CA Riom, ch. com., 25 septembre 2024, n° 23/00570
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Époux
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance (SA), Nouvelle Régie des Jonctions des Énergies de France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubled-Vacheron
Conseillers :
Mme Theuil-Dif, Mme Berger
Avocats :
Me Alfroy, Me Boulair, Me De Rocquigny, Me Boulloud
ARRET :
Prononcé publiquement le 25 Septembre 2024 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 2 mai 2012, M. [N] [Z] et Mme [D] [U] épouse [Z] ont régularisé avec la société Nouvelle régie des jonctions des énergies de France un bon de commande portant sur l'acquisition et l'installation d'une centrale photovoltaïque moyennant le prix de 23 500 euros TTC.
Cette opération a été financée par un crédit affecté du même montant souscrit auprès de la société Sygma Banque (aux droits de laquelle vient la BNP Paribas Personal Finance) remboursable en 180 mensualités de 231,55 euros au taux nominal fixe de 5,28% l'an. Les fonds ont été débloqués le 24 juillet 2012.
La société Nouvelle régie des jonctions des énergies de France a été placée en liquidation judiciaire le 12 novembre 2014.
M et Mme [Z] ont fait établir une étude de l'installation qui a révélé que la promesse d'autofinancement n'était pas tenue et que pour en amortir le coût une durée théorique de 30 ans était nécessaire.
A défaut d'accord amiable, M et Mme [Z] ont saisi le juge des contentieux de la protection (JCP) du tribunal de proximité de Vichy afin de voir constater la nullité de la vente et du crédit affecté.
Par jugement du 24 janvier 2023, le JCP a :
- constaté la prescription de l'action pour défaut de respect des dispositions du code de la consommation et de l'action pour dol ;
- constaté la prescription de l'action en responsabilité engagée à l'encontre de la CSA BNP Personal Finance,
- condamné les époux [Z] à payer à la CSA BNP Personal Finance la somme de 650 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M et Mme [Z] aux dépens.
M et Mme [Z] ont relevé appel de cette décision par déclaration du 30 mars 2022.
Aux termes de conclusions notifiées électroniquement le 21 mai 2024, ils demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
- de déclarer leurs demandes recevables et bien fondées ;
- de prononcer la nullité du contrat de vente conclu avec la société Nouvelle régie des jonctions des énergies de France et en conséquence la nullité du contrat de prêt affecté conclu avec la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la société Sygma Banque ;
- de condamner la société BNP Paribas Personal Finance à procéder au remboursement de l'ensemble des sommes versées au titre de l'exécution normale du contrat de prêt litigieux ;
- de condamner la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la société Sygma Banque, à leur verser l'intégralité des sommes suivantes :
.23 500 euros correspondant à l'intégralité du prix de vente de l'installation ;
.18 179 euros correspondant aux intérêts conventionnels et frais payés à la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la société Sygma Banque, en exécution du prêt souscrit ;
.5 000 euros au titre du préjudice moral ;
.6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de débouter la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la société Sygma Banque de l'intégralité de ses prétentions, fins et conclusions contraires ;
- de condamner la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la société Sygma Banque, à supporter les dépens de l'instance.
Par conclusions notifiées le 21 septembre 2024, la SA BNP Paribas Personal Finance demande à la cour :
A titre principal :
* de déclarer irrecevables les actions intentées par les époux [Z] comme prescrites ;
Subsidiairement :
* De les débouter de leurs demandes et d'ordonner la poursuite de l'exécution du contrat de crédit affecté aux clauses et conditions initiales ;
Plus subsidiairement dans l'hypothèses ou les contrats seraient résolus ou annulés :
* condamner solidairement M et Mme [Z] à rembourser le capital emprunté (23 500 euros) outre les intérêts au taux légal à compter du déblocage des fonds (le 24 juillet 2012) avec capitalisation de ceux-ci, déduction faite des échéances réglées au jour du jugement à intervenir.
En tout état de cause :
* de condamner solidairement les appelants à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
* de condamner solidairement les appelants à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Il sera renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2024.
Motifs :
I-Sur la recevabilité des demandes de M et Mme [Z] :
Les appelants font grief au JCP d'avoir fixé le point de départ de la prescription quinquennale de l'action fondée sur les irrégularités du bon de commande et de celle fondée sur le dol, à la date de signature de celui-ci au motif qu'ils se trouvaient en mesure d'avoir connaissance des mentions dont ils se plaignent au jour de la conclusion du contrat et d'avoir connaissance du coût du crédit et de ses modalités.
Au visa des dispositions de l'article 2224 du code civil, ils rappellent que le point de départ de la prescription doit être reporté à une date qui n'est pas celle des faits mais celle où le titulaire du droit d'agir les a connus ou aurait dû (et non pu) les connaitre puisque le délai de prescription doit être un délai utile permettant à l'intéressé « d'exercer effectivement ses droits, de réunir les éléments de preuve et de prévoir sa stratégie juridique et judiciaire ».
Ils rappellent également que c'est parce que le consommateur est en situation d'infériorité et d'ignorance que la banque est tenue d'une obligation d'information à l'égard de ses clients pour les opérations qu'elle finance ; qu'il appartient à l'organisme de crédit d'établir qu'ils auraient dû avoir connaissance du dommage et de la faute ;
Ils expliquent que leurs craintes quant à l'absence complète d'autofinancement et de rentabilité ne se sont véritablement confirmées qu'après plusieurs années de production ce qui les a conduits à saisir un avocat ; qu'ils ignoraient qu'une faute puisse être imputée à la banque et n'avaient pas connaissance des faits sur lesquels la banque devait les alerter. Ils n'étaient ainsi pas en mesure de déterminer à la signature du bon de commande l'existence d'irrégularités.
Ils soutiennent par ailleurs, au visa de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, que le prêt étant en cours d'exécution, le principe d'égalité des armes interdit à la banque d'opposer la prescription s'agissant des irrégularités affectant la validité d'un prêt en cours d'exécution. La banque disposant d'un droit d'agir pendant toute la durée du crédit et bénéficiant à chaque nouvel impayé d'un report du point de départ de la prescription, l'égalité des armes exige selon eux, de maintenir au profit du consommateur la possibilité d'agir en justice nonobstant le fait que cette action mette en cause la régularité de contrats souscrits plusieurs années auparavant.
La BNP Paribas Personal Finance réplique qu'il est de jurisprudence constante que le point de départ de l'action en nullité sur la base du code de la consommation est fixé à la date de mise en possession du contrat. Elle précise que les conditions générales du contrat retranscrivent in extenso les dispositions légales en vigueur lors de la souscription du contrat, ce qui permettaient aux époux [Z] d'apprécier la régularité du bon de commande.
S'agissant de la demande en nullité pour dol, elle reprend la motivation du juge de première instance, lequel a considéré que : « les moyens de fait invoqués à l'appui de dol pouvaient être découverts à la date de la signature du bon de commande, le coût du crédit et les modalités étaient également connus des acheteurs au jour de la signature et ils avaient la capacité de faire quelques calculs tous seuls. »
S'agissant de l'action en responsabilité dirigée contre elle, la banque explique que le point de départ de la prescription est nécessairement analogue et souligne que les appelants ont attendu plus de 10 ans pour l'assigner ; que leur analyse juridique procède d'une consultation juridique antérieure à la jurisprudence de la Cour de cassation du 31 août 2022 et n'apparaît pas pertinente sauf à vider de sa substance les dispositions de l'article 2224 du code civil.
Sur ce :
En application des dispositions de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l'exercer.
La nullité du contrat conclut entre M et Mme [Z] d'une part et la société Nouvelle régie des jonctions des énergies de France d'autre part est invoquée sur deux fondements différents, à savoir le dol et le non-respect des dispositions du code de la consommation.
S'agissant de la demande de nullité fondée sur le non-respect des dispositions du code de la consommation, le point de départ se situe au jour où les consommateurs ont pris connaissance ou auraient dû prendre de la situation leur permettant d'agir.
M et Mme [Z] se prévalent d'une jurisprudence récente de la Cour de cassation (Cass 1ère civ, 24 janvier 2024 N° 22-16115) portant sur la confirmation d'un acte entaché de nullité. Aux termes de cet arrêt la Cour de cassation a jugé que la reproduction même lisible, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite du contrat.
La cour observe en premier lieu que l'intention de réparer le vice est une condition qui s'ajoute à la connaissance du vice par l'auteur de la confirmation. En second lieu et s'agissant de la connaissance effective du vice, la Cour de cassation ne fait pas perdre tout effet à la reproduction des dispositions du code de la consommation dans le contrat.
C'est au regard d'une analyse in concreto des conditions dans lesquelles les consommateurs auraient dû avoir connaissance du vice et au regard de circonstances qu'il appartient au juge de relever que s'apprécie la connaissance du vice affectant le contrat.
Ainsi que le développent longuement les appelants dans leurs écritures, les informations portées par la retranscription du code de la consommation ont pour finalité d'informer le consommateur et de lui permettre de contracter en toute connaissance de cause, de pouvoir effectivement faire usage de son droit de rétractation et de pouvoir comparer les performances des matériels achetés avec ceux de marques concurrentes.
En l'espèce, les dispositions de l'article L 121-23 du code de la consommation qui mentionne l'article L 121-21 et les dispositions des articles L 121-24 à L 121-26 du code de la consommation sont reproduites sur le bordereau détachable du contrat de façon très lisible. Dès lors, M et Mme [Z] étaient en mesure de vérifier le jour du contrat que ce dernier n'était pas conforme aux dispositions du code de la consommation, puisqu'en l'espèce, le bon de commande n'est pas seulement imprécis mais totalement indigent s'agissant de la description des biens vendus et de leurs caractéristiques.
Ils disposaient en leur qualité de consommateurs normalement attentifs et diligents des éléments leur permettant de déterminer si une irrégularité était présente dans le bon de commande.
M et Mme [Z] assurent que leur investissement était motivé par une promesse d'autofinancement. Ils ne produisent pas leurs factures d'énergie et ne précisent pas la date à laquelle ils ont jugé utile de consulter un avocat ; toutefois, l'expertise commandée démontre que le rendement de l'installation ne permet pas de couvrir la mensualité du prêt. Ainsi, les appelants ont nécessairement eu connaissance de ces éléments et donc des irrégularités concernant le matériel à l'issue de la première année de facturation suivant l'installation.
Dans ces conditions, c'est bien à la date du contrat soit le 2 mai 2012 ou au plus tard le 31 décembre 2013 que se situe le point de départ du délai de prescription. L'assignation ayant été délivrée le 3 août 2022, elle est tardive.
S'agissant de la demande de nullité du contrat principal fondée sur le dol, le point de départ du délai de prescription se situe au jour où l'acquéreur a découvert les man'uvres ou la résistance dolosive.
En l'espèce, le dol allégué à l'encontre de la société venderesse consiste en une présentation fallacieuse de la rentabilité de l'installation, qui aurait laissé espérer d'importantes économies d'énergie, voire un autofinancement.
La connaissance de la rentabilité est établie par la première facture d'énergie. Cette première facture est, suffisante pour connaître les éléments relatifs à la rentabilité de l'installation et le fait qu'ils ont le cas échéant été dupés. Si la production d'énergie dépend nécessairement de l'ensoleillement, la première facture au bout d'une année permet un recul suffisant pour connaître le rendement de l'installation.
Par voie de conséquence et pour les mêmes motifs que ceux visés supra l'action en nullité pour dol est prescrite.
Enfin, et sauf à réduire à néant les dispositions de l'article 2224 du code civil, les appelants ne peuvent utilement soutenir qu'aucune prescription ne peut être acquise aussi longtemps que le crédit est en cours d'exécution, dès lors que les règles de prescription sont édictées en fonction des actions qui sont engagées. Ainsi si une banque voit le délai de prescription reporté à la prochaine échéance impayée il s'agit là de la prescription de son action en paiement et non de la prescription d'une éventuelle action en nullité qu'elle entendrait engager.
La prescription est ainsi acquise quel que soit le fondement de l'action en nullité allégué et les demandes formées par M. et Mme [Z] sont dès lors irrecevables.
En conséquence, le jugement ayant fait droit à la fin de non-recevoir soulevée est confirmé.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sont confirmées.
M. et Mme [Z] n'obtenant pas gain de cause dans le cadre de leur recours sont condamnés aux dépens de la procédure d'appel.
L'équité commande d'allouer à la société BNP Paribas Personal Finance venant aux droits de la société Sygma Banque la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés par elle en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, mis à la dispostion des parties au greffe de la jurdiction ;
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne M.[N] [Z] et Mme [D] [U] épouse [Z] aux dépens de la procédure d'appel,
Condamne M.[N] [Z] et Mme [D] [U] épouse [Z] à verser à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,