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Décisions

CA Rennes, 5e ch., 25 septembre 2024, n° 21/07656

RENNES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Le Champion

Conseillers :

Mme Parent, Mme Hauet

TJ Nantes, du 19 oct. 2021

19 octobre 2021

La société LMR, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Nantes le 2 avril 2003, est une société civile qui a principalement pour objet la construction, l'acquisition, la gestion, l'administration et, plus généralement, l'exploitation de tous biens immobiliers dont elle est ou pourrait devenir propriétaire.

La SA, devenue rapidement SAS, [U] Construction a pour activité principale la construction et la rénovation de tous immeubles ainsi que celles de promoteur, de lotisseur et de marchand de biens. Elle exerce aussi la fonction de gérant de la société LMR.

Par acte du 1er septembre 2004, la société LMR, bailleur, 'représentée par M. [W] [I], agissant en sa qualité de président de la société [U] Construction, gérante de la société LMR' a conclu un contrat de bail commercial avec la société [U] Construction, preneur, aux termes duquel elle mettait à disposition de cette dernière un ensemble immobilier sis [Adresse 1] à [Localité 5], d'une superficie de 1 778 m2, composé d'un sous-sol et de 2 niveaux de bureaux. Cette convention a fait l'objet d'un renouvellement par acte du 5 septembre 2013, moyennant le paiement d'un loyer annuel de 40 500 euros.

Par actes sous seing privé en date des 11 janvier, 4 février et 26 avril 2016, la société [U] Construction a fait l'objet d'une cession de contrôle en faveur de la société Holding Doliopa, désormais unique détenteur du capital social.

Son gérant est la société Dophil Participations, qui détient 51% du capital social de la société Holding Doliopa et est intégrée dans le Groupe Villadim, de constructeurs de maisons individuelles dirigé par M. [Z] [M].

La société Financière [I], détenue et gérée par M. [W] [I], a pendant près d'un an, conservé un mandat de directeur général de la société [U] Construction.

Puis, par procès-verbal en date du 4 juillet 2017, elle a été révoquée de ses fonctions de direction générale. Son remplacement a été assuré à titre temporaire par M. [A] [O].

La société [U] Construction a désormais pour directeur général M. [V] [R] depuis le 4 décembre 2017. Elle est présidée par la société Dophil Participations, elle-même représentée par son PDG M. [Z] [M].

La société [U] Construction expose que ni M. [W] [I] et ni la société Financière [I] n'avaient plus de fonctions ni dans la société [U] Construction, ni, par conséquence, dans la société LMR, depuis le 4 juillet 2017, mais que, dans le courant de l'été 2017, le représentant légal de la société Financière [I], M. [W] [I], a continué de se présenter comme gérant de la société LMR, bien qu'écarté des dites fonctions.

Par courrier recommandé du 8 février 2018, le conseil de la société [U] Construction a mis en demeure M. [W] [I] de lui restituer les documents sociaux de la société LMR demeurés en possession.

La société LMR l'a ensuite assigné en référé par acte du 16 mars 2018, aux fins de restitution de toutes documentations de toute nature détenues par lui depuis la création de la société LMR. Par ordonnance du 17 mai 2018, sa demande a été rejetée en conséquence des documents versés aux débats.

Les dirigeants de la société [U] Construction, constatant que M. [W] [I] avait conservé par-devers lui tous les moyens de paiement de la société LMR depuis le 22 mars 2017, souhaitant se prémunir de tout détournement de fonds, compte tenu du défaut de pouvoir de M. [W] [I] quant à la représentation de la société LMR, ont alors refusé de régler les loyers dus à la société LMR au titre du 1er et du 2e trimestres de l'année 2018 entre les mains de M. [W] [I] tout en acceptant de les régler à la société LMR valablement représentée.

C'est dans ce contexte que par acte du 5 avril 2018 qu'un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail a été délivré à la société [U] Construction par la société LMR.

Aux termes de ce commandement, il était fait injonction à la société [U] Construction de procéder au paiement de la somme totale de 44 784,18 euros TTC, ainsi décomposée :

- régularisation de charges : 3 826,47 euros HT

- 4ème trimestre 2017 : 11 164,56 euros HT

- 1er trimestre 2018 : 11 164,56 euros HT

- 2ème trimestre 2018 : 11 164,56 euros HT

Ces loyers ont été réglés sur un nouveau compte bancaire, ouvert pour la société LMR par l'intermédiaire de la société [U] Construction.

La société [U] Construction a fait délivrer assignation au fond devant le tribunal judiciaire de Nantes le 4 mai 2018 à l'encontre de M. [W] [I] et à l'encontre de la société LMR, au visa des articles 1217, 1231-1, 1240, 1846, 1848, 1849 et 1855 du code civil et l'article L 145-41 du code de commerce, aux fins de demander notamment, outre la nullité du commandement de payer litigieux, M. [W] [I] n'étant pas investi du pouvoir de représentation de la société LMR , l'octroi de 15 000 euros en réparation du préjudice subi.

Par actes des 2 et 3 juillet 2018, délivrés pour une audience de référé d'heure à heure du 5 juillet 2018, M. [W] [I] a fait assigner la société LMR et la société [U] Construction aux fins de désignation d'un administrateur provisoire de la société LMR. Par ordonnance en date du 12 juillet 2018, le président du tribunal a rejeté cette demande, constatant son incompétence en l'absence de preuve de réels différends, comptables ou autres.

Par jugement en date du 19 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Nantes a:

- constaté que sont irrecevables pour défaut d'intérêt à agir les demandes de la société [U] Construction tendant à voir prononcer la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire délivré en date du 5 avril 2018 et juger que cette clause résolutoire n'est pas acquise,

- constaté que M. [W] [I] n'est pas régulièrement investi de la qualité de représentant permanent de la société [U] Construction au sein de la société LMR depuis le 4 juillet 2017 et que sa responsabilité délictuelle est engagée,

- condamné en conséquence M. [W] [I] à verser à la société [U] Construction la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi en application des dispositions de l'article 1240 du code civil,

- condamné M. [W] [I] à payer à la société [U] Construction la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [W] [I] aux entiers dépens de la présente procédure,

- prononcé l'exécution provisoire du présent jugement,

- débouté la société [U] Construction et M. [W] [I] de toutes leurs autres demandes, complémentaires ou contraires.

Le 8 décembre 2021, M. [W] [I] a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 15 mai 2024, il demande à la cour de :

Sur le commandement,

- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a jugé irrecevables pour défaut d'intérêt à agir les demandes de la société [U] Construction tendant à voir prononcer la nullité du commandement de payer,

- infirmer le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau :

- juger que le commandement de payer litigieux a cessé de prendre effet en date du 10 avril 2018 lors du règlement du loyer par la société [U] Construction,

- juger irrecevables l'ensemble des demandes de la société [U] Construction pour défaut d'intérêt à agir,

- juger que le commandement de payer a été délivré par la société LMR et non par M. [W] [I] à titre personnel,

- juger irrecevables l'ensemble des demandes de la société [U] Construction à son encontre,

- débouter en conséquence la société [U] Construction de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,

Sur sa prétendue faute,

- juger irrecevable l'ensemble des demandes de la société [U] Construction à son encontre,

- juger qu'il est bien investi de la qualité de représentant permanent de la société [U] Construction au sein de la société LMR,

- débouter la société [U] Construction de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,

- condamner la société [U] Construction à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour action en justice abusive,

- condamner la société [U] Construction à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens et ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par dernières conclusions notifiées le 23 mai 2024, la société [U] Construction demande à la cour de :

- réformer le jugement du 19 octobre 2021 en ce qu'il a :

* constaté que sont irrecevables pour défaut d'intérêt à agir ses demandes tendant à voir prononcer la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire délivré en date du 5 avril 2018 et juger que cette clause résolutoire n'est pas acquise,

* limité le montant de la condamnation de M. [W] [I] à la somme de 5 000 euros,

* a débouté la société [U] Construction et M. [W] [I] de toutes leurs autres demandes, complémentaires ou contraires,

- le confirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau :

- dire que son action est recevable et débouter M. [W] [I] de la fin de non-recevoir présentée,

- prononcer la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire délivré à la société [U] Construction en date du 5 avril 2018 par la société [E]-[L]-[Y]- [C]-[D], huissiers de justice associés à [Localité 6] en raison du défaut de pouvoir de représentation de la société LMR par M. [W] [I],

- condamner M. [W] [I] à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice subi,

En tout état de cause :

- débouter M. [W] [I] de toutes demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [W] [I] au paiement de la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [W] [I] aux entiers dépens

La société LMR n'a pas constitué avocat dans le délai prescrit. La déclaration d'appel ainsi que les conclusions d'appelant ont été signifiées à personne habilitée, le 16 mars 2022.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- sur l'intérêt à solliciter la nullité du commandement de payer du 5 avril 2018

La société [U] Construction forme appel incident sur ce point.

Elle considère justifier d'un intérêt à solliciter la nullité de ce commandement, formant sa demande au visa des articles 649 et 117 et 119 du code de procédure civile.

Invoquant le défaut de pouvoir de représentation de la société LMR par M [I], elle indique que la nullité qu'elle demande de consacrer est une nullité de fond, et qu'il ne peut donc lui être opposé le fait que le commandement de payer litigieux ne peut lui nuire, puisqu'il n'a pu produire d'effet, les causes en ayant été acquittées.

Elle déclare donc n'avoir pas à démontrer l'existence d'un grief tenant à la nullité de cet acte de commandement, rappelant qu'elle a bien un intérêt personnel et certain à agir au regard du comportement de M [I], dont elle précise qu'il s'est prévalu dans le cadre d'une procédure sur assignation d'heure à heure du 2 juillet 2018 du non paiement des loyers et de ce commandement pour obtenir la désignation d'un administrateur provisoire de la société [U] Construction.

Elle affirme que l'existence de cet acte de commandement est elle-même nuisible, que la liquidation amiable de la SCI LMR intervenue plusieurs années après ne change rien à ce raisonnement, l'intérêt à agir s'appréciant au jour de l'introduction de l'instance, et que cette demande permet de trancher définitivement la question de la représentation de la société LMR et d'ouvrir une éventuelle action en responsabilité par cette dernière contre M. [I], la prétendue inefficacité du commandement liée au paiement de la créance n'affectant pas cet intérêt à agir contre un acte pris sans pouvoir de représentation.

M. [W] [I], invoquant les articles 31, 122 et 125 du code de procédure civile, affirme que la société [U] Construction ne justifie d'aucun intérêt à solliciter la nullité du commandement de payer qui lui a été signifié le 5 avril 2018 dans la mesure où elle a réglé les loyers réclamés le 10 avril 2018, et que depuis cette date la SCI LMR n'a jamais entendu se prévaloir de l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail.

Il soutient que la question de son pouvoir de représentation de la société LMR ne peut justifier un intérêt à agir de la société [U] Construction, puisqu'au demeurant, ce commandement était fondé en l'absence de paiement des loyers depuis plusieurs trimestres.

Il indique qu'à ce jour, l'immeuble a été vendu et la SCI LMR dissoute et liquidée amiablement.

L'article 122 du même code énonce :

Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L'article 123 du code de procédure civile dispose :

Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

M. [W] [I] a soulevé devant le tribunal une fin de non-recevoir à solliciter la nullité du commandement de payer, et ce, pour défaut d'intérêt à agir.

L'article 31 du code de procédure civile dispose :

L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Au regard des termes des prétentions de la société [U] Construction, l'intérêt à agir de celle-ci ne se limite pas au seul fait qu'en l'absence de pouvoir de représentation de la SCI LMR, la clause résolutoire n'a pas joué en application de ce commandement, et qu'ainsi ce commandement est en tout état de cause dénué d'effet, mais s'étend également à la recherche de la responsabilité délictuelle de M. [I], pour avoir fait établir, sans pouvoir de représentation, un acte au nom de la SCI LMR contre la société [U] Construction.

La cour considère que l'intérêt à agir de la société [U] Construction est justifié et la déclare recevable à agir en nullité du commandement en l'espèce. Le jugement est infirmé sur ce point.

- sur la nullité du commandement

La société [U] Construction affirme que M. [I] ne justifie d'aucun mandat de gestion conféré par la SCI LMR et qu'il n'est investi d'aucun pouvoir de représentation de la société [U] Construction, laquelle est gérant de cette dernière. Elle soutient qu'il ne peut ignorer la révocation dont il a fait l'objet par décision de l'assemblée générale du 4 juillet 2017. Elle fait valoir qu'il a admis son absence de pouvoir en posant par courrier du 7 décembre 2018, des questions au gérant de la société [U] Construction en vue de l'assemblée générale.

Elle ajoute que les statuts de la société [U] Construction n'autorisent pas la désignation d'un 'représentant permanent' tel que prétendu par M [I].

Elle indique enfin que, quand bien même M. [I] aurait eu un mandat de 'représentant permanent' (ce qu'elle conteste), un tel mandat n'aurait été justifié qu'en raison de sa qualité de mandataire social de la société [U] Construction, et qu'ayant été révoqué de toute fonction de représentation de celle-ci, un tel mandat serait devenu caduc.

Elle en déduit que le commandement de payer délivré le 5 avril 2018 est nul pour défaut de pouvoir de représentation de la SCI LMR.

M. [I] conteste être à l'origine du commandement, rappelant qu'il a été délivré par la SCI LMR et fait observer que les prétentions de la société [U] Construction étaient dirigées, au terme de son assignation du 4 mai 2018 en contestation de ce commandement, contre lui mais également contre la SCI LMR dont la responsabilité était aussi recherchée pour avoir délivré un commandement de mauvaise foi.

Il déclare que, quand bien même il aurait adressé lui-même le commandement de payer au nom et pour le compte de la SCI LMR, il en avait les pouvoirs, en qualité de représentant permanent de la société [U] Construction, gérante de la SCI LMR, comme en attestent :

- sa désignation à ces fonctions le 24 mars 2003, et ce que permettent les statuts de la société [U] Construction,

- l'extrait Kbis de la SCI LMR du 10 avril 2018, mentionnant comme gérant : la société [U] Construction représentée par M. [I],

- trois attestations de témoins certifiant l'existence de cette désignation.

Il ajoute que par arrêt du 16 mai 2023 de la cour d'appel de Rennes, son pouvoir de représentant permanent a également été reconnu.

La demande de nullité du commandement nécessite de vérifier quel était le représentant de la société LMR lors de la délivrance de cet acte et s'il disposait du pouvoir d'agir pour le compte de celle-ci.

* sur le représentant de la SCI LMR à l'occasion de la délivrance du commandement

Le commandement de payer du 5 avril 2018 a été délivré par la SCI LMR 'pris en la personne de son représentant légal', ayant pour avocat Me Alexandre Cornet.

Le nom de M. [W] [I] ne figure pas sur cet acte.

Il est relevé par la cour que ce commandement intervient suite à plusieurs courriers valant rappels de la SCI LMR réceptionnés par la société [U] Construction, le 26 décembre 2017, le 10 janvier 2018, comportant une signature fort semblable à celle de M. [W] [I] (comparaison avec l'acte du 24 mars 2003 dont il se prévaut).

Antérieurement à ce commandement de payer, et quinze jours seulement avant la délivrance de cet acte, soit le 16 mars 2018, la société LMR 'agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux' représentée par Me Stéphanie Baudry, a assigné en référé M. [W] [I] aux fins de voir ordonner à celui-ci de communiquer sous astreinte l'ensemble de la documentation juridique et des registres tenus du chef de la société LMR depuis sa création ainsi que l'intégralité de ses archives. Il n'est pas contesté qu'elle a donné lieu à une ordonnance le 17 mai 2018 rejetant cette demande en conséquence des documents versés aux débats.

Il n'est pas discuté que la société [U] Construction est le gérant de la SCI LMR, ni que M. [W] [I] a été révoqué de toute fonction de direction dans la société [U] Construction selon procès-verbal du 4 juillet 2017, ni que la société [U] Construction, société par actions simplifiée, a depuis pour président la société Dophil Participations et pour directeur M. [V] [R], comme en atteste l'extrait Kbis de la société [U] Construction à la date du 28 février 2018.

La cour note que si l'action engagée le 16 mars 2018 pour le compte de la SCI LMR a été entreprise par ses représentants légaux à cette date, tels qu'énoncés ci-avant, à l'inverse, le commandement de payer est délivré par 'son représentant légal', au singulier.

Trois mois après ce commandement, le 2 juillet 2018, M. [W] [I], représenté par Me Alexandre Cornet a délivré assignation aux sociétés LMR et [U] Construction aux fins de désignation d'un administrateur provisoire. L'acte d'assignation fait état du commandement de payer et de l'absence de paiement des loyers par la société [U] Construction au soutien d'allégations de péril imminent et d'urgence caractérisés par la privation pour la SCI LMR de sa principale source de revenus. Cet acte d'assignation a donné lieu une ordonnance du 12 juillet 2018 rejetant la demande formée. La cour constate que dans cette procédure, les sociétés LMR et [U] Construction étaient toutes deux représentées par Me Christophe Sona, alors que le conseil de M. [I] était le même que celui représentant la SCI LMR dans le commandement litigieux.

Au vu des ces éléments, la cour considère qu'il est démontré que le commandement de payer délivré par la société LMR 'représentée par son représentant légal', doit s'entendre comme représentée par M. [W] [I], ce dernier d'ailleurs affirmant être le seul à pouvoir agir pour le compte de celle-ci.

* sur la qualité à agir de M. [I] pour le compte de la SCI LMR

La SCI LMR a été constituée le 24 mars 2003. Ses associés sont M. [W] [I], M. [P] [U], Mme [H] [U], M. [G] [K] et la société [U] Construction.

Il est rappelé que la gérance de la SCI LMR a été confiée à la société [U] Construction.

M [I] en qualité de Président Directeur Général de la société [U] Construction a signé un acte le 24 mars 2003 intitulé ' désignation de représentant permanent ' dans lequel il 'déclare assurer personnellement les fonctions de représentant permanent de la société [U] Construction nommée gérante au sein de la société civile LMR.'

Les trois attestions produites de M. [P] [U], Mme [H] [U], M. [G] [K] font état d'une désignation de M. [I] en qualité de 'représentant permanent, afin d'assurer la représentation de la société [U] Construction'. Ces attestions ne font aucunement mention de la gestion de la gérance de la SCI LMR, comme le précise l'acte du 24 mars 2003. Ces attestations sont donc peu éclairantes.

M. [I] soutient que la désignation qu'il a signé le 24 mars 2003 est conforme aux statuts.

L'article L 227-1 du code de commerce portant sur les sociétés par actions simplifiées prévoit :

La société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l'objet social.

Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve.

Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article.

Les dispositions statutaires limitant les pouvoirs du président sont inopposables aux tiers.

Les statuts de la société [U] Construction, invoqués par M. [I], en vigueur à la date de la désignation objet du débat (pièce 16 de M. [I]) prévoient à l'article 13, s'agissant de la possibilité de désigner un représentant permanent, que :

'La société est administrée par un conseil d'administration de trois membres au moins et de douze au plus, sous réserve de la dérogation légale prévue en cas de fusion.

Les administrateurs sont nommés par l'assemblée générale ordinaire ( ..)

Une personne morale peut être nommée Administrateur. Elle doit alors désigner un représentant permanent dans les conditions fixées par la loi (..)'

Il est très justement souligné par la société intimée que cette stipulation ne vise pas un mandat de représentant permanent de la société [U] Construction dans la gestion de la SCI LMR.

La faculté donnée par ces statuts de désigner un 'représentant permanent' de la société [U] Construction n'est en outre envisagée que dans l'hypothèse où la société [U] Construction est représentée par un administrateur, personne morale, qui doit alors désigner un représentant permanent.

L'article 13 des statuts est donc invoqué vainement par M. [I] pour prétendre à la validité de sa désignation en 2003 en qualité de représentant permanent de la société [U] Construction, alors qu'il exerçait, en tant que personne physique, les fonctions de PDG de la société [U] Construction.

Si la société [U] Construction est désormais présidée par la société Dophil Participation, personne morale, et si les statuts modifiés prévoient toujours la possibilité pour la personne morale Président de désigner une personne spécialement habilitée à la représenter en qualité de représentant de la société (cf article 15), il n'est justifié d'aucune désignation de M. [I], par cette personne morale, en qualité de représentant permanent au sein de la SCI LMR.

À juste titre, les premiers juges relèvent que la mention sur le Kbis du 10 avril 2018, produit par M. [I], indiquant que la société [U] Construction est 'représentée par M. [I]' est une mention non actualisée et non opposable puisqu'elle indique que M. [I] était le représentant légal, et non d'ailleurs le représentant permanent, de la SAS [U] Construction, ce qui n'était plus le cas à cette date.

L'acte du 24 mars 2003 établi de manière unilatérale par M [I], ne peut être déterminant et n'établit pas le pouvoir de M. [W] [I] de délivrer le 5 avril 2018 en qualité de gérant de la SCI LMR le commandement de payer litigieux.

Il ne saurait être tiré argument des motifs d'un arrêt de la chambre commerciale de la présente cour, alors même que l'absence de pourvoi à l'encontre de cette décision ne ressort d'aucune pièce.

La cour retient donc que la SCI LMR ne pouvait être représentée par M. [I] le 5 avril 2018 pour la délivrance du commandement de payer.

En application de l'article 117 du code de procédure civile et de l'irrégularité de fond affectant le commandement de payer délivré le 5 avril 2018, celui-ci est déclaré nul.

- sur la responsabilité de M [I]

M. [I] forme appel du jugement sur ce point, et conteste toute responsabilité, au motif qu'il était investi d'un pouvoir de représentation permanente de la société [U] Construction au sein de la SCI LMR.

Outre qu'il estime n'avoir commis aucune faute, il fait valoir que la société [U] Construction n'établit nullement l'existence d'un préjudice. Il relève l'absence de toute pièce démontrant qu'elle a subi un préjudice du fait de la délivrance du commandement de payer et indique qu'ayant réglé les causes du commandement, elle n'était d'ailleurs pas contrainte d'assigner. Il soutient que le tribunal l'a condamné de manière totalement arbitraire à payer une somme de 5 000 euros, sans l'expliquer.

La société [U] Construction objecte que M. [I] investi d'aucun pouvoir d'agir pour le compte de la société LMR a continué de se présenter comme détenant un mandat et a fait notamment délivrer à la société [U] Construction un commandement de payer. Elle estime qu'il a commis une faute engageant sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

Elle indique qu'il a ainsi fait courir le risque injustifié à la société [U] Construction d'être déchue de son droit au bail, ce qui est constitutif d'un lourd préjudice.

Elle ajoute avoir cherché à reprendre la direction de la SCI LMR et de ses comptes bancaires et en avoir été empêchée par M. [I] et avoir dû ouvrir de nouveaux comptes pour régler le loyer en toute sécurité.

Elle fait observer que plusieurs chèques ont été tirés par M. [I] sur le compte de la société LMR dans les livres ouverts à la BNP Paribas.

Selon elle, les agissements malveillants de M. [I] lui ont donc été préjudiciables, ne serait-ce que parce qu'elle a été contrainte d'engager la présente action et elle estime insuffisante la somme allouée à titre de réparation par le tribunal, qu'elle demande à la cour de fixer à 30 000 euros.

L'article 1240 du code civil dispose :

Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La faute de M [I] est reconnue par la cour qui considère, comme les premiers juges, qu'il a, sans mandat, délivré un commandement de payer.

M. [I] persiste à affirmer qu'il dispose du pouvoir d'agir en qualité de 'représentant permanent' de la société [U] Construction au sein de la SCI LMR, alors qu'il ne peut ignorer pas que tel n'était pas le cas, ayant occupé les fonctions d'associé et de Président Directeur Général de la société [U] Construction et connaissant donc parfaitement les statuts de cette société ne prévoyant pas cette possibilité.

Il ne peut prétendre à l'absence de préjudice du seul fait que le commandement, en raison du règlement qui a suivi, était de toutes façons inefficace, ce fait étant sans incidence sur l'irrégularité des agissements reprochés à l'appelant.

Le tribunal souligne à raison que la société [U] Construction, gérante de la SCI LMR, et donc comptable des actes accomplis pour son compte, a donc été contrainte d'engager une procédure pour faire reconnaître l'attitude fautive de M. [I].

Les premiers juges ont également tenu compte du fait qu'elle a été contrainte d'engager des frais de gestion complémentaires . Ils ont considéré aussi la perte de temps associée aux démarches pour faire reconnaître l'absence de pouvoir de M. [I] dans la gestion de la SCI LMR.

Contrairement aux affirmations de M. [I], le tribunal a caractérisé le préjudice subi par l'intimée. Au vu des pièces soumises à la cour par celle-ci, la cour estime qu'il a été fait une juste évaluation du préjudice subi par elle. Le jugement est confirmé.

- sur la demande de M. [I] de dommages et intérêts pour procédure abusive

Le tribunal, à bon droit, retient que l'action engagée par la société [U] Construction n'est pas abusive et déboute M. [I] de cette demande. Le jugement est confirmé.

- sur les autres demandes

Le pourvoi en cassation n'ayant pas d'effet suspensif, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par M. [I] aux fins d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société [U] Construction. M. [I] qui succombe et supportera les dépens d'appel, est condamné à lui payer une somme de 4 000 euros à ce titre. Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens sont confirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition au greffe :

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il constate qu'est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir la demande de la société [U] Construction tendant à voir prononcer la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire délivré en date du 5 avril 2018 ;

Statuant à nouveau sur le chef de jugement infirmé,

Déclare recevable la demande de la société [U] Construction tendant à voir prononcer la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire délivré en date du 5 avril 2018 ;

Prononce la nullité du commandement délivré le 5 avril 2018 par la SCI LMR prise en la personne de son représentant légal pour défaut de pouvoir de M. [W] [I] d'agir pour le compte de la SCI LMR ;

Y ajoutant,

Condamne M. [W] [I] à payer à la société [U] Construction la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [W] [I] aux dépens d'appel.