CA Aix-en-Provence, ch. 1-3, 13 juin 2024, n° 19/16831
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Berta (SCI), Axa France Iard (SA)
Défendeur :
MAF (Sté), Pellier (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cesaro-Pautrot
Conseillers :
Mme Mars, Mme Tanguy
Avocats :
Me Juston, Me Montagard, Me Imperatore, Me Charpentier, Me de Valkenaere, Me Magnan, Me Dersy, Me Paulus
A la fin de l'année 2010, la SCI Berta a confié l'exécution d'importants travaux de rénovation et d'agrandissement d'une villa dénommée "La Radieuse", située
[Adresse 5] à [Localité 7], à la SARL Design Italien.
Les devis ont prévu un montant total de travaux de 685.720,56 euros TTC, décomposé comme suit :
- n°1 gros oeuvre, étanchéité et cloisons : 219.600 euros TTC ;
- n°2 démolition : 8.372 euros TTC ;
- n°3 électricité, chauffage et plomberie : 174.974,80 euros TTC ;
- n°4 travaux intérieurs (faux plafonds, peintures, carrelages, revêtements intérieurs, menuiseries...) et travaux extérieurs (sols, ferronerie, façades, piscine, sauna hammam...) pour un montant de 282.773,76 euros TTC.
Le 15 septembre 2010, la SCI Berta a conclu un contrat de collaboration commerciale avec la SARL Groupe Reitman Initial, représentée par son gérant, M. [B] [H], et désignée comme mandataire pour superviser les travaux de rénovation de la villa.
M. [Y] [J], architecte, est intervenu dans le cadre du permis de construire, puis, selon contrat en date du 2 mars 2011, en qualité de maître d'oeuvre.
Se plaignant de désordres et d'un abandon du chantier à compter du 3 avril 2012, la SCI Berta a sollicité, au contradictoire de la SARL Design Italien et de son assureur, la société Axa France Iard, l'instauration d'une mesure d'expertise.
Par ordonnance en date du 16 juillet 2012, le juge des référés du tribunal de grande instance de Grasse a désigné Mme [Z] [G] en qualité d'experte judiciaire.
Par deux ordonnances en date des 7 novembre 2012 et 8 juillet 2013,1'ordonnance a été déclarée commune à M. [J], architecte et à son assureur, la Mutuelle des architectes français.
Le rapport d'expertise a été déposé le 24 mars 2014.
La SARL Design Italien a été placée en redressement judiciaire suivant jugement en date du 6 novembre 2014, puis en liquidation judiciaire simplifiée par jugement en date du 7 janvier 2015.
Par actes d'huissier de justice des 9, 15, 17 et 20 juillet 2015, la SCI Berta a assigné la SCP Pellier, liquidateur de la SARL Design Italien, la SAAxa France Iard, assureur de l'entreprise, [Y] [J], architecte et son assureur, la MAF.
*
Vu le jugement en date du 1er octobre 2019 par lequel le tribunal de grande instance de Grasse a :
- rejeté le moyen de la SA Axa France Iard tiré de l'irrecevabilité à agir, sur deux fondements différents à titre principal et à titre subsidiaire ;
- condamné in solidum la SA Axa France Iard, [Y] [J] et la MAF son assureur à payer à la SCI Berta la somme de 152.460,00 euros HT, au titre de la réparation des travaux de reprise, majorée de la TVA en vigueur au jour du paiement ;
- débouté la SCI Berta de sa demande au titre du préjudice de jouissance ;
- fixé le partage définitif de responsabilité entre les intervenants : 85% pour la SARL Design Italien, et son assureur la SA Axa France Iard, 15% pour [Y] [J], et son assureur la MAF ;
- dit que dans leurs recours entre eux, les intervenants responsables et les assureurs en la cause seront garantis des condarnnations prononcées à leur encontre à proportion du partage de responsabilité ainsi fixé ;
- fixé la créance de la SCI Berta au passif de la SARL Design Italien à la somme de 255.326,47 euros au titre d'un trop perçu par la SARL Design Italien pour des travaux non réalisés ;
- débouté la SCI Berta de sa demande de fixation au passif de la SARL Design Italien de la somme de 548.000 euros au titre de pénalités de retard ;
- condamné in solidum la SA Axa France Iard, [Y] [J] et la MAF son assureur à payer à la SCI Berta la somme de 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que la charge définitive de ces frais irrépétibles sera supportée par chacune des parties ainsi condamnées à hauteur d'un tiers ;
- condamné in solidum la SA Axa France Iard, [Y] [J] et la MAF son assureur, aux entiers dépens en ce compris les frais du PV d'huissier en date du 2 mai 2012 et les frais d'expertise dont distraction ;
- dit que la charge définitive de ces dépens sera supportée par chacune des parties ainsi condamnées à hauteur d'un tiers ;
- ordonné 1'exécution provisoire ;
Vu l'appel relevé le 31 octobre 2019 par la SCI Berta ;
Vu l'appel relevé le 20 décembre 2019 par la société Axa France Iard ;
Vu l'ordonnance de jonction en date du 18 juin 2020 ;
Vu l'arrêt de réouverture des débats en date du 4 mai 2023 en raison de la clôture de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de la SARL Design Italien et du dessaisissement du liquidateur ;
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 7 septembre 2023, par lesquelles la SCI Berta demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1134 et 1147 anciens du code civil (articles 1104 et 1231-1du code civil),
Vu l'article 1119 al.3 du code civil,
Vu l'article 1792 et suivants du code civil,
Vu l'article L112-4 du code des assurances,
- dire et juger la SCI Berta recevable et bien fondée en son appel du jugement,
- renvoyer la présente affaire à une audience de mise en état ultérieure afn de faire désigner et de mettre en cause un mandataire ad hoc pour représenter la société Design Italien et, à titre subsidiaire, apprécier la recevabilité des demandes formées par la SCI Berta à l'encontre de la société Design Italien au regard de sa radiation du registre du commerce et des sociétés,
- déclarer recevable l'appel de la SCI Berta contre la SA Axa France Iard,
- confirmer le jugement sur le rejet des moyens d'irrecevabilité, les responsabilités, la garantie des assureurs,
Subsidiairement et, dans l'hypothèse où par impossible la cour viendrait à considérer que la responsabilité de la SARL Design Italien ne pourrait pas être retenue sur le fondement des articles 1134 & 1147 anciens du code civil et /ou la garantie de la compagnie d'assurances Axa ne serait pas mobilisable au titre de l'assurance responsabilité civile de la SARL Design Italien,
- dire et juger que la responsabilité de la société Design Italien, de la compagnie d'assurances Axa France Iard, de M. [J] et de sa compagnie d'assurances la MAF est engagée sur le fondement des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil ;
Le réformer pour le surplus :
- fixer au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Design Italien les sommes suivantes :
- 742.624,36 euros au titre du coût des travaux de remise en état,
- 255.326,47 euros au titre des sommes trop versées entre les mains de la SARL Design Italien,
- 548.000 euros au titre des pénalités de retard,
- 150.000 euros à titre de dommages- interêts en réparation du préjudice de jouissance
- condamner in solidum la société Axa France Iard, en sa qualité d'assureur de la SARL Design Italien, M. [J] et son assureur la MAF au paiement des sommes ciaprès :
- 742.624,36 euros au titre du coût des travaux de remise en état,
- 255.326,47 euros au titre des sommes trop versées entre les mains de la SARL Design Italien,
- 548.000 euros au titre des pénalités de retard,
- 150.000 euros à titre de dommages- interêts en réparation du préjudice de jouissance,
- débouter la SA Axa France Iard et l'ensemble des intimés de leurs demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause :
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la société AXA France, M. [J] et son assureur la MAF, à lui payer la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, lesquels comprendront le coût du PV de constat du 2 mai 2012, les frais et honoraires de l'expert judiciaire [G] dont distraction,
- condamner in solidum la société Axa France, M. [J] et son assureur la MAF, à lui payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 3 janvier 2023, par lesquelles la SA Axa France Iard demande à la cour de :
Vu les articles 1104 et 1231-1 du code civil (anciennement 1134 et 1147),
Vu l'article 1792 et suivants du code civil,
Vu les articles L112-4 et L.121-15 du code des assurances,
Vu le contrat d'assurance souscrit par la SARL Design Italien auprès de la SA Axa France Iard (conditions générales et conditions particulières),
- dire et juger la SA Axa France Iard recevable et bien fondée en son appel,
- réformer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la SA Axa France Iard, [Y] [J] et la MAF son assureur à payer à la SCI Berta la somme de 152.460,00 euros HT au titre de la réparation des travaux de reprise, majorée de la TVA en vigueur au jour du paiement ; fixé le partage définitif de responsabilité entre les intervenants ainsi : 85% pour la SARL Design Italien, et son assureur la SA Axa France Iard, 15% pour [Y] [J], et son assureur la MAF ; dit que dans leurs recours entre eux, les intervenants responsables et les assureurs en la cause seront garantis des condamnations prononcées à leur encontre à proportion du partage de responsabilité ainsi fixé ; condamné in solidum la SA Axa France Iard, [Y] [J] et la MAF son assureur à payer à la SCI Berta la somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; dit que la charge définitive de ces frais irrépétibles sera supportée par chacune des parties ainsi condamnées à hauteur d'un tiers ; condamné in solidum la SA Axa France Iard, [Y] [J] et la MAF son assureur, aux entiers dépens en ce compris les frais de PV d'huissier en date du 2 mai 2012 et les frais d'expertise dont distraction ; dit que la charge définitive de ces dépens sera supportée par chacune des parties ainsi condamnées à hauteur d'un tiers ;
- prononcer la mise hors de cause de la SA Axa France Iard,
- dire et juger que les garanties de la compagnie Axa France Iard en qualité d'assureur responsabilité civile du chef d'entreprise souscrites par la société Design Italien ne peuvent être mobilisées au regard des exclusions mentionnées dans le cadre du contrat souscrit par la société Design Italien en date du 9 mai 2011,
- dire et juger que les garanties de la compagnie Axa France Iard en qualité d'assureur décennal de la société Design Italien ne peuvent être mobilisées au regard de l'absence de réception et du caractère apparent des désordres allégués par la Design Italien,
- débouter la SCI Berta de l'ensemble de ses prétentions à l'encontre de la SA Axa France Iard,
- débouter M. [J] et la MAF de l'ensemble de ses prétentions à l'encontre de la SA Axa France Iard ;
A titre subsidiaire, si la cour devait maintenir la condamnation de la SA Axa France Iard :
- condamner M. [J] et la compagnie MAF d'avoir à la relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,
- débouter la SCI Berta de ses demandes au titre du préjudice de jouissance non justifié et les pénalités de retard qui ne peuvent manifestement mobiliser aucune garantie de la Axa, du préjudice moral et des travaux de reprise, chiffrés par l'expert à la somme de 152.460 euros HT,
- dire et juger la compagnie d'assurance Axa recevable et bien fondée à opposer les limites de franchise responsabilité civile prévues conventionnellement aux termes de la police souscrite, soit la somme de 1 587 euros,
- condamner tout succombant à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux dépens, dont distraction ;
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 8 septembre 2023, par lesquelles M. [J] et la Mutuelle des architectes français demandent à la cour de :
Vu les articles 1134 et suivant du code civil ;
Vu les articles 1382 et suivant du code civil ;
- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la SCI Berta de sa demande au titre du préjudice de jouissance,
- réformer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné in solidum la compagnie Axa France Iard, M. [J] et la MAF à payer la somme de 152.460 euros HT au titre des travaux réparatoires ; fixé le partage définitif de responsabilité entre les intervenants à hauteur de 85% pour la SARL Design Italien et son assureur la compagnie Axa France Iard et 15% pour M. [J] et son assureur la compagnie MAF ; condamné in solidum la compagnie Axa France Iard, M. [J] et la MAF au paiement de 4.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile ;
Statuant à nouveau :
- constater que le maître d'oeuvre [J] a été dépossédé de sa mission du chef de l'immixtion reconnue et admise d'un autre maître d'oeuvre, émanation du maître d'ouvrage et que du chef de cette immixtion permanente le maître d'ouvrage est seul responsable des retards, du coût réel des travaux et de son propre préjudice si tant est qu'il soit justifié, et aussi du chef de l'absence de souscription d'une assurance DO,
- constater que M. [J] n'a commis aucune faute, le seul grief de l'expert sur l'insuffisance des réserves étant inopérant, car ce n'est pas l'absence de réserves qui provoque les désordres, et cela n'aucune conséquence sur le litige,
- constater que la SARL Design Italien, en qualité d'entreprise exécutante, assurée auprès de la société Axa France Iard, est essentiellement responsable des désordres et préjudices, dont le coût réclamé est loin de correspondre à la réalité, l'exagération et la surévaluation des réclamations de la demanderesse devront subir leur exclusion du chef de leur caractère infondé, et seront aussi largement revues à la baisse au visa de l'évaluation de l'expert judiciaire,
- écarter les concluants des liens de la responsabilité et débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes visant à la condamnation in solidum de M. [J] et de la MAF avec les autres intervenants,
Très subsidiairement :
Si d'aventure et par impossible l'architecte était retenu, même pour une très faible part, dans les liens de la responsabilité, dire et juger recevable et fondé son recours quasi délictuel à l'encontre de la compagnie Axa France Iard, assureur de l'entreprise responsable des fautes d'exécution et manquements à l'origine des désordres, et que cette compagnie devra relever et garantir les concluants de l'intégralité des éventuelles condamnations pouvant être prononcées à son encontre au bénéfice de la SCI Berta,
- rejeter toute autre demande de condamnation qui serait formulée à l'encontre de M. [Y] [J] et de la MAF,
- condamner tous succombants à payer aux concluants la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu la signification de la déclaration d'appel par la SCI Berta à la SCP Pellier prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Design Italien, selon acte d'huissier en date du 8 janvier 2020 refusé en raison du jugement de clôture en date du 13 novembre 2018 ;
Vu l'assignation délivrée le 11 septembre 2023 par la SCI Berta à la SCP Pellier prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Design Italien ;
Vu la signification de la déclaration d'appel par la société Axa France Iard à la société Design Italien, selon acte d'huissier en date du 25 mars 2020, refusé et déposé à étude ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 22 mars 2024 ;
SUR CE, LA COUR
Sur le renvoi à la mise en état
Dans les suites de l'arrêt de réouverture des débats en date du 4 mai 2023, l'extrait K bis produit le 7 septembre 2023 fait ressortir la clôture prononcée le 13 novembre 2018 pour insuffisance d'actif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de la société Design Italien. Le liquidateur n'a donc plus qualité pour représenter la société et aucun mandataire ad hoc n'a été désigné à l'initiative des parties, malgré le report du calendrier fixé par l'arrêt susvisé et les messages adressés par RPVA. En l'absence de diligences effectuées en vue de la désignation d'un mandataire ad hoc en temps utile, il n'y a pas lieu de retarder l'issue du litige et renvoyer l'affaire à la mise en état.
Sur les désordres
La SCI Berta a fait établir des constats d'huissier les 16 avril et 2 mai 2012 relativement aux inachèvements et désordres que l'experte judiciaire rappelle dans son rapport (pages 21à 28) et qui sont également versés au débat. À ces dates, les désordres d'infiltrations étaient parfaitement visibles et donc apparents.
Il ressort du rapport d'expertise judiciaire notamment les éléments suivants :
- d'importants désordres principalement dus aux multiples défauts d'étanchéité de la construction qui affectent celle-ci et la rendent inhabitable ; trois causes sont identifiées : les malfaçons dans la conception et la mise en oeuvre de l'ensemble des menuiseries extérieures de la villa par la SARL Design Italien et l'entreprise Doleta, les malfaçons dans la réalisation de l'étanchéité du plancher bas de l'édicule de toiture ainsi qu'en périphérie extérieure de celui-ci par la SARL Design Italien, le défaut de positionnement du relevé d'étanchéité de la terrasse sud au niveau R+2 par la SARL Design Italien ; les désordres d'infiltrations sont précisément décrits et analysés pages 29 à 33 ; les défauts d'étanchéité affectent la façade sud du niveau R+2 , les menuiseries extérieures, l'édicule en toiture et il y a de multiples points d'infiltrations par la toiture des bacs acier ; des désordres affectent également les travaux d'électricité avec des dangers immédiats pour la sécurité des biens et des personnes selon le rapport de vérification de l'Apave ; l'installation de chauffage, ventilation, climatisation et plomberie est globalement non terminée ;
- la totalité des désordres relatifs aux infiltrations et aux inachèvements de travaux est due aux travaux réalisés par la SARL Design Italien ; les désordres relatifs aux menuiseries extérieures sont dus pour partie à la SARL Design Italien et pour partie à la société Doleta, basée en Lettonie, non mise en cause ; les réserves portant sur les menuiseries extérieures ont été levées ;
- le 3 avril 2012 les procès-verbaux de réception des lots n°1 à 4 ont été signés par M. [H] (groupe Reitman Initial) représentant le maître d'ouvrage et M. [J], architecte, et non par la SARL Design Italien. Des réserves ont été émises concernant les lots 2 "chauffage climatisation", 3 "électricité", 4 "plomberie" ;
- le 3 avril 2012, les travaux exécutés représentaient la somme de 277 230,23 euros TTC, soit environ 40 % du montant global des quatre devis qui totalisaient la somme de 685 720,56 euros TTC ;
- les réparations préconisées, poste par poste dans le tableau récapitulatif (pages 23 à 28), représentent la somme de 152 460 euros HT dont 10 % de maîtrise d'oeuvre (138 600 + 13 860) ;
- le trop-perçu par la SARL Design Italien s'élève à la somme de 255 326,47 euros ;
- les pénalités de retard applicable entre le 27 mars 2011 (date prévue de livraison) et le 27 mars 2014 s'élève à la somme de 548'000 euros (500 euros x 1096) ;
Et en réponse aux dires :
Concernant les conditions à réunir pour une réception tacite : Il est exact que la villa, qui n'était ni hors d'eau, ni hors d'air, et inachevée, était inhabitable au 3 avril 2012.Par ailleurs, et en décomptant les travaux inachevés ou non réalisés, il apparaît que seuls 40% des travaux prévus dans les 4 devis de la SARL Design
Italien ont été réalisés.Les sommes réglées sont très supérieures au montant réellement dû pour ces travaux.
Ainsi que le rappelle la société Axa, le maître d'ouvrage a fait constater l'abandon du chantier et les travaux inachevés. Les conditions de la garantie décennale ne sont pas réunies.
Sur les responsabilités
A titre principal, la SCI Berta conclut à la confirmation du jugement sur la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle de la société Design Italien et de M. [J].
À titre subsidiaire, elle fait valoir que leur responsabilité décennale est engagée. Elle conteste toute immixtion fautive.
M. [J] conteste sa responsabilité et se prévaut d'un courrier qui fait état de son professionnalisme. Il affirme que M. [H], notoirement compétent, l'a évincé de la direction du chantier et du processus de décision.Il avance que le maître d'ouvrage a fait le choix, voulu et délibéré, de gérer le chantier.
L'entrepreneur doit exécuter des travaux exempts de tout vice, conformes aux engagements contractuels, aux réglementations en vigueur et aux règles de l'art. Il est également tenu d'un devoir de conseil qui inclut les procédés techniques de réalisation.
Au regard des constatations expertales, la société Design Italien a clairement failli à ses obligations dans l'exécution des travaux qu'elle devait réaliser et commis des malfaçons graves à l'origine notamment de désordres d'infiltrations importants. En outre, elle n'a pas achevé les ouvrages prévus aux devis et a quitté le chantier au mois d'avril 2012. Ses manquements aux règles de l'art et ses fautes contractuelles sont avérés.
L'architecte en charge d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète est responsable contractuellement envers le maître de l'ouvrage de ses fautes dans la conception de l'ouvrage et dans l'exécution de sa mission de direction, de suivi et de coordination des travaux.
Si le maître d'oeuvre n'est pas tenu à une présence constante sur les lieux et à une vérification systématique des prestations réalisées, il n'en demeure pas moins qu'il doit procéder à des visites régulières afin de relever les éventuels défauts d'exécution de l'entrepreneur et veiller à leur reprise. Il doit également, au titre de sa mission de direction et de surveillance, faire preuve d'une vigilance particulière lors de la réalisation d'opérations délicates, solliciter toutes les informations utiles auprès de l'entrepreneur pour s'assurer de la conformité des travaux et de l'exécution effective de ses recommandations, relever les anomalies notoires, procéder le cas échéant à des investigations techniques et prendre toutes mesures nécessaires pour y remédier.
A été confiée à M. [J], dans un premier temps, une mission "permis de construire sans exécution des travaux" le 25 novembre 2010, puis dans un deuxième temps, une mission de maîtrise d'oeuvre complète le 2 mars 2011. Le contrat prévoit trois phases : 1/ établissement de tous les documents graphiques, plan de masse et aménagement des abords, plans de niveaux, coupes longitudinales et transversales, façades ; 2/ descriptifs et quantitatif des ouvrages à exécuter, consultation des entreprises, analyse et assistance au maître de l'ouvrage pour le choix des entreprises, s'il le souhaite, assistance au maître d'ouvrage pour l'établissement des marchés de travaux privés et des ordres de services ; 3/ direction et coordination des travaux, organisation des réunions de chantier, vérification de l'avancement des travaux et de leur conformité avec les plans, comptabilité de chantier et vérification des situations des entrepreneurs, réception des ouvrages exécutés comprenant la mise à jour sur les plans des ouvrages modifiés durant le chantier, la rédaction des procès-verbaux de réception, établissement de listes de réserves, établissement des quitus de levée des réserves, décompte définitif établi par les entreprises en fin de chantier pour règlement du solde. Il a été également mentionné que l'architecte est chargé de vérifier la bonne exécution des travaux de démolition, terrassement, maçonnerie, étanchéité, plâtrerie, cloisonnement doublage et isolation, voirie et réseaux divers, menuiseries extérieures, électricité et appareillages électriques, plomberie, chauffage, menuiseries des fenêtres et portes fenêtrent, ferronnerie de clôture, garde corps de balcon.
L'experte judiciaire relève que les cinq tableaux "avancement des travaux" communiqués ont été établis par la société Design Italien entre le 10 mars 2011 le 13 mai 2011 et non par M. [J], que la modification de la hauteur du plancher de l'édicule en toiture, non prévu au permis de construire, n'a fait l'objet d'aucun plan, ni de compte rendu de chantier, de courrier ou avenant et n'a pas été réalisée. À l'exception du mail daté du 8 novembre 2011 alertant M. [H] des malfaçons affectant les menuiseries extérieures, la plupart des non-conformités, inachèvement des travaux, tels que prévus dans les devis de la société Design Italien, était visibles dès leur exécution et n'ont pas fait l'objet de réserves de M. [J] à l'entreprise et au maître d'ouvrage, le procès-verbal de réception du lot maçonnerie- gros oeuvre a été établi sans réserve, malgré les nombreuses malfaçons et inachèvements visibles, la réception du lot électricité a été faite sans que la villa soit alimentée en électricité, le PV ne mentionne aucune réserve sur ce point, aucune comptabilité de chantier n'a été effectuée.
Ainsi que l'a retenu le premier juge, M. [J] a manqué à son obligation de conseil et de suivi du chantier.
L'intimé et son assureur tentent vainement de se retrancher derrière la prétendue immixtion du maître d'ouvrage, aucunement caractérisée en l'espèce.
Il convient d'observer que le contrat de collaboration commerciale signé le 15 septembre 2010 par la SCI Berta et la SARL Groupe Reitman Initial qui met à la charge de cette dernière certaines obligations dans le cadre de la supervision des travaux de rénovation de la villa "La Radieuse"est antérieur aux conventions conclues avec M. [J], en particulier à celle du 2 mars 2011 qui est très précise sur la mission de maîtrise d'oeuvre confiée à l'architecte.
Le fait pour la SARL Groupe Reitman Initial d'être un professionnel de l'immobilier ne lui confère pas une compétence notoire en matière de construction et il n'est pas démontré ses connaissances ainsi que des compétences techniques spécifiques en ce domaine.
S'agissant des interventions du mandataire du maître d'ouvrage, le courriel en date du 22 novembre 2010 relatif à la consultation des entreprises est dépourvu de pertinence, et ce d'autant que la mission de M. [J] était alors limitée au permis de construire. Le mail du 25 avril 2011 confirme le rôle de l'architecte pour l'établissement des plans, sans aucune entrave de la part la SARL Groupe Reitman Initial, laquelle ajoute "pour les réunions, je suis absolument d'accord avec vous, il faut les faire chaque semaine". Les quelques mails échangés au mois d'avril 2011 confirment la vigilance de la société conformément à ce que le maître d'ouvrage attendait d'elle mais il ne saurait en être déduit des actes positifs d'ingérence fautifs, qui plus est en lien causal avec la survenance des désordres. La preuve d'une immixtion fautive ayant empêché M. [J] d'accomplir son obligation de conseil, de suivi et de direction du chantier fait défaut. Les appréciations de l'expert sont à cet égard sans incidence et dénuées de toute portée juridique. Il convient, en outre, d'observer que l'architecte a facturé la direction des travaux pour un montant de 14'400 euros HT dans sa situation d'honoraires en date du 3 avril 2012.
L'argumentation de l'architecte concernant l'absence de souscription d'une assurance dommages ouvrage est inopérante.
Les manquements de l'architecte ont contribué au préjudice subi par la SCI Berta, ce dont il résulte que sa responsabilité contractuelle est engagée.
Sur la garantie de l'assureur
La société Axa France Iard dénie sa garantie et sollicite sa mise hors de cause. Elle invoque les clauses du contrat d'assurance.
En l'espèce, le contrat d'assurance signé le 9 mai 2011 par la société Design Italien comprend des conditions particulières et des conditions générales dont un exemplaire a été remis à l'assurée.
La garantie Responsabilité civile du chef d'entreprise avant ou après réception de travaux figure au contrat.
L'article 2.17 des conditions générales, relatif à la responsabilité civile pour préjudices causés aux tiers indique, au titre de la garantie de base, que l'assureur s'engage à prendre en charge les conséquences pécuniaires de la responsabilité incombant à l'assuré à raison de préjudices causés aux tiers, ne consistant pas en dommages construction, dommages matériels intermédiaires, dommages matériels ou dommages immatériels visés aux articles 2.8, 2.9, 2.10, 2.12, 2.13, 2.14, et 2.15 qui précèdent, par son propre fait ou par le fait notamment de : ses travaux de construction, ses préposés, ses locaux professionnels permanents et des locaux ou baraques à caractère provisoire ou caravanes utilisés temporairement sur le chantier d'une opération de constructions notamment comme bureaux, ses travaux d'entretien ou de maintenance, sans création d'ouvrages neufs, lorsque ces travaux relèvent du domaine de l'activité garantie, ses travaux réalisés dans le cadre des activités garanties, mais ne relevant pas de travaux de construction, par extension à l'objet du contrat.
Sont notamment couverts par cette garantie : les dommages materiels ou corporels, les dommages corporels consécutifs à des dommages relevant d'autres garanties du contrat acquises ou non, les dommages immateriels consécutifs à des dommages corporels ou matériels garantis par ce contrat, les dommages immatériels non consécutifs, les dommages résultant d'une atteinte à l'environnement accidentelle ou non, lorsqu'ils surviennent après réception des travaux, les dommages résultant d'intoxication alimentaire provoquée par l'absorption d'aliments servis à autrui ou aux préposés de l'assuré, les dommages découlant des activités du service médico-social de l'entreprise, les dommages matériels ou corporels résultant du fonctionnement du comité d'entreprise ou des comités d'établissement.
L'article 2.18 définit les exclusions applicables à la garantie de l'article 2.17, et ce en caractères gras et apparents, qui plus est dans un encadré plus foncé.
C'est ainsi que sont exclus à l'article 2.18.15 les dommages affectant les travaux de l'assuré réalisés en propre ou donnés en sous-traitance, à l'article 2.18.13 les dommages résultant de litiges et préjudices afférents aux frais, honoraires et facturation de l'assuré, à l'article 2.18.18 les dommages immatériels résultant du nonrespect d'une date, d'un planning ou d'une durée que l'assuré s'est engagé à respecter (sauf événement soudain et fortuit).
Il est mentionné aux conditions particulières, signées par la société Design Italien, qu'elles sont jointes aux conditions générales, à l'annexe protection juridique et à la nomenclature FFSA, dont le souscripteur reconnaît avoir reçu un exemplaire, ces pièces constituant le contrat d'assurance.
Les conditions générales sont opposables à l'assuré et il n'est pas prévu dans les conditions particulières l'existence de clauses dérogatoires qui prévaudraient sur les conditions générales. De même, il n'est pas établi que les conditions particulières sont inconciliables ou incompatibles avec les conditions générales.
L'article 2.17 précité suit le titre "Les assurances de la responsabilité civile du chef d'entreprise avant ou après réception de travaux". Il s'ensuit que l'argumentation de la SCI Berta relative aux dommages avant réception prévus aux conditions particulières ne peut prospérer. L'appelante qualifie tout aussi vainement l'abandon de chantier comme un événement soudain et fortuit et l'assureur fait valoir, à juste titre, que cet abandon ne constitue pas un événement aléatoire et accidentel.
La garantie de la société Axa France Iard n'est donc pas mobilisable s'agissant des dommages construction qui affectent la villa en raison des travaux de construction de son assurée, des sommes trop versées par la SCI Berta à la société Design Italien, et des pénalités de retard.
Il convient, dès lors, d'infirmer le jugement sur les condamnations prononcées à l'encontre de de la société Axa France Iard.
Est sans objet, au regard des considérations qui précèdent et de l'absence de désignation d'un mandataire ad hoc, l'appel incident sur le partage de responsabilité retenu à hauteur de 85 % pour la société Design Italien et de 15 % pour M. [J], dans le cadre de la contribution à la dette entre cobligés.
Sur l'indemnisation
La SCI Berta n'a pas fait désigner de mandataire ad hoc, ce dont il résulte que ses demandes de fixation de créances au passif de la liquidation judiciaire de la société Design Italien, procédure clôturée, sont irrecevables.
La SCI Berta sollicite l'infirmation du jugement sur le montant des travaux de reprise et la condamnation de M. [J] et de son assureur à verser la somme de 742 624,36 euros, sans toutefois produire d'éléments probants pertinents de nature à écarter l'évaluation de l'expert, circonstanciée et fixée à la somme de 152 460 euros HT. D'ailleurs, Mme [G] a relevé l'absence de devis communiqués par les parties et le devis GMT Azur en date du 21 mai 2014 fourni par la SCI Berta ne peut justifier les prétentions de cette dernière. Le jugement sera donc confirmé sur la condamnation prononcée à l'encontre de M. [J] et de son assureur à hauteur de la somme de 152 460 euros.
En revanche, l'architecte et son assureur ne saurait être condamnés au paiement de la somme de 255 326,47 euros au titre du trop-perçu par la société Design Italien pour des travaux non réalisés en l'absence de tout lien imputabilité dûment démontré entre les manquements de l'architecte et la somme réclamée.
L'appelante critique également le rejet de sa demande au titre du préjudice de jouissance et sollicite l'octroi d'une somme de 150'000 euros. Cependant, aucun élément ne vient établir que la villa était destinée à la location, que ce soit dans les documents contractuels, les courriels échangés et les procès-verbaux de constat d'huissier établis en 2012. L'attestation de l'agence Taylor en date du 27 mars 2014 est insuffisante à cet égard et la SCI Berta s'abstient de produire un contrat de location. Enfin, les évaluations de l'agence Ford's, dont le gérant est M. [H], sont dépourvues d'objectivité. Par suite, l'existence et a fortiori le montant du préjudice allégué ne sont pas démontrés.
La SCI Berta sollicite la somme de 548'000 euros titre des pénalités de retard. Le contrat de rénovation et de restructuration d'une maison individuelle lot 1 "maçonnerie - cloisonnement - doublage – étanchéité" en date du 7 décembre 2010, non signé par l'architecte, prévoit à l'article 7 des pénalités sur éventuel retard de livraison du chantier (si n'est pas causé par un retard de paiement ou modification de planning) de 500 euros par jour retardé. Cependant, les parties ont convenu d'autres travaux "démolitions", "électricité, chauffage, plomberie"le 21 décembre 2010 , puis de travaux dans l'intérieur et à l'extérieur de la villa le 14 avril 2011 et ces devis ne mentionnent pas de pénalités de retard. La SCI Berta n'a effectué aucune réclamation au titre du retard de livraison pendant l'exécution du chantier et a adressé le 16 avril 2012, par l'intermédiaire de son mandataire, un courrier à la société Design Italien en vue de la réception des ouvrages. Le premier juge a relevé, avec pertinence, que l'entreprise a indiqué le 25 avril 2012 qu'elle arrêtait de travailler sur le chantier et qu'elle ne facturait pas les travaux non réalisés. La demande, au titre des pénalités de retard, formée à l'encontre de l'architecte et de son assureur n'est pas fondée et ne peut donc être admise.
Sur les autres demandes
Le recours en garantie de M. [J] et de la MAF à l'encontre de la société Axa France Iard ne saurait prospérer puisque la garantie de l'assureur n'est pas mobilisable.
Les condamnations prononcées in solidum à l'encontre de M. [J] et de la MAF au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens seront confirmées. Au regard du sens de la présente décision, il n'y a pas lieu de répartir la charge définitive des frais irrépétibles et des dépens à hauteur d'un tiers.
La SCI Berta sera condamnée à verser à la société Axa France Iard une indemnité au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par défaut, par mise à disposition de la décision au greffe,
Dans les limites de la saisine de la cour,
Confirme le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à la fixation de la créance de la SCI Berta au passif de la SARL Design Italien, aux condamnations prononcées à l'encontre de la société Axa France Iard et à la répartition de la charge définitive des frais irrépétibles et des dépens à hauteur d'un tiers ;
Déclare irrecevables les demandes de la SCI Berta de fixation de créances au passif de la SARL Design Italien ;
Déboute la SCI Berta de ses demandes à l'encontre de la société Axa France Iard ;
Déboute M. [J] et la société Mutuelle des architectes français du surplus de leurs demandes ;
Y ajoutant,
Condamne la SCI Berta à verser à la société Axa France Iard la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la SCI Berta, M. [J] et la Mutuelle des architectes français aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.