CA Rennes, 5e ch., 25 septembre 2024, n° 21/07572
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Lefort (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Le Champion
Conseillers :
Mme Parent, Mme Hauet
Depuis le 22 mars 2013, M. [F] [M] exploite dans un ensemble immobilier comprenant un hôtel situé [Adresse 6] à [Localité 9], un fonds de commerce de débit de boissons et de restauration rapide, sous l'enseigne 'L'Escale'.
M. [F] [M] a repris le bail commercial dont M. [P] [R] était le titulaire. Ce bail, d'une durée de 9 ans, avait commencé à courir le 18 mai 2009 pour se terminer le 17 mai 2018.
Par acte authentique du 21 avril 2015, l'ensemble immobilier a été acquis par la SCI Lefort auprès de la société RHP. L'acte mentionne que le montant du loyer mensuel dû par M. [M] s'élève à 784,14 euros HT.
Afin de remettre aux normes l'hôtel, la SCI Lefort a entrepris des travaux.
A l'issue de ceux-ci, sur les 26 chambres exploitées par l'hôtel, deux chambres situées au premier étage nécessitaient des travaux d'évacuation ne pouvant être menés qu'en accédant par le fonds de commerce de M. [F] [M], ce que celui-ci a refusé par courrier du 23 juin 2016.
Par acte d'huissier en date du 17 novembre 2017, la SCI Lefort a fait signifier à M. [F] [M] un congé pour le 17 mai 2008 avec offre de renouvellement soumis aux conditions suivantes :
- pour une durée de trois ans, soit jusqu'à ce que M. [F] [M] puisse faire valoir ses droits à la retraite en mai 2020 inclus,
- l'abandon par M. [F] [M] des actions judiciaires afin d'obtenir 1'indemnisation de son préjudice au titre des travaux entrepris par le bailleur dans l'hôtel,
- l'acceptation par le preneur de donner accès aux lieux pris à bail, sans dédommagement, afin que soient réalisés les travaux d'évacuation des deux chambres situées au-dessus du bar.
Par acte du 15 janvier 2018, M. [F] [M] a assigné la SCI Lefort devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 14 609 euros, à titre d'indemnisation de son préjudice d'exploitation en raison des travaux entrepris et de lui donner acte de son accord sur le renouvellement du bail commercial aux conditions initiales. Par jugement du 30 mai 2018, le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a débouté M. [F] [M] de sa demande en paiement dirigée contre la SCI Lefort.
Par acte du 24 juillet 2018, la SCI Lefort a assigné M. [F] [M] devant le juge des référés du tribunal de Saint-Brieuc pour notamment voir constater la fin du bail et ordonner l'expulsion du preneur et fixer l'indemnité d'immobilisation. Par ordonnance de référé du 4 octobre 2018, la SCI Lefort a été déboutée de ses demandes au motif de l'existence d'une contestation sérieuse, l'appréciation du principe du renouvellement du bail faisant discussion et la demanderesse échouant à apporter la preuve de l'urgence de la situation.
Par acte d'huissier du 7 décembre 2018, la SCI lefort a fait assigner M. [F] [M] et la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] en vue d'obtenir notamment la requalification du congé en congé avec refus de renouvellement et la déchéance de M. [M] de son droit à indemnité d'éviction, la résiliation du bail et l'expulsion de ce dernier.
Par jugement en date du 29 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc a :
- dit que la demande de requalification du congé du 17 novembre 2017 par la SCI Lefort est recevable,
- constaté la fin du bail commercial liant la SCI Lefort et M. [F] [M] au 17 mai 2018,
- dit que M. [F] [M] n'est pas forclos à obtenir le versement d'une indemnité d'éviction,
- débouté la SCI Lefort de sa demande de déchéance du droit au maintien dans les lieux et indemnité d'éviction,
Avant dire-droit sur le montant de l'indemnité d'éviction ainsi que sur le montant de l'indemnité d'occupation,
- ordonné une expertise et commis pour y procéder M. [V] [U],
[Adresse 3] [Localité 2] tel. : [XXXXXXXX01], qui aura pour mission de :
* convoquer les parties,
* se faire remettre tous documents et pièces nécessaire à sa mission y compris celles ayant trait aux travaux de raccordement des deux chambres au premier étage,
* s'entourer si besoin est de tout sachant et technicien de son choix,
* visiter les locaux faisant l'objet du bail, les décrire, les photographier, en cas de contestation les mesurer,
* visiter et décrire les autres locaux dans lesquels M. [F] [M] exploite son fonds de commerce,
* dresser la liste des salariés employés par M. [F] [M] dans ces locaux et sur ce fonds,
* rechercher en tenant compte de la nature des activités professionnelles autorisées par le bail, de la situation et de 1'état des locaux :
1°) tous éléments permettant de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction :
° dans les cas d'une perte de fonds (valeur marchande déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, des frais et droits de mutation, de la réparation d'un trouble commercial et de tous autres postes de préjudice, ainsi que de la plus-value en résultant),
° dans le cas de la possibilité d'un transfert de fonds, sans perte conséquente de clientèle, sur un emplacement de qualité équivalente et en tout état de cause le coût d'un tel transfert comprenant l'acquisition d'un titre locatif avec les mêmes avantages que l'ancien, les frais et droits de mutation, les frais de déménagement et de réinstallation, la réparation du trouble commercial et de tous autres préjudices éventuels,
2°) le montant de l'indemnité d'occupation due depuis le 17 mai 2018 par M. [F] [M], jusqu'à la libération effective des lieux, en application de l'article L145-28 du code de commerce :
° à titre de renseignement, dire si, à son avis, le loyer aurait été ou non plafonné en cas de renouvellement du bail et préciser, en ce cas, le montant du loyer calculé en fonction des indices qui aurait été applicable à la date d'effet du congé,
3°) dire si, à son avis, les travaux de raccordement des chambres du premier étage de l'hôtel nécessitaient une intervention à partir des locaux loués par M. [F] [M] et déterminer la perte locative de la société Lefort consécutive à l'absence de raccordement des dites chambres,
- dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 2363 et suivants du code de procédure civile et qu'il déposera son rapport au greffe de ce tribunal dans un délai de 6 mois à compter de l'avis de consignation, sauf prorogation de ce délai dûment sollicité en temps utile auprès du juge du contrôle,
- dit qu'à l'issue de la première réunion, l'expert soumettra au magistrat chargé du contrôle des expertises et communiquera aux parties la liste des pièces nécessaire à sa mission, le calendrier de ses opérations, un état prévisionnel détaillé de ses frais et honoraires et, en cas d'insuffisance manifeste de la provision allouée, sollicitera la consignation d'une provision complémentaire,
- dit que l'expert devra fixer aux parties un délai pour formuler leurs dernières observations ou réclamations en application de l'article 276 du code de procédure civile et rappelle qu'il ne sera pas tenu de prendre en compte les observations ou réclamations tardives,
- désigné le magistrat charge du contrôle des expertises pour suivre la mesure d'instruction et statuer sur tout incidents,
- dit que l'expert devra rendre compte à ce magistrat de l'avancement de ses travaux d'expertise et des diligences accomplies et qu'il devra l'informer de la carence éventuelle des parties dans la communication des pièces nécessaire à 1'exception de sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et 275 du code de procédure civile,
- fixé à la somme de 3 000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert qui devra être consignée par la société Lefort entre les mains du Régisseur d'avances et de recettes de ce tribunal, avant le 30 décembre 2021, à peine de caducité de plein droit de la désignation de l'expert dont il sera tiré toute conséquence de droit,
- fixé l'indemnité d'occupation provisionnelle due par M. [F] [M] à la somme de 1 000 euros en principal,
- sursis à statuer sur les autres demandes,
- réservé les dépens ainsi que les demandes au titre des frais irrépétibles,
- ordonné le retrait de l'affaire du rôle des audiences et dit que celle-ci sera
rétablie à la demande de la plus diligente des parties,
- ordonné l'exécution provisoire.
Le 3 décembre 2021, M. [F] [M] a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 3 mai 2024, il demande à la cour de :
- infirmer le jugement sur les chefs de jugement critiqués suivants :
* dit que la demande de requalification du congé du 17 novembre 2017 par la SCI Lefort est recevable,
* constaté la fin du bail commercial liant la SCI Lefort et M. [F] [M] au 17 mai 2018,
* dit qu'il n'est pas forclos à obtenir le versement d'une indemnité d'éviction,
* débouté la SCI Lefort de sa demande de déchéance du droit au maintien dans les lieux et indemnité d'éviction,
Avant dire-droit sur le montant de l'indemnité d'éviction ainsi que sur le montant de l'indemnité d'occupation, a :
* ordonné une expertise,
* fixé l'indemnité d'occupation provisionnelle due par M. [F] [M] à la somme de 1 000 euros en principal,
* sursis à statuer sur les autres demandes,
* réservé les dépens ainsi que les demandes au titre des frais irrépétibles,
* ordonné le retrait de l'affaire du rôle des audiences et dit que celle-ci sera rétablie à la demande de la plus diligente des parties,
* ordonné l'exécution provisoire.
Statuant à nouveau ;
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
À titre principal :
- constater l'absence de congé avec refus de renouvellement délivré par le bailleur la SCI Lefort,
- juger qu'il a accepté le principe du renouvellement du bail aux conditions du bail antérieur et a fait connaître son acceptation à ces conditions dans son assignation en date du 15 janvier 2018,
- juger que la SCI Lefort n'a pas fait valoir de moyen opposant au principe du renouvellement à ces conditions,
- débouter la SCI Lefort de sa demande de requalification du congé,
- constater l'absence de saisine du juge des loyers commerciaux dans les deux années du terme du bail à renouveler,
- juger que la prescription est acquise en fixation du prix du bail renouvelé,
- juger que la SCI Lefort ne peut plus exercer son droit d'option,
- en conséquence, débouter la SCI Lefort de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la SCI Lefort à lui payer la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral occasionné par l'introduction de la procédure, en application des dispositions de l'article 1240 du code civil,
À titre subsidiaire :
- déclarer nul le congé en date du 17 novembre 2017 en l'absence d'énonciation du motif du refus de renouvellement,
- juger que le bail s'est renouvelé aux conditions antérieures du bail,
- en conséquence, débouter la SCI Lefort de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la SCI Lefort à lui payer la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral occasionné par l'introduction de la procédure, en application des dispositions de l'article 1240 du code civil ,
- condamner la SCI Lefort à lui payer la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- débouter la SCI Lefort de l'ensemble de ses demandes.
Par dernières conclusions notifiées le 5 juin 2024, la SCI Lefort demande à la cour de :
- débouter M. [F] [M] en ses demandes nouvelles comme étant irrecevables,
- débouter M. [F] [M] de son appel comme étant non fondé,
À titre incident,
- infirmer le jugement en ce qu'il dit que M. [F] [M] n'est pas forclos à obtenir le versement d'une indemnité d'éviction,
- infirmer le jugement en ce qu'il la déboute de son action en déchéance du droit au maintien dans les lieux et à indemnité d'éviction,
- infirmer le jugement en ce qu'il la déboute de son action en résiliation de bail, en expulsion et en réparation des préjudices consécutifs,
- infirmer le jugement en ce qu'il la déboute du surplus de ses demandes,
Statuant à nouveau,
- la recevoir en son appel incident et l'y déclarer bien fondée,
- constater la fin du bail commercial liant la SCI Lefort et M. [F] [M] au 17 mai 2018,
- requalifier le congé du 17 novembre 2017 signifié à sa requête par Me [W] [H], huissier de justice à [Localité 9], à M. [F] [M] en un congé avec refus de renouvellement,
- déchoir M. [F] [M] de son droit à indemnité d'éviction, motif pris de la prescription de l'action,
Subsidiairement,
- prononcer la résiliation du bail en raison des fautes commises par le preneur durant la période de maintien dans les lieux,
- déchoir M. [F] [M] de ses droits au maintien dans les lieux et en paiement de l'indemnité d'éviction,
En tout état de cause,
- ordonner l'expulsion de M. [F] [M] ainsi que celle de toutes personnes dans les lieux de son chef et ce avec l'assistance de la force publique s'il y a lieu,
- condamner M. [F] [M] à lui payer à compter du 18 mai 2018 une indemnité d'occupation mensuelle de 2 000 euros HT et ce jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés,
- confirmer le jugement en ses autres dispositions,
- condamner M. [F] [M] à lui payer la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [F] [M] aux dépens d'appel.
La déclaration d'appel et les conclusions d'appelant ont été signifiées à la Caisse de Crédit Mutuel par acte signifié le 22 mars 2022 à personne. La Caisse de Crédit Mutuel n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 juin 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur l'étendue de l'appel
L'article 963 du code de procédure civile énonce que lorsque l'appel entre dans le champ d'application de l'article 1635 bis P du code général des impôts, les parties justifient, à peine d'irrecevabilité de l'appel ou des défenses selon le cas, de l'acquittement du droit prévu à cet article.
En l'espèce, le droit de timbre prévu à l'article précité n'a pas été acquitté par la SCI Lefort, intimée, ni spontanément lors de sa constitution, ni non plus après l'invitation qui lui a été faite le 16 février 2024 par le greffe d'y procéder. Elle ne bénéficie pas de l'aide juridictionnelle ou n'est pas en attente de la décision devant être rendue par le bureau d'aide juridictionnelle.
Par conséquent, en application des dispositions précitées, la cour déclarera irrecevables les conclusions de l'intimée.
Il en découle que la cour n'est pas saisie de ses demandes, à savoir, celle tendant à la déchéance de M. [M] de son droit à indemnité d'éviction, et de résiliation du bail pour fautes du preneur et les demandes accessoires à celle-ci.
En l'absence de conclusions de l'intimée, il convient de considérer par ailleurs que l'intimée est réputée s'approprier les motifs du jugement et donc approuver les termes de celui-ci.
- sur la prescription de l'action en requalification du congé
Invoquant l'article L 145-60 du code de commerce, M. [M] estime irrecevable la demande en requalification du congé, formée par la SCI Lefort, observant que le congé a été délivré le 17 novembre 2017 et que la demande de requalification n'est intervenue pour la première fois que dans des conclusions signifiées le 21 novembre 2019.
Il soutient qu'une telle action doit être entreprise dans les deux ans du congé et non, comme le retient le tribunal, du jour où le bailleur a connaissance du refus du preneur d'accepter les conditions du bail renouvelé. Il considère que l'ordonnance de référé du 4 octobre 2018 n'interrompt pas la prescription et qu'il est de même de l'assignation du 7 décembre 2018 qui ne contient aucune demande de requalification du congé mais uniquement une demande de constat de la fin du bail commercial en visant un congé avec offre de renouvellement.
L'article L 145-60 du code de commerce prévoit que toutes les actions nées du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans. Les actions qui ne mettent pas en cause les règles du statut relèvent de la prescription de droit commun.
Le bailleur a délivré un congé le 17 novembre 2017 avec renouvellement du bail commercial sous trois conditions :
- renouvellement pour une durée de trois ans, soit jusqu'à ce que le preneur puisse faire valoir ses droits à la retraite en mai 2020 inclus,
- l'abandon par le preneur des actions judiciaires afin d'obtenir 1'indemnisation de son préjudice au titre des travaux entrepris par le bailleur dans l'hôtel,
- l'acceptation par le preneur de donner accès aux lieux pris à bail, sans dédommagement, afin que soient réalisés les travaux d'évacuation des deux chambres situées au-dessus du bar.
Par voie de conclusions notifiées le 21 novembre 2019, la bailleresse a sollicité du tribunal qu'il 'restitue au congé du 17 novembre 2017 la qualification de congé avec refus de renouvellement, le preneur ayant refusé ses conditions.'
En l'espèce, le délai de prescription biennale est applicable à cette demande en application de l'article L 145-60 du code de commerce.
La prescription biennale peut être interrompue en application des règles des articles 2240 et suivants du code civil, c'est-à-dire par une citation en justice, même en référé.
La bailleresse a articulé au visa de l'article 12 du code de procédure civile sa demande de "requalification " du congé délivré le 17 novembre 2017.
Par assignation du 24 juillet 2018, la SCI Lefort a saisi le juge des référés d'une demande tendant à voir constater la fin du bail aux motifs que M. [M] ne s'était pas prononcé sur les nouvelles conditions de renouvellement du bail, résultant du congé. Le premier juge a considéré à raison que le délai de prescription courant à compter du 17 novembre 2017 avait été interrompu par cette citation en justice. La demande de la SCI Lefort tendant à restituer au congé sous conditions une qualification de congé avec refus de renouvellement n'est donc pas prescrite.
Il est relevé en tout état de cause, que s'il devait être considéré que la prescription de l'action court à compter du jour où la SCI Lefort a eu connaissance du refus des conditions de renouvellement du bail notifiées, un tel refus a été exprimé pour la première fois par le preneur dans son assignation du 15 janvier 2018, de sorte que pas davantage, la prescription ne peut être opposée.
La cour confirme le jugement qui rejette cette fin de non-recevoir.
Le preneur n'a pas sollicité le renouvellement du bail dans les formes et conditions de l'article L 145-10 du code de commerce. M. [M] ne démontre pas que les parties étaient d'accord pour un renouvellement du bail aux conditions du bail expiré, puisque qu'au contraire, le renouvellement du bail a été offert par la bailleresse sous conditions.
- sur le renouvellement du bail
M. [M] considère que le tribunal a statué ultra petita en constatant la fin du bail au 17 mai 2018, car le bailleur ne sollicitait que la déchéance du droit pour le preneur à se maintenir dans les lieux et formait à titre subsidiaire une demande de maintien de résiliation du bail.
M. [M] demande de constater l'absence de congé avec refus de renouvellement, de constater qu'il a accepté le renouvellement du bail aux conditions antérieures le 15 janvier 2018.
Il ajoute que le seul droit reconnu au bailleur qui a délivré un congé avec offre de renouvellement est le droit pour ce dernier à exercer son droit d'option sur le fondement de l'article L 145-57 du code de commerce et non de demander de requalifier son congé. Il considère que seul le preneur a un intérêt à une telle action pour prétendre à une indemnité d'éviction, et que le permettre au bailleur l'autoriserait à tourner les règles d'ordre public sur le droit d'option et les règles concernant le versement d'une indemnité d'éviction acquise au preneur.
Il conclut au rejet de la demande de requalification du congé, aucune des conditions posées par le bailleur à la poursuite du bail en cours n'étant selon lui justifiée :
- la durée du bail n'est pas conforme aux dispositions des articles L 145-4 et L 145-5 du code de commerce et pouvait donc être refusée par le preneur sans que cela ne lui soit reproché,
- s'agissant des travaux, le tribunal a justement relevé que le bailleur ne démontrait pas avoir communiqué au preneur pendant la durée du bail, de détails concernant ceux-ci, il n'était pas indiqué la durée de ceux-ci, ne permettant pas d'en estimer la nature et de vérifier s'ils avaient pour conséquence de dépasser les 40 jours consécutifs, de sorte que la preuve du caractère abusif de l'opposition aux travaux n'est pas démontré,
- s'agissant de la renonciation à la poursuite des actions judiciaires en cours, le tribunal a justement considéré qu'une telle condition ne peut être légitime et faire obstacle au renouvellement du bail.
À titre subsidiaire, il sollicite de la cour qu'elle déclare nul le congé du 17 novembre 2017 en l'absence d'énonciation du motif de non renouvellement et donc de dire que le bail s'est renouvelé aux conditions antérieures du bail.
* sur le fait que le tribunal aurait statué ultra petita
Il ne peut être fait grief au tribunal d'avoir constaté la fin du bail au 17 mai 2018, date d'échéance du bail initial, mentionné dans le congé discuté devant lui, alors que le bailleur se prévalait de ce congé donné pour une échéance au 17 mai 2018 et que lui-même entendait soutenir que le bail s'était poursuivi à cette date aux conditions antérieures. Ce moyen est rejeté.
* sur la requalification du congé
Cette requalification était sollicitée par le bailleur au visa de l'article 12 du code de procédure civile, lequel prévoit que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en ont proposée.
Le bailleur justifie donc d'un moyen de droit à une telle requalification.
En l'espèce, le renouvellement du bail a été proposé par le bailleur au preneur à différentes conditions ci-avant énoncées, lesquelles ont été refusées par le preneur (cf assignation du 15 janvier 2018). M. [M] ne peut donc affirmer qu'il n'existait aucun désaccord sur les conditions du bail renouvelé.
Le premier juge a justement considéré que l'abandon des poursuites par le preneur ne peut être une condition de renouvellement du bail, le bail renouvelé n'étant pas destiné à régler le conflit juridique opposant les parties.
L'article L 145-12 du code de commerce dispose que la durée du bail renouvelé est de neuf ans sauf accord des parties pour une durée plus longue. Or, en l'espèce le bailleur a entendu offrir un renouvellement du bail commercial pour une durée limitée de trois ans.
La condition d'imposer au preneur l'absence de tout dédommagement en contrepartie de travaux à souffrir par lui, n'est accompagnée d'aucune précision quant à la nature et la durée de ces derniers, et constitue donc une condition distincte des conditions antérieures convenues entre les parties.
La Cour de cassation rappelle dans un arrêt du 11 janvier 2024 (civ 3ème 22-20.872) :
- qu'il résulte des articles 1103 du code civil, L 145-8 et L 145-9 du code de commerce qu'à défaut de convention contraire, le renouvellement du bail commercial s'opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation de prix,
- qu'un congé est un acte unilatéral qui met fin au bail par la seule manifestation de volonté de celui qui l'a délivré,
- qu'un congé avec une offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix, doit s'analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d'éviction.
Le congé du 17 novembre 2017 s'analyse donc, en application de cette jurisprudence, en un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d'éviction.
* sur la nullité du congé
M. [M] ne peut valablement prétendre devant la cour à la nullité du congé, demande non formée en première instance, en indiquant qu'il ne s'agit pas d'une prétention nouvelle au motif qu'elle serait la conséquence de ce qui a été soutenu par lui devant le premier juge, alors qu'il expose lui-même, page 26 de ses conclusions, qu'il ne pouvait solliciter la nullité du congé du 17 novembre 2017, alors qu'il considérait que le congé était un congé avec offre de renouvellement aux conditions antérieures, argumentation qu'il maintient devant la cour.
Cette demande n'apparaît pas recevable en application des dispositions de l'article 566 du code de procédure civile.
La cour confirme en conséquence le jugement qui constate la fin du bail commercial liant la SCI Lefort et M. [F] [M] au 17 mai 2018, par l'effet du congé délivré le 17 mai 2017.
- sur l'indemnité d'éviction
L'appelant sollicite l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions sans formuler de demande de ce chef.
La cour approuve la décision qui, d'une part dit que M. [F] [M] n'est pas forclos à obtenir le versement d'une indemnité d'éviction et déboute d'autre part la SCI Lefort de sa demande de déchéance du droit au maintien dans les lieux et d'indemnité d'éviction en constatant notamment l'absence d'un motif grave et légitime de nature à priver le preneur de cette indemnité, démontrée par la SCI Lefort.
Le congé valant refus de renouvellement avec offre d'indemnité d'éviction, la cour confirme le jugement en ce qu'il ordonne une expertise avant-dire droit sur le montant de l'indemnité d'éviction et le montant de l'indemnité d'occupation, telle que sollicitée par le bailleur en première instance.
- sur l'indemnité provisionnelle d'occupation
M. [M] ne justifie ni en droit ni en fait ses critiques portant sur les dispositions du jugement fixant à 1 000 euros par mois l'indemnité provisionnelle d'occupation. Ces dispositions sont confirmées.
- sur la demande de dommages et intérêts
M. [M] réclame la condamnation de son bailleur au paiement d'une somme de 3 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par l'introduction de la procédure.
La cour confirmant la fin du bail au 17 mai 2018 et la mesure d'expertise sollicitée par la SCI Lefort, l'appelant ne démontre pas l'attitude fautive du bailleur. Les conditions de l'article 1240 du code civil n'étant pas réunies, cette demande est rejetée.
- sur les frais irrépétibles et les dépens
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. M. [M] qui succombe en appel, supportera les dépens d'appel et les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens sont confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition au greffe :
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande de nullité du congé du 17 novembre 2017, formée par M. [F] [M] ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne M. [F] [M] aux dépens d'appel.