Décisions
CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 25 septembre 2024, n° 23/08196
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRÊT DU 25 SEPTEMBRE 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/08196 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHSCS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Mars 2023 - tribunal judiciaire de Paris - RG n° 21/13200
APPELANTS
M. [E] [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Mme [P] [D] épouse [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentés par Me Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIMÉE
S.A. SOCIETE GENERALE
[Adresse 2]
[Localité 4]
N°SIRET : 552 120 222
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0077 substituée à l'audience par Me Louise RIETH, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Marc BAILLY, président de chambre
Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Yulia TREFILOVA
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marc BAILLY, président de chambre, et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 2 mai 2023 M. [E] [W] et Mme [P] [D] son épouse, ont interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 17 mars 2023 dont le dispositif est ainsi rédigé :
'DEBOUTE Monsieur [E] [W] et Madame [P] [D], épouse [W], de l'ensemble de leurs demandes ;
CONDAMNE in solidum Monsieur [E] [W] et Madame [P] [D], épouse [W], aux dépens, dont distraction au profit de la SCP LUSSAN et à verser à la Société Générale la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.'
***
À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 11 juin 2024 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.
Au dispositif de leurs dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 10 juin 2024, les appelants
présentent, en ces termes, leurs demandes à la cour :
'Vu les articles 1104 et 1231-1 du Code civil,
Vu la jurisprudence citée et les références produites,
Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
INFIRMER la décision de première instance en ce qu'elle a débouté Monsieur et Madame [W] de leur demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice né des manquements de la Société Générale à son devoir de vigilance ;
INFIRMER la décision de première instance en ce qu'elle a condamné Monsieur et Madame [W] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Statuant à nouveau :
CONDAMNER la Société Générale au paiement de dommages et intérêts d'un montant de 225 782 euros au bénéfice de Monsieur et Madame [W] en réparation de leur préjudice financier ;
CONDAMNER la Société Générale à 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à tous les dépens de la présente instance ainsi que de la première instance ;
DEBOUTER la Société Générale de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions.'
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 6 juin 2024, l'intimé
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu l'article 1240 du code civil
Il est demandé à la Cour de :
CONFIRMER le jugement du Tribunal judiciaire de Paris en date du 17 mars 2023, en ce qu'il :
- 'DEBOUTE Monsieur [E] [W] et Madame [P] [D], épouse [W], de l'ensemble de leurs demandes ;
- CONDAMNE in solidum Monsieur [E] [W] et Madame [P] [D] épouse [W], aux dépens, dont distraction au profit de la SCP LUSSAN et à verser à la Société Générale la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.'
En tout état de cause,
DEBOUTER purement et simplement les époux [W] de l'ensemble de leurs demandes,
fins, moyens et conclusions
CONDAMNER les époux [W] à verser à SOCIETE GENERALE une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Les CONDAMNER aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP LUSSAN.'
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Entre le 12 juin et le 7 septembre 2017, M. [E] [W] et Mme [P] [D], son épouse, ont souhaité effectuer, depuis leur compte de particuliers ouvert dans les livres de la banque Société Générale, en se présentant à l'agence (les 7 et 8 juin 2017, selon la Société Générale - fait non contesté) quatre virements bancaires, qui seront exécutés le 12 juin 2017. Ces virements, de 54 112 euros, 56 974,40 euros, 45 120 euros, et 56 693,60 euros, d'un montant total de 212 900 euros, étaient tous à destination d'une banque située à [Localité 5] (China Citic Bank) et au profit de 'IDM International Limited' avec comme motif : 'Placement dans une société'. Ils ont été retournés à la Société Générale par la banque réceptionnaire, et le compte de MMme [W] a été recrédité de ces sommes le 15 juin 2017.
Ont alors été opérés les virements suivants :
- En agence, le 15 juin 2017, un virement de 57 846,74 euros à destination de la Grande Bretagne, au profit de 'Chelsea Service Company Limited', sur un compte détenu dans les livres de la HSBC Bank PLC avec comme motif : 'Personnel / Placements parts société' ;
- En agence, le 19 juin 2017, un virement de 212 900 euros à destination de la Grande Bretagne, au profit de 'Chelsea Service Company Limited', avec comme motif : 'Personnel / Placements parts société' ;
- En ligne, le 7 septembre 2017, un virement de 882 euros à destination de la Belgique, au profit de 'Global Invest Management', avec comme motif : 'Complément frais de transaction' ;
- En ligne, le 7 septembre 2017, un virement de 12 000 euros à destination de la Belgique, au profit de 'Global Invest Management', avec comme motif 'Frais de transaction'.
Soutenant avoir été victime d'une 'fraude à l'investissement en diamants' commise par le truchement des plate-formes 'Tradition Diamant' et 'Vendôme Tradition', portant sur la somme totale de 283 628,74 euros, M. [W] a déposé plainte, le 4 décembre 2017, auprès du procureur de la République, pour escroquerie et blanchiment d'escroquerie en bande organisée. Une information judiciaire a été ouverte des chefs de 'escroquerie en bande organisée ; blanchiment de fraude fiscale aggravée ; exercice illicite de l'activité de conseiller en investissements financiers ; démarchage financier illicite ; faux et usage de faux ; destruction de preuves d'un délit', concernant de nombreuses victimes.
Par lettre recommandée avec avis d'accusé de réception adressée à la Société Générale, datée du 4 juin 2021, le conseil de MMme [W], faisant grief à la banque d'avoir manqué à son devoir de vigilance à l'égard de ses clients à l'occasion de l'exécution des huit virements susmentionnés, a mis en demeure la Société Générale d'entrer en voie de règlement amiable ou leur payer la somme de 283 628,74 euros (correspondant au montant total des quatre virements non rejetés) au titre du préjudice né de la perte de chance de ne pas investir, et cela sous quinzaine.
À défaut d'une réponse favorable de la banque, par acte d'huissier de justice daté du 15 octobre 2021 MMme [W] ont fait assigner la Société Générale en responsabilité, soutenant que la Société Générale qui n'a pas décelé les anomalies apparentes présentes dans le fonctionnement de leur compte a ainsi failli à son devoir général de vigilance, en sorte que les irrégularités et légèretés coupables de la banque leur ont causé un important préjudice.
***
À hauteur d'appel MMme [W], et la Société Générale en réponse, développent les mêmes moyens et argumentation qu'en première instance.
1- Tout d'abord, la Société Générale demande à la cour de juger que les appelants ne démontrent pas le contexte frauduleux sur lequel ils fondent leurs demandes. Ils ne produisent aux débats aucun élément propre à établir ce contexte d'escroquerie aux diamants d'investissements pourtant au c'ur de leurs prétentions, alors que ce sont ces éléments, selon eux, que la Société Générale aurait dû détecter et qui justifieraient sa condamnation.
Pourtant, les pièces 1, 12, 13, 14, des appelants permettent d'établir d'ores et déjà et sans qu'il soit nécessaire d'attendre l'ordonnance de réglement du juge d'instruction pour se convaincre de l'existence d'infractions pénales, qu'une information judiciaire a été ouverte des chefs de 'escroquerie en bande organisée ; blanchiment de fraude fiscale aggravée ; exercice illicite de l'activité de conseiller en investissements financiers ; démarchage financier illicite ; faux et usage de faux ; destruction de preuves d'un délit', concernant de nombreuses victimes (parmi lesquelles MMme [W]) ce qui dénote pour le moins, des manoeuvres frauduleuses soigneusement préparées, et d'ampleur, et aussi établit la réalité d'un 'contexte frauduleux' en cohérence avec les explications données par MMme [W] sur la manière dont ils se sont trouvés dupés par leurs interlocuteurs. L'argumentation de la Société Générale n'est donc pas fondée.
2- MMme [W] reprochent au tribunal une analyse inexacte du devoir de vigilance de la banque, par le premier juge qui l'a restreint à la vérification du consentement des clients aux virements litigieux.
En l'espèce, il est constant que MMme [W] sont à l'origine des virements en question.
En droit, au regard du principe de non-ingérence, la banque n'est pas autorisée à procéder à des investigations particulières pour déterminer notamment l'identité du bénéficiaire ou l'objet de l'opération, ni intervenir pour empêcher son client d'effectuer un acte inopportun ou dangereux pour ses intérêts ; elle n'a pas davantage à se préoccuper de la destination des fonds ou de l'opportunité des opérations effectuées - ou encore de leur montant, si la provision du compte permet l'exécution de l'ordre de virement, comme c'était le cas en l'espèce.
Toutefois, il en ira différemment si elle se trouve confrontée, à l'occasion d'opérations demandées par son client, à des anomalies et irrégularités manifestes qu'elle se doit de détecter, conformément à son obligation de vigilance.
En l'occurrence, MMme [W] soutiennent l'existence d'anomalies intellectuelles apparentes affectant le fonctionnement normal de leur compte.
En premier lieu, constitue selon eux, une anomalie, la destination - inhabituelle - des virements : alors qu'ils étaient âgés de 74 et 71 ans, MMme [W] n'avaient auparavant jamais fait de virements vers l'étranger ; en outre, les quatre premiers virements ont été réalisés vers la Chine, et que les suivants aient été à destination de banques situées en Grande-Bretagne ou Belgique, n'est pas un gage de sécurité, contrairement à ce qu'écrit le premier juge indiquant 'Il ne saurait par ailleurs être déduit une quelconque anomalie du fait que ces virements ont été effectués à destination du Royaume-Uni et de la Belgique, s'agissant de pays membres de l'Union européenne et non de pays à risques ou considérés comme des paradis fiscaux'.
Ensuite, MMme [W] soutiennent que comme cela ressort clairement des graphiques figurant au sein de leurs écritures et qui sont particulièrement éclairants, étaient également inhabituels, le montant et la fréquence des virements : alors que les dépenses de MMme [W] étaient ordinairement très raisonnables, la moyenne des virements litigieux a été de 93 fois supérieure à la moyenne de leurs dépenses sur une période de même durée ; la banque, qui a procédé à six virements en quelques jours, huit en moins de trois mois, ne saurait soutenir leur normalité.
Ces arguments tirés du caractère inhabituel des opérations effectuées ne sauraient être accueillis, dans la mesure où le client est libre de disposer (ou non) de ses économies comme il l'entend, y compris en changant radicalement sa manière de procéder, ce dont il ne résulte aucun caractère d'anormalité.
En second lieu, la banque réceptrice étrangère a rejeté quatre virements, par conséquent au vu du contexte de virements importants et multiples cela constituait un indice supplémentaire devant attirer l'attention de la Société Générale.
Cependant, les quatre virements exécutés ensemble le 12 juin 2017 au vu du relevé de compte de MMme [W] ont été retournés par la banque réceptionnaire avec le motif suivant : 'Cancellation and refund', sans plus de précisions, et sans que cela ne révèle une suspicion de fraude. Il sera fait observer que ces virements étaient tous dirigés vers une même banque destinataire, au profit du même bénéficiaire, et avec un numéro IBAN identique ; il n'existait entre eux aucune incohérence, et comme vu précédemment, la proximité de leurs dates ne caractérise pas à elle seule une anormalité, puisque le client est libre de disposer de ses économies comme il l'entend.
En une telle situation, comme jugé par le tribunal, il n'appartenait pas à la Société Générale de s'interroger sur le retour de ces fonds dont la maîtrise de l'utilisation incombait aux seuls titulaires du compte à l'origine des virements initiaux, de telle sorte que le grief fait à la banque par MMme [W] de ne pas avoir communiqué d'information complémentaire sur les raisons de ces rejets par la banque chinoise, est sans réel emport.
En outre, il est à noter qu'il s'agissait des premiers ordres de virement de MMme [W], et que si contrairement à ce que prétend l'intimé, un lien est objectivé avec ceux qui suivront, effectués avec les fonds recrédités le 15 juin 2017 sur leur compte pour un montant total de 212 900 euros, le destinataire, cette fois situé en Grande-Bretagne, et en ce qui concerne les deux virements en ligne, en Belgique, n'était pas de ceux qui éveillent les soupçons. En outre, il ressort des écritures de la Société Générale analysant le dépôt de plainte que le changement de banque destinataire a été fait en suite de la demande de l'interlocuteur de MMme [W], ce dont la banque n'a manifestement pas été informée.
Surtout, et d'ailleurs comme en ce qui concerne les précédents virements à destination d'une banque chinoise, MMme [W] n'ont rien révélé du véritable motif du virement de 57 846,74 euros et de celui de 212 900 euros, indiquant à ce titre : 'Personnel / Placements parts société', et s'agissant des virements en ligne : 'Frais de transaction' et 'Complément de frais de transaction', motifs au demeurant compatibles avec les montants concernés. En tout état de cause les motifs invoqués ne correspondaient pas à la réalité de la nature des opérations effectuées, et ne contenaient même aucun indice susceptible d'amener la banque à se douter qu'il s'agissait de 'placements atypiques'- pour reprendre les termes des appelants, tels que sont selon eux les placements en diamants d'investissement.
D'ailleurs, MMme [W] ne démontrent pas, ni même n'allèguent, avoir informé la banque d'une quelconque autre manière, de la nature des opérations qu'ils étaient en train d'effectuer.
Comme jugé par le tribunal, il n'est pas contesté que la Société Générale a édité en juillet 2021 un livret destiné notamment à attirer l'attention de sa clientèle sur les fraudes telles que celles en litige. Cependant, la publication par l'établissement bancaire d'un pareil document ne crée pas en elle-même une obligation à sa charge inscrite dans le contexte de l'obligation de vigilance incombant à tout banquier, sans préjudice des engagements que l'auteur de la publication y aurait pris au bénéfice de sa clientèle ou dans les conventions les liant, MMme [W] ne se prévalant, au cas particulier, d'aucun engagement semblable. De surcroît, il sera relevé, ainsi que le soutient la Société Générale, que la publication du document dont se prévalent MMme [W] est en date de juillet 2021, soit près de quatre ans après la survenance des faits.
Pour toutes ces raisons, le jugement déféré est confirmé en ce que MMme [W] ont été déboutés de l'ensemble de leurs demandes, en l'absence de toute faute qui eut été commise par la Société Générale.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
MMme [W] qui échouent en leurs demandes, supporteront la charge des dépens et ne peuvent prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Aucune équité ne commande de faire droit à la demande de la Société Générale formulée sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
CONDAMNE M. [E] [W] et Mme [P] [D] épouse [W] aux entiers dépens d'appel et admet la SCP Lussan avocat constitué, du Barreau de Paris, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
DÉBOUTE chacune des parties de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRÊT DU 25 SEPTEMBRE 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/08196 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHSCS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Mars 2023 - tribunal judiciaire de Paris - RG n° 21/13200
APPELANTS
M. [E] [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Mme [P] [D] épouse [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentés par Me Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIMÉE
S.A. SOCIETE GENERALE
[Adresse 2]
[Localité 4]
N°SIRET : 552 120 222
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0077 substituée à l'audience par Me Louise RIETH, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Marc BAILLY, président de chambre
Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Yulia TREFILOVA
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marc BAILLY, président de chambre, et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 2 mai 2023 M. [E] [W] et Mme [P] [D] son épouse, ont interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 17 mars 2023 dont le dispositif est ainsi rédigé :
'DEBOUTE Monsieur [E] [W] et Madame [P] [D], épouse [W], de l'ensemble de leurs demandes ;
CONDAMNE in solidum Monsieur [E] [W] et Madame [P] [D], épouse [W], aux dépens, dont distraction au profit de la SCP LUSSAN et à verser à la Société Générale la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.'
***
À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 11 juin 2024 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.
Au dispositif de leurs dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 10 juin 2024, les appelants
présentent, en ces termes, leurs demandes à la cour :
'Vu les articles 1104 et 1231-1 du Code civil,
Vu la jurisprudence citée et les références produites,
Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
INFIRMER la décision de première instance en ce qu'elle a débouté Monsieur et Madame [W] de leur demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice né des manquements de la Société Générale à son devoir de vigilance ;
INFIRMER la décision de première instance en ce qu'elle a condamné Monsieur et Madame [W] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Statuant à nouveau :
CONDAMNER la Société Générale au paiement de dommages et intérêts d'un montant de 225 782 euros au bénéfice de Monsieur et Madame [W] en réparation de leur préjudice financier ;
CONDAMNER la Société Générale à 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à tous les dépens de la présente instance ainsi que de la première instance ;
DEBOUTER la Société Générale de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions.'
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 6 juin 2024, l'intimé
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu l'article 1240 du code civil
Il est demandé à la Cour de :
CONFIRMER le jugement du Tribunal judiciaire de Paris en date du 17 mars 2023, en ce qu'il :
- 'DEBOUTE Monsieur [E] [W] et Madame [P] [D], épouse [W], de l'ensemble de leurs demandes ;
- CONDAMNE in solidum Monsieur [E] [W] et Madame [P] [D] épouse [W], aux dépens, dont distraction au profit de la SCP LUSSAN et à verser à la Société Générale la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.'
En tout état de cause,
DEBOUTER purement et simplement les époux [W] de l'ensemble de leurs demandes,
fins, moyens et conclusions
CONDAMNER les époux [W] à verser à SOCIETE GENERALE une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Les CONDAMNER aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP LUSSAN.'
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Entre le 12 juin et le 7 septembre 2017, M. [E] [W] et Mme [P] [D], son épouse, ont souhaité effectuer, depuis leur compte de particuliers ouvert dans les livres de la banque Société Générale, en se présentant à l'agence (les 7 et 8 juin 2017, selon la Société Générale - fait non contesté) quatre virements bancaires, qui seront exécutés le 12 juin 2017. Ces virements, de 54 112 euros, 56 974,40 euros, 45 120 euros, et 56 693,60 euros, d'un montant total de 212 900 euros, étaient tous à destination d'une banque située à [Localité 5] (China Citic Bank) et au profit de 'IDM International Limited' avec comme motif : 'Placement dans une société'. Ils ont été retournés à la Société Générale par la banque réceptionnaire, et le compte de MMme [W] a été recrédité de ces sommes le 15 juin 2017.
Ont alors été opérés les virements suivants :
- En agence, le 15 juin 2017, un virement de 57 846,74 euros à destination de la Grande Bretagne, au profit de 'Chelsea Service Company Limited', sur un compte détenu dans les livres de la HSBC Bank PLC avec comme motif : 'Personnel / Placements parts société' ;
- En agence, le 19 juin 2017, un virement de 212 900 euros à destination de la Grande Bretagne, au profit de 'Chelsea Service Company Limited', avec comme motif : 'Personnel / Placements parts société' ;
- En ligne, le 7 septembre 2017, un virement de 882 euros à destination de la Belgique, au profit de 'Global Invest Management', avec comme motif : 'Complément frais de transaction' ;
- En ligne, le 7 septembre 2017, un virement de 12 000 euros à destination de la Belgique, au profit de 'Global Invest Management', avec comme motif 'Frais de transaction'.
Soutenant avoir été victime d'une 'fraude à l'investissement en diamants' commise par le truchement des plate-formes 'Tradition Diamant' et 'Vendôme Tradition', portant sur la somme totale de 283 628,74 euros, M. [W] a déposé plainte, le 4 décembre 2017, auprès du procureur de la République, pour escroquerie et blanchiment d'escroquerie en bande organisée. Une information judiciaire a été ouverte des chefs de 'escroquerie en bande organisée ; blanchiment de fraude fiscale aggravée ; exercice illicite de l'activité de conseiller en investissements financiers ; démarchage financier illicite ; faux et usage de faux ; destruction de preuves d'un délit', concernant de nombreuses victimes.
Par lettre recommandée avec avis d'accusé de réception adressée à la Société Générale, datée du 4 juin 2021, le conseil de MMme [W], faisant grief à la banque d'avoir manqué à son devoir de vigilance à l'égard de ses clients à l'occasion de l'exécution des huit virements susmentionnés, a mis en demeure la Société Générale d'entrer en voie de règlement amiable ou leur payer la somme de 283 628,74 euros (correspondant au montant total des quatre virements non rejetés) au titre du préjudice né de la perte de chance de ne pas investir, et cela sous quinzaine.
À défaut d'une réponse favorable de la banque, par acte d'huissier de justice daté du 15 octobre 2021 MMme [W] ont fait assigner la Société Générale en responsabilité, soutenant que la Société Générale qui n'a pas décelé les anomalies apparentes présentes dans le fonctionnement de leur compte a ainsi failli à son devoir général de vigilance, en sorte que les irrégularités et légèretés coupables de la banque leur ont causé un important préjudice.
***
À hauteur d'appel MMme [W], et la Société Générale en réponse, développent les mêmes moyens et argumentation qu'en première instance.
1- Tout d'abord, la Société Générale demande à la cour de juger que les appelants ne démontrent pas le contexte frauduleux sur lequel ils fondent leurs demandes. Ils ne produisent aux débats aucun élément propre à établir ce contexte d'escroquerie aux diamants d'investissements pourtant au c'ur de leurs prétentions, alors que ce sont ces éléments, selon eux, que la Société Générale aurait dû détecter et qui justifieraient sa condamnation.
Pourtant, les pièces 1, 12, 13, 14, des appelants permettent d'établir d'ores et déjà et sans qu'il soit nécessaire d'attendre l'ordonnance de réglement du juge d'instruction pour se convaincre de l'existence d'infractions pénales, qu'une information judiciaire a été ouverte des chefs de 'escroquerie en bande organisée ; blanchiment de fraude fiscale aggravée ; exercice illicite de l'activité de conseiller en investissements financiers ; démarchage financier illicite ; faux et usage de faux ; destruction de preuves d'un délit', concernant de nombreuses victimes (parmi lesquelles MMme [W]) ce qui dénote pour le moins, des manoeuvres frauduleuses soigneusement préparées, et d'ampleur, et aussi établit la réalité d'un 'contexte frauduleux' en cohérence avec les explications données par MMme [W] sur la manière dont ils se sont trouvés dupés par leurs interlocuteurs. L'argumentation de la Société Générale n'est donc pas fondée.
2- MMme [W] reprochent au tribunal une analyse inexacte du devoir de vigilance de la banque, par le premier juge qui l'a restreint à la vérification du consentement des clients aux virements litigieux.
En l'espèce, il est constant que MMme [W] sont à l'origine des virements en question.
En droit, au regard du principe de non-ingérence, la banque n'est pas autorisée à procéder à des investigations particulières pour déterminer notamment l'identité du bénéficiaire ou l'objet de l'opération, ni intervenir pour empêcher son client d'effectuer un acte inopportun ou dangereux pour ses intérêts ; elle n'a pas davantage à se préoccuper de la destination des fonds ou de l'opportunité des opérations effectuées - ou encore de leur montant, si la provision du compte permet l'exécution de l'ordre de virement, comme c'était le cas en l'espèce.
Toutefois, il en ira différemment si elle se trouve confrontée, à l'occasion d'opérations demandées par son client, à des anomalies et irrégularités manifestes qu'elle se doit de détecter, conformément à son obligation de vigilance.
En l'occurrence, MMme [W] soutiennent l'existence d'anomalies intellectuelles apparentes affectant le fonctionnement normal de leur compte.
En premier lieu, constitue selon eux, une anomalie, la destination - inhabituelle - des virements : alors qu'ils étaient âgés de 74 et 71 ans, MMme [W] n'avaient auparavant jamais fait de virements vers l'étranger ; en outre, les quatre premiers virements ont été réalisés vers la Chine, et que les suivants aient été à destination de banques situées en Grande-Bretagne ou Belgique, n'est pas un gage de sécurité, contrairement à ce qu'écrit le premier juge indiquant 'Il ne saurait par ailleurs être déduit une quelconque anomalie du fait que ces virements ont été effectués à destination du Royaume-Uni et de la Belgique, s'agissant de pays membres de l'Union européenne et non de pays à risques ou considérés comme des paradis fiscaux'.
Ensuite, MMme [W] soutiennent que comme cela ressort clairement des graphiques figurant au sein de leurs écritures et qui sont particulièrement éclairants, étaient également inhabituels, le montant et la fréquence des virements : alors que les dépenses de MMme [W] étaient ordinairement très raisonnables, la moyenne des virements litigieux a été de 93 fois supérieure à la moyenne de leurs dépenses sur une période de même durée ; la banque, qui a procédé à six virements en quelques jours, huit en moins de trois mois, ne saurait soutenir leur normalité.
Ces arguments tirés du caractère inhabituel des opérations effectuées ne sauraient être accueillis, dans la mesure où le client est libre de disposer (ou non) de ses économies comme il l'entend, y compris en changant radicalement sa manière de procéder, ce dont il ne résulte aucun caractère d'anormalité.
En second lieu, la banque réceptrice étrangère a rejeté quatre virements, par conséquent au vu du contexte de virements importants et multiples cela constituait un indice supplémentaire devant attirer l'attention de la Société Générale.
Cependant, les quatre virements exécutés ensemble le 12 juin 2017 au vu du relevé de compte de MMme [W] ont été retournés par la banque réceptionnaire avec le motif suivant : 'Cancellation and refund', sans plus de précisions, et sans que cela ne révèle une suspicion de fraude. Il sera fait observer que ces virements étaient tous dirigés vers une même banque destinataire, au profit du même bénéficiaire, et avec un numéro IBAN identique ; il n'existait entre eux aucune incohérence, et comme vu précédemment, la proximité de leurs dates ne caractérise pas à elle seule une anormalité, puisque le client est libre de disposer de ses économies comme il l'entend.
En une telle situation, comme jugé par le tribunal, il n'appartenait pas à la Société Générale de s'interroger sur le retour de ces fonds dont la maîtrise de l'utilisation incombait aux seuls titulaires du compte à l'origine des virements initiaux, de telle sorte que le grief fait à la banque par MMme [W] de ne pas avoir communiqué d'information complémentaire sur les raisons de ces rejets par la banque chinoise, est sans réel emport.
En outre, il est à noter qu'il s'agissait des premiers ordres de virement de MMme [W], et que si contrairement à ce que prétend l'intimé, un lien est objectivé avec ceux qui suivront, effectués avec les fonds recrédités le 15 juin 2017 sur leur compte pour un montant total de 212 900 euros, le destinataire, cette fois situé en Grande-Bretagne, et en ce qui concerne les deux virements en ligne, en Belgique, n'était pas de ceux qui éveillent les soupçons. En outre, il ressort des écritures de la Société Générale analysant le dépôt de plainte que le changement de banque destinataire a été fait en suite de la demande de l'interlocuteur de MMme [W], ce dont la banque n'a manifestement pas été informée.
Surtout, et d'ailleurs comme en ce qui concerne les précédents virements à destination d'une banque chinoise, MMme [W] n'ont rien révélé du véritable motif du virement de 57 846,74 euros et de celui de 212 900 euros, indiquant à ce titre : 'Personnel / Placements parts société', et s'agissant des virements en ligne : 'Frais de transaction' et 'Complément de frais de transaction', motifs au demeurant compatibles avec les montants concernés. En tout état de cause les motifs invoqués ne correspondaient pas à la réalité de la nature des opérations effectuées, et ne contenaient même aucun indice susceptible d'amener la banque à se douter qu'il s'agissait de 'placements atypiques'- pour reprendre les termes des appelants, tels que sont selon eux les placements en diamants d'investissement.
D'ailleurs, MMme [W] ne démontrent pas, ni même n'allèguent, avoir informé la banque d'une quelconque autre manière, de la nature des opérations qu'ils étaient en train d'effectuer.
Comme jugé par le tribunal, il n'est pas contesté que la Société Générale a édité en juillet 2021 un livret destiné notamment à attirer l'attention de sa clientèle sur les fraudes telles que celles en litige. Cependant, la publication par l'établissement bancaire d'un pareil document ne crée pas en elle-même une obligation à sa charge inscrite dans le contexte de l'obligation de vigilance incombant à tout banquier, sans préjudice des engagements que l'auteur de la publication y aurait pris au bénéfice de sa clientèle ou dans les conventions les liant, MMme [W] ne se prévalant, au cas particulier, d'aucun engagement semblable. De surcroît, il sera relevé, ainsi que le soutient la Société Générale, que la publication du document dont se prévalent MMme [W] est en date de juillet 2021, soit près de quatre ans après la survenance des faits.
Pour toutes ces raisons, le jugement déféré est confirmé en ce que MMme [W] ont été déboutés de l'ensemble de leurs demandes, en l'absence de toute faute qui eut été commise par la Société Générale.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
MMme [W] qui échouent en leurs demandes, supporteront la charge des dépens et ne peuvent prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Aucune équité ne commande de faire droit à la demande de la Société Générale formulée sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
CONDAMNE M. [E] [W] et Mme [P] [D] épouse [W] aux entiers dépens d'appel et admet la SCP Lussan avocat constitué, du Barreau de Paris, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
DÉBOUTE chacune des parties de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT