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CA Rouen, 1re ch. civ., 25 septembre 2024, n° 23/00794

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 23/00794

25 septembre 2024

N° RG 23/00794 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JJZA

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

19/00102

Tribunal judiciaire de Rouen du 25 janvier 2023

APPELANTE :

SCI EMCHIR

RCS de Rouen 449 400 035

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée et assistée par Me Pascal MARTIN-MENARD de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau du Havre

INTIMEES :

SCCV [Adresse 12]

RCS de Rouen 792 100 281

[Adresse 6]

[Localité 5]

représentée et assistée par Me Pierre-Xavier BOYER de la SELARL AUDICIT, avocat au barreau de ROUEN

SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DE LA RESIDENCE [Adresse 12] représenté par son syndic FONCIA

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté et assisté par Me Jérôme VERMONT de la SELARL VERMONT TRESTARD & ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 26 juin 2024 sans opposition des avocats devant Mme WITTRANT, présidente de chambre, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l'audience publique du 26 juin 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 septembre 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 25 septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Par acte du 14 mai 2013, la Sccv [Adresse 12] a acquis une maison d'habitation à [Localité 5] sur une parcelle cadastrée section AO n°[Cadastre 3]. Elle a souhaité édifier un immeuble collectif à usage commercial et d'habitation comprenant trois locaux commerciaux et trente-trois logements. Le permis de construire a été accordé le 27 mai 2015.

Par lettre recommandée du 11 juin 2018, la Sci Emchir a adressé une lettre recommandée à la Sccv [Adresse 12] faisant état d'un trouble anormal de voisinage lié à la construction de l'immeuble.

Par acte du 7 janvier 2019, la Sci Emchir a fait assigner la Sccv [Adresse 12] ainsi que le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] représenté par son syndic, la Sas Lagadeuc, devant le tribunal de grande instance de Rouen.

Par jugement du 25 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Rouen a :

- déclaré la Sci Emchir recevable en ses demandes formées à l'encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] ;

- débouté la Sci Emchir de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la Sci Emchir à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12], la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Sci Emchir aux dépens ;

- rejeté toute autre demande ;

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration reçue au greffe reçue le 2 mars 2023, la Sci Emchir a formé appel de la décision.

Par ordonnance d'incident du 13 février 2024, le conseiller de la mise en état a :

- rejeté la demande de transport sur les lieux formée par la Sci Emchir ;

- débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- décidé que le sort des dépens de l'incident suivra celui des dépens de l'instance au fond.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 20 juin 2024, la Sci Emchir demande à la cour de :

- avant dire droit, ordonner un transport sur les lieux d'un membre de la formation de jugement, afin de prendre une connaissance personnelle des faits litigieux, en présence des parties et/ou de leur représentant, en vue notamment d'examiner les deux ensembles immobiliers considérés et le quartier dans lequel ils sont implantés, et d'une manière générale recueillir toutes circonstances de fait utile à la solution du litige ; d'apprécier la réalité des désordres affectant l'ensemble immobilier appartenant à la Sci Emchir, en vue de permettre à la cour de déterminer notamment si les occupants de cet immeuble subissent des nuisances visuelles, une privation de vue, une perte d'ensoleillement ou de lumière, des préjudices esthétiques, des atteintes à leur intimité, des privations de jouissances ou des nuisances sonores ; dresser procès-verbal de ses constations et appréciations ;

- infirmer le jugement entrepris en ces dispositions ayant :

. débouté la Sci Emchir de l'ensemble de ses demandes ;

. condamné la Sci Emchir à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12], la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

. condamné la Sci Emchir à payer à la Sccv [Adresse 12], la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

. condamné la Sci Emchir aux entiers dépens ;

- débouter la société [Adresse 12] de l'intégralité de ses demandes ;

- débouter le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner in solidum la Sccv [Adresse 12] et le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] représentée par son syndic en exercice à payer à la Sci Emchir une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance résultant des troubles anormaux de voisinage ;

- condamner in solidum la Sccv [Adresse 12] et le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] représentée par son syndic en exercice à payer à la Sci Emchir une somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de valeur vénale de son bien, résultant des troubles anormaux de voisinage ;

- condamner in solidum la Sccv [Adresse 12] et le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] représentée par son syndic en exercice à payer à la Sci Emchir une somme de 14 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum la Sccv [Adresse 12] et le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] représentée par son syndic en exercice aux dépens, incluant les frais de l'expertise judiciaire, dont distraction au profit de la Scp Emo Avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

À titre liminaire, alors qu'elle estime que les intimés entendent alimenter la confusion sur la configuration des lieux et les conséquences de la construction, elle soutient qu'un simple transport sur les lieux permettrait à la juridiction d'appréhender rapidement et le plus simplement qui soit, la situation de fait objet du litige.

Sur la recevabilité de sa demande, et en réplique à l'argumentaire du syndicat des copropriétaires qui conteste tout ou partie de la recevabilité des demandes formulées à son encontre selon que le fait générateur et le siège des troubles de voisinage relèveraient des parties communes ou privatives, elle prétend que l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 entrée en vigueur à compter du 1er juin 2020 pose un principe de responsabilité à l'encontre de la copropriété, à raison notamment du trouble anormal de voisinage, de sorte que le syndicat des copropriétaires ne pourrait tirer prétexte d'une modification de l'article 14 pour contester sa responsabilité.

Elle allègue que les nuisances visuelles et la privation de vue, la perte d'ensoleillement et de lumière, le préjudice esthétique, les troubles lumineux en raison de l'éclairage commun du parking, engagent la responsabilité du syndicat des copropriétaires. Elle ajoute qu'il en est de même pour l'atteinte à l'intimité et la privation de jouissance du jardin, qui procèdent d'éléments collectifs et précise que si les fenêtres sont privatives, les balcons et terrasses donnant directement sur sa propriété sont des parties communes.

Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle affirme que même les nuisances sonores constituent des troubles anormaux de voisinage engageant la responsabilité de la copropriété, puisqu'elles résultent de parties communes du bâtiment affectées au service commun : portillon d'accès, aires de circulation et de stationnement, portails sur rue, aire d'ordures ménagères.

Pour contrer les développements du syndicat des copropriétaires, qui considère qu'aucun reproche ne pourrait être formulé à son encontre puisque les faits de l'espèce seraient exclusifs d'un quelconque vice de construction ou défaut d'entretien de ses parties communes, elle rappelle, d'une part, que le syndicat des copropriétaires est soumis aux dispositions de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 dans sa rédaction entrée en vigueur au 1er juin 2020, compte tenu des règles d'application de la loi dans le temps, et d'autre part, que la responsabilité spéciale du syndicat des copropriétaires prescrite par ledit article 14 n'est pas exclusive de celle qu'il encourt selon les règles du droit commun.

Elle rappelle que l'expert judiciaire a décrit et détaillé différentes gênes en raison de la construction litigieuse, à savoir, une distance raccourcie entre les deux constructions, des gênes visuelles, une covisibilité depuis l'immeuble du Carré d'Or, des gênes sonores, la perte de luminosité et d'ensoleillement, une impression de confinement ; il a conclu à une perte de valeur vénale de sa propriété de 70 000 euros imputable à la construction de la résidence du [Adresse 12]. Elle affirme en conséquence qu'elle démontre l'anormalité des troubles de voisinage justifiant la mise en jeu de la responsabilité des intimés.

Rappelant que l'objet de l'expertise était de déterminer si, dans le contexte de densification urbaine mis en avant par la Sccv [Adresse 12], il était permis d'objectiver des troubles anormaux de voisinage, elle indique qu'il résulte des constatations de l'expert que l'urbanisation du quartier n'était d'aucune incidence sur le voisinage, à la différence de la construction litigieuse. Elle précise que les dimensions de l'immeuble collectif construit par la Sccv [Adresse 12], son implantation pratiquement mitoyenne, sa hauteur, la multitude de lots et le nombre de fenêtres et balcons, provoquent des troubles anormaux de voisinage qui se caractérisent par un préjudice esthétique, des nuisances visuelles, une privation de vue, une atteinte à l'intimité, une privation de jouissance de pièces de vie et du jardin et une perte d'ensoleillement.

Pour considérer qu'elle subit un préjudice actuel et certain de jouissance et de perte de valeur vénale de son bien, elle indique qu'il n'y a pas de travaux qui puissent solutionner ou amoindrir les désordres occasionnés par la construction de la résidence [Adresse 12].

Au titre du préjudice de jouissance, pour solliciter la somme de 50 000 euros, elle relève que la valeur locative de la propriété avant la construction incriminée était d'au moins 1 500 euros par mois, soit 18 000 euros par an ; que l'ampleur et la variété des troubles de toutes natures subis quotidiennement se traduisent par une perte de jouissance pouvant être évaluée au tiers de l'agrément résultant du cadre de vie de la maison, soit un préjudice estimé à concurrence de 500 euros par mois, soit

6 000 euros par an.

Au titre de la perte de valeur vénale, elle fait valoir que le préjudice est au moins égal à la valeur de la perte estimée à 70 000 euros.

Alors que la société [Adresse 12] a conclu à titre subsidiaire à un partage de responsabilité en invoquant une faute de la Sci Emchir, elle rappelle que l'auteur d'un trouble anormal de voisinage est responsable de plein droit du préjudice causé à la victime et que l'auteur du trouble ne peut utilement s'exonérer en invoquant son absence de faute, l'exercice légitime d'un droit, et en particulier le respect de dispositions légales et l'absence de toute intention de nuire, l'existence d'une servitude, le fait d'un tiers, la force majeure, ou encore, une autorisation administrative, notamment un permis de construire même définitif.

Même si la Sccv [Adresse 12] fait valoir que le projet a été présenté avant réalisation à la Sci Emchir, par son ancien gérant accompagné de son maître d'oeuvre, elle souligne qu'à cette occasion n'ont été présentés que quelques dessins d'architecte sans aucune relation avec le positionnement de l'immeuble par rapport à la maison de la Sci ; que M. [X] avant demandé à M. [G] de bien vouloir lui transmettre une perspective de l'immeuble à partir de sa maison, mais qu'aucune communication n'a jamais été faite et que ce n'est qu'après édification de l'immeuble qu'ils ont réalisé les conséquences qui en résultaient.

Par dernières conclusions notifiées le 12 juin 2024, la Sccv [Adresse 12] demande à la cour, au visa des articles 544 du code civil et 700 du code de procédure civile, de :

- déclarer la Sci Emchir mal fondée en son appel ;

- l'en débouter ainsi que de l'intégralité de ses demandes ;

- dire n'y avoir lieu à un transport sur les lieux, et en conséquence débouter la Sci Emchir de sa demande avant dire droit d'ordonner un transport sur les lieux ;

- débouter le cas échéant l'ensemble des demandes de toute autre partie ;

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

À titre liminaire, sur la demande de transport sur les lieux formulée par la Sci Emchir, elle soutient que celle-ci méconnaît la portée de la décision du conseiller de la mise en état qui l'a rejetée, et ajoute qu'un transport sur les lieux n'est pas nécessaire dans la mesure où les pièces produites sont manifestement suffisantes pour que la cour puisse statuer, d'autant plus qu'une expertise judiciaire a été diligentée sur place.

À titre principal, sur l'absence de trouble anormal de voisinage, elle relève que le caractère anormal du trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage doit s'apprécier en fonction de l'environnement, et notamment en fonction du secteur dans lequel sont édifiées les constructions litigieuses. Elle précise en l'espèce que la propriété de la Sci Emchir se situe en zone urbaine du PLUi et même en zone UAB depuis que le nouveau PLUi a été approuvé par la Métropole Rouen Normandie, de sorte que la propriété litigieuse est donc située dans un environnement urbain de forte densité. Ainsi, elle fait valoir que dans un tel secteur où la prévisibilité de l'édification de nouvelles constructions est évidente, la situation d'un immeuble existant et son environnement ne peuvent pas être immuables, et faire l'objet de droit acquis.

Elle souligne le fait que l'ensoleillement, ainsi que la vue dont bénéficiait la Sci Emchir, représentaient un avantage nécessairement précaire compte tenu du contexte de densification urbaine et que la perte d'ensoleillement alléguée, et qu'estime subir l'appelante, n'apparaît donc pas anormale au regard de l'environnement dans lequel se situe sa propriété.

Concernant la perte d'intimité avancée par la Sci appelante, elle prétend que l'existence de nuisances visuelles et privation de vue ne présentent également pas de caractère anormal au regard du contexte de densification du tissu urbain dont la commune de [Localité 5] fait l'objet, puisque d'autres immeubles à usage d'habitation ont été édifiés aux abords de la [Adresse 15], en vis-à-vis direct des propriétés avoisinantes.

Elle ajoute que la perte d'intimité ne constitue pas un trouble anormal de voisinage puisque, d'une part, l'expert judiciaire indique que cette perte semble limitée pour les surfaces intérieures, et d'autre part, les clichés photographiques prises depuis l'immeuble en litige montrent que seuls les lots situés au troisième étage semblent avoir partiellement vue sur le jardin de la propriété de la Sci Emchir ce qui, dans un contexte, d'urbanisation, n'apparaît pas comme constitutif d'un trouble anormal.

S'agissant des troubles sonores, elle allègue que rien n'établit ni l'existence de gênes sonores, ni le caractère anormal de celles-ci du fait de leur intensité et/ou de leur répétition.

Elle prétend que l'appelante ne peut utilement invoquer le fait que l'immeuble en litige provoquerait pour elle un préjudice esthétique, puisqu'il ressortirait des photographies que l'architecture de l'immeuble est conforme et en adéquation avec celle des nouvelles constructions édifiées à proximité.

À titre subsidiaire, sur les demandes indemnitaires, elle demande leur réduction dès lors que concernant le préjudice de jouissance, il résulte du rapport définitif du

7 décembre 2020 que l'expert judiciaire s'est cantonné à comparer la situation antérieure et postérieure à la construction de l'immeuble en litige pour évaluer l'anormalité des troubles, et qu'il n'a par conséquent pas pris en compte le contexte d'urbanisation pour se prononcer sur l'anormalité du préjudice.

De manière générale, elle relève qu'il n'existe aucun préjudice certain depuis l'intérieur de l'habitation, de sorte que l'estimation du préjudice avancée par la Sci Emchir est surévaluée et disproportionnée compte tenu des préjudices soulevés dans un contexte de densification du tissu urbain.

Pour affirmer que la Sci appelante a eu connaissance en avance des caractéristiques de l'immeuble projeté et par voie de conséquence des inconvénients de voisinage (normaux) qu'il était susceptible d'entraîner, elle soutient que dans le cadre de sa mission M. [G], architecte, a rencontré à plusieurs reprises M. [X], gérant de la Sci Emchir, afin de lui présenter le projet et recueillir ses éventuelles remarques, et que lors d'une première réunion en date du 13 mars 2015, ce dernier n'a 'pas formulé d'objections ou de demande particulière de modification'.

Par dernières conclusions notifiées le 31 mai 2024, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a reconnu recevable l'action de la Sci Emchir à l'encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] ;

en conséquence ;

- déclarer irrecevable l'action de la Sci Emchir à l'encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] et de la rejeter ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la Sci Emchir et toute autre partie, de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] ;

- débouter la Sci Emchir de toutes ses demandes, fins et conclusions et le cas échéant toute autre partie ;

à titre subsidiaire,

- condamner la Sccv [Adresse 12] à relever et garantir intégralement le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] de toute éventuelle condamnation tant en principal, frais qu'accessoires susceptibles d'être prononcée à son encontre par la cour,

- condamner la Sci Emchir et à défaut la Sccv [Adresse 12] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

À titre préalable, sur la demande de transport sur les lieux, il rappelle que cette demande a déjà été tranchée par le conseiller de la mise en état, et considère que le fait que la Sci Emchir estime ne pas voir produit d'éléments pour prouver un fait ou un ensemble de faits se rapportant à la configuration des lieux est de nature à établir sa carence dans l'administration de la preuve qui ne saurait être palliée par un transport sur les lieux de la cour ; que le cas échéant, la Sci appelante a la faculté de produire un procès-verbal de constat complémentaire qui constituerait un état des lieux de l'ensemble du quartier ou plus exactement des avoisinants de l'habitation dont elle est propriétaire, pouvant utilement et de manière complémentaire porter à la connaissance de la cour la configuration du site sur laquelle elle prétend qu'il y aurait une confusion.

Pour solliciter la réformation du jugement en ce qu'il a reconnu comme recevable l'action de la Sci Emchir à son encontre sur le fondement des dispositions de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965, il prétend que le tribunal ne pouvait fonder sa décision sur cette disposition en prenant en considération une version inapplicable.

Rappelant que dans sa version antérieure au 1er juin 2020, l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 envisage l'éventuelle responsabilité du syndicat des copropriétaires vis-à-vis des copropriétaires ou des tiers qu'à raison d'un vice de construction ou d'un défaut d'entretien des parties communes, il indique que ni la Sci Emchir ni la Sccv [Adresse 12] n'ont invoqué dans le cadre de l'expertise judiciaire, mais également dans le cadre de la procédure de première instance, un quelconque vice de construction ou défaut d'entretien des parties communes.

Faisant sienne la motivation développée par le tribunal, il sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris et le rejet des demandes indemnitaires formulées à son encontre.

À titre subsidiaire, dans l'hypothèse d'une condamnation, il s'estime fondé à obtenir recours intégral à l'encontre de la Sccv [Adresse 12] puisque le fait générateur des troubles allégués résulte exclusivement de l'opération immobilière qu'elle a réalisée.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 26 juin 2024.

MOTIFS

Sur la demande de transport sur les lieux

Sur la recevabilité de la demande

En application de l'article 914 du code de procédure civile, en son troisième alinéa, les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel, sur la caducité de celui-ci ou sur l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910 et 930-1 ont autorité de la chose jugée au principal.

Il en résulte que les ordonnances qui ne portent pas sur l'examen d'une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel, de la caducité de celui-ci ou sur l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910 et 930-1 du code de procédure civile ne bénéficie pas de l'autorité de la chose jugée au principal.

En l'espèce, lors de la mise en état de l'affaire, la Sci Emchir a saisi le conseiller de la mise en état compétent par conclusions d'incident du 28 novembre 2023 d'une demande de transport sur les lieux, laquelle a été rejetée par ordonnance du 13 février 2024.

Or, une telle ordonnance n'étant pas revêtue de l'autorité de la chose jugée, rien n'interdit à la Sci Emchir de formulée la même demande devant la cour.

Sur l'opportunité de la demande

L'article 179 du code de procédure civile dispose que le juge peut, afin de les vérifier lui-même, prendre en toute matière une connaissance personnelle des faits litigieux, les parties présentes ou appelées. Il procède aux constatations, évaluations, appréciations ou reconstitutions qu'il estime nécessaires, en se transportant si besoin est sur les lieux.

Sans développer de plus amples moyens, la Sci Emchir maintient sa demande de transport sur les lieux en soutenant que les intimés alimentent la confusion sur la configuration des lieux et les conséquences de la construction, alors que l'expertise judiciaire avait pourtant pour objet d'objectiver en toute impartialité.

Par ordonnance du 28 mai 2019, le tribunal de grande instance de Rouen a donné mission à M. [D], expert judiciaire, de :

'- convoquer les parties et se rendre sur les lieux,

- examiner les deux ensembles immobiliers considérés, décrire le quartier dans lequel ils sont implantés et collecter les informations sur les règles d'urbanisme applicables dans cette commune,

- réunir tous les documents utiles,

- apprécier la réalité des désordres affectant l'ensemble immobilier appartenant à la Sci Emchir, les décrire, les examiner, en rechercher les causes et déterminer notamment si les occupants de cet immeuble subissent des nuisances visuelles, privation de vue, perte d'ensoleillement ou de lumière, des préjudices esthétiques, des atteintes à leur intimité des privations de jouissances ou des nuisances sonores,

- déterminer les travaux nécessaires pour remédier aux désordres et en évaluer précisément le coût hors taxes et toutes taxes comprises,

- déterminer si ces désordres ont pu induire une perte de valeur vénale de l'immeuble appartenant à la Sci Emchir,

- émettre tous avis de nature à éclairer le tribunal.'

L'expert a déposé son rapport le 7 décembre 2020, lequel a été versé aux débats qui se sont tenus devant la cour.

Pour soutenir à la fois son action fondée sur le principe général de responsabilité pour les nuisances causées au voisinage, et ses demandes indemnitaires, la Sci Emchir produit :

- un extrait de plan cadastral de la zone où se situent les biens objets du litige,

- un état descriptif de division des lots et le règlement de copropriété de l'immeuble contesté,

- des dizaines de planches photographiques des immeubles litigieux, et de leurs alentours,

- des plans matérialisant les distances entre l'immeuble de la Sci Emchir et ceux l'avoisinants,

- un procès-verbal de constat établit le 17 août 2018 par Me [R], huissier de justice, auquel est annexé d'autres planches photographiques prises depuis le domicile de la Sci Emchir,

- et des attestations établies en mai 2023.

Ainsi, la Sci Emchir a utilement complété son dossier par un ensemble de pièces permettant de présenter à la juridiction les caractéristiques des ensembles immobiliers litigieux et leur environnement immédiat.

En revanche, si la Sci Emchir estimait que les constatations effectuées par

M. [D], expert judiciaire, n'étaient pas suffisantes notamment pour permettre à la cour d'apprécier concrètement l'environnement urbain entourant l'immeuble de la Sci, il appartenait à cette dernière d'en aviser le technicien désigné, et de procéder à l'établissement des preuves qu'elle estimait utiles, le juge n'ayant pas à suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve.

La demande de transport sur les lieux formulée par la Sci Emchir sera rejetée.

Sur la recevabilité de l'action de la Sci Emchir à l'encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12]

Les parties restreignent leur discussion sur l'application dans le temps des dispositions de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965, modifiées par l'ordonnance du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis.

Dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 30 octobre 2019, l'article 14 alinéa 5 de la loi du 10 juillet 1965 disposait que le syndicat est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers par le vice de construction ou le défaut d'entretien des parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires.

À la suite de l'ordonnance précitée, les dispositions de l'article discuté énonce que le syndicat est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers ayant leur origine dans les parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires.

L'article 41, V° de l'ordonnance du 30 octobre 2019 a prévu que les dispositions nouvelles de la loi du 10 juillet 1965sont entrées en vigueur le 1er juin 2020.

Ainsi, s'agissant d'une instance initiée par acte d'huissier du 7 janvier 2019, liée à un fait dommageable dénoncé le 11 juin 2018, c'est effectivement, comme relevé par les intimées, les dispositions de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 antérieures à l'ordonnance du 30 octobre 2019 qui sont applicables à la cause.

Pour autant, si l'article discuté par les parties prévoit un régime de responsabilité spéciale du syndicat de copropriétaires, quelle que soit sa version applicable. Il n'en demeure pas moins que la responsabilité du syndicat peut également être engagée sur le fondement du droit commun au titre de l'article 1240 du code civil en vertu duquel tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

La responsabilité du syndicat de copropriétaires au titre de la loi de 1965 n'est donc pas exclusive de l'application du droit commun.

La Sci Emchir fonde son action à l'encontre de la Sccv [Adresse 12] et du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] sur les troubles anormaux de voisinage en visant les articles 544 et 1240 du code civil.

L'action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extra-contractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l'immeuble à l'origine du trouble, responsable de plein droit.

L'action est dès lors recevable à l'encontre du syndicat des copropriétaires, le jugement étant confirmé de ce chef.

La recevabilité de l'action dirigée contre la Sccv [Adresse 12] n'est pas discutée.

Sur le trouble anormal de voisinage

La charge de la preuve de l'existence du trouble et de son anormalité incombe à celui qui s'en prévaut.

La Sci Emchir reprend dans ses conclusions en page 9 comme suit les constatations de l'expert judiciaire :

'- une distance raccourcie entre les deux constructions,

- des gênes visuelles,

- une covisibilité depuis l'immeuble du Carré d'Or,

- des gênes sonores,

- la perte de luminosité et d'ensoleillement,

- et une impression de confinement.'

Sur la distance entre les ensembles immobiliers

Tel que relevé par l'expert, notamment en page 8 de son rapport, 'le bien étudié profite d'une situation centrale au sein d'une commune résidentielle recherché des plateaux nord de l'agglomération rouennaise. Abstraction faite de son rattachement à [Localité 5], l'emplacement reste d'appréciation intermédiaire conjuguant aux atouts de sa centralité (commercialité, bonne accessibilité), une identité urbaine en profonde mutation. Si les constructions anciennes restent de mises en portion nord du bien, l'environnement bâti en portion sud marque le pas d'une urbanisation de plus en plus marquée.'

Ainsi, l'immeuble de la Sci Emchir se situe au coeur de la commune de [Localité 5] qui connaît ces dernières années de profondes mutations urbanistiques en lien avec son attractivité croissante.

En effet, l'expert a notamment relevé que '[Localité 5] est une commune résidentielle appréciée des plateaux nord de la métropole rouennaise. Située à 1h30 de [Localité 14], elle profite d'un accès aisé par l'autoroute à [Localité 14], [Localité 10], [Localité 13], [Localité 11] (et donc l'Angleterre), [Localité 7], ainsi que de la proximité avec l'aéroport de [Localité 9] et des principales instances régionales (préfecture, directions régionales et départementales, conseil région et général). Cette desserte est complétée également par les transports en commun rouennais avec la ligne T2 du Teor, les lignes régulières F2, 40 et 20 permettant de rejoindre le centre rouennais.'

Plus précisément, s'agissant de la [Adresse 15], où se situent les ensembles immobiliers litigieux, M. [D] a indiqué qu'elle 'est une voie majeure de la métropole rouennaise, partant de [Localité 4] et traversant plusieurs villes des plateaux nord dont [Localité 5] et [Localité 8]. L'immeuble étudié est implanté à environ

300 mètres au nord-est de la mairie dans un secteur proche, au regard de la distance, du coeur de la commune [...].'

De ce fait, l'intégration des parcelles sur lesquelles les immeubles objets du litige sont implantés en zone UD du Plan Local d'Urbanisme de la commune de [Localité 5], approuvé le 17 janvier 2008 et applicable aux parcelles litigieuses, se justifie par une densification du tissu urbain de la commune concernée en lien avec son attractivité et sa localisation avantageuse.

Le zone UD correspond, comme a pu le retenir l'expert, a 'une zone située au coeur de la ville, constituée d'un tissu urbain discontinu devant évoluer vers un tissu urbain plus structuré, afin d'exprimer la centralité. Cette zone est affectée principalement à l'habitat collectif, aux équipements publics, aux commerces et services de proximité.'

Le PLU en vigueur interdisait toutes constructions et installations qui, par leur nature, leur importance ou leur aspect, seraient incompatibles avec le caractère du voisinage ou susceptibles de porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique et les constructions à usage industriel, d'entrepôt et agricole.

Il prévoyait également que l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives soient conformes aux distances définies comme suit :

'Toute construction non implantée sur la limite séparative doit réserver par rapport à cette limite une marge de recul au moins égale à la moitié de la hauteur de la construction, avec un minimum de 3 mètres pour le bâtiment principal et de 1,50 mètre pour les constructions annexes d'une superficie inférieure à 20 m².

Au droit de toute limite séparative jouxtant une zone différente, les constructions devront respecter les dispositions de celle dans laquelle les règles sont les plus contraignantes.

Les extensions des constructions existantes qui ne sont pas implantées conformément à ces dispositions, et les ouvrages techniques nécessaires au fonctionnement des services publics doivent s'inscrire sous un plan incliné à 45° issu d'une ligne parallèle au terrain naturel située en limite séparative à une hauteur de 3,50 mètres.'

Aucun élément versé aux débats ne permet d'établir concrètement la hauteur de l'immeuble construit par la Sccv [Adresse 12] et dès lors la distance nécessaire pour être régulière entre le bâti et la limite séparative des fonds.

En effet, l'expert évoque en page 20 de son rapport ces données : 'la hauteur annoncée de l'immeuble litigieux nous semble dépasser les 10 mètres [...]. L'immeuble s'étendant sur toute la longueur de la parcelle, la distance entre les saillies de l'immeuble et le pignon de la maison de la Sci Emchir évolue globalement au-delà de 8 mètres.'

Dans son procès-verbal de constat, Me [R], huissier de justice, constate que 'l'immeuble collectif se trouve entre 6m50 et 6m70 du mur séparatif et longe ce dernier sur toute sa longueur'.

En conséquence, à défaut de démonstration de la violation d'une règle applicable, l'argumentation tirée de l'implantation proche de l'immeuble de la Sccv [Adresse 12] ne peut prospérer.

Sur les nuisances visuelles

La Sci Emchir affirme souffrir de diverses gênes visuelles et d'une impression de confinement.

Si l'expert a pu indiquer en page 20 de son rapport que 'il est évident que la construction d'un immeuble en lieu et place d'une construction individuelle modifie l'environnement immédiat des fonds voisins', il convient de rappeler que dans un cadre urbain sujet à une évolution vers la construction d'habitat collectif, comme le permet le PLU en vigueur, la Sci Emchir ne peut invoquer un droit au maintien de son environnement antérieur.

Pour autant, M. [D] a relevé en page 21 de son rapport que 'les véritables gênes sont à rattacher à la hauteur plus élevée de la construction mais surtout à son emprise au sol : l'ancienne maison d'une dizaine de mètres de largeur a laissé place à un immeuble collectif de près de 60 mètres de linéaire. Contrairement à un produit individuel, la gêne visuelle s'étire tout le long du bâtiment.'

L'expert a constaté que 'suite aux constatations faites sur place, nous sommes en présence de gênes qui restent finalement et directement liées à la topographie de la résidence du [Adresse 12]. En lieu et place d'un rideau végétal, la Sci Emchir n'échappe pas à la profondeur et l'élévation de cette dernière.'

Certes le passage 'd'un rideau végétal' à l'immeuble de la Sccv [Adresse 12] est constitutif d'un trouble pour la Sci Emchir, qui voit son environnement direct dégradé. Toutefois, ce trouble ne peut relever de la qualification de trouble anormal dès lors que la zone où se situent les ensembles immobiliers en litige est une zone tendant à devenir fortement urbanisée, entraînant en conséquence une augmentation du nombre de bâtis et une réduction des espaces verts.

En outre, l'inesthétisme de l'immeuble de la Sccv [Adresse 12] ne saurait être soutenu par la Sci appelante comme relevant de la qualification d'un trouble anormal de voisinage, alors que cette dernière ne parvient pas à démontrer que la zone litigieuse et ses alentours arbore une certaine homogénéité esthétique des immeubles qui y sont implantés.

Sur la perte d'intimité

Tel que retenu par le tribunal, et comme relevé par l'expert, 'la maison étudiée se trouve directement soumise à la promiscuité d'un immeuble de plus de 11 mètres de haut et près de 60 mètres de long. Cet effet masse entame nécessairement les conditions d'occupation d'une maison principalement articulée autour de son jardin et de sa façade arrière [...].'

Les constatations effectuées tant par M. [D], lors des opérations d'expertise, que par Me [R], huissier de justice, lors de l'établissement de son procès-verbal de constat le 17 août 2018 montrent que plusieurs lots de la copropriété de la résidence [Adresse 12] ont une vue immédiate sur la propriété de la Sci Emchir, et plus particulièrement sur les pièces de vie de la maison (cuisine et séjour) et son jardin.

Pour considérer que les troubles subis par la Sci Emchir au titre d'une atteinte à l'intimité des occupants de l'immeuble ne relevait pas de la qualification de trouble anormal de voisinage, le premier juge a essentiellement retenu que la perte d'intimité était limitée.

Certes, la construction d'un immeuble collectif par la Sccv [Adresse 12] en lieu et place d'une maison individuelle, à proximité immédiate du bien de la Sci Emchir, ne saurait suffire à caractériser un trouble anormal de voisinage. Pour autant, l'immeuble collectif litigieux se trouve être pourvu de nombreuses fenêtres et balcons qui offrent une vue directe à la fois sur les pièces de vie de l'immeuble de la Sci Emchir, mais également sur son jardin, portant nécessairement atteinte à l'intimité des occupants de la maison et à leur possibilité de jouir de façon paisible de l'espace extérieur.

La Sccv [Adresse 12] conteste tout caractère anormal de la perte d'intimité aux motifs que d'autres immeubles à usage d'habitation ont été édifiés aux abords de la [Adresse 15], en vis-à-vis direct des propriétés avoisinantes. En effet, la production par les parties de diverses images aériennes de la zone où se situent les ensembles immobiliers litigieux permettent d'établir que le tissu urbanistique de leurs alentours a évolué par la construction de plusieurs immeubles collectifs. Pour autant, ces constructions ne rendent pas banale et acceptable la vue directe et immédiate sur la propriété d'autrui.

En effet, la situation actuelle de la résidence, un immeuble collectif dont plus d'une dizaine de fenêtres et balcons de lots différents donnent directement sur les pièces de vie et le jardin de l'appelante excède les inconvénients normaux du voisinage d'un centre ville en raison de la permanence et du nombre de vues sur l'espace de vie des voisins. Elle contribue à développer le sentiment d'être observé par les occupants de la résidence.

Ce trouble anormal doit être retenu au titre des motifs d'indemnisation de la Sci Emchir.

Sur les gênes sonores

L'expert a relevé que 'ne pouvant partir que de postulats passés pour la maison démolie mais aussi futurs pour les occupants de l'immeuble, nous insisterons sur le fait que d'une famille occupant l'ancienne maison à titre de résidence principale, le voisinage de la Sci Emchir sera désormais multiple avec près d'une vingtaine d'occupants en façade. Nous supposerons l'existence de nuisances sonores liées à la présence de surfaces extérieures (balcons) et d'un parking.'

Pour autant, en l'absence d'évaluation concrète et objective des troubles sonores que subiraient les occupants de la Sci Emchir en raison de la construction de l'immeuble de la Sccv [Adresse 12], aucun élément ne permet de caractériser un quelconque trouble anormal de voisinage au titre des gênes sonores. Les témoins ayant rédigé une attestation au soutien des intérêts de l'appelante n'évoquent pas de désagréments à ce titre.

Le trouble allégué ne peut être qualifié d'anormal en l'absence de preuve de son existence.

Sur la perte de luminosité et d'ensoleillement, l'impression de confinement.

L'expert, après l'intervention d'un sapiteur, a intégré dans ses conclusions les constatations de ce dernier. Il en ressort qu'à partir de 14 heures, la position de l'immeuble de la Sccv [Adresse 12] projette une ombre sur le bâtiment de la Sci Emchir. Le sapiteur a relevé que des pertes d'ensoleillement étaient manifestes en particulier au printemps et à l'automne, sans toutefois procéder à une quantification concrète des pertes évoquées.

Certes en réponse au dire de Me [O] du 25 novembre 2020, l'expert a précisé que 'Les arbres ayant été coupés depuis la construction de l'immeuble litigieux, la projection d'ombres de notre sapiteur n'a pas pu les intégrer.'

Toutefois, s'il n'est pas possible de comparer de façon objective la situation antérieure qui serait liée à la présence d'arbres sur la propriété voisine, compte tenu de l'obligation ou de la faculté de tailler, élaguer voire arracher des arbres, il est désormais constant que le bâtiment construit compromet tout horizon dégagé laissant passé lumière et soleil. Les conclusions de l'expertise mais également les photographies versées aux débats démontrent une modification essentielle dans l'environnement de la propriété de la Sci Emchir créant un trouble majeur dans les conditions de vie sur la propriété voisine et qui présente un niveau de gravité tel qu'il peut être qualifié d'anormal puisque la plus longue partie de la journée même par beau temps se déroule à l'ombre du bâtiment.

L'expert relève d'ailleurs que 'sans amoindrir l'impact visuel d'une nouvelle construction sur toute la longueur de la parcelle voisine, il nous semble que l'ancienne haie, doublée du mur de clôture, limitait toute échappée visuelle du moins jusqu'à une hauteur de 2/3 mètres. Ce constat s'avère toujours d'actualité mais uniquement pour la visibilité réciproque du rez-de-chaussée.'. Désormais, l'obstacle est un bâtiment de plus de dix mètres de hauteur générant de façon objective le sentiment d'un jardin désormais enclavé dans les constructions.

Les attestations versées aux débats et rédigés conformément aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, émanant de proches mais également d'un tiers décrivent de façon circonstanciée les conséquences de l'implantation de l'immeuble à ce titre.

Ces troubles par leur anormalité justifient pleinement une indemnisation de l'appelante pour le préjudice subi.

La présentation du projet de construction aux membres de la Sci Emchir est sans effet sur les conséquences de l'édification : même si dans son attestation du 8 avril 2019, M. [G] expose les termes de la négociation entreprise avec M. [X] en sa qualité de gérant de la Sci, il ne peut en être tiré une acceptation éclairée des suites générées par la construction. La faute alléguée à l'encontre de la Sci Emchir n'est pas démontrée, le moyen soulevé étant écarté.

En définitive, engagent la responsabilité de leurs auteurs les troubles anormaux de voisinage causés par la perte d'intimité ayant pour origine les nombreuses vues sur la propriété de la Sci Emchir et la perte de luminosité et d'ensoleillement sur celle-ci.

Sur la réparation du préjudice subi par la Sci Emchir

Compte tenu de l'implantation de l'ensemble immobilier et de l'origine des troubles qualifiés d'anormaux, il n'existe, comme l'indique l'expert aucune faculté, aucun remède pour y mettre fin.

Ces troubles sont imputables à l'égard du tiers à la fois à la Sccv [Adresse 12] qui a fait construire l'immeuble et à l'occupant des parties communes générant le dommage, le syndicat des copropriétaires.

La Sci Emchir demande paiement de :

- la somme de 50 000 euros au titre du préjudice de jouissance,

- la somme de 70 000 euros au titre de la perte de la valeur vénale de son bien.

Sur le préjudice de jouissance

La Sci Emchir se base sur une valeur locative du bien de 1 500 euros par mois soit un préjudice indemnisable correspondant au tiers de cette valeur soit 500 euros par mois : le temps écoulé, plus de cinq ans, donne une somme de 30 000 euros outre le préjudice qui sera subi à l'avenir pour aboutir à une estimation globale de

50 000 euros.

L'analyse est contestée au motif que ces données ne seraient pas établies par des pièces.

La lettre faisant état de troubles de voisinage pour la première fois de la part de la Sci Emchir date du 11 juin 2018.

L'expert judiciaire a de façon adaptée exploité treize références de ventes immobilières pour dégager un prix moyen de la propriété de la Sci Emchir de

340 000 euros hors incidence de la construction voisine.

La maison d'habitation est implantée sur 3a 63ca et se situe dans un centre urbain avec commerces et divers services de proximité. L'évaluation d'une valeur locative de 1 500 euros par mois est cohérente avec la nature du bien et les avantages qu'il procure.

En conséquence et alors que tous les griefs ne sont pas retenus, le préjudice de jouissance depuis juin 2018 sera évalué à la somme de 300 euros par mois sur la base d'une dizaine d'années d'occupation soit une indemnisation à hauteur de 36 000 euros en ce qu'il concerne essentiellement le jardin de la propriété et partie de l'habitat.

Sur la perte de la valeur vénale

L'évaluation ci-dessus évoquée quant à la valeur vénale du bien a conduit l'expert a apprécié la perte de la valeur de l'immeuble à hauteur de 70 000 euros.

Ses constatations sont corroborées par la production d'attestations établies par le cabinet Spy, agence immobilière, le 30 janvier 2018 et par Me [W], notaire, le 23 mars 2018, qui font toutes deux état d'une dépréciation de la valeur du bien de la Sci Emchir à hauteur de 80 000 euros pour la première, et 110 000 euros pour la seconde.

Dans ces conditions, compte tenu du trouble anormal de voisinage caractérisé préalablement et à la dépréciation de la valeur vénale du bien appartenant à la Sci Emchir qui en résulte, il conviendra de faire droit à la demande indemnitaire de

70 000 euros.

Sur l'appel en garantie du syndicat des copropriétaires

Dans la relation entre coobligés, les dommages causés en raison des conditions d'implantation de l'immeuble ont exclusivement pour origine l'édification d'une résidence largement ouverte sur la propriété voisine dont elle a compromis l'usage par une perte d'intimité et d'ensoleillement. La Sccv [Adresse 12] sera dès lors condamnée à garantir le syndicat des copropriétaires de l'ensemble des condamnations prononcées contre lui, frais de procédure compris.

Sur les frais de procédure

La Sccv [Adresse 12] et le syndicat des copropriétaires succombent à l'instance et seront condamnés à en supporter les dépens, comprenant notamment les frais d'expertise, avec droit de distraction au profit de la Scp Emo Avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, ils seront condamnés à verser à la Sci Emchir la somme de 7 000 euros au titre de ses frais irrépétibles, l'appelante ayant produit la convention d'honoraires signée avec son avocat.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Rejette la demande de transport sur les lieux formée par la Sci Emchir,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action entreprise contre le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12],

Statuant à nouveau, des chefs infirmés,

Condamne in solidum la Sccv [Adresse 12] et le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] à verser à la Sci Emchir :

- la somme de 36 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance,

- la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de valeur vénale de son bien,

- la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Sccv [Adresse 12] à garantir le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] des condamnations prononcées à son encontre, frais de procédure compris,

Condamne in solidum la Sccv [Adresse 12] et le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 12] aux dépens de la procédure, comprenant notamment les frais d'expertise, avec droit de distraction au profit de la Scp Emo Avocats en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente de chambre,