CA Riom, ch. com., 25 septembre 2024, n° 23/01411
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ammeris (SCI)
Défendeur :
Monoprix Exploitation (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubled-Vacheron
Conseiller :
Mme Theuil-Dif
Avocats :
Me Gutton Perrin, Me Juge, Me Rahon, Me Estival
Faits et procédure - demandes et moyens des parties :
Suivant un acte notarié du 1er mars 1933, les consorts [E] ont donné à bail commercial, à la société Lyonnaise de magasins à prix unique, des locaux situés à [Localité 5], [Adresse 1].
Le bail a fait l'objet de plusieurs renouvellements, le dernier selon un avenant des 3 et 9 juillet 2009 conclu entre les consorts [E] et la SAS Monoprix Exploitation, avenant qui prévoyait le renouvellement du bail pour neuf ans à compter du 1er janvier 2009, avec un loyer de 120 000 euros par an, soumis à une indexation.
Au terme de la période de neuf ans, le 31 décembre 2017, le bail s'est poursuivi par tacite reconduction.
Le 21 décembre 2020, la SAS Monoprix Exploitation (la société Monoprix) a fait signifier à la SCI Ammeris, venue aux droits des consorts [E], une demande de renouvellement du bail pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2021, en contrepartie d'un loyer fixé à 123 840 euros par an, soit le montant du loyer en vigueur à cette date, par l'effet de l'indexation.
La SCI Ammeris a tacitement accepté le principe du renouvellement, en s'abstenant de le contester par acte extra-judiciaire dans le délai de trois mois prévu à l'article L. 145-10 du code de commerce.
Le 14 avril 2022 cependant, la SCI Ammeris a fait notifier à la société Monoprix, par lettre recommandée avec avis de réception, un mémoire pour demander que le loyer du bail renouvelé soit fixé à 388 000 euros hors taxe à compter du 1er janvier 2021, au motif d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité, intervenue pendant le bail écoulé, entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2020.
Les parties ne se sont pas accordées sur le montant du loyer, et le 29 juillet 2022, la SCI Ammeris a fait assigner la société Monoprix devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, en demandant à titre principal que le loyer soit porté à 388 000 euros par an ; la société Monoprix a conclu pour sa part à la fixation du loyer à la somme de 137 193,67 euros, par application de la règle du plafonnement.
Le juge des loyers commerciaux, statuant par jugement du 7 juillet 2023, a :
- dit que le bail commercial s'était renouvelé pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2021 ;
- fixé le loyer en cause à 142 922,41 euros hors taxe par an ;
- dit que la différence entre le nouveau loyer et le loyer provisionnel serait remboursée à la SCI Ammeris, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2022 ;
- ordonné la capitalisation des intérêts ;
- condamné la SCI Ammeris aux dépens, et au paiement d'une somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté les autres demandes de la société Monoprix.
La juge a énoncé, dans les motifs de son jugement, qu'il y avait lieu de fixer le loyer en cause selon la règle du plafonnement, faute d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité.
La SCI Ammeris, par une déclaration reçue au greffe de la cour le 7 septembre 2023, a interjeté appel de ce jugement, en toutes ses dispositions.
La société appelante demande à la cour d'infirmer le jugement, et de dire que le loyer doit être fixé à la somme de 388 000 euros par an. Elle fait principalement valoir que la règle du plafonnement doit être écartée, en raison d'une évolution notable des facteurs locaux de commercialité : le commerce en cause, dont la zone de chalandise s'étend au-delà du centre-ville de [Localité 5], a bénéficié de la croissance de la population du département, et du dynamisme de l'agglomération dans son ensemble ; le centre urbain lui-même, où le local se situe, a connu des aménagements favorables : prolongement en 2013 de la ligne de tramway, renforcement à la même période d'une ligne d'autobus, aménagement d'un nouveau parking souterrain dans le quartier [Adresse 6], mise à disposition du public de vélos électriques, création de nouveaux logements, et implantation de surfaces commerciales qui ont augmenté l'attractivité du centre-ville.
Elle demande à voir fixer la valeur locative sur la base d'une surface pondérée de 1 035,25 m², calculée elle-même à partir d'une surface réelle utile de 1 678 m², et d'un prix du m² pondéré fixé à 375 euros, au vu de termes de comparaison proposés par un expert officieux, le cabinet Schneider International.
À titre subsidiaire, la SCI Ammeris demande que loyer soit fixé à 242 000 euros hors taxe, selon la valeur locative estimée par l'expert officieux ; à titre plus subsidiaire elle demande une mesure d'expertise.
La société Monoprix conclut à la confirmation du jugement. Elle maintient qu'il n'y a pas lieu à déplafonnement du loyer, les facteurs locaux de commercialité n'ayant pas évolué de manière notable lors du bail écoulé : la population de [Localité 5] a certes augmenté de 3,8 % entre 2009 et 2020, durée du bail écoulé, mais le pouvoir d'achat de cette population est resté à un niveau faible, et les locaux en cause se situent dans le centre-ville, avec une forte concurrence très proche, constituée de magasins aux enseignes Carrefour et Auchan, ou du Carré [Adresse 6] 2 ; une cinquantaine de logements supplémentaires seulement, ont été créés dans le secteur proche ; et les aménagements urbains, tels que le prolongement de la ligne de tramway ou la construction d'un hôtel à l'enseigne Mercure, n'ont pas davantage modifié de manière notable les facteurs locaux de commercialité.
À titre subsidiaire et pour le cas où la cour estimerait qu'il y a lieu à déplafonnement, la société Monoprix demande à voir fixer le prix du bail à la somme de 174 000 euros, calculée sur la base d'une surface pondérée de 855,60 m², et d'un loyer de 210 euros par m² pondéré, avant l'application de divers correctifs pour tenir compte de particularité du bail. À titre plus subsidiaire, cette société demande une mesure d'expertise.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 mai 2024.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées le 26 février et le 22 mai 2024.
Motifs de la décision :
Il est rappelé que le loyer du bail renouvelé doit être fixé en principe à la valeur locative (article L. 145-33 du code de commerce) ; que cependant, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier (article L. 145-34 du code de commerce).
Ainsi que le rappellent les sociétés Ammeris et Monoprix, le bail en cause s'est renouvelé le 1er janvier 2009, puis s'est poursuivi à cette date par tacite reconduction, et s'est ensuite renouvelé le 1er janvier 2021, par l'effet de la demande de renouvellement formée par la société preneuse et tacitement acceptée par la société bailleresse. La durée du bail à renouveler n'étant pas supérieure à neuf ans (le renouvellement ayant été demandé et accepté pour une période de neuf ans à compter du 1er janvier 2021, par l'effet de l'acte d'huissier du 21 décembre 2020, et faute de réponse de la SCI Ammeris dans le délai de trois mois), le prix du bail à renouveler ne peut être fixé que dans la limite du plafond prévu à l'article L. 145-34 du code de commerce, à moins d'une modification notable des éléments de commercialité, intervenue pendant le bail écoulé soit entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2020.
La société appelante n'invoque pas d'autre modification notable, pendant le bail écoulé, que celle des facteurs locaux de commercialité (prévus à l'article L. 145-33 4° du code de commerce), pour les causes ci-avant résumées.
Le premier juge, répondant aux moyens de la SCI Ammeris par des motifs pertinents que la cour adopte expressément, a justement énoncé que :
- l'augmentation de la population du Puy-de-Dôme, certes assez soutenue pendant la période 2009-2020 (environ 0,5 % par an selon le document INSEE Flash de janvier 2019 produit par la société appelante), avait été en revanche moins importante sur la commune même de [Localité 5] : + 0,2 ou 0,3 % par an, alors que les locaux en cause ont pour destination contractuelle la vente au détail, sous l'enseigne Monoprix, de produits de consommation courante et principalement d'alimentation, vente destinée à une clientèle proche ; ce même document souligne de plus le dynamisme commercial de la périphérie de l'agglomération clermontoise, alors que les locaux en litige se situent au c'ur de la ville de [Localité 5] (pièce n°6 de la SCI Ammeris) ;
- le centre commercial [Adresse 6] 2, ouvert en novembre 2013 et situé lui aussi au centre-ville, a connu un certain succès, mais il comprend surtout des commerces spécialisés tels que ceux de vêtements ou de chaussures (pièce n°7 de la SCI Ammeris) ; il n'est pas établi que la création de ce centre commercial ait favorisé l'activité de commerce de proximité qui s'exerce dans les locaux en cause, distants d'environ 350 mètres selon la SAS Monoprix, d'autant que le centre [Adresse 6] 2 comporte un magasin de grande surface à l'enseigne Carrefour Market, concurrent direct de celui exploité par la SAS Monoprix ;
- le prolongement de la ligne A du tramway, effectif en novembre 2013, n'a pas eu d'effet favorable certain sur l'activité commerciale des locaux en litige : ce prolongement, réalisé en direction de la périphérie urbaine et notamment des quartiers de [Localité 7] et des [Localité 10], à plusieurs kilomètres des locaux en cause selon l'affirmation incontestée de la SAS Monoprix, a sans doute accru la fréquentation du centre-ville, mais non pas celle de commerces de proximité tels que celui en cause, les quartiers nouvellement desservis étant déjà pourvus de commerces similaires ; de même, la création d'une station de location de vélos sur la [Adresse 6], et de nouvelles places de stationnement des voitures, ne peut avoir eu d'effet notable sur le nombre des clients du commerce en cause, en raison de la nature de l'activité commerciale exercée, qui s'adresse pour l'essentiel à une clientèle résidant à proximité ;
- la construction pendant le bail écoulé de nouveaux bâtiments collectifs dans le centre-ville n'a permis, selon l'un des documents produits (la pièce n°2 de la SAS Monoprix, pages 45 et 46), que la création nette d'une cinquantaine de logements neufs, compte tenu des logements supprimés lors de la démolition des anciens bâtiments qui existaient aux mêmes emplacements ; la création de ces logements n'a pas augmenté de manière certaine la clientèle des locaux en cause, si l'on considère que les nouveaux logements, situés [Adresse 8] et [Adresse 9], sont plus proches d'autres commerces de proximité, notamment du Carrefour Market du centre [Adresse 6] 2, que de celui exploité par la SAS Monoprix (même document) ;
- l'ouverture d'un nouvel hôtel de tourisme dans le centre de [Localité 5] n'a pas non plus créé un flux de chalandise appréciable : les clients des hôtels situés dans le centre-ville, étant de passage, n'ont pas a priori l'intention d'y faire d'importants achats de consommation courante.
C'est donc à bon droit que le premier juge a fixé le loyer en cause dans la limite de la variation de l'indice, faute pour la SCI Ammeris de rapporter la preuve, qui lui incombe, d'une modification notable des facteurs de commercialité. Le jugement sera entièrement confirmé, sans qu'il soit utile de prononcer de mesure d'expertise.
Les dépens d'appel seront laissés à la charge de chacune des parties qui les a exposés, conformément à la demande de la SAS Monoprix.
PAR CES MOTIFS, et par ceux non contraires du premier juge :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Laisse à chacune des parties les dépens qu'elle a exposés en cause d'appel ;
Rejette le surplus des demandes.