CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 25 septembre 2024, n° 23/07893
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sparda (SAS)
Défendeur :
Evopps (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gerard
Conseillers :
Mme Combrie, Mme Vincent
Avocats :
Me Freeman, Me Sonnier Poquillon, Me Cherfils, Me Mauriac, Me Cron
EXPOSE DU LITIGE
Le 7 mars 2022 la société Evopps a déposé la marque verbale n°22 4 849 840 «Kaptiz» pour des produits ou services enregistrés en classes 9, 38 et 42.
Le 20 octobre 2022 la société Sparda a formé une demande de nullité à l'encontre de cette marque, pour les catégories 9 et 42, en faisant valoir l'atteinte portée au nom de domaine kapix.fr qu'elle disait avoir exploité antérieurement au dépôt de la marque pour des services de développements informatiques, notamment des logiciels, des sites web et des applications.
Par décision du 15 mai 2023 le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle a rejeté la demande de nullité, estimant que la société Sparda ne justifiait pas que le nom de domaine kapix.fr n'avait pas une portée seulement locale conformément à l'article L.711-3 du code de la propriété intellectuelle.
La société Sparda a formé un recours contre cette décision.
Peu après le dépôt de la marque Kaptiz par la société Evopps, la société Sparda a elle-même déposé une demande d'enregistrement portant sur la marque Kapix, laquelle a fait l'objet d'une opposition. L'Institut national de la propriété industrielle a suspendu l'examen de cette opposition en l'attente de la décision concernant l'enregistrement de la marque Kaptiz.
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Par jugement en date du 8 janvier 2024 le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Sparda et désigné la Selarl Aegis en qualité de liquidateur.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 17 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Sparda (Sas) et la Selarl Aegis, liquidateur judiciaire, intervenant volontaire, demandent à la cour de :
Vu les articles L. 411-4 et R. 411-19 du Code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article L.711-3, I, 4°, L.714-3 et L 716-2-1 du Code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
- Infirmer et réformer la décision du Directeur Général de l'INPI du 4 avril 2023 n° NL 22-0183 en ce qu'elle a :
o Rejeté la demande en nullité contre la marque française verbale n° 22/4849840 «KAPTIZ» ;
o Mis à la charge de la société Sparda la somme de 550 euros au titre des frais exposés.
En conséquence, statuant à nouveau :
- Accueillir la demande en nullité n° NL 22-0183 à l'encontre de la marque française verbale n° 22/4849840 «KAPTIZ» pour les produits et services suivants couverts en classes 9 et 42 :
9 «Logiciels téléchargeables utilisés en rapport avec les domaines suivants : services de visioconférence, services de conférences en réseau, services de messagerie instantanée, télécommunications audio et vidéo, téléconférences, services de conférence sur l'internet, et services de messagerie Web ; Logiciels téléchargeables pour la fourniture d'informations sur des conférences dans le domaine des communications numériques, à savoir informations et notifications sur des activités et calendriers de conférences, des conférenciers, des exposants, des participants et la logistique de conférence ; Logiciels téléchargeables permettant la publication et le partage d'informations et de supports numériques par le biais de réseaux informatiques et de communication mondiaux ; Logiciels pour permettre l'organisation et la participation à des réunions sur Internet ou par le biais d'un réseau informatique local ; Logiciels de gestion de réunions pour gérer les invitations, les ordres du jour, les comptes-rendus de réunions, les votes et l'échange de documents entre les participants ; Logiciels pour la communication, le partage de données (notamment images, textes et sons) et le travail en équipe entre des utilisateurs de plates-formes logicielles de travail en ligne ou en réseau informatique local ; Logiciels non téléchargeables permettant de participer à des cours et réunions sur Internet, avec accès à des données, documents, images et applications logicielles via un navigateur Internet ; Plates-formes logicielles de travail en ligne ou via un réseau informatique local».
42 «Logiciels-service (SaaS) proposant des logiciels pour communications numériques en direct, à savoir services de conférence vidéo et audio en direct avec plusieurs utilisateurs simultanés, services de téléconférence, services de conférence en réseau, services de conférence sur l'internet et services de messagerie instantanée ; développement, installation et maintenance de logiciels».
- Annuler la marque française verbale n°22/4849840 « KAPTIZ » pour les produits et services suivants couverts en classes 9 et 42 :
9 «Logiciels téléchargeables utilisés en rapport avec les domaines suivants : services de visioconférence, services de conférences en réseau, services de messagerie instantanée, télécommunications audio et vidéo, téléconférences, services de conférence sur l'internet, et services de messagerie Web ; Logiciels téléchargeables pour la fourniture d'informations sur des conférences dans le domaine des communications numériques, à savoir informations et notifications sur des activités et calendriers de conférences, des conférenciers, des exposants, des participants et la logistique de conférence ; Logiciels téléchargeables permettant la publication et le partage d'informations et de supports numériques par le biais de réseaux informatiques et de communication mondiaux ; Logiciels pour permettre l'organisation et la participation à des réunions sur Internet ou par le biais d'un réseau informatique local ; Logiciels de gestion de réunions pour gérer les invitations, les ordres du jour, les comptes-rendus de réunions, les votes et l'échange de documents entre les participants ; Logiciels pour la communication, le partage de données (notamment images, textes et sons) et le travail en équipe entre des utilisateurs de plates-formes logicielles de travail en ligne ou en réseau informatique local ; Logiciels non téléchargeables permettant de participer à des cours et réunions sur Internet, avec accès à des données, documents, images et applications logicielles via un navigateur Internet ; Plates-formes logicielles de travail en ligne ou via un réseau informatique local».
42 «Logiciels-service (SaaS) proposant des logiciels pour communications numériques en direct, à savoir services de conférence vidéo et audio en direct avec plusieurs utilisateurs simultanés, services de téléconférence, services de conférence en réseau, services de conférence sur l'internet et services de messagerie instantanée ; développement, installation et maintenance de logiciels».
- Rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires.
- Condamner la société Evopps à payer à la société Sparda la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.
- Condamner la société Evopps à payer à la Selarl AEGIS, prise en la personne de Me [Z] [K], ès-qualités de Liquidateur Judiciaire de la société Sparda, la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.
- Condamner la société Evopps aux entiers dépens.
Au soutien de son recours, la société Sparda fait valoir que :
il existe un risque de confusion entre la marque Kaptiz, dont la société Evopps a obtenu l'enregistrement, et son nom de domaine kapix.fr ; elle justifie tant de l'effectivité de l'exploitation du nom de domaine antérieur que de la « portée non seulement locale » du nom de domaine antérieur,
le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle a reconnu l'exploitation antérieure mais a fait une analyse incorrecte de la jurisprudence citée et une mauvaise appréciation des faits s'agissant du caractère local de l'exploitation au regard du rayonnement national du nom de domaine kapix.fr,
le risque de confusion ressort de la comparaison des signes en cause ainsi que de la comparaison des produits et services.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 3 janvier 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Evopps (Sas) demande à la cour de :
Vu la décision du Directeur général de l'Institut National de la Propriété Industrielle n° NL 22-0183 du 15 mai 2023
Vu les articles L. 411-4 et R. 411-19 du Code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article L.711-3, I, 4°, L.714-3 et L 716-2-1 du Code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
- Confirmer dans son intégralité la décision n° NL 22- 0183 rendue pas le Directeur Général de l'INPI le 15 mai 2023 ;
En conséquence :
- Débouter la société Sparda en toutes demandes, fins et conclusions contraires ;
Et statuant à nouveau :
- Juger que le site internet [kapix.fr] n'a pas été effectivement mis en ligne avant le dépôt de la demande de marque contestée ;
- Condamner la société Sparda à verser à la société Evopps la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la société LX Avocats ;
La société Evopps réplique que :
la société Sparda ne justifie pas d'une exploitation effective du nom de domaine avant le 7 mars 2022 ; aucune des pièces ne permet de prouver un usage effectif du nom de domaine pour un site internet structuré, construit, mis en ligne et rendu accessible au public, encore moins que le nom de domaine antérieur ait été effectivement utilisé d'une manière suffisamment significative dans la vie des affaires,
la société Sparda a échoué à établir la réalité de la portée non seulement locale de son nom de domaine devant l'Institut national de la propriété industrielle et ne justifie d'aucun élément nouveau dans le cadre de son recours ; la seule supposée mise en ligne d'un site internet ne dispense pas le requérant de fournir des preuves de l'exploitation réelle et d'une portée autre que locale de son nom de domaine,
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Par observations datées du 29 mai 2024 le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle expose que :
sur l'antériorité et l'existence du nom de domaine invoqué : les documents produits attestent que le nom de domaine kapix.fr a été réservé le 3 décembre 2021 et que le site a été mis en ligne dès la fin du mois de décembre 2021, soit avant le 7 mars 2022, date du dépôt de la marque contestée ; pour autant, rien ne permet d'établir que les services revendiqués par le demandeur ont été effectivement rendus via le site internet kapix.fr,
sur la portée du site kapix.fr : un enregistrement de nom de domaine ne constitue pas en soi un droit de propriété intellectuelle opposable à une marque, et suppose dès lors un usage suffisamment significatif pour être de nature à indiquer l'origine commerciale d'une entreprise ; la condition de « portée non seulement locale » de l'article L.711-3 du code de la propriété intellectuelle s'entend d'une dimension tant géographique qu'économique, cette dernière dimension étant appréciée au regard de la durée, de l'intensité de l'usage du signe et également de la diffusion qui en a été donnée ; or, la société Sparda ne justifie pas d'une exploitation au-delà du département de l'Hérault, la seule circonstance qu'elle soit une société française et que le site soit rédigé en français étant insuffisante ; la société Sparda n'établit pas davantage une portée économique en l'absence de documents de nature à démontrer une commercialisation réelle et effective des services par le biais de son site et de nature à démontrer sa fréquentation.
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Le ministère public a communiqué son avis le 31 janvier 2024, sollicitant la confirmation de la décision du directeur de l'Institut national de la propriété industrielle.
MOTIFS
Sur la demande de nullité de la marque Kaptiz :
Aux termes de l'article L.711-3, I, 4° du code de la propriété intellectuelle, issu de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle, une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment «un nom commercial, une enseigne ou un nom de domaine, dont la portée n'est pas seulement locale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public» (4°).
En l'espèce, la société Sparda sollicite la nullité de la marque Kaptiz, enregistrée par la société Evopps, en faisant valoir le risque de confusion pour le public avec son nom de domaine antérieur exploité sous le nom «kapix.fr».
La société Sparda soutient qu'elle justifie d'une part, que ce nom de domaine a fait l'objet d'une exploitation effective depuis le 3 décembre 2021, soit antérieurement au dépôt de la marque Kaptiz, et que d'autre part, cette exploitation n'a pas une portée seulement locale mais nationale.
Sur ce, si un nom de domaine est susceptible de faire obstacle à l'enregistrement d'une marque, au regard du risque de confusion généré dans l'esprit du public, encore est-il nécessaire que le nom de domaine, qui ne constitue pas en soi un droit de propriété intellectuelle mais une adresse de site internet, ait fait l'objet d'un usage suffisamment significatif dans la vie des affaires pour être devenu, aux yeux du public et des partenaires économiques, apte à indiquer l'origine commerciale d'une entreprise.
Ainsi, il est admis, dans le cadre de l'interprétation des dispositions de l'article L.711-3 du code de la propriété intellectuelle, telles que transposées en droit interne à la lumière de la directive (UE) n° 2015/2436 du 16 décembre 2015, que la portée «non seulement locale» d'un nom de domaine doit être appréciée tant dans sa dimension géographique qu'économique et que le signe doit être effectivement utilisé d'une manière suffisamment significative dans la vie des affaires.
En l'espèce, le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle a admis la mise en ligne du nom de domaine Kapix.fr dès le mois de décembre 2021, soit antérieurement à l'enregistrement de la marque verbale Kaptiz effectuée le 7 mars 2022, mais conteste l'exploitation effective de ce site.
La société Evopps, au-delà de l'exploitation effective du site, conteste également son caractère opérationnel, estimant qu'au vu des échanges communiqués le site exploité sous le nom de domaine kapix.fr était en cours de développement au 1er mars 2022 et n'était pas encore accessible au public.
La pièce numérotée 13 (Statistiques de fréquentation du profil LinkedIn) permet de constater que le site a été consulté plusieurs fois (entre 50 et 100 sur ordinateur au mois de mars 2022 et environ 50 fois sur mobile à la même date), ce dont il peut être déduit que le site était d'ores et déjà mis en ligne et accessible au public au mois de mars 2022.
Pour autant, et à supposer même, comme le retient l'Institut national de la propriété industrielle, que le site était effectivement actif dès le mois de décembre 2021, la société Sparda, qui précise être spécialisée dans la programmation informatique et la fourniture de services associés en proposant des solution de développement de logiciels, de sites web et d'applications informatiques, ne justifie ni d'un rayonnement géographique national ni d'un rayonnement économique de son nom de domaine Kapix.fr.
Au-delà des pièces attestant de la mise en ligne du site, de la création de la société Sparda, et des pièces attestant d'échanges internes à la société, sans incidence sur la caractérisation d'un usage effectif du nom de domaine dans la vie des affaires, la société Sparda ne communique aucun élément, sur la période du 3 décembre 2021 au 7 mars 2022 attestant que le nom de domaine Kapix.fr avait acquis un caractère distinctif suffisant au niveau national pour être perçu comme apte à caractériser une origine commerciale.
Il peut être admis, comme le soutient la société Sparda, que le nom de domaine, en ce qu'il est décliné en «.fr», accessible partout en France, exploité en France, en langue française, et ciblant une clientèle française, est par essence un nom de domaine ayant potentiellement une portée nationale et pas seulement locale.
Il n'en demeure pas moins que pour faire échec à l'enregistrement d'une marque, l'exploitant du nom de domaine doit également faire la preuve du caractère effectif de cette portée, préalablement à la demande d'enregistrement, étant rappelé que le nom de domaine, en tant que signe d'usage, n'est protégé qu'en vertu de son exploitation effective, laquelle s'entend d'une mise en contact concrète avec la clientèle et d'une commercialisation effective des produits et services concernés.
Par ailleurs, la portée d'un signe utilisé pour identifier des activités commerciales déterminées doit être définie par rapport à la fonction d'identification jouée par celui-ci, la portée du signe étant appréciée au niveau géographique mais également au niveau économique « au regard de la durée pendant laquelle il a rempli sa fonction dans la vie des affaires et de l'intensité de son usage, au regard du cercle des destinataires parmi lesquels le signe en cause est devenu connu en tant qu'élément distinctif, à savoir les consommateurs, les concurrents, voire les fournisseurs ou encore de la diffusion qui a été donnée au signe, par exemple par voie de publicité ou sur internet » (CJUE, Anheuser-Bush/OHMI, 29 mars 2011).
Ainsi, la société Sparda n'apporte aucune preuve de l'existence d'une transaction intervenue à cette période, et ne produit pas davantage de document comptable, devis ou facture attestant d'une activité commerciale effective en lien avec le nom de domaine Kapix.fr. sur le territoire.
De même, comme le relève l'Institut national de la propriété industrielle, aucune pièce ne permet de mesurer le nombre de téléchargement des logiciels et outils proposés sur le site avant l'enregistrement de la marque Kaptiz.
En conséquence, la société Sparda n'ayant pas démontré que son nom de domaine Kapix.fr bénéficiait d'une reconnaissance sur le territoire national, tant géographiquement qu'économiquement, c'est à bon droit que le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle a estimé que le nom de domaine ne pouvait constituer une antériorité opposable à l'enregistrement de la marque Kaptiz et a rejeté la demande de nullité de la marque formée par la société Sparda.
Dès lors, en l'état de ces éléments il n'y a pas lieu de statuer sur le risque de confusion générée entre le nom de domaine et la marque verbale contestée.
Sur les frais et dépens :
La société Sparda qui succombe, sera tenue aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme la décision de M. le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle (NL 2260183/LZ) ayant rejeté le 15 mai 2023 la demande de nullité formée par la société Sparda à l'encontre de l'enregistrement de la marque Kaptiz effectuée le 7 mars 2022 par la société Evopps,
Condamne la société Sparda, représentée par son liquidateur la Selarl AEGIS, aux dépens, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Sparda, représentée par son liquidateur la Selarl AEGIS, à payer à la société Evopps la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.