenau ne pouvait être recherchée, que ce soit au titre du défaut d'entretien et de conception ou en sa qualité de gardienne de la chose.
Il a débouté la CPAM du Bas-Rhin de son action sur recours subrogatoire, en l'absence de tiers responsable.
Mme B. a formé appel à l'encontre de ce jugement le 22 septembre 2020, par voie électronique.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 21 décembre 2020, Mme B. demande à la cour de :
- la déclarer recevable en son appel et la dire bien fondée ;
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
statuant à nouveau :
- constater le défaut d'entretien et de conception de l'ouvrage public, lieu de l'accident ;
- dire et juger que la commune de Haguenau a manqué à son obligation de sécurité, subsidiairement qu'elle est responsable du fait du parking dont elle a la garde ;
- dire et juger que ces manquements sont en lien de causalité certaine avec sa chute ;
- dire que ses préjudices sont en lien direct avec l'accident et lui sont entièrement imputables ;
- dire que la commune de Haguenau est entièrement responsable de l'accident du 11 octobre 2014 et de ses préjudices ;
- condamner la commune de Haguenau à lui verser une somme de 60 800 euros au titre des préjudices extra-patrimoniaux ;
- condamner la commune de Haguenau à lui verser une somme de 68 025,53 euros au titre des préjudices patrimoniaux ;
- condamner la commune de Haguenau à payer les sommes de 2 280 euros d'honoraires d'expertise et 300 euros de frais de constat d'huissier ;
- condamner la commune de Haguenau à lui verser une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la commune de Haguenau aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Mme B. expose que, devant les premiers juges, la commune de Haguenau n'avait pas discuté la matérialité des faits (sol mouillé par suite de pluie, sol lisse et glissant, défaut d'entretien flagrant, présence de feuilles mortes, d'escargots').
Elle se prévaut, tout d'abord, de l'existence d'un rapport « dossier médical » établi et imprimé par le service des urgences du centre hospitalier de Haguenau le 11 octobre 2014 soit à la date des faits qui précise : « Chute mécanique sur sol mouillé'. A chuté ce jour dans une flaque d'eau ».
Elle s'appuie également sur un procès-verbal établi par huissier de justice non contesté lequel :
- relève l'absence de toit au-dessus de l'escalier métallique qui est donc à ciel ouvert et non protégé des intempéries,
- retrace l'expérience de l'huissier de justice consistant à renverser un peu d'eau sur la surface du sol, devant l'escalier, ce qui lui a permis de constater que l'eau ne s'écoulait pas immédiatement et stagnait en flaques, l'eau stagnante ayant un aspect brillant et rendant la surface du sol plus glissante,
- relate qu'avant de quitter les lieux, il a remarqué la présence d'un petit escargot fixé sur un pilier métallique de soutien de la structure.
Elle fait état de relevés météorologiques pour la ville de Haguenau dont il ressort que les 9 et 10 octobre 2014, il a plu toute la journée et que le 11 octobre 2014, il a plu le matin.
Mme B. expose que la responsabilité de la commune de commune de Haguenau est engagée pour manquement à l'obligation de sécurité de l'ancien article 1147 du code civil applicable à la date des faits et, subsidiairement, sur le fondement de la responsabilité du fait des choses sont on a la garde au sens de l'ancien article 1384-1 du code civil applicable à la date des faits.
Sur la responsabilité de la commune de Haguenau pour manquement à son obligation de sécurité et du fait des choses pour défaut de conception de l'ouvrage public, elle précise que le défaut de conception de l'ouvrage public engage, même en l'absence de faute, la responsabilité de la collectivité.
Elle s'appuie sur des photographies prises le lundi 13 octobre par sa fille à l'endroit de la chute et sur le constat des lieux dressé par l'huissier de justice dont il ressort que :
- une affichette est apposée sur l'automate, à l'entrée du parking, à l'attention exclusivement de l'automobiliste à son volant, rédigée en ces termes « Attention surface glissante roulez au pas »,
- le chemin d'accès au parking souterrain pour les piétons situé au pied de l'escalier présente le même aspect lisse que celui pour les voies de circulation des véhicules,
- il n'y a pas de toit au-dessus de l'escalier métallique, lequel est à ciel ouvert et non protégé des intempéries,
- l'accès à l'escalier métallique est entouré de terre végétale, recouverte de copeaux, sur laquelle pousse divers végétaux, tels que lierre, fougère,
- le chemin à l'usage des piétons présente une pente,
- au pied de l'escalier où elle a chuté, le chemin présente un aspect usé avec disparition par endroits de la peinture jaune ' orange, ainsi que des parties écaillées et manquantes.
Elle soutient qu'il en résulte un manquement à l'obligation de sécurité par défaut de conception de l'ouvrage notamment la nature du sol et/ou son matériau qui est particulièrement inadapté étant par ailleurs précisé que le jour de la chute le sol mouillé était très glissant, aucune faute d'imprudence ou d'inattention ne pouvant lui être imputée.
Mme B. expose que la responsabilité de la commune de Haguenau peut également être engagée pour manquement à son obligation de sécurité par défaut d'entretien de l'ouvrage, la jurisprudence retenant que dans le cas où existe un lien entre un ouvrage public et un accident causé à un usager, la responsabilité de la collectivité propriétaire de cet ouvrage est engagée sans qu'il soit besoin d'établir la preuve qu'un éventuel défaut d'entretien normal est à l'origine de l'accident, la collectivité intéressée ne pouvant s'exonérer de sa responsabilité qu'en démontrant, soit l'entretien normal de l'ouvrage soit le fait de la victime.
Elle se réfère de nouveau au constat dressé par huissier de justice et aux photographies prises le 13 octobre 2014 illustrant l'état général de ce parking délaissé de tout entretien, caractérisant ainsi un grave manquement à son obligation par la commune de Haguenau, sa chute étant intervenue en dépit de la prudence normale et toute l'attention qu'elle a pu observer.
Mme B. entend que, subsidiairement, la commune de Haguenau soit déclarée responsable du fait du parking dont elle a la garde au sens de l'ancien article 1384-1 du code civil applicable à la date des faits.
Elle expose que depuis l'accident dont elle a été victime, elle n'a pas pu reprendre son activité professionnelle, a perdu les contrats de garde d'enfants pour les années 2014 et 2015 et a été contrainte de faire une demande de retraite anticipée qui lui a été accordée à compter du 1er avril 2017.
Elle donne les détails de ses préjudices dont elle demande indemnisation au regard des conclusions du rapport d'expertise final du 27 avril 2018 du docteur T. soit pour un total de 60 800 euros pour les préjudices extra patrimoniaux et un total de 68 025,53 euros pour les préjudices patrimoniaux.
Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 17 mars 2021, la commune de Haguenau demande à la cour de :
- déclarer l'appel mal fondé ;
- le rejeter ;
- débouter Mme B. de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- constater que la preuve de la matérialité des faits n'est pas rapportée et subsidiairement, l'absence de toute faute contractuelle, seule susceptible d'engager laresponsabilité de la commune ;
- constater en revanche que seules des fautes de la victime sont à l'origine de son accident et de nature, subsidiairement, à exonérer la commune de toute éventuelle condamnation ;
- à titre infiniment subsidiaire, constater le caractère partiellement injustifié et en tout cas excessif des sommes réclamées ;
- condamner Mme B. au paiement d'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme B. aux entiers frais et dépens.
La commune de Haguenau fait valoir que la preuve de la matérialité des faits, dont la charge incombe à Mme B. n'est pas rapportée puisque, en effet, cette dernière se prévaut :
- d'une attestation d'intervention des sapeurs-pompiers laquelle permet seulement d'établir que la requérante été victime d'une chute mécanique dans les escaliers d'un parking souterrain, sans que la cause de cette chute ne soit renseignée, les sapeurs-pompiers n'ayant pas assisté à la chute,
- de la mention figurant dans le dossier médical d'une chute sur sol mouillé ne permettant pas de confirmer les circonstances de l'accident, l'auteur de cette pièce n'ayant pas assisté à la chute, aucune information n'étant fournie sur le lieu exact de la chute,
- de la circonstance de pluie en octobre sur la commune de Haguenau, ce qui ne saurait établir les circonstances de l'accident.
Elle souligne que le courrier du SDIS qui a pris Mme B. en charge indique qu'il s'agissait d'une chute dans les escaliers du parking souterrain et ne comporte aucun renseignement sur l'état du sol, les photographies sans date certaine versées aux débats ne pouvant être retenues à elles seules comme élément de preuve et le procès-verbal de constat d'huissier dressé par maître Vincent F. étant sans emport pour n'avoir pas été établi le jour des faits.
Elle ajoute que Mme B. ne rapporte pas la preuve du défaut d'entretien et de conception voire de l'anormalité de la chose, de ce que le sol était mouillé, anormalement glissant, jonché de feuilles, de limaces et d'escargots.
Sur sa responsabilité, la commune considère qu'elle ne peut être tenue pour responsable que ce soit sur le fondement de l'ancien article 1147 ou sur celui de l'ancien article 1384 alinéa 1er relatif à la responsabilité du fait des choses dont on a la garde puisqu'en présence d'un contrat, il ne peut y avoir cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle étant souligné que Mme B. étant usagère du parking payant se doit de justifier d'une inexécution contractuelle. Elle précise que le cheminement piétonnier était constitué d'une dalle de béton brute permettant une bonne adhérence, qu'une surface est toujours plus glissante quand elle est mouillée, les usagers de la voie publique se devant d'être plus prudents par temps de pluie, d'autant que l'escalier était à ciel ouvert, la présence d'escargots et de feuilles n'étant, au demeurant, pas établie.
Elle en déduit que ce sont nécessairement des fautes de la victime qui sont à l'origine exclusive de son accident.
Sur les sommes réclamées, elle s'oppose aux demandes faisant valoir qu'elles sont exagérées tant pour les préjudices extra-patrimoniaux que pour les préjudices patrimoniaux.
La déclaration d'appel a été signifiée, le 23 décembre 2020, en personne, à la CPAM du Bas-Rhin laquelle n'a pas constitué avocat.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens de Mme B. et de la commune de Haguenau aux conclusions transmises aux dates susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION
Considération prise des modalités de signification de la déclaration d'appel à la CPAM et de ce qu'elle n'a pas constitué avocat, le présent arrêt est réputé contradictoire.
Sur la responsabilité de la commune de Haguenau
Sur la responsabilité contractuelle
Alors même qu'elle se prévaut de l'obligation de sécurité résultant des dispositions de l'article 1147 du code civil en vigueur à la date des faits, Mme B. considère que la commune est engagée soit du fait des choses pour défaut de conception de l'ouvrage public soit par défaut d'entretien de l'ouvrage, ces deux notions relevant, cependant, du droit public et n'étant pas compatibles avec la responsabilité contractuelle de l'article 1147 du code civil, seule applicable au cas d'espèce.
En effet, cet article dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Il est de principe que l'exploitant d'un parc à voitures est tenu d'une obligation de sécurité. Cette obligation n'est cependant qu'une obligation de moyens, dès lors que l'utilisateur de ses services n'y a pas un rôle purement passif, ce qui s'applique à Mme B. qui indique qu'elle a chuté alors qu'elle se déplaçait dans le parking.
La matérialité de la chute de Mme B. est établie par le courrier du 10 août 2015 du SDIS du Bas-Rhin qui indique que les bilans réalisés ont confirmé l'existence d'une chute mécanique.
Mme B. se prévalant de ce que la commune de Haguenau n'a pas rempli son obligation de sécurité à l'origine de sa chute, il lui appartient d'établir la faute de la commune, son préjudice et le lien de causalité direct et certain les unissant.
Même si la chute est avérée, il apparaît, néanmoins, que ses circonstances ne sont pas clairement établies puisque Mme B. fait état de ce qu'après avoir stationné son véhicule, elle a emprunté le couloir d'accès piéton menant à l'escalier pour atteindre la sortie du parking et a chuté au pied de cet escalier en raison du sol mouillé avec présence d'une flaque d'eau, le sol étant particulièrement glissant, recouvert de feuilles mortes, de limaces et d'escargots.
Mme B. précise également que l'agent municipal qui a appelé les secours ne l'a pas aidée et que ne pouvant se relever avec le genou en hyper extension, elle est restée couchée à même le sol dans la saleté et mouillée jusqu'à l'arrivée des pompiers.
Cependant, sa version des faits n'est corroborée par aucun témoignage et le courrier du SDIS déjà cité évoque une chute mécanique dans les escaliers, ce qui n'est pas conforme aux déclarations de Mme B..
De surcroît, le constat d'huissier de justice produit par Mme B. et établi le 8 septembre 2015 n'est pas de nature à justifier des circonstances de l'accident, étant rappelé que l'intéressée n'avait pas un rôle purement passif lors de la survenance de la chute.
Dès lors, Mme B. n'apparaît pas en mesure de démontrer que sa chute est due à la faute de la commune de Haguenau, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris qui n'a pas retenu la responsabilité de la commune.
Sur la responsabilité délictuelle
A titre subsidiaire, Mme B. demande à ce que la responsabilité de la commune soit engagée sur le fondement des dispositions de l'article 1384-1 du code civil applicable à la date des faits.
Cependant, il y a lieu de la débouter de cette demande considération prise du principe selon lequel il est interdit au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle.
Le jugement entrepris est donc confirmé.
Sur les dépens et les frais de procédure
Le jugement entrepris étant confirmé en ses dispositions principales, il l'est également en celles relatives aux dépens et aux frais non compris dans les dépens.
A hauteur d'appel, Mme B. est condamnée aux dépens et à payer à la commune de Haguenau la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l' article 700 du code de procédure civile. Elle est déboutée de sa demande d'indemnité formulée sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant, publiquement par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré :
CONFIRME, dans les limites de l'appel, le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 29 juin 2020 ;
Y ajoutant :
CONDAMNE Mme Sylviane B. aux dépens de la procédure d'appel ;
CONDAMNE Mme Sylviane B. à payer à la commune de Haguenau la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés à hauteur d'appel ;
DEBOUTE Mme Sylviane B. de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.