Décisions
CA Paris, Pôle 6 - ch. 8, 25 septembre 2024, n° 19/06146
PARIS
Arrêt
Autre
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2024
(n° , 19 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06146 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B77YF
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Mars 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 16/00174
APPELANT
Monsieur [T] [V]
[Adresse 2]
[Localité 10]
Représenté par Me Michel GUIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020
INTIMES ET INTERVENANTS
SAS SPIE BATIGNOLLES
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 6]
[Localité 8]
Représentée par Me Sabine ANGELY-MANCEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : A0492
SA GROUPE SPR
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 12]
Représentée par Me Sabine ANGELY-MANCEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : A0492
AGS CGEA ILE DE FRANCE EST
pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 9]
Représentée par Me Jean-Charles GANCIA, avocat au barreau de PARIS, toque : T07
Maître [W] [E], mandataire judiciaire domicilié [Adresse 1] à [Localité 13] nommé en remplacement de Maître [J] [C], SMJ ' Société de Mandataires Judiciaires,
ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés ARCANE, GREEN BATIMENT SERVICES, SP RENOVATION, SESINI LONGHI et TROUVE LECLAIRE
[Adresse 5]
[Localité 11]
Représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
SELARL JSA, prise en la personne de Maître [H], société de mandataire judiciaire domicilié [Adresse 4]) nommé en remplacement de Maître [C], SMJ ' Société de Mandataires Judiciaires,
ès qualités de liquidateur judiciaire de la société GREEN BATIMENT
[Adresse 5]
[Localité 11]
Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre
Madame Sandrine MOISAN, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Nathalie FRENOY, présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Figen HOKE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Figen HOKE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [T] [V], exerçant en qualité de peintre dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, a été intégré dans les effectifs de la société Arcane Entreprise par avenant du 24 janvier 2013, avec reprise d'ancienneté au 18 juin 1980 (à la lecture de son certificat de travail).
Il avait été élu le 15 juin 2011 membre titulaire de la délégation du personnel, désigné le 7 juillet 2011 délégué syndical et le 4 décembre 2014 représentant des salariés.
Au dernier état de la relation de travail, il occupait le poste de peintre, maître ouvrier, coefficient 250, niveau 4, position 1 de la convention collective régionale du bâtiment (région parisienne).
***
En 2007, la société Spie Batignolles, intervenant dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, a fait l'acquisition de la société Groupe SPR, connue sur le marché de l'aménagement intérieur, société dont faisaient partie depuis 1987 la société Maison Leclaire et la société Trouvé Entreprise, devenues par fusion, à la suite du rachat, la société Trouvé Leclaire (positionnée notamment sur le marché de la finition, des travaux de prestige et des travaux de rénovation traditionnelle du patrimoine ancien).
La société Spie Batignolles, société-mère par ailleurs des sociétés Arcane Entreprise (exerçant une activité de peinture et de rénovation), SP Rénovation (exerçant une activité d'isolation et d'optimisation thermique), Sesini & Longhy (exerçant une activité de rénovation de bâtiments) et Laurent & Fontix (ayant fait l'objet d'une transmission universelle de patrimoine à cette dernière en janvier 2014), a constitué un ' pôle peinture' composé de toutes ces sociétés, chacune d'elles intervenant sur son secteur d'activité plus spécifique.
Par acte du 24 mai 2013, la société Groupe SPR a cédé les sociétés Trouvé Leclaire, SP Rénovation, Sesini & Longhy, Arcane Entreprise - constituant ce ' pôle peinture'- à la société Green Bâtiment, société du groupe Green Recovery spécialisé dans la reprise de sociétés.
Le 29 octobre 2013, la société Green Bâtiment Services a été créée pour centraliser les activités support des filiales du groupe.
Le 21 novembre 2014, une déclaration de cessation des paiements a été faite pour chacune des sociétés du groupe, qui ont été placées en redressement judiciaire le 1er décembre suivant.
Le tribunal de commerce de Créteil a prononcé, le 18 février 2015, leur liquidation judiciaire.
Pour les salariés de ces sociétés, a été mis en place un plan de sauvegarde de l'emploi, lequel, après un premier refus motivé par le non-respect des règles d'information et de consultation, a été homologué par la DIRECCTE le 2 mars 2015.
Le mandataire liquidateur a proposé aux salariés protégés - dont Monsieur [V]-, après avoir reçu l'autorisation administrative de le licencier, une liste de postes en vue d'un reclassement externe par courrier du 12 mars 2015, puis un contrat de sécurisation professionnelle, auquel l'intéressé a adhéré.
La relation de travail a pris fin, dans ce cadre, le 4 mai 2015.
Le tribunal administratif de Melun, par jugement du 18 mai 2016, a annulé les autorisations de licenciement de l'Inspection du travail concernant les salariés protégés en relevant qu'il ne résultait pas des pièces du dossier que les possibilités de reclassement auraient été évoquées, ni que la liste des offres de reclassement externe aurait été communiquée au comité d'entreprise dans le cadre de cette procédure induisant un examen de la situation individuelle du salarié en application de l'article L.2421-3 du code du travail et que, dans ces conditions, le comité d'entreprise ne pouvait être regardé comme ayant été mis à même de discuter des possibilités de reclassement.
Par arrêt du 24 octobre 2018, la cour administrative d'appel a infirmé cette décision.
Contestantla rupture de son contrat de travail intervenue, selon lui, en conséquence de la fraude commise par les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR cherchant, sous couvert d'une démarche de réorientation de leurs activités, à faire l'économie d'un plan de sauvegarde de l'emploi coûteux, tout en se débarrassant de salariés ayant une grande ancienneté, Monsieur [V], comme une centaine d'autres salariés des sociétés liquidées, a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement du 30 mars 2018, a prononcé la jonction des différentes affaires, a débouté les parties de leurs demandes et a condamné les demandeurs aux dépens.
Par déclaration du 1er juin 2018, le salarié a interjeté appel de ce jugement.
Dans l'intervalle, le 30 avril 2018, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société Green Bâtiment, qui n'avait jusque-là pas fait l'objet d'une procédure collective, eu égard aux résultats attendus de l'action en responsabilité contre les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR qu'elle avait entamée.
***
Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 24 novembre 2022, Monsieur [V] demande à la cour :
- de débouter les intimés de leur demande d'irrecevabilité, d'incompétence et d'inopposabilité,
- de se déclarer matériellement compétente,
- de débouter les intimés de leurs demandes de sursis à statuer,
- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes déféré en ce qu'il a débouté le demandeur de toutes ses demandes,
et statuant à nouveau
- d'ordonner :
A.sur la demande au titre de la fraude et de la légèreté blâmable sur le fondement de l'article 1240 (anciennement 1382) du Code civil :
- la condamnation in solidum des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR à lui verser la somme de 73 440 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement frauduleux sur le fondement de l'article 1240 (anciennement 1382) du Code civil au regard des référents établis pour l'ensemble des demandeurs,
- la condamnation in solidum des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
B. sur les demandes au titre du préjudice subi du fait de la perte d'emploi au regard du non-respect de l'engagement pris dans le PSE concernant les reclassements externes :
- la condamnation de la société Arcane à lui verser la somme de 73 440 euros à titre de dommages et intérêts pour perte d'emploi au regard des référents établis pour l'ensemble des demandeurs,
- la condamnation de la société Arcane à lui verser la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non portabilité de la prévoyance et de la mutuelle,
- la fixation de ces sommes au passif de la liquidation et la condamnation de l'AGS ' CGEA IDF Est à garantir les condamnations, en rendant le jugement opposable à ce dernier.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 décembre 2022, la société Spie Batignolles demande à la cour :
- de la recevoir dans son appel incident,
vu l'article L.1411-1 du code du travail,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause,
- de mettre hors de cause la société Spie Batignolles,
à titre subsidiaire,
vu l'article 1240 du Code civil,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les demandeurs à l'action,
- de l'infirmer en ce qu'il a débouté la concluante de sa demande d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner l'appelant à verser à la société Spie Batignolles une somme de 200 euros à ce titre,
en tout état de cause, vu les articles 4, 5, 564 et 565 du code de procédure civile, les articles
L.622-20, L.641-9 et L. 641-4 du code de commerce, l'article 1310 du Code civil, subsidiairement au visa de l'article 1240 du Code civil et de l'article L.3253-16 du code du travail,
- de déclarer irrecevables les demandes de l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est contre la concluante, à titre subsidiaire, sur ce point, de débouter l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est de toutes ses demandes contre la concluante,
- de condamner l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est à payer à la société Spie Batignolles la somme de 100 euros en dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 1240 du Code civil,
- de condamner l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est à payer à la société Spie Batignolles la somme de 100 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la partie appelante, subsidiairement tout succombant, aux entiers dépens, qui seront distraits au profit de Me Sabine Angély-Manceau dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 21 décembre 2022, la société Groupe SPR demande à la cour :
- de la recevoir en son appel incident,
vu l'article L.1411-1 du code du travail,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il s'est déclaré compétent ratione materiae,
- de se déclarer incompétente au profit du tribunal judiciaire de Créteil,
en cas d'évocation par l'application de l'article 90 du code de procédure civile, et en tout état de cause,
vu l'article 1240 du Code civil,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les demandeurs à l'action,
- de l'infirmer en ce qu'il a débouté la concluante de sa demande d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la partie appelante à verser à la société Groupe SPR une somme de 200 euros à ce titre,
vu les articles 4, 5, 564, 565 et 954 du code de procédure civile, les articles L. 622-20, L.641-9 et L. 641-4 du code de commerce, l'article 1310 du Code civil, subsidiairement au visa de l'article 1240 du Code civil et de l'article L.3253-16 du code du travail,
- de déclarer irrecevables les demandes de l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est contre la concluante, à titre subsidiaire, sur ce point, de débouter l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est de toutes ses demandes,
- de condamner l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est à payer à la société Groupe SPR la somme de 100 euros en dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 1240 du Code civil,
- de condamner l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est à payer à la société Groupe SPR la somme de 100 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la partie appelante, subsidiairement tout succombant aux entiers dépens, qui seront distraits au profit de Me Sabine Angély-Manceau dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 15 novembre 2022, Maître [E], mandataire judiciaire nommé en remplacement de la selarl SMJ ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés Arcane, Green Bâtiment Services, SP Rénovation, Sesini & Longhi, Trouvé Leclaire, et la selarl JSA, prise en la personne de Maître [H], en remplacement de la selarl SMJ ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Green Bâtiment demandent à la cour:
*à titre principal
- de confirmer le jugement de première instance à ce qu'il a joint les affaires sous le seul numéro 16/00174, débouté les parties de leurs demandes, condamné les demandeurs aux dépens,
*à titre principal, sur les demandes de dommages et intérêts pour faute délictuelle fondées sur l'article 1240 (ancien article 1382) du Code civil à l'égard de l'ensemble des défenderesses solidairement,
- de prendre acte de ce que Me [E] ès qualités de liquidateur des sociétés Arcane, Green Bâtiment Services, SP Rénovation, Sesini & Longhy, Trouvé Leclaire et Me [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de Green Bâtiment entendent s'en rapporter à justice sur les demandes formulées par les salariés au principal,
*à titre subsidiaire, sur les demandes de dommages et intérêts pour non portabilité des droits à prévoyance et frais de santé
- constater que les appelants n'apportent pas la preuve de l'existence d'un quelconque préjudice,
- débouter les appelants de leurs demandes,
*à titre infiniment subsidiaire, sur la disproportion des dommages-intérêts réclamés par les salariés non-protégés pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
si la Cour devait par extraordinaire considérer que les licenciements de tout ou partie des salariés sont sans cause réelle et sérieuse, il lui est demandé :
- d'ajuster les demandes individuelles de fixation au passif à de plus justes proportions en prenant en compte les éléments versés par les salariés au débat ainsi que le référentiel indicatif prévu par l'article R. 1235-22 du code du travail le cas échéant,
ainsi, au regard des éléments produits, et compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation ainsi que de la Loi de croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ( dite « Travail») du 6 août 2015, ayant créé un barème indicatif qui est aujourd'hui prévu par l'article R.1235-22 du code du travail, il y a lieu:
- de réduire le montant des condamnations demandées pour les réduire à de plus justes proportions,
* en tout état de cause :
- de condamner l'appelant à verser à Maître [E] ès qualités la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 novembre 2022, l'AGS CGEA d'Ile de France Est demande à la cour :
à titre liminaire,
vu l'article L.1235-7-1 du code du travail,
- de se déclarer incompétente pour trancher toute demande découlant de la contestation du contenu du Plan de Sauvegarde de l'Emploi homologué par la DIRECCTE au profit du juge administratif,
- d'inviter le salarié à mieux se pourvoir,
vu les articles L.622-21 et 625-6 du code de commerce,
- de dire et juger irrecevables les demandes de condamnation à l'encontre des sociétés Green Bâtiment Service, Arcane, SP Rénovation, Trouvé Leclaire et Green Bâtiment,
vu l'article L.3253-6 du code du travail,
- de dire et juger les demandes à l'encontre de la société Green Bâtiment inopposables à l'AGS,
- de dire et juger les demandes du salarié de la société Sesini & Longhy inopposables à l'AGS,
vu la loi des 16-24 août 1790,
vu le principe de séparation des pouvoirs,
vu la décision de l'Inspection du travail autorisant les licenciements,
- de dire et juger les demandes de l'appelant tendant à critiquer le bien-fondé de son licenciement irrecevables,
- de prononcer le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure administrative s'agissant des autres salariés protégés,
sur les demandes :
- de donner acte à l'AGS qu'elle s'en rapporte à la sagesse de la Cour s'agissant de la matérialité des faits invoqués par le salarié,
dans l'hypothèse où la Cour retient la responsabilité civile des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR :
vu l'article 1240 du Code civil,
- de dire et juger que les demandes fondées sur la responsabilité des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR sont inopposables aux liquidations des sociétés Green Bâtiment Service, Arcane, Sesini & Longhy , SP Rénovation et Trouvé Leclaire ainsi qu'à l'AGS,
- de condamner solidairement les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR à verser à l'AGS la somme de 11 075 763,52 euros,
sur le licenciement :
vu l'article L. 1233-3 du code travail,
vu les articles L. 640-1 et suivants du code de commerce,
- de constater que le licenciement repose sur un motif économique incontestable,
- de constater que l'argumentaire tendant à critiquer le respect de l'obligation de reclassement par l'employeur est irrecevable,
- de débouter le salarié de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire,
- de constater que cet argumentaire ne peut conduire qu'à l'octroi de dommages- intérêts, sans remettre en cause le licenciement,
- de ramener sa demande à de plus justes proportions,
à titre infiniment subsidiaire,
vu les articles L.1235-1 et 3 du code du travail,
- de débouter le salarié du surplus de sa demande faute de justifier de son préjudice,
vu l'article L.1233-67 du code du travail,
- de débouter le salarié de sa demande de préavis et congés payés afférents,
à titre subsidiaire,
- de dire et juger que le CSP est remis en cause dans l'ensemble de ses effets erga omnes,
- de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de maintien de la prévoyance,
sur la garantie
- de dire et juger que s'il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale,
- de dire et juger qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L.3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens dudit article L.3253-8 du code du travail, les astreintes, dommages et intérêts mettant en oeuvre la responsabilité de droit commun de l'employeur ou article 700 du code de procédure civile étant ainsi exclus de la garantie,
vu les articles L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail,
- de dire et juger qu'en tout état de cause, la garantie de l'AGS ne pourra excéder, toutes créances avancées pour le compte du salarié confondues, l'un des trois plafonds des cotisations maximum du régime d'assurance chômage mentionnés à ces articles,
- de statuer ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 janvier 2023. Lors de l'audience de plaidoiries du 26 janvier 2023, les parties ont souhaité se rapprocher dans le cadre d'une médiation, laquelle a échoué pour l'appelant, comme indiqué à l'audience de renvoi du 29 février 2024.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le sursis à statuer :
Le salarié sollicite que la demande de sursis à statuer formulée en première instance par la société Spie Batignolles et la société Groupe SPR, dans l'attente de la décision du tribunal de commerce de Paris, saisi par la société Green Bâtiment, soit rejetée.
Cette demande n'est plus soutenue en cause d'appel par les sociétés intimées ; il convient donc de confirmer le jugement entrepris qui a 'débouté les parties de leurs demandes' et de statuer sans surseoir.
Sur l'incompétence matérielle:
Soulignant qu'elle n'a jamais eu la qualité d'employeur du salarié appelant, la société Groupe SPR soulève l'incompétence du conseil de prud'hommes pour connaître des demandes présentées à son encontre et soutient que les procédures en responsabilité délictuelle dirigées contre elle devaient être introduites devant le tribunal de grande instance (désormais tribunal judiciaire) de Créteil.
Le salarié fait valoir que tout différend susceptible de s'élever à l'occasion du contrat de travail ressortit à la juridiction prud'homale, cette compétence matérielle s'imposant également au regard du principe de bonne administration de la justice, car faire droit aux demandes des sociétés intimées pourrait conduire en l'espèce, selon lui, à la saisine de quatre juridictions distinctes pour une même affaire.
Le CGEA d'Ile-de-France Est soutient pour sa part que, même en l'absence de co-emploi, une société tierce ayant pris des décisions dommageables pour la société employeur peut être condamnée sur le terrain de la responsabilité extra- contractuelle, si par sa faute ou sa légèreté blâmable, elle a contribué à la disparition d'emplois. Il estime que la demande présentée, qui n'entre pas dans le champ de sa garantie, ne peut être dirigée qu'à l'encontre des sociétés Spie Batignolles, Groupe SPR, voire Green Bâtiment, du fait de leur responsabilité dans le licenciement de l'appelant.
Il est constant que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
Les salariés sont en droit d'agir contre une société tierce sur le terrain extra-contractuel, en invoquant une faute ou violation de l'engagement pris par elle, dès lors qu'il en était résulté pour eux un préjudice.
L'appréciation de l'existence d'un préjudice résultant de l'attitude d'une société tierce ayant conduit à la mise en liquidation judiciaire d'une société employeur et au licenciement de ses salariés est liée au contrat de travail et relève de la compétence prud'homale, conformément aux dispositions de l'article L. 1411- 1 du code du travail.
Alors qu'en l'espèce, une fraude est reprochée à la société Groupe SPR, ayant abouti à la procédure collective ouverte à l'encontre des sociétés du ' pôle peinture' cédé en 2013 et partant, au licenciement de l'appelant, il convient de constater la compétence du conseil de prud'hommes, et en cause d'appel celle de la cour, pour statuer sur les demandes dirigées à l'encontre de cette société de la part du salarié.
L'exception d'incompétence doit par conséquent être rejetée.
Sur la mise hors de cause :
La société Spie Batignolles sollicite sa mise hors de cause, se disant étrangère à la cession du capital des sociétés constituant le 'pôle peinture' dans lesquelles elle n'a tenu aucune participation, même minoritaire.
Le salarié fait l'historique du regroupement des différentes sociétés pour constituer le 'pôle peinture' et rappelle la démarche stratégique ayant conduit à sa cession, via le Groupe SPR, pour s'opposer à la demande.
Comme dit précédemment, les salariés sont en droit d'agir contre une société tierce sur le terrain extra-contractuel, en invoquant une faute ou violation de l'engagement pris par elle, dès lors qu'il en était résulté pour eux un préjudice.
Il est manifeste, en l'espèce, que le processus d'externalisation des activités peinture a supposé l'intervention de la société Spie Batignolles, à l'origine de la création du 'pôle peinture', dans la cession des sociétés Trouvé Leclaire, SP Rénovation, Arcane, Sesini & Longhy.
Alors que sa responsabilité extra-contractuelle est en jeu, sa demande de mise hors de cause doit être rejetée, par confirmation du jugement entrepris.
Sur la fraude et la légèreté blâmable :
Le salarié soutient que les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR ont commis une fraude et une légèreté blâmable dans le cadre de la cession de leurs filiales constituant le ' pôle peinture' et dans le cadre des licenciements, ce contexte frauduleux et les actions de la société Green Bâtiment ayant conduit à la liquidation de la société qui a été en dernier lieu son employeur et donc à la rupture de son contrat de travail.
Il fait valoir que la cession est intervenue à un prix dérisoire et au profit d'une coquille vide, la société Green Bâtiment créée ad hoc pour l'opération, alors que le 'pôle peinture' réalisait un chiffre d'affaires important et avait augmenté significativement ses prises de commandes en 2012, que la promesse d'une absence de plan social n'a pas été tenue, pas plus que les engagements du cessionnaire qui s'est plaint d'un prévisionnel non sincère, de marchés conclus à perte, de man'uvres dolosives de la part des cédants et qui a par ailleurs multiplié les carences et manquements graves, malgré diverses alertes.
La société Groupe SPR, rappelant être tierce au contrat de travail, soutient que l'action engagée contre elle pour ' licenciement frauduleux' ne peut avoir de fondement quasi-délictuel. Elle fait valoir qu'en l'absence de co-emploi, la responsabilité pour faute d'un tiers ne pourrait aboutir qu'à la réparation d'un préjudice pour perte d'emploi liée à une perte de chance, prétention non formulée au dispositif des conclusions de l'appelant.
A titre subsidiaire, elle souligne que l'appelant ne démontre pas de fait fautif, ni ses allégations à ce sujet, que les moyens tirés des circonstances des licenciements ou de la violation des critères d'ordre ne peuvent concerner l'ancien propriétaire de l'entreprise, les conditions de la cession ayant été exclusives de toute fraude et les représentants du personnel, loyalement consultés sur le projet de reprise, ayant donné leur accord. Elle souligne que le rapport de l'expert-comptable, produit par le mandataire judiciaire, exclut toute faute de sa part, que le choix du repreneur a été ouvert, que la cession - qui n'a pas été annulée par le tribunal de commerce - est intervenue plus de 18 mois avant l'ouverture d'une procédure collective des entités cédées - dont la dégradation lui est étrangère-, d'autant que les recapitalisations opérées par elle tendaient au contraire à leur pérennité.
La société Groupe SPR affirme que l'appelant - qui considère que son dommage est constitué par son licenciement - ne peut obtenir deux fois l'indemnisation d'un même préjudice, à savoir des dommages-intérêts pour rupture abusive et sur le terrain de la fraude.
Elle souligne enfin l'absence de lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage, eu égard à la situation économique non compromise des sociétés cédées - qui étaient toutes viables au moment de leur cession-, à leur chiffre d'affaires d'un bon niveau au regard du secteur d'activité et rappelle que le processus de dégradation est la conséquence d'une gestion désastreuse, qui ne la concerne en rien.
La société Spie Batignolles soutient, subsidiairement à sa demande de mise hors de cause, que la juridiction est saisie d'une prétention tendant à sa condamnation à titre de dommages-intérêts pour 'licenciement frauduleux', laquelle ne peut être assimilée au moyen développé relativement à une fraude ou à une légèreté blâmable et doit être rejetée dans la mesure où elle n'a pas prononcé ce licenciement, n'est pas employeur, ni co-employeur de l'appelant, ni société-mère de la société employeur. La société intimée rappelle qu'elle ne peut pas voir sa responsabilité délictuelle engagée pour la rupture d'un contrat et souligne la contradiction de la démarche de l'appelant. Pour les besoins du raisonnement, elle précise que la fraude invoquée - qui ne se présume pas- n'est pas démontrée par le salarié dont les griefs sont inopérants et qui confond 'concert frauduleux' et ' licenciement sans cause réelle et sérieuse'.
A titre très subsidiaire, la société Spie Batignolles rappelle avoir été étrangère à la cession
- qui s'est faite en toute connaissance de cause - des sociétés, depuis liquidées, ainsi qu'à leur forte dégradation, postérieure à la cession en raison de la situation conjoncturelle et d'erreurs de gestion du repreneur. Elle fait siens les arguments de fond de la société Groupe SPR sur les griefs du salarié infondés, selon elle, en fait et en Droit.
Le mandataire liquidateur rappelle que les sociétés liquidées ne peuvent voir leur responsabilité engagée et s'en remet à justice sur la demande formulée par l'appelant. Il partage les interrogations émises par le salarié sur les conditions particulièrement suspectes dans lesquelles les sociétés composant le groupe Green Bâtiment, toutes objet d'une liquidation judiciaire, ont été rachetées au groupe Spie Batignolles, puis gérées suite au rachat pour conduire à leur cessation des paiements et à leur liquidation, comme cela résulte du bilan économique et social sévère de l'administrateur judiciaire à l'égard du cessionnaire et du cédant des sociétés et du rapport d'expertise judiciaire.
Le CGEA d'Ile-de-France Est reprend les différents griefs développés par le salarié et s'en rapporte à la sagesse de la cour sur la réalité des faits - dont la démonstration incombe, selon lui, à l'appelant-.
Selon l'article 1240 du Code civil, 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'
Il résulte notamment de ce texte que chacun des responsables d'un même dommage peut être condamné à le réparer en totalité, peu important que leurs responsabilités résultent d'obligations distinctes, et sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il peut être procédé entre eux, qui n'affecte pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée.
La fraude se prouve par tous moyens, notamment par présomptions tirées de faits qui, pour certains, peuvent être postérieurs à l'acte litigieux.
En l'espèce, les pièces produites de part et d'autre permettent de vérifier un contexte de crise économique et de baisse du chiffre d'affaires subi notamment par le secteur 'peinture' du groupe Spie Batignolles à partir de 2008.
Il ressort du document d' 'information et consultation du comité d'entreprise Trouvé Leclaire sur le projet de cession des sociétés du pôle peinture Trouvé Leclaire, SPRénovation, Sesini & Longhy, Laurent & Fontix, Arcane', document en date du 26 avril 2013, que face à la situation ci-dessus décrite, analysant les faiblesses du 'pôle peinture', la société Spie Batignolles s'est attachée, avec les directions de la société SPR notamment, 'à assurer la pérennité du pôle peinture en procédant aux apports financiers nécessaires pour absorber les pertes (11ME en 5 ans), mettre en place les moyens et les procédures de toute nature indispensables au fonctionnement maîtrisé et efficace de l'ensemble : action commerciale, suivi des affaires, comptabilité et contrôle de gestion, gestion des ressources humaines, informatique et bureautique'... 'pour repositionner les sociétés du pôle sur des segments de marché et des projets profitables permettant de mieux assurer l'avenir de l'entreprise'.
De fait, les pertes accusées jusque-là par les sociétés du ' pôle peinture' ont été absorbées, un renfort de l'action commerciale et du suivi des commandes a été effectif et une réorganisation en profondeur a été menée pour mutualiser les fonctions-support et mobiliser les collaborateurs autour du projet de relance.
Alors qu'un 'retour à un résultat d'exploitation à l'équilibre en 2013 ' était prévu et que le 'pôle peinture' du groupe Spie Batignolles était présenté comme désormais ' bien armé pour reprendre la voie de son développement', sa cession a été envisagée, alors qu'il était décidé, sous l'égide de la société Spie Batignolles, d'un transfert des activités peinture de la société SPR Bâtiment & Industrie vers les métiers du Tous Corps d'Etat.
La raison invoquée pour justifier cette cession, à savoir l'absence de synergie avec le groupe Spie Batignolles « plus tourné vers un mode de fonctionnement 'Projet' que ' Proximité' », questionne sur la finalité de la stratégie adoptée.
Par ailleurs, dans le contexte décrit, cette stratégie ne saurait suffire à expliquer la cession de ce 'pôle peinture'
* intervenue le 24 mai 2013 au profit de la société Green Bâtiment, créée en mai 2013 pour la circonstance et disposant de peu de capitaux, alors que la vente était initialement prévue au profit du groupe Green Recovery dont le cédant avait vanté les compétences et l'expérience en matière de reprise d'activités notamment,
* nonobstant les alertes des représentants du personnel,
* à un prix (de 100 000 euros) sans commune mesure avec la valeur des entreprises constituant le 'pôle peinture', eu égard à leur chiffre d'affaires (environ 50 millions d'euros) , à leur effectif ( 433 salariés, pour la plupart expérimentés), à leur renommée, à leur expertise spécifique dans leur domaine d'activité,
* après des augmentations du capital des sociétés cédées par la société Groupe SPR, décidées notamment le 22 mai 2013 et certifiées effectives dès le lendemain (selon les attestations bancaires produites aux débats par la société cédante), soit juste avant la vente,
* et alors qu'un repreneur ( société d'investissement française) potentiel s'était manifesté et proposait un prix de 4 millions d'euros ( comme le montrent les documents constituant la pièce 27 de la société Groupe SPR).
Par ailleurs, le prêt consenti par la société cédante -concomitamment à la cession - d'une somme de 1 009 000 euros, 'correspondant au Résultat d'Exploitation Consolidé au 31 mars 2013, avant déduction des dotations aux provisions pour pertes à terminaison et des dotations aux provisions pour aléas sur projets', - créance en définitive abandonnée par la société Groupe SPR-, doit être corrélé avec les manipulations d'écritures comptables, le prévisionnel de commandes non sincère et les marchés conclus à perte masquant la situation obérée de la branche peinture du groupe Spie Batignolles, dénoncés par la société Green Bâtiment dans son assignation de la société cédante devant le tribunal de commerce.
D'ailleurs, l'acte de cession des sociétés constituant le 'pôle peinture' stipule l'absence de toute garantie donnée par le cédant et son exonération de toute responsabilité 'quant à l'exactitude, la pertinence ou l'intégralité des prévisions, business plans, budgets, prévisions d'investissement, de chiffre d'affaires, de rentabilité attendue de la gestion des sociétés à compter du 31 décembre 2012 ou toute autre information prévisionnelle'.
Ce prêt de plus d'un million d'euros, mais également les augmentations de capital juste avant la cession, doivent être corrélés aussi avec les engagements de la société cédante relatifs à l'absence de plan social ; ils lui ont permis de faire état d'une situation comptable et de trésorerie satisfaisante, très loin de la situation irrémédiablement compromise qui aurait pu être invoquée dans le cadre de la mise en jeu de sa responsabilité.
En réalité, la lecture des pièces produites et notamment de l'acte de cession du 'pôle peinture' en date du 24 mai 2013 par la société Groupe SPR permet de vérifier que cette dernière, comme la société Spie Batignolles qui est à l'origine de la sélection et du regroupement de certaines sociétés seulement en vue de la constitution du 'pôle peinture', qui a effectué la recherche d'un ' partenaire susceptible de conduire le pôle peinture dans cette phase de redéveloppement commercial avec les meilleures chances de succès, grâce à un cadre permettant de favoriser le dynamisme et l'autonomie de l'entreprise' et a été l'interlocuteur de la société cessionnaire (comme affirmé dans le document d' 'information et consultation du comité d'entreprise Trouvé Leclaire sur le projet de cession des sociétés du pôle peinture' qui présente le groupe Spie Batignolles comme partie prenante de l'opération aux côtés de la société Groupe SPR), se sont assurées de l'apparent rétablissement des sociétés cédées en procédant à différents apports financiers, de l'effectivité de leur cession en la consentant à vil prix et de leur pérennité pendant un laps de temps suffisant pour exonérer la cédante de toute responsabilité grâce à un prêt - très supérieur au prix de vente- qui s'est avéré être un financement sans contrepartie.
Au surplus, alors que des engagements avaient été pris auprès des institutions représentatives du personnel par la société Spie Batignolles et la société Groupe SPR en faveur de l'emploi et de la pérennité de l'activité du ' pôle peinture' ( notamment dans les procès-verbaux de réunions du comité d'entreprise de la société Trouvé Leclaire en date des 25 janvier, 20 mars, 25 juillet , 30 octobre, 27 novembre, 17 décembre 2012, 21 janvier 2013 notamment, dans lesquels la direction assure qu'aucun plan social n'est envisagé ' ni au niveau de Trouvé Leclaire ni au niveau du pôle peinture', ni aucun licenciement prévu), il n'est pas justifié de vérifications faites en amont de la cession pour s'assurer des capacités (en trésorerie, en management, en fonctions-support et logistique) de la société cessionnaire, créée à l'occasion et en vue de cette cession, qui n'a pas recouvré les créances clients, qui n' a donné aucune explication claire quant à la disparition de sa trésorerie, laquelle avait été masquée dans un premier temps par des contrats d'affacturage avec une banque, devenus rapidement insuffisants pour éviter l'état de cessation des paiements.
En outre, comme l'a relevé l'administrateur judiciaire des sociétés cédées, il n'est pas justifié d'intervention de la société cédante relativement à l'absence de système informatique opérationnel entre janvier et juillet 2014, due à des dysfonctionnements dans le cadre de sa migration défectueuse depuis Spie Batignolles vers elle le 31 décembre 2013, alors que la société Green Bâtiment se disait incapable d'assurer le pilotage des entreprises pendant cette longue période.
Les circonstances de la cession, la santé seulement apparente des sociétés cédées, mais aussi le choix du repreneur et ses projets mal dissimulés derrière des conditions de vente peu habituelles, outre une défaillance du système informatique qui a provoqué les suspicions quasi-unanimes des différents intervenants à la procédure collective, conduisent à retenir le lien de causalité entre les actions frauduleuses des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR et les liquidations judiciaires de toutes les sociétés cédées, entraînant des licenciements en nombre, dont celui de l'appelant.
Par conséquent, bien que l'acte de cession ait été signé par la société Groupe SPR avec la société Green Bâtiment, et non par la société Spie Batignolles, l'intervention de cette dernière telle que décrite précédemment permet de retenir une fraude de sa part au même titre que sa filiale, fraude caractérisée en l'espèce par des actes fautifs et déloyaux réalisés avec l'intention d'échapper à l'exécution des lois et d'éluder leurs obligations en matière de licenciements ou de mises à la retraite du personnel travaillant dans un secteur en difficulté.
Il convient donc de constater que la faute commise par ces sociétés a concouru à la liquidation judiciaire des sociétés constituant le 'pôle peinture' cédé à la société Green Bâtiment et à la disparition des emplois qui en a résulté ; leur responsabilité extra-contractuelle étant établie, elles sont redevables à l'endroit du salarié de dommages-intérêts, en réparation du préjudice fondé sur la perte injustifiée de son emploi, et ce nonobstant les termes de ' licenciement frauduleux' employés dans sa prétention par l'appelant, lesquels recouvrent la même réalité et ne sauraient dénaturer l'action présentée à juste titre sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.
Eu égard aux éléments de préjudice démontrés par le salarié du fait de cette perte d'emploi injustifiée, à ses conséquences financières et en termes de carrière professionnelle compte tenu de son âge ( 60 ans) et de son ancienneté (près de 35 ans) au jour de la rupture de son contrat de travail, il convient d'accueillir sa demande d'indemnisation à hauteur de 52 000 euros, somme devant être mise à la charge des deux sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR, in solidum, chacune d'elles ayant contribué au dommage.
Sur l'inopposabilité des demandes :
Le CGEA d'Ile-de-France Est sollicite qu'il lui soit donné acte de ce qu'il s'en rapporte à la sagesse de la cour s'agissant de la matérialité des faits invoqués par le salarié, et dans l'hypothèse où la cour retient la responsabilité civile des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR, vu l'article 1240 du Code civil, qu'elle dise que les demandes fondées sur la responsabilité des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR sont inopposables aux liquidations des sociétés Green Bâtiment Service, Arcane, Sesini & Longhy, SP Rénovation et Trouvé Leclaire ainsi qu'à l'AGS.
Il convient de constater que le salarié sollicite la condamnation des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR sur le fondement d'une faute qui n'est pas opposée à l'AGS, ni d'ailleurs aux sociétés liquidées -dont le CGEA n'est pas le représentant -.
La demande est donc sans objet et doit être rejetée.
Sur la demande d'indemnisation pour perte d'emploi:
L'appelant sollicite, dans la partie 'B.' du dispositif de ses conclusions, la condamnation de la société employeur à lui verser des dommages-intérêts pour perte d'emploi, sur le fondement du non-respect de l'engagement pris dans le plan de sauvegarde de l'emploi concernant le reclassement externe.
Si les autres parties en cause ont considéré cette demande comme subsidiaire, sa formalisation - déterminante, selon l'article 954 du code de procédure civile - ne l'établit nullement, la lettre B ne pouvant être intrinsèquement explicite de la subsidiarité des prétentions présentées.
Il convient donc d'analyser cette demande présentée en sus de celle tendant à la condamnation des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.
***
Le CGEA d'Ile de France Est sollicite d'une part, que soit constatée l'irrecevabilité des demandes de condamnation à l'encontre des sociétés liquidées, en invoquant les dispositions des articles L.622-21 et L.625-6 du code de commerce.
Il souligne d'autre part, la validation définitive du plan de sauvegarde de l'emploi et son contenu, soulève l'incompétence de la juridiction saisie au profit du tribunal administratif pour toute question relative à son contenu, homologué par la DIRECCTE. Il considère que le salarié ne peut critiquer les mesures de reclassement, ni les critères d'ordre retenus dans le document unilatéral, pas plus que le périmètre de reclassement, la cour ne pouvant le cas échéant que trancher la contestation relative à l'application de chacune des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi ainsi qu'à la mise en oeuvre des critères d'ordre des licenciements, par application du principe de séparation des pouvoirs.
Enfin, en tout état de cause, il soulève l'irrecevabilité des demandes critiquant le PSE, au regard du principe de l'autorité de la chose décidée.
L'appelant fait valoir qu'il a sollicité la condamnation, mais également la fixation de diverses sommes au passif de la liquidation judiciaire de la société ayant été son employeur.
Par ailleurs, il souligne qu'il ne critique pas la teneur du PSE mais bien le non-respect par son employeur de son obligation de reclassement. Invoquant l'article L.1233-4 du code du travail dont il résulte que le conseil de prud'hommes est compétent ratione materiae en matière de contrôle de l'obligation individuelle de reclassement, il conclut au rejet de la fin de non-recevoir soulevée.
Le mandataire liquidateur fait valoir que la décision d'homologation du PSE, n'ayant pas été contestée, ne peut être remise en cause, a fortiori devant le juge judiciaire.
Sur la demande de condamnation :
Selon l'article L.622-21 du code de commerce, le jugement d'ouverture d'une procédure collective interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.
De même, les dispositions de l'article L.641-9 du code de commerce et celles des articles
L. 3253-20 et L. 3253-21 du code du travail permettent seulement au salarié de demander que les créances salariales dont il se prévaut soient inscrites sur le relevé dressé par le mandataire judiciaire afin d'entraîner l'obligation pour les institutions de garantie des salaires de verser, selon la procédure légale, les sommes litigieuses entre les mains de celui-ci.
Si, en l'espèce, le salarié sollicite la condamnation de son employeur à lui verser des dommages-intérêts pour perte d'emploi, il formule ensuite une demande de fixation au passif de la liquidation.
L'irrecevabilité soulevée ne saurait donc prospérer.
Sur la séparation des pouvoirs :
Lorsque l'autorisation de licenciement accordée pour motif économique est devenue définitive, comme en l'espèce, le juge judiciaire ne peut ni apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement, ni contrôler le respect de l'obligation individuelle de reclassement, qui a déjà été vérifié par l'Inspecteur du travail.
En outre, il résulte de l'article L. 1235-7-1 du code du travail que, si le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier le respect par l'employeur de l'obligation individuelle de reclassement, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document élaboré par l'employeur par lequel a été fixé le contenu du plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi.
En l'espèce, le salarié, qui critique le respect de l'obligation de reclassement, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, l'étendue du périmètre de reclassement, doit être déclaré irrecevable en sa demande.
Eu égard à cette irrecevabilité, les autres fins de non-recevoir, inopposabilités et demandes en lien doivent être rejetées.
Sur la portabilité des droits en matière de santé et de prévoyance :
L'appelant fait valoir qu' à compter d'octobre 2015, les feuilles de soins afférentes à ses dépenses de santé n'ont plus fait l'objet de remboursement de la part de la mutuelle, laquelle a indiqué que les démarches n'avaient pas été effectuées pour assurer la portabilité de ses droits et a confirmé la cessation des remboursements de soins à compter du 16 septembre 2015, faute de versement des cotisations.
Le mandataire liquidateur soutient pour sa part avoir accompli les démarches pour que les garanties soient maintenues, alors que l'assureur a manqué, selon lui, à ses obligations en rompant la portabilité sous prétexte de défaut de paiement, nonobstant la Loi de sécurisation de l'emploi qui prévoit le financement de la portabilité par mutualisation.
Il fait valoir que le salarié, à qui il appartient de justifier du préjudice qu'il invoque, ne démontre pas que le refus de prise en charge ait été maintenu après contact avec l'assureur, ni qu'il remplissait les conditions de l'article L. 911-8, ni qu'il a subi un préjudice réparable « forfaitairement », à défaut de fournir des pièces au sujet des frais médicaux prétendument réglés et non remboursés, de leur caractère remboursable en fonction du régime de frais de santé applicable, du montant de la quote-part qui aurait été prise en charge par la mutuelle et qui ne l'a pas été, déduction faite des remboursements de la sécurité sociale.
Le CGEA d'Ile de France Est fait valoir que le salarié ne verse aux débats aucun justificatif de refus de prise en charge, refus qui pourrait être en tout état de cause légitime après des licenciements entre mars et mai 2015 en fonction de la date de souscription du contrat et de sa résiliation ou non compte tenu de la liquidation judiciaire. Il conclut au rejet de la demande de ce chef.
La demande d'indemnisation de l'espèce suppose, pour être accueillie, la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux.
Sans même analyser la faute invoquée, il convient de constater que l'appelant invoque un préjudice, sans en justifier en son montant, ni même en son principe, aucun justificatif de dépenses de santé restées à tort à sa charge n'étant produit.
La demande doit donc être rejetée, par confirmation du jugement entrepris.
Sur l'irrecevabilité de la demande de l'AGS :
Le CGEA d'Ile-de-France Est sollicite qu'il lui soit donné acte de ce qu'il s'en rapporte à la sagesse de la cour s'agissant de la matérialité des faits invoqués par le salarié, et dans l'hypothèse où la cour retient la responsabilité civile des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR, vu l'article 1240 du Code civil, lui demande de condamner solidairement les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR à lui verser la somme de 11'075'763,52 euros. Par note en délibéré du 30 juillet 2024, il a ramené sa demande à la somme globale de 9 117 256,56 euros.
Le CGEA d'Ile-de-France Est considère sa demande parfaitement recevable, puisque formulée dans le cadre de ses premières écritures et dans le délai pour interjeter appel incident. Il invoque au surplus le principe de l'unicité de l'instance autorisant les demandes nouvelles en cause d'appel et fait valoir que son argumentaire n'est pas contradictoire, l'avance effectuée étant injustifiée si la faute des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR invoquée par le salarié est reconnue.
Les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR considèrent que le CGEA, n'ayant pas formé appel principal, ni incident du jugement du conseil de prud'hommes, est irrecevable en cette demande de condamnation.
Elles font valoir en outre que cette demande est nouvelle en cause d'appel, qu'aucun fait nouveau n'est invoqué, ni aucune compensation, que le moyen tiré de l'unicité de l'instance est inopérant puisque la juridiction prud'homale est incompétente pour statuer sur les demandes présentées contre les sociétés intimées, et que cette demande se heurte au défaut de qualité de son auteur à agir en dommages-intérêts pour des fautes commises à l'égard de tiers. Elles font état de ce que seul le liquidateur judiciaire a qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers, la demande du CGEA étant au surplus contradictoire avec celle consistant à lui donner acte de ce qu'il s'en rapporte à la sagesse de la cour s'agissant de la matérialité des faits invoqués par le salarié.
Les fins de non-recevoir, même si elles ne sont pas fondées sur une disposition expresse, selon l'article 124 du code de procédure civile, doivent être au moins explicitées dans leur teneur, leur articulation dans la procédure de l'espèce et leurs conséquences.
Or, en l'espèce, en indiquant seulement que 'l'AGS ne forme pas appel, ni principal, ni incident du jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il déboute les parties de leurs demandes', sans énoncer la teneur formelle, chronologique ou autre de leur(s) critique(s) et alors qu'aucun incident relatif à la validité ou à la recevabilité des demandes de l'AGS n'a été soumis au conseiller de la mise en état avant la clôture, les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR ne fondent leur fin de non-recevoir ni en Droit, ni en fait.
Ce moyen d'irrecevabilité doit donc être rejeté.
S'agissant du caractère nouveau de la demande, alors que les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR invoquent l'article 564 du code de procédure civile, il convient de rappeler que l'article R. 1452-6 du code du travail, qui posait le principe de l'unicité de l'instance prud'homale, lequel obligeait le salarié à former dans le cadre d'une même instance toutes ses demandes dérivant du même contrat de travail, a été abrogé par décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, mais reste applicable aux instances introduites devant les conseils de prud'hommes avant le 1er août 2016 (article 45 du décret).
En l'espèce, l'instance ayant été introduite le 27 janvier 2016, l'irrecevabilité soulevée ne saurait prospérer.
Relativement à la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir, elle ne saurait aboutir, puisque l'association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés (AGS) mettant en oeuvre le régime d'assurance prévu par l'article L. 143-11-1du code du travail, est régulièrement représentée en l'espèce par le CGEA d'Ile de France Est, ayant été attraite en cause d'appel au même titre que les sociétés intimées par le recours formé par l'appelant et sa présence étant requise en l'état des procédures collectives ouvertes conformément notamment aux dispositions des articles L.631-18, L.641-14 du code de commerce, qui sont d'ordre public.
Enfin, il est de principe que le fait pour une partie de s'en rapporter à justice sur le mérite d'une demande implique de sa part non un acquiescement mais une contestation de cette demande.
Cependant, alors que la demande de 'donner acte' est dépourvue de toute portée juridique, il convient en outre de relever la non-pertinence du moyen soulevé, d'autant qu' intervenant forcé à raison des procédures collectives des sociétés constituant le 'pôle peinture' et ayant des intérêts divergeant de ceux des autres intimés attraits en la cause, le CGEA, en s'en rapportant à la sagesse de la cour s'agissant de la matérialité des faits invoqués par le salarié, faits déterminants pour le bien-fondé de sa demande de condamnation des sociétés intimées, doit être considéré comme ayant contesté les arguments desdites sociétés et non ceux de l'appelant.
Sur le bien-fondé de la demande de l'AGS:
Le CGEA fait état de son préjudice certain, au titre de l'ensemble des avances faites dans le cadre de sa garantie au profit des salariés des sociétés Green Bâtiment Service, Arcane, SP Rénovation, Sesini & Longhy et Trouvé Leclaire, mais également de son image et de l'instrumentalisation d'une garantie sociale prévue dans l'intérêt des salariés. En ce qui concerne le lien de causalité, il souligne que si les procédures collectives étaient considérées comme dues aux agissements ou à la passivité des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR, la cour devrait en tirer toutes les conséquences au titre de leur légèreté blâmable ou d'un abondement insuffisant au PSE.
À titre subsidiaire, la société Spie Batignolles et la société Groupe SPR font valoir que la demande de l'AGS tendant à leur condamnation n'est pas fondée, le CGEA n'alléguant aucune faute de leur part à son endroit mais se prévalant de celle invoquée par les salariés à leur encontre, tablant sur leur responsabilité seulement « par hypothèse » , sans qu'aucun abondement insuffisant au PSE ni qu'une quelconque responsabilité au titre des liquidations judiciaires survenues ne puissent leur être reprochés.
Elles rappellent que l'action en responsabilité de l'AGS consiste en un recours subrogatoire prévu par l'article L.3253-16 2° du code du travail supposant non seulement l'imputabilité au défendeur de la procédure collective de l'employeur mais aussi une insuffisance d'actif rendant impossible le remboursement des avances faites par le liquidateur judiciaire. Ces deux conditions faisant défaut, notamment en l'absence de tout certificat d'irrecouvrabilité émanant du liquidateur judiciaire, elles concluent au rejet de la demande, laquelle au surplus tend sans fondement à une condamnation 'solidaire', dont le quantum n'a pas été calculé puisque présenté à hauteur d'une somme globale concernant d'autres salariés du 'pôle peinture' licenciés.
Selon l'article L.3253-16 du code du travail, 'les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances :
1° Pour l'ensemble des créances, lors d'une procédure de sauvegarde ;
2° Pour les créances garanties par le privilège prévu aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 et les créances avancées au titre du 3° de l'article L. 3253-8, lors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Les autres sommes avancées dans le cadre de ces procédures leur sont remboursées dans les conditions prévues par les dispositions du livre VI du code de commerce pour le règlement des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure. Elles bénéficient alors des privilèges attachés à celle-ci.'
Il résulte de ce texte et de l'article L. 3253-20 du code du travail que l'AGS, subrogée dans les droits des salariés pour lesquels elle a réalisé des avances, dispose d'un recours limité aux créances salariales superprivilégiées et aux créances résultant de la rupture du contrat de travail dans le cadre d'un contrat de sécurisation professionnelle, les autres sommes avancées dans le cadre de ces procédures lui étant remboursées dans les conditions prévues par les dispositions du livre VI du code de commerce pour le règlement des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure et bénéficiant des privilèges attachés à celle-ci. L'application de ces textes permet au CGEA d'être payé immédiatement ou sur les premières rentrées de fonds disponibles, indépendamment du rang des créanciers.
Il en résulte que les avances de l'AGS dépendent des fonds détenus par les organes de la procédure collective pouvant être mobilisés pour le paiement des créances des salariés et non de sommes qui pourraient être mobilisées par des tiers.
Par ailleurs, dans le cadre de la responsabilité extra-contractuelle des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR que le CGEA d'Ile de France Est souhaite mettre en jeu, il lui appartient de caractériser la faute, le préjudice et un lien de causalité entre eux.
Or, sans évoquer le fait que le CGEA ne fait aucune démonstration dans la caractérisation de la faute des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR à son encontre, force est de constater que la preuve de la réalité de son préjudice - dont la nature n'est d'ailleurs pas définie- n'est pas rapportée, surtout à défaut de certificat d'irrecouvrabilité des créances, pas plus que celle d'un lien de causalité pouvant exister entre ce prétendu préjudice et la faute par ailleurs invoquée.
La demande doit donc être rejetée.
Sur les autres demandes :
La demande de confirmation du jugement de première instance qui a joint les procédures ne saurait prospérer, la disjonction ayant au contraire été ordonnée à l'occasion de la mise en état du dossier, en vue d'un traitement individualisé de chaque affaire.
La cour n'a pas à statuer sur les demandes de constat, de donner acte ou de prendre acte qui ne correspondent pas à des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, précises, exécutables ou exécutoires.
Le CGEA sollicite par ailleurs :
- que les demandes contre la société Green Bâtiment lui soient déclarées inopposables dans la mesure où aucun des appelants n'est salarié de cette société,
- que les demandes du salarié de la société Sesini & Longhy lui sont inopposables,
- le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure administrative s'agissant des autres salariés protégés.
Ces demandes, qui concernent d'autres salariés que l'appelant, ne sauraient prospérer.
Enfin, en ce qui concerne la garantie de l'AGS, elle n'est pas mise en jeu en l'espèce; les demandes du CGEA d'Ile de France Est à ce titre doivent donc être rejetées.
Sur la procédure abusive :
La société Spie Batignolles sollicite la condamnation du CGEA d'Ile-de-France Est à lui payer la somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.
La société Groupe SPR formule une prétention similaire, sur le même fondement, à hauteur de la même somme.
L'exercice d'une action en justice ou d'un recours constitue en son principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts que s'il caractérise un acte de mauvaise foi ou de malice ou une erreur grossière équipollente au dol.
En l'espèce, aucun élément n'est produit permettant de caractériser un abus de la part du CGEA. Les demandes doivent donc être rejetées.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Par infirmation du jugement entrepris, la société Spie Batignolles et la société Groupe SPR, qui succombent, devront les dépens de première instance et d'appel in solidum.
Pour cette raison, mais aussi par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, le ministère d'avocat n'étant pas obligatoire devant la chambre sociale d'une cour d'appel puisque les parties peuvent également y être représentées par un défenseur syndical, il ne saurait y avoir distraction des dépens au profit de l'avocat de ces sociétés.
L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles du salarié et de faire droit à sa demande à hauteur de la somme globale de 1 000 euros pour la première instance et l'appel.
Il y a lieu aussi, en équité, de confirmer le jugement de première instance et de rejeter les demandes présentées par les autres parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par arrêt, mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement de première instance en ses dispositions prononçant la jonction des affaires, rejetant les fins de non-recevoir tirées de la séparation des pouvoirs, la demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, la demande au titre des frais irrépétibles présentée par le salarié et en ses dispositions relatives aux dépens,
Le CONFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
CONSTATE l'irrecevabilité des critiques de Monsieur [T] [V] relatives à l'obligation de reclassement, au périmètre de reclassement et au licenciement,
CONDAMNE les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR in solidum à verser à Monsieur [T] [V] les sommes de :
- 52 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,
DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR in solidum aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2024
(n° , 19 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06146 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B77YF
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Mars 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 16/00174
APPELANT
Monsieur [T] [V]
[Adresse 2]
[Localité 10]
Représenté par Me Michel GUIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020
INTIMES ET INTERVENANTS
SAS SPIE BATIGNOLLES
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 6]
[Localité 8]
Représentée par Me Sabine ANGELY-MANCEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : A0492
SA GROUPE SPR
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 12]
Représentée par Me Sabine ANGELY-MANCEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : A0492
AGS CGEA ILE DE FRANCE EST
pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 9]
Représentée par Me Jean-Charles GANCIA, avocat au barreau de PARIS, toque : T07
Maître [W] [E], mandataire judiciaire domicilié [Adresse 1] à [Localité 13] nommé en remplacement de Maître [J] [C], SMJ ' Société de Mandataires Judiciaires,
ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés ARCANE, GREEN BATIMENT SERVICES, SP RENOVATION, SESINI LONGHI et TROUVE LECLAIRE
[Adresse 5]
[Localité 11]
Représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
SELARL JSA, prise en la personne de Maître [H], société de mandataire judiciaire domicilié [Adresse 4]) nommé en remplacement de Maître [C], SMJ ' Société de Mandataires Judiciaires,
ès qualités de liquidateur judiciaire de la société GREEN BATIMENT
[Adresse 5]
[Localité 11]
Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre
Madame Sandrine MOISAN, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Nathalie FRENOY, présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Figen HOKE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Figen HOKE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [T] [V], exerçant en qualité de peintre dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, a été intégré dans les effectifs de la société Arcane Entreprise par avenant du 24 janvier 2013, avec reprise d'ancienneté au 18 juin 1980 (à la lecture de son certificat de travail).
Il avait été élu le 15 juin 2011 membre titulaire de la délégation du personnel, désigné le 7 juillet 2011 délégué syndical et le 4 décembre 2014 représentant des salariés.
Au dernier état de la relation de travail, il occupait le poste de peintre, maître ouvrier, coefficient 250, niveau 4, position 1 de la convention collective régionale du bâtiment (région parisienne).
***
En 2007, la société Spie Batignolles, intervenant dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, a fait l'acquisition de la société Groupe SPR, connue sur le marché de l'aménagement intérieur, société dont faisaient partie depuis 1987 la société Maison Leclaire et la société Trouvé Entreprise, devenues par fusion, à la suite du rachat, la société Trouvé Leclaire (positionnée notamment sur le marché de la finition, des travaux de prestige et des travaux de rénovation traditionnelle du patrimoine ancien).
La société Spie Batignolles, société-mère par ailleurs des sociétés Arcane Entreprise (exerçant une activité de peinture et de rénovation), SP Rénovation (exerçant une activité d'isolation et d'optimisation thermique), Sesini & Longhy (exerçant une activité de rénovation de bâtiments) et Laurent & Fontix (ayant fait l'objet d'une transmission universelle de patrimoine à cette dernière en janvier 2014), a constitué un ' pôle peinture' composé de toutes ces sociétés, chacune d'elles intervenant sur son secteur d'activité plus spécifique.
Par acte du 24 mai 2013, la société Groupe SPR a cédé les sociétés Trouvé Leclaire, SP Rénovation, Sesini & Longhy, Arcane Entreprise - constituant ce ' pôle peinture'- à la société Green Bâtiment, société du groupe Green Recovery spécialisé dans la reprise de sociétés.
Le 29 octobre 2013, la société Green Bâtiment Services a été créée pour centraliser les activités support des filiales du groupe.
Le 21 novembre 2014, une déclaration de cessation des paiements a été faite pour chacune des sociétés du groupe, qui ont été placées en redressement judiciaire le 1er décembre suivant.
Le tribunal de commerce de Créteil a prononcé, le 18 février 2015, leur liquidation judiciaire.
Pour les salariés de ces sociétés, a été mis en place un plan de sauvegarde de l'emploi, lequel, après un premier refus motivé par le non-respect des règles d'information et de consultation, a été homologué par la DIRECCTE le 2 mars 2015.
Le mandataire liquidateur a proposé aux salariés protégés - dont Monsieur [V]-, après avoir reçu l'autorisation administrative de le licencier, une liste de postes en vue d'un reclassement externe par courrier du 12 mars 2015, puis un contrat de sécurisation professionnelle, auquel l'intéressé a adhéré.
La relation de travail a pris fin, dans ce cadre, le 4 mai 2015.
Le tribunal administratif de Melun, par jugement du 18 mai 2016, a annulé les autorisations de licenciement de l'Inspection du travail concernant les salariés protégés en relevant qu'il ne résultait pas des pièces du dossier que les possibilités de reclassement auraient été évoquées, ni que la liste des offres de reclassement externe aurait été communiquée au comité d'entreprise dans le cadre de cette procédure induisant un examen de la situation individuelle du salarié en application de l'article L.2421-3 du code du travail et que, dans ces conditions, le comité d'entreprise ne pouvait être regardé comme ayant été mis à même de discuter des possibilités de reclassement.
Par arrêt du 24 octobre 2018, la cour administrative d'appel a infirmé cette décision.
Contestantla rupture de son contrat de travail intervenue, selon lui, en conséquence de la fraude commise par les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR cherchant, sous couvert d'une démarche de réorientation de leurs activités, à faire l'économie d'un plan de sauvegarde de l'emploi coûteux, tout en se débarrassant de salariés ayant une grande ancienneté, Monsieur [V], comme une centaine d'autres salariés des sociétés liquidées, a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement du 30 mars 2018, a prononcé la jonction des différentes affaires, a débouté les parties de leurs demandes et a condamné les demandeurs aux dépens.
Par déclaration du 1er juin 2018, le salarié a interjeté appel de ce jugement.
Dans l'intervalle, le 30 avril 2018, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société Green Bâtiment, qui n'avait jusque-là pas fait l'objet d'une procédure collective, eu égard aux résultats attendus de l'action en responsabilité contre les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR qu'elle avait entamée.
***
Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 24 novembre 2022, Monsieur [V] demande à la cour :
- de débouter les intimés de leur demande d'irrecevabilité, d'incompétence et d'inopposabilité,
- de se déclarer matériellement compétente,
- de débouter les intimés de leurs demandes de sursis à statuer,
- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes déféré en ce qu'il a débouté le demandeur de toutes ses demandes,
et statuant à nouveau
- d'ordonner :
A.sur la demande au titre de la fraude et de la légèreté blâmable sur le fondement de l'article 1240 (anciennement 1382) du Code civil :
- la condamnation in solidum des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR à lui verser la somme de 73 440 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement frauduleux sur le fondement de l'article 1240 (anciennement 1382) du Code civil au regard des référents établis pour l'ensemble des demandeurs,
- la condamnation in solidum des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
B. sur les demandes au titre du préjudice subi du fait de la perte d'emploi au regard du non-respect de l'engagement pris dans le PSE concernant les reclassements externes :
- la condamnation de la société Arcane à lui verser la somme de 73 440 euros à titre de dommages et intérêts pour perte d'emploi au regard des référents établis pour l'ensemble des demandeurs,
- la condamnation de la société Arcane à lui verser la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non portabilité de la prévoyance et de la mutuelle,
- la fixation de ces sommes au passif de la liquidation et la condamnation de l'AGS ' CGEA IDF Est à garantir les condamnations, en rendant le jugement opposable à ce dernier.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 décembre 2022, la société Spie Batignolles demande à la cour :
- de la recevoir dans son appel incident,
vu l'article L.1411-1 du code du travail,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause,
- de mettre hors de cause la société Spie Batignolles,
à titre subsidiaire,
vu l'article 1240 du Code civil,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les demandeurs à l'action,
- de l'infirmer en ce qu'il a débouté la concluante de sa demande d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner l'appelant à verser à la société Spie Batignolles une somme de 200 euros à ce titre,
en tout état de cause, vu les articles 4, 5, 564 et 565 du code de procédure civile, les articles
L.622-20, L.641-9 et L. 641-4 du code de commerce, l'article 1310 du Code civil, subsidiairement au visa de l'article 1240 du Code civil et de l'article L.3253-16 du code du travail,
- de déclarer irrecevables les demandes de l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est contre la concluante, à titre subsidiaire, sur ce point, de débouter l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est de toutes ses demandes contre la concluante,
- de condamner l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est à payer à la société Spie Batignolles la somme de 100 euros en dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 1240 du Code civil,
- de condamner l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est à payer à la société Spie Batignolles la somme de 100 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la partie appelante, subsidiairement tout succombant, aux entiers dépens, qui seront distraits au profit de Me Sabine Angély-Manceau dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 21 décembre 2022, la société Groupe SPR demande à la cour :
- de la recevoir en son appel incident,
vu l'article L.1411-1 du code du travail,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il s'est déclaré compétent ratione materiae,
- de se déclarer incompétente au profit du tribunal judiciaire de Créteil,
en cas d'évocation par l'application de l'article 90 du code de procédure civile, et en tout état de cause,
vu l'article 1240 du Code civil,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les demandeurs à l'action,
- de l'infirmer en ce qu'il a débouté la concluante de sa demande d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la partie appelante à verser à la société Groupe SPR une somme de 200 euros à ce titre,
vu les articles 4, 5, 564, 565 et 954 du code de procédure civile, les articles L. 622-20, L.641-9 et L. 641-4 du code de commerce, l'article 1310 du Code civil, subsidiairement au visa de l'article 1240 du Code civil et de l'article L.3253-16 du code du travail,
- de déclarer irrecevables les demandes de l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est contre la concluante, à titre subsidiaire, sur ce point, de débouter l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est de toutes ses demandes,
- de condamner l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est à payer à la société Groupe SPR la somme de 100 euros en dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 1240 du Code civil,
- de condamner l'Unedic Délégation AGS CGEA IDF Est à payer à la société Groupe SPR la somme de 100 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la partie appelante, subsidiairement tout succombant aux entiers dépens, qui seront distraits au profit de Me Sabine Angély-Manceau dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 15 novembre 2022, Maître [E], mandataire judiciaire nommé en remplacement de la selarl SMJ ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés Arcane, Green Bâtiment Services, SP Rénovation, Sesini & Longhi, Trouvé Leclaire, et la selarl JSA, prise en la personne de Maître [H], en remplacement de la selarl SMJ ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Green Bâtiment demandent à la cour:
*à titre principal
- de confirmer le jugement de première instance à ce qu'il a joint les affaires sous le seul numéro 16/00174, débouté les parties de leurs demandes, condamné les demandeurs aux dépens,
*à titre principal, sur les demandes de dommages et intérêts pour faute délictuelle fondées sur l'article 1240 (ancien article 1382) du Code civil à l'égard de l'ensemble des défenderesses solidairement,
- de prendre acte de ce que Me [E] ès qualités de liquidateur des sociétés Arcane, Green Bâtiment Services, SP Rénovation, Sesini & Longhy, Trouvé Leclaire et Me [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de Green Bâtiment entendent s'en rapporter à justice sur les demandes formulées par les salariés au principal,
*à titre subsidiaire, sur les demandes de dommages et intérêts pour non portabilité des droits à prévoyance et frais de santé
- constater que les appelants n'apportent pas la preuve de l'existence d'un quelconque préjudice,
- débouter les appelants de leurs demandes,
*à titre infiniment subsidiaire, sur la disproportion des dommages-intérêts réclamés par les salariés non-protégés pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
si la Cour devait par extraordinaire considérer que les licenciements de tout ou partie des salariés sont sans cause réelle et sérieuse, il lui est demandé :
- d'ajuster les demandes individuelles de fixation au passif à de plus justes proportions en prenant en compte les éléments versés par les salariés au débat ainsi que le référentiel indicatif prévu par l'article R. 1235-22 du code du travail le cas échéant,
ainsi, au regard des éléments produits, et compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation ainsi que de la Loi de croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ( dite « Travail») du 6 août 2015, ayant créé un barème indicatif qui est aujourd'hui prévu par l'article R.1235-22 du code du travail, il y a lieu:
- de réduire le montant des condamnations demandées pour les réduire à de plus justes proportions,
* en tout état de cause :
- de condamner l'appelant à verser à Maître [E] ès qualités la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 novembre 2022, l'AGS CGEA d'Ile de France Est demande à la cour :
à titre liminaire,
vu l'article L.1235-7-1 du code du travail,
- de se déclarer incompétente pour trancher toute demande découlant de la contestation du contenu du Plan de Sauvegarde de l'Emploi homologué par la DIRECCTE au profit du juge administratif,
- d'inviter le salarié à mieux se pourvoir,
vu les articles L.622-21 et 625-6 du code de commerce,
- de dire et juger irrecevables les demandes de condamnation à l'encontre des sociétés Green Bâtiment Service, Arcane, SP Rénovation, Trouvé Leclaire et Green Bâtiment,
vu l'article L.3253-6 du code du travail,
- de dire et juger les demandes à l'encontre de la société Green Bâtiment inopposables à l'AGS,
- de dire et juger les demandes du salarié de la société Sesini & Longhy inopposables à l'AGS,
vu la loi des 16-24 août 1790,
vu le principe de séparation des pouvoirs,
vu la décision de l'Inspection du travail autorisant les licenciements,
- de dire et juger les demandes de l'appelant tendant à critiquer le bien-fondé de son licenciement irrecevables,
- de prononcer le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure administrative s'agissant des autres salariés protégés,
sur les demandes :
- de donner acte à l'AGS qu'elle s'en rapporte à la sagesse de la Cour s'agissant de la matérialité des faits invoqués par le salarié,
dans l'hypothèse où la Cour retient la responsabilité civile des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR :
vu l'article 1240 du Code civil,
- de dire et juger que les demandes fondées sur la responsabilité des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR sont inopposables aux liquidations des sociétés Green Bâtiment Service, Arcane, Sesini & Longhy , SP Rénovation et Trouvé Leclaire ainsi qu'à l'AGS,
- de condamner solidairement les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR à verser à l'AGS la somme de 11 075 763,52 euros,
sur le licenciement :
vu l'article L. 1233-3 du code travail,
vu les articles L. 640-1 et suivants du code de commerce,
- de constater que le licenciement repose sur un motif économique incontestable,
- de constater que l'argumentaire tendant à critiquer le respect de l'obligation de reclassement par l'employeur est irrecevable,
- de débouter le salarié de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire,
- de constater que cet argumentaire ne peut conduire qu'à l'octroi de dommages- intérêts, sans remettre en cause le licenciement,
- de ramener sa demande à de plus justes proportions,
à titre infiniment subsidiaire,
vu les articles L.1235-1 et 3 du code du travail,
- de débouter le salarié du surplus de sa demande faute de justifier de son préjudice,
vu l'article L.1233-67 du code du travail,
- de débouter le salarié de sa demande de préavis et congés payés afférents,
à titre subsidiaire,
- de dire et juger que le CSP est remis en cause dans l'ensemble de ses effets erga omnes,
- de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de maintien de la prévoyance,
sur la garantie
- de dire et juger que s'il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale,
- de dire et juger qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L.3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens dudit article L.3253-8 du code du travail, les astreintes, dommages et intérêts mettant en oeuvre la responsabilité de droit commun de l'employeur ou article 700 du code de procédure civile étant ainsi exclus de la garantie,
vu les articles L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail,
- de dire et juger qu'en tout état de cause, la garantie de l'AGS ne pourra excéder, toutes créances avancées pour le compte du salarié confondues, l'un des trois plafonds des cotisations maximum du régime d'assurance chômage mentionnés à ces articles,
- de statuer ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 janvier 2023. Lors de l'audience de plaidoiries du 26 janvier 2023, les parties ont souhaité se rapprocher dans le cadre d'une médiation, laquelle a échoué pour l'appelant, comme indiqué à l'audience de renvoi du 29 février 2024.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le sursis à statuer :
Le salarié sollicite que la demande de sursis à statuer formulée en première instance par la société Spie Batignolles et la société Groupe SPR, dans l'attente de la décision du tribunal de commerce de Paris, saisi par la société Green Bâtiment, soit rejetée.
Cette demande n'est plus soutenue en cause d'appel par les sociétés intimées ; il convient donc de confirmer le jugement entrepris qui a 'débouté les parties de leurs demandes' et de statuer sans surseoir.
Sur l'incompétence matérielle:
Soulignant qu'elle n'a jamais eu la qualité d'employeur du salarié appelant, la société Groupe SPR soulève l'incompétence du conseil de prud'hommes pour connaître des demandes présentées à son encontre et soutient que les procédures en responsabilité délictuelle dirigées contre elle devaient être introduites devant le tribunal de grande instance (désormais tribunal judiciaire) de Créteil.
Le salarié fait valoir que tout différend susceptible de s'élever à l'occasion du contrat de travail ressortit à la juridiction prud'homale, cette compétence matérielle s'imposant également au regard du principe de bonne administration de la justice, car faire droit aux demandes des sociétés intimées pourrait conduire en l'espèce, selon lui, à la saisine de quatre juridictions distinctes pour une même affaire.
Le CGEA d'Ile-de-France Est soutient pour sa part que, même en l'absence de co-emploi, une société tierce ayant pris des décisions dommageables pour la société employeur peut être condamnée sur le terrain de la responsabilité extra- contractuelle, si par sa faute ou sa légèreté blâmable, elle a contribué à la disparition d'emplois. Il estime que la demande présentée, qui n'entre pas dans le champ de sa garantie, ne peut être dirigée qu'à l'encontre des sociétés Spie Batignolles, Groupe SPR, voire Green Bâtiment, du fait de leur responsabilité dans le licenciement de l'appelant.
Il est constant que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
Les salariés sont en droit d'agir contre une société tierce sur le terrain extra-contractuel, en invoquant une faute ou violation de l'engagement pris par elle, dès lors qu'il en était résulté pour eux un préjudice.
L'appréciation de l'existence d'un préjudice résultant de l'attitude d'une société tierce ayant conduit à la mise en liquidation judiciaire d'une société employeur et au licenciement de ses salariés est liée au contrat de travail et relève de la compétence prud'homale, conformément aux dispositions de l'article L. 1411- 1 du code du travail.
Alors qu'en l'espèce, une fraude est reprochée à la société Groupe SPR, ayant abouti à la procédure collective ouverte à l'encontre des sociétés du ' pôle peinture' cédé en 2013 et partant, au licenciement de l'appelant, il convient de constater la compétence du conseil de prud'hommes, et en cause d'appel celle de la cour, pour statuer sur les demandes dirigées à l'encontre de cette société de la part du salarié.
L'exception d'incompétence doit par conséquent être rejetée.
Sur la mise hors de cause :
La société Spie Batignolles sollicite sa mise hors de cause, se disant étrangère à la cession du capital des sociétés constituant le 'pôle peinture' dans lesquelles elle n'a tenu aucune participation, même minoritaire.
Le salarié fait l'historique du regroupement des différentes sociétés pour constituer le 'pôle peinture' et rappelle la démarche stratégique ayant conduit à sa cession, via le Groupe SPR, pour s'opposer à la demande.
Comme dit précédemment, les salariés sont en droit d'agir contre une société tierce sur le terrain extra-contractuel, en invoquant une faute ou violation de l'engagement pris par elle, dès lors qu'il en était résulté pour eux un préjudice.
Il est manifeste, en l'espèce, que le processus d'externalisation des activités peinture a supposé l'intervention de la société Spie Batignolles, à l'origine de la création du 'pôle peinture', dans la cession des sociétés Trouvé Leclaire, SP Rénovation, Arcane, Sesini & Longhy.
Alors que sa responsabilité extra-contractuelle est en jeu, sa demande de mise hors de cause doit être rejetée, par confirmation du jugement entrepris.
Sur la fraude et la légèreté blâmable :
Le salarié soutient que les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR ont commis une fraude et une légèreté blâmable dans le cadre de la cession de leurs filiales constituant le ' pôle peinture' et dans le cadre des licenciements, ce contexte frauduleux et les actions de la société Green Bâtiment ayant conduit à la liquidation de la société qui a été en dernier lieu son employeur et donc à la rupture de son contrat de travail.
Il fait valoir que la cession est intervenue à un prix dérisoire et au profit d'une coquille vide, la société Green Bâtiment créée ad hoc pour l'opération, alors que le 'pôle peinture' réalisait un chiffre d'affaires important et avait augmenté significativement ses prises de commandes en 2012, que la promesse d'une absence de plan social n'a pas été tenue, pas plus que les engagements du cessionnaire qui s'est plaint d'un prévisionnel non sincère, de marchés conclus à perte, de man'uvres dolosives de la part des cédants et qui a par ailleurs multiplié les carences et manquements graves, malgré diverses alertes.
La société Groupe SPR, rappelant être tierce au contrat de travail, soutient que l'action engagée contre elle pour ' licenciement frauduleux' ne peut avoir de fondement quasi-délictuel. Elle fait valoir qu'en l'absence de co-emploi, la responsabilité pour faute d'un tiers ne pourrait aboutir qu'à la réparation d'un préjudice pour perte d'emploi liée à une perte de chance, prétention non formulée au dispositif des conclusions de l'appelant.
A titre subsidiaire, elle souligne que l'appelant ne démontre pas de fait fautif, ni ses allégations à ce sujet, que les moyens tirés des circonstances des licenciements ou de la violation des critères d'ordre ne peuvent concerner l'ancien propriétaire de l'entreprise, les conditions de la cession ayant été exclusives de toute fraude et les représentants du personnel, loyalement consultés sur le projet de reprise, ayant donné leur accord. Elle souligne que le rapport de l'expert-comptable, produit par le mandataire judiciaire, exclut toute faute de sa part, que le choix du repreneur a été ouvert, que la cession - qui n'a pas été annulée par le tribunal de commerce - est intervenue plus de 18 mois avant l'ouverture d'une procédure collective des entités cédées - dont la dégradation lui est étrangère-, d'autant que les recapitalisations opérées par elle tendaient au contraire à leur pérennité.
La société Groupe SPR affirme que l'appelant - qui considère que son dommage est constitué par son licenciement - ne peut obtenir deux fois l'indemnisation d'un même préjudice, à savoir des dommages-intérêts pour rupture abusive et sur le terrain de la fraude.
Elle souligne enfin l'absence de lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage, eu égard à la situation économique non compromise des sociétés cédées - qui étaient toutes viables au moment de leur cession-, à leur chiffre d'affaires d'un bon niveau au regard du secteur d'activité et rappelle que le processus de dégradation est la conséquence d'une gestion désastreuse, qui ne la concerne en rien.
La société Spie Batignolles soutient, subsidiairement à sa demande de mise hors de cause, que la juridiction est saisie d'une prétention tendant à sa condamnation à titre de dommages-intérêts pour 'licenciement frauduleux', laquelle ne peut être assimilée au moyen développé relativement à une fraude ou à une légèreté blâmable et doit être rejetée dans la mesure où elle n'a pas prononcé ce licenciement, n'est pas employeur, ni co-employeur de l'appelant, ni société-mère de la société employeur. La société intimée rappelle qu'elle ne peut pas voir sa responsabilité délictuelle engagée pour la rupture d'un contrat et souligne la contradiction de la démarche de l'appelant. Pour les besoins du raisonnement, elle précise que la fraude invoquée - qui ne se présume pas- n'est pas démontrée par le salarié dont les griefs sont inopérants et qui confond 'concert frauduleux' et ' licenciement sans cause réelle et sérieuse'.
A titre très subsidiaire, la société Spie Batignolles rappelle avoir été étrangère à la cession
- qui s'est faite en toute connaissance de cause - des sociétés, depuis liquidées, ainsi qu'à leur forte dégradation, postérieure à la cession en raison de la situation conjoncturelle et d'erreurs de gestion du repreneur. Elle fait siens les arguments de fond de la société Groupe SPR sur les griefs du salarié infondés, selon elle, en fait et en Droit.
Le mandataire liquidateur rappelle que les sociétés liquidées ne peuvent voir leur responsabilité engagée et s'en remet à justice sur la demande formulée par l'appelant. Il partage les interrogations émises par le salarié sur les conditions particulièrement suspectes dans lesquelles les sociétés composant le groupe Green Bâtiment, toutes objet d'une liquidation judiciaire, ont été rachetées au groupe Spie Batignolles, puis gérées suite au rachat pour conduire à leur cessation des paiements et à leur liquidation, comme cela résulte du bilan économique et social sévère de l'administrateur judiciaire à l'égard du cessionnaire et du cédant des sociétés et du rapport d'expertise judiciaire.
Le CGEA d'Ile-de-France Est reprend les différents griefs développés par le salarié et s'en rapporte à la sagesse de la cour sur la réalité des faits - dont la démonstration incombe, selon lui, à l'appelant-.
Selon l'article 1240 du Code civil, 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'
Il résulte notamment de ce texte que chacun des responsables d'un même dommage peut être condamné à le réparer en totalité, peu important que leurs responsabilités résultent d'obligations distinctes, et sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il peut être procédé entre eux, qui n'affecte pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée.
La fraude se prouve par tous moyens, notamment par présomptions tirées de faits qui, pour certains, peuvent être postérieurs à l'acte litigieux.
En l'espèce, les pièces produites de part et d'autre permettent de vérifier un contexte de crise économique et de baisse du chiffre d'affaires subi notamment par le secteur 'peinture' du groupe Spie Batignolles à partir de 2008.
Il ressort du document d' 'information et consultation du comité d'entreprise Trouvé Leclaire sur le projet de cession des sociétés du pôle peinture Trouvé Leclaire, SPRénovation, Sesini & Longhy, Laurent & Fontix, Arcane', document en date du 26 avril 2013, que face à la situation ci-dessus décrite, analysant les faiblesses du 'pôle peinture', la société Spie Batignolles s'est attachée, avec les directions de la société SPR notamment, 'à assurer la pérennité du pôle peinture en procédant aux apports financiers nécessaires pour absorber les pertes (11ME en 5 ans), mettre en place les moyens et les procédures de toute nature indispensables au fonctionnement maîtrisé et efficace de l'ensemble : action commerciale, suivi des affaires, comptabilité et contrôle de gestion, gestion des ressources humaines, informatique et bureautique'... 'pour repositionner les sociétés du pôle sur des segments de marché et des projets profitables permettant de mieux assurer l'avenir de l'entreprise'.
De fait, les pertes accusées jusque-là par les sociétés du ' pôle peinture' ont été absorbées, un renfort de l'action commerciale et du suivi des commandes a été effectif et une réorganisation en profondeur a été menée pour mutualiser les fonctions-support et mobiliser les collaborateurs autour du projet de relance.
Alors qu'un 'retour à un résultat d'exploitation à l'équilibre en 2013 ' était prévu et que le 'pôle peinture' du groupe Spie Batignolles était présenté comme désormais ' bien armé pour reprendre la voie de son développement', sa cession a été envisagée, alors qu'il était décidé, sous l'égide de la société Spie Batignolles, d'un transfert des activités peinture de la société SPR Bâtiment & Industrie vers les métiers du Tous Corps d'Etat.
La raison invoquée pour justifier cette cession, à savoir l'absence de synergie avec le groupe Spie Batignolles « plus tourné vers un mode de fonctionnement 'Projet' que ' Proximité' », questionne sur la finalité de la stratégie adoptée.
Par ailleurs, dans le contexte décrit, cette stratégie ne saurait suffire à expliquer la cession de ce 'pôle peinture'
* intervenue le 24 mai 2013 au profit de la société Green Bâtiment, créée en mai 2013 pour la circonstance et disposant de peu de capitaux, alors que la vente était initialement prévue au profit du groupe Green Recovery dont le cédant avait vanté les compétences et l'expérience en matière de reprise d'activités notamment,
* nonobstant les alertes des représentants du personnel,
* à un prix (de 100 000 euros) sans commune mesure avec la valeur des entreprises constituant le 'pôle peinture', eu égard à leur chiffre d'affaires (environ 50 millions d'euros) , à leur effectif ( 433 salariés, pour la plupart expérimentés), à leur renommée, à leur expertise spécifique dans leur domaine d'activité,
* après des augmentations du capital des sociétés cédées par la société Groupe SPR, décidées notamment le 22 mai 2013 et certifiées effectives dès le lendemain (selon les attestations bancaires produites aux débats par la société cédante), soit juste avant la vente,
* et alors qu'un repreneur ( société d'investissement française) potentiel s'était manifesté et proposait un prix de 4 millions d'euros ( comme le montrent les documents constituant la pièce 27 de la société Groupe SPR).
Par ailleurs, le prêt consenti par la société cédante -concomitamment à la cession - d'une somme de 1 009 000 euros, 'correspondant au Résultat d'Exploitation Consolidé au 31 mars 2013, avant déduction des dotations aux provisions pour pertes à terminaison et des dotations aux provisions pour aléas sur projets', - créance en définitive abandonnée par la société Groupe SPR-, doit être corrélé avec les manipulations d'écritures comptables, le prévisionnel de commandes non sincère et les marchés conclus à perte masquant la situation obérée de la branche peinture du groupe Spie Batignolles, dénoncés par la société Green Bâtiment dans son assignation de la société cédante devant le tribunal de commerce.
D'ailleurs, l'acte de cession des sociétés constituant le 'pôle peinture' stipule l'absence de toute garantie donnée par le cédant et son exonération de toute responsabilité 'quant à l'exactitude, la pertinence ou l'intégralité des prévisions, business plans, budgets, prévisions d'investissement, de chiffre d'affaires, de rentabilité attendue de la gestion des sociétés à compter du 31 décembre 2012 ou toute autre information prévisionnelle'.
Ce prêt de plus d'un million d'euros, mais également les augmentations de capital juste avant la cession, doivent être corrélés aussi avec les engagements de la société cédante relatifs à l'absence de plan social ; ils lui ont permis de faire état d'une situation comptable et de trésorerie satisfaisante, très loin de la situation irrémédiablement compromise qui aurait pu être invoquée dans le cadre de la mise en jeu de sa responsabilité.
En réalité, la lecture des pièces produites et notamment de l'acte de cession du 'pôle peinture' en date du 24 mai 2013 par la société Groupe SPR permet de vérifier que cette dernière, comme la société Spie Batignolles qui est à l'origine de la sélection et du regroupement de certaines sociétés seulement en vue de la constitution du 'pôle peinture', qui a effectué la recherche d'un ' partenaire susceptible de conduire le pôle peinture dans cette phase de redéveloppement commercial avec les meilleures chances de succès, grâce à un cadre permettant de favoriser le dynamisme et l'autonomie de l'entreprise' et a été l'interlocuteur de la société cessionnaire (comme affirmé dans le document d' 'information et consultation du comité d'entreprise Trouvé Leclaire sur le projet de cession des sociétés du pôle peinture' qui présente le groupe Spie Batignolles comme partie prenante de l'opération aux côtés de la société Groupe SPR), se sont assurées de l'apparent rétablissement des sociétés cédées en procédant à différents apports financiers, de l'effectivité de leur cession en la consentant à vil prix et de leur pérennité pendant un laps de temps suffisant pour exonérer la cédante de toute responsabilité grâce à un prêt - très supérieur au prix de vente- qui s'est avéré être un financement sans contrepartie.
Au surplus, alors que des engagements avaient été pris auprès des institutions représentatives du personnel par la société Spie Batignolles et la société Groupe SPR en faveur de l'emploi et de la pérennité de l'activité du ' pôle peinture' ( notamment dans les procès-verbaux de réunions du comité d'entreprise de la société Trouvé Leclaire en date des 25 janvier, 20 mars, 25 juillet , 30 octobre, 27 novembre, 17 décembre 2012, 21 janvier 2013 notamment, dans lesquels la direction assure qu'aucun plan social n'est envisagé ' ni au niveau de Trouvé Leclaire ni au niveau du pôle peinture', ni aucun licenciement prévu), il n'est pas justifié de vérifications faites en amont de la cession pour s'assurer des capacités (en trésorerie, en management, en fonctions-support et logistique) de la société cessionnaire, créée à l'occasion et en vue de cette cession, qui n'a pas recouvré les créances clients, qui n' a donné aucune explication claire quant à la disparition de sa trésorerie, laquelle avait été masquée dans un premier temps par des contrats d'affacturage avec une banque, devenus rapidement insuffisants pour éviter l'état de cessation des paiements.
En outre, comme l'a relevé l'administrateur judiciaire des sociétés cédées, il n'est pas justifié d'intervention de la société cédante relativement à l'absence de système informatique opérationnel entre janvier et juillet 2014, due à des dysfonctionnements dans le cadre de sa migration défectueuse depuis Spie Batignolles vers elle le 31 décembre 2013, alors que la société Green Bâtiment se disait incapable d'assurer le pilotage des entreprises pendant cette longue période.
Les circonstances de la cession, la santé seulement apparente des sociétés cédées, mais aussi le choix du repreneur et ses projets mal dissimulés derrière des conditions de vente peu habituelles, outre une défaillance du système informatique qui a provoqué les suspicions quasi-unanimes des différents intervenants à la procédure collective, conduisent à retenir le lien de causalité entre les actions frauduleuses des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR et les liquidations judiciaires de toutes les sociétés cédées, entraînant des licenciements en nombre, dont celui de l'appelant.
Par conséquent, bien que l'acte de cession ait été signé par la société Groupe SPR avec la société Green Bâtiment, et non par la société Spie Batignolles, l'intervention de cette dernière telle que décrite précédemment permet de retenir une fraude de sa part au même titre que sa filiale, fraude caractérisée en l'espèce par des actes fautifs et déloyaux réalisés avec l'intention d'échapper à l'exécution des lois et d'éluder leurs obligations en matière de licenciements ou de mises à la retraite du personnel travaillant dans un secteur en difficulté.
Il convient donc de constater que la faute commise par ces sociétés a concouru à la liquidation judiciaire des sociétés constituant le 'pôle peinture' cédé à la société Green Bâtiment et à la disparition des emplois qui en a résulté ; leur responsabilité extra-contractuelle étant établie, elles sont redevables à l'endroit du salarié de dommages-intérêts, en réparation du préjudice fondé sur la perte injustifiée de son emploi, et ce nonobstant les termes de ' licenciement frauduleux' employés dans sa prétention par l'appelant, lesquels recouvrent la même réalité et ne sauraient dénaturer l'action présentée à juste titre sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.
Eu égard aux éléments de préjudice démontrés par le salarié du fait de cette perte d'emploi injustifiée, à ses conséquences financières et en termes de carrière professionnelle compte tenu de son âge ( 60 ans) et de son ancienneté (près de 35 ans) au jour de la rupture de son contrat de travail, il convient d'accueillir sa demande d'indemnisation à hauteur de 52 000 euros, somme devant être mise à la charge des deux sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR, in solidum, chacune d'elles ayant contribué au dommage.
Sur l'inopposabilité des demandes :
Le CGEA d'Ile-de-France Est sollicite qu'il lui soit donné acte de ce qu'il s'en rapporte à la sagesse de la cour s'agissant de la matérialité des faits invoqués par le salarié, et dans l'hypothèse où la cour retient la responsabilité civile des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR, vu l'article 1240 du Code civil, qu'elle dise que les demandes fondées sur la responsabilité des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR sont inopposables aux liquidations des sociétés Green Bâtiment Service, Arcane, Sesini & Longhy, SP Rénovation et Trouvé Leclaire ainsi qu'à l'AGS.
Il convient de constater que le salarié sollicite la condamnation des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR sur le fondement d'une faute qui n'est pas opposée à l'AGS, ni d'ailleurs aux sociétés liquidées -dont le CGEA n'est pas le représentant -.
La demande est donc sans objet et doit être rejetée.
Sur la demande d'indemnisation pour perte d'emploi:
L'appelant sollicite, dans la partie 'B.' du dispositif de ses conclusions, la condamnation de la société employeur à lui verser des dommages-intérêts pour perte d'emploi, sur le fondement du non-respect de l'engagement pris dans le plan de sauvegarde de l'emploi concernant le reclassement externe.
Si les autres parties en cause ont considéré cette demande comme subsidiaire, sa formalisation - déterminante, selon l'article 954 du code de procédure civile - ne l'établit nullement, la lettre B ne pouvant être intrinsèquement explicite de la subsidiarité des prétentions présentées.
Il convient donc d'analyser cette demande présentée en sus de celle tendant à la condamnation des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.
***
Le CGEA d'Ile de France Est sollicite d'une part, que soit constatée l'irrecevabilité des demandes de condamnation à l'encontre des sociétés liquidées, en invoquant les dispositions des articles L.622-21 et L.625-6 du code de commerce.
Il souligne d'autre part, la validation définitive du plan de sauvegarde de l'emploi et son contenu, soulève l'incompétence de la juridiction saisie au profit du tribunal administratif pour toute question relative à son contenu, homologué par la DIRECCTE. Il considère que le salarié ne peut critiquer les mesures de reclassement, ni les critères d'ordre retenus dans le document unilatéral, pas plus que le périmètre de reclassement, la cour ne pouvant le cas échéant que trancher la contestation relative à l'application de chacune des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi ainsi qu'à la mise en oeuvre des critères d'ordre des licenciements, par application du principe de séparation des pouvoirs.
Enfin, en tout état de cause, il soulève l'irrecevabilité des demandes critiquant le PSE, au regard du principe de l'autorité de la chose décidée.
L'appelant fait valoir qu'il a sollicité la condamnation, mais également la fixation de diverses sommes au passif de la liquidation judiciaire de la société ayant été son employeur.
Par ailleurs, il souligne qu'il ne critique pas la teneur du PSE mais bien le non-respect par son employeur de son obligation de reclassement. Invoquant l'article L.1233-4 du code du travail dont il résulte que le conseil de prud'hommes est compétent ratione materiae en matière de contrôle de l'obligation individuelle de reclassement, il conclut au rejet de la fin de non-recevoir soulevée.
Le mandataire liquidateur fait valoir que la décision d'homologation du PSE, n'ayant pas été contestée, ne peut être remise en cause, a fortiori devant le juge judiciaire.
Sur la demande de condamnation :
Selon l'article L.622-21 du code de commerce, le jugement d'ouverture d'une procédure collective interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.
De même, les dispositions de l'article L.641-9 du code de commerce et celles des articles
L. 3253-20 et L. 3253-21 du code du travail permettent seulement au salarié de demander que les créances salariales dont il se prévaut soient inscrites sur le relevé dressé par le mandataire judiciaire afin d'entraîner l'obligation pour les institutions de garantie des salaires de verser, selon la procédure légale, les sommes litigieuses entre les mains de celui-ci.
Si, en l'espèce, le salarié sollicite la condamnation de son employeur à lui verser des dommages-intérêts pour perte d'emploi, il formule ensuite une demande de fixation au passif de la liquidation.
L'irrecevabilité soulevée ne saurait donc prospérer.
Sur la séparation des pouvoirs :
Lorsque l'autorisation de licenciement accordée pour motif économique est devenue définitive, comme en l'espèce, le juge judiciaire ne peut ni apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement, ni contrôler le respect de l'obligation individuelle de reclassement, qui a déjà été vérifié par l'Inspecteur du travail.
En outre, il résulte de l'article L. 1235-7-1 du code du travail que, si le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier le respect par l'employeur de l'obligation individuelle de reclassement, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document élaboré par l'employeur par lequel a été fixé le contenu du plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi.
En l'espèce, le salarié, qui critique le respect de l'obligation de reclassement, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, l'étendue du périmètre de reclassement, doit être déclaré irrecevable en sa demande.
Eu égard à cette irrecevabilité, les autres fins de non-recevoir, inopposabilités et demandes en lien doivent être rejetées.
Sur la portabilité des droits en matière de santé et de prévoyance :
L'appelant fait valoir qu' à compter d'octobre 2015, les feuilles de soins afférentes à ses dépenses de santé n'ont plus fait l'objet de remboursement de la part de la mutuelle, laquelle a indiqué que les démarches n'avaient pas été effectuées pour assurer la portabilité de ses droits et a confirmé la cessation des remboursements de soins à compter du 16 septembre 2015, faute de versement des cotisations.
Le mandataire liquidateur soutient pour sa part avoir accompli les démarches pour que les garanties soient maintenues, alors que l'assureur a manqué, selon lui, à ses obligations en rompant la portabilité sous prétexte de défaut de paiement, nonobstant la Loi de sécurisation de l'emploi qui prévoit le financement de la portabilité par mutualisation.
Il fait valoir que le salarié, à qui il appartient de justifier du préjudice qu'il invoque, ne démontre pas que le refus de prise en charge ait été maintenu après contact avec l'assureur, ni qu'il remplissait les conditions de l'article L. 911-8, ni qu'il a subi un préjudice réparable « forfaitairement », à défaut de fournir des pièces au sujet des frais médicaux prétendument réglés et non remboursés, de leur caractère remboursable en fonction du régime de frais de santé applicable, du montant de la quote-part qui aurait été prise en charge par la mutuelle et qui ne l'a pas été, déduction faite des remboursements de la sécurité sociale.
Le CGEA d'Ile de France Est fait valoir que le salarié ne verse aux débats aucun justificatif de refus de prise en charge, refus qui pourrait être en tout état de cause légitime après des licenciements entre mars et mai 2015 en fonction de la date de souscription du contrat et de sa résiliation ou non compte tenu de la liquidation judiciaire. Il conclut au rejet de la demande de ce chef.
La demande d'indemnisation de l'espèce suppose, pour être accueillie, la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux.
Sans même analyser la faute invoquée, il convient de constater que l'appelant invoque un préjudice, sans en justifier en son montant, ni même en son principe, aucun justificatif de dépenses de santé restées à tort à sa charge n'étant produit.
La demande doit donc être rejetée, par confirmation du jugement entrepris.
Sur l'irrecevabilité de la demande de l'AGS :
Le CGEA d'Ile-de-France Est sollicite qu'il lui soit donné acte de ce qu'il s'en rapporte à la sagesse de la cour s'agissant de la matérialité des faits invoqués par le salarié, et dans l'hypothèse où la cour retient la responsabilité civile des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR, vu l'article 1240 du Code civil, lui demande de condamner solidairement les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR à lui verser la somme de 11'075'763,52 euros. Par note en délibéré du 30 juillet 2024, il a ramené sa demande à la somme globale de 9 117 256,56 euros.
Le CGEA d'Ile-de-France Est considère sa demande parfaitement recevable, puisque formulée dans le cadre de ses premières écritures et dans le délai pour interjeter appel incident. Il invoque au surplus le principe de l'unicité de l'instance autorisant les demandes nouvelles en cause d'appel et fait valoir que son argumentaire n'est pas contradictoire, l'avance effectuée étant injustifiée si la faute des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR invoquée par le salarié est reconnue.
Les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR considèrent que le CGEA, n'ayant pas formé appel principal, ni incident du jugement du conseil de prud'hommes, est irrecevable en cette demande de condamnation.
Elles font valoir en outre que cette demande est nouvelle en cause d'appel, qu'aucun fait nouveau n'est invoqué, ni aucune compensation, que le moyen tiré de l'unicité de l'instance est inopérant puisque la juridiction prud'homale est incompétente pour statuer sur les demandes présentées contre les sociétés intimées, et que cette demande se heurte au défaut de qualité de son auteur à agir en dommages-intérêts pour des fautes commises à l'égard de tiers. Elles font état de ce que seul le liquidateur judiciaire a qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers, la demande du CGEA étant au surplus contradictoire avec celle consistant à lui donner acte de ce qu'il s'en rapporte à la sagesse de la cour s'agissant de la matérialité des faits invoqués par le salarié.
Les fins de non-recevoir, même si elles ne sont pas fondées sur une disposition expresse, selon l'article 124 du code de procédure civile, doivent être au moins explicitées dans leur teneur, leur articulation dans la procédure de l'espèce et leurs conséquences.
Or, en l'espèce, en indiquant seulement que 'l'AGS ne forme pas appel, ni principal, ni incident du jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il déboute les parties de leurs demandes', sans énoncer la teneur formelle, chronologique ou autre de leur(s) critique(s) et alors qu'aucun incident relatif à la validité ou à la recevabilité des demandes de l'AGS n'a été soumis au conseiller de la mise en état avant la clôture, les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR ne fondent leur fin de non-recevoir ni en Droit, ni en fait.
Ce moyen d'irrecevabilité doit donc être rejeté.
S'agissant du caractère nouveau de la demande, alors que les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR invoquent l'article 564 du code de procédure civile, il convient de rappeler que l'article R. 1452-6 du code du travail, qui posait le principe de l'unicité de l'instance prud'homale, lequel obligeait le salarié à former dans le cadre d'une même instance toutes ses demandes dérivant du même contrat de travail, a été abrogé par décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, mais reste applicable aux instances introduites devant les conseils de prud'hommes avant le 1er août 2016 (article 45 du décret).
En l'espèce, l'instance ayant été introduite le 27 janvier 2016, l'irrecevabilité soulevée ne saurait prospérer.
Relativement à la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir, elle ne saurait aboutir, puisque l'association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés (AGS) mettant en oeuvre le régime d'assurance prévu par l'article L. 143-11-1du code du travail, est régulièrement représentée en l'espèce par le CGEA d'Ile de France Est, ayant été attraite en cause d'appel au même titre que les sociétés intimées par le recours formé par l'appelant et sa présence étant requise en l'état des procédures collectives ouvertes conformément notamment aux dispositions des articles L.631-18, L.641-14 du code de commerce, qui sont d'ordre public.
Enfin, il est de principe que le fait pour une partie de s'en rapporter à justice sur le mérite d'une demande implique de sa part non un acquiescement mais une contestation de cette demande.
Cependant, alors que la demande de 'donner acte' est dépourvue de toute portée juridique, il convient en outre de relever la non-pertinence du moyen soulevé, d'autant qu' intervenant forcé à raison des procédures collectives des sociétés constituant le 'pôle peinture' et ayant des intérêts divergeant de ceux des autres intimés attraits en la cause, le CGEA, en s'en rapportant à la sagesse de la cour s'agissant de la matérialité des faits invoqués par le salarié, faits déterminants pour le bien-fondé de sa demande de condamnation des sociétés intimées, doit être considéré comme ayant contesté les arguments desdites sociétés et non ceux de l'appelant.
Sur le bien-fondé de la demande de l'AGS:
Le CGEA fait état de son préjudice certain, au titre de l'ensemble des avances faites dans le cadre de sa garantie au profit des salariés des sociétés Green Bâtiment Service, Arcane, SP Rénovation, Sesini & Longhy et Trouvé Leclaire, mais également de son image et de l'instrumentalisation d'une garantie sociale prévue dans l'intérêt des salariés. En ce qui concerne le lien de causalité, il souligne que si les procédures collectives étaient considérées comme dues aux agissements ou à la passivité des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR, la cour devrait en tirer toutes les conséquences au titre de leur légèreté blâmable ou d'un abondement insuffisant au PSE.
À titre subsidiaire, la société Spie Batignolles et la société Groupe SPR font valoir que la demande de l'AGS tendant à leur condamnation n'est pas fondée, le CGEA n'alléguant aucune faute de leur part à son endroit mais se prévalant de celle invoquée par les salariés à leur encontre, tablant sur leur responsabilité seulement « par hypothèse » , sans qu'aucun abondement insuffisant au PSE ni qu'une quelconque responsabilité au titre des liquidations judiciaires survenues ne puissent leur être reprochés.
Elles rappellent que l'action en responsabilité de l'AGS consiste en un recours subrogatoire prévu par l'article L.3253-16 2° du code du travail supposant non seulement l'imputabilité au défendeur de la procédure collective de l'employeur mais aussi une insuffisance d'actif rendant impossible le remboursement des avances faites par le liquidateur judiciaire. Ces deux conditions faisant défaut, notamment en l'absence de tout certificat d'irrecouvrabilité émanant du liquidateur judiciaire, elles concluent au rejet de la demande, laquelle au surplus tend sans fondement à une condamnation 'solidaire', dont le quantum n'a pas été calculé puisque présenté à hauteur d'une somme globale concernant d'autres salariés du 'pôle peinture' licenciés.
Selon l'article L.3253-16 du code du travail, 'les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances :
1° Pour l'ensemble des créances, lors d'une procédure de sauvegarde ;
2° Pour les créances garanties par le privilège prévu aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 et les créances avancées au titre du 3° de l'article L. 3253-8, lors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Les autres sommes avancées dans le cadre de ces procédures leur sont remboursées dans les conditions prévues par les dispositions du livre VI du code de commerce pour le règlement des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure. Elles bénéficient alors des privilèges attachés à celle-ci.'
Il résulte de ce texte et de l'article L. 3253-20 du code du travail que l'AGS, subrogée dans les droits des salariés pour lesquels elle a réalisé des avances, dispose d'un recours limité aux créances salariales superprivilégiées et aux créances résultant de la rupture du contrat de travail dans le cadre d'un contrat de sécurisation professionnelle, les autres sommes avancées dans le cadre de ces procédures lui étant remboursées dans les conditions prévues par les dispositions du livre VI du code de commerce pour le règlement des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure et bénéficiant des privilèges attachés à celle-ci. L'application de ces textes permet au CGEA d'être payé immédiatement ou sur les premières rentrées de fonds disponibles, indépendamment du rang des créanciers.
Il en résulte que les avances de l'AGS dépendent des fonds détenus par les organes de la procédure collective pouvant être mobilisés pour le paiement des créances des salariés et non de sommes qui pourraient être mobilisées par des tiers.
Par ailleurs, dans le cadre de la responsabilité extra-contractuelle des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR que le CGEA d'Ile de France Est souhaite mettre en jeu, il lui appartient de caractériser la faute, le préjudice et un lien de causalité entre eux.
Or, sans évoquer le fait que le CGEA ne fait aucune démonstration dans la caractérisation de la faute des sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR à son encontre, force est de constater que la preuve de la réalité de son préjudice - dont la nature n'est d'ailleurs pas définie- n'est pas rapportée, surtout à défaut de certificat d'irrecouvrabilité des créances, pas plus que celle d'un lien de causalité pouvant exister entre ce prétendu préjudice et la faute par ailleurs invoquée.
La demande doit donc être rejetée.
Sur les autres demandes :
La demande de confirmation du jugement de première instance qui a joint les procédures ne saurait prospérer, la disjonction ayant au contraire été ordonnée à l'occasion de la mise en état du dossier, en vue d'un traitement individualisé de chaque affaire.
La cour n'a pas à statuer sur les demandes de constat, de donner acte ou de prendre acte qui ne correspondent pas à des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, précises, exécutables ou exécutoires.
Le CGEA sollicite par ailleurs :
- que les demandes contre la société Green Bâtiment lui soient déclarées inopposables dans la mesure où aucun des appelants n'est salarié de cette société,
- que les demandes du salarié de la société Sesini & Longhy lui sont inopposables,
- le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure administrative s'agissant des autres salariés protégés.
Ces demandes, qui concernent d'autres salariés que l'appelant, ne sauraient prospérer.
Enfin, en ce qui concerne la garantie de l'AGS, elle n'est pas mise en jeu en l'espèce; les demandes du CGEA d'Ile de France Est à ce titre doivent donc être rejetées.
Sur la procédure abusive :
La société Spie Batignolles sollicite la condamnation du CGEA d'Ile-de-France Est à lui payer la somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.
La société Groupe SPR formule une prétention similaire, sur le même fondement, à hauteur de la même somme.
L'exercice d'une action en justice ou d'un recours constitue en son principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts que s'il caractérise un acte de mauvaise foi ou de malice ou une erreur grossière équipollente au dol.
En l'espèce, aucun élément n'est produit permettant de caractériser un abus de la part du CGEA. Les demandes doivent donc être rejetées.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Par infirmation du jugement entrepris, la société Spie Batignolles et la société Groupe SPR, qui succombent, devront les dépens de première instance et d'appel in solidum.
Pour cette raison, mais aussi par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, le ministère d'avocat n'étant pas obligatoire devant la chambre sociale d'une cour d'appel puisque les parties peuvent également y être représentées par un défenseur syndical, il ne saurait y avoir distraction des dépens au profit de l'avocat de ces sociétés.
L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles du salarié et de faire droit à sa demande à hauteur de la somme globale de 1 000 euros pour la première instance et l'appel.
Il y a lieu aussi, en équité, de confirmer le jugement de première instance et de rejeter les demandes présentées par les autres parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par arrêt, mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement de première instance en ses dispositions prononçant la jonction des affaires, rejetant les fins de non-recevoir tirées de la séparation des pouvoirs, la demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, la demande au titre des frais irrépétibles présentée par le salarié et en ses dispositions relatives aux dépens,
Le CONFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
CONSTATE l'irrecevabilité des critiques de Monsieur [T] [V] relatives à l'obligation de reclassement, au périmètre de reclassement et au licenciement,
CONDAMNE les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR in solidum à verser à Monsieur [T] [V] les sommes de :
- 52 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,
DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE les sociétés Spie Batignolles et Groupe SPR in solidum aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE