CA Aix-en-Provence, ch. 3-3, 26 septembre 2024, n° 19/13821
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Époux, Le Muguet (SARL)
Défendeur :
Caisse d'Épargne Côte d'Azur (SAS), Eurofinance Courtage (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Delmotte
Conseillers :
Mme Petel, Mme Fillioux
Avocats :
Me Le Roux, Me Rouillot, Me Kaigl
Exposé du litige
M. et Mme [I] (les époux [I]), chirurgiens-dentistes, ont constitué la Sarl Le Muguet ayant pour activité la mise à disposition de tout bien immobilier local meublé ou garni.
Courant 2006 et 2007, ils ont acquis plusieurs biens immobiliers financés au moyen de prêts dont :
- un immeuble situé à [Localité 9] (34), acquis au moyen d'un prêt souscrit auprès du Crédit Foncier d'un montant de 277 000€, amortissable en 240 mois, au taux de 4,05%
- un immeuble situé à [Localité 8] (31) acquis au moyen d'un prêt souscrit auprès du Crédit Agricole d'un montant de 234 400€ d'une durée de 240 mois au taux de 4,2%
- un immeuble situé à [Localité 6] (05) acquis au moyen d'un prêt souscrit auprès du Crédit Agricole d'un montant de 246 000€, d'une durée de 240 mois au taux de 4,2%
- un immeuble constituant leur résidence pricipale, situé à [Localité 10] (06) acquis au moyen d'un prêt souscrit auprès de la BNP d'un montant de 1 100 377€ d'une durée de 240 mois, au taux de 4,2%
- un bien immobilier, en nature de chambre d'hôtel, situé à [Localité 11] acquis au moyen d'un prêt de 736 815€ d'une durée de 180 mois au taux de 4,282%.
Désireux, en 2014, de profiter de la baisse des taux d'intérêts et d'optimiser la rentabilité de leur patrimoine, ils ont pris attache avec la société Caisse d'épargne Côte d'Azur (la Caisse d'épargne) qui a racheté les cinq crédits, la durée du remboursement de certains des prêts étant rallongée tandis qu'il était procédé à une réduction uniforme des intérêts à 2,95%.
Estimant que cette opération de rachat de crédits leur avait été préjudiciable, les époux [I] et la société Le Muguet ont, par acte d'huissier du 6 avril 2016, assigné la Caisse d'Epargne en paiement de dommages intérêts devant le tribunal de grande instance de Nice.
Par acte d'huissier du 27 septembre 2017, ils ont appelé en intervention forcée la société Eurofinance Courtage aux mêmes fins.
Les deux instances ont été jointes par le juge de la mise en état.
Par jugement du 19 juillet 2019, le tribunal a débouté les époux [I] et la société Le Muguet de leurs demandes et a condamné solidairement les époux [I] à payer à la Caisse d'épargne la somme de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par déclaration du 27 août 2019, les époux [I] et la société Le Muguet ont relevé appel de cette décision.
Vu les conclusions du 12 avril 2021 des époux [I] et de la société Le Muguet demandant à la cour
- d'infirmer le jugement
- de juger que la société Eurofinance Courtage a manqué à son obligation de conseil, d'information et de loyauté contractuelle
- de juger que la Caisse d'épargne a manqué à son obligation de mise en garde, notamment sur la perte de la déductibilité des intérêts
- de juger que la Caisse d'Epargne et la société Eurofinance Courtage ont commis une faute professionnelle en n'attirant pas leur attention sur les conséquences fiscales qui résulteraient du rachat du crédit du bien situé à [Localité 11]
- de juger qu'il appartenait aux intimés de procurer une information complète et exacte sur l'opération envisagée
- de juger qu'en leurs qualités de chirurgiens-dentistes, ils n'ont pas les compétences nécessaires et indispensables pour apprécier toutes les conséquences financières et fiscales de l'opération envisagée
- de juger qu'il ont subi un préjudice financier indéniable
- de juger que les intimés leur ont fait perdre une chance réelle d'optimiser leur patrimoine
- de condamner in solidum les intimés 'et à proportion que la cour appréciera' à les indemniser de leur entier préjudice
- de fixer le préjudice résultant de la perte de chance d'optimiser leur patrimoine à la somme de 114 000€
- de condamner les intimés à leur payer la somme de 114 000€ avec intérêts de droit à compter de l'introdution de la présente demande
- de les condamner sous la même solidarité à leur payer la somme de 10000€ en réparation de leur préjudice moral
- de condamner les intimés à leur payer la somme de 5000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Vu les conclusions du 22 février 2022 de la caisse d'Epargne demandant à la cour
- de juger inopérants les moyens d'appel des époux [I] et de la société Le Muguet agissant en la personne de son représentant légal
- de confirmer le jugement
- de condamner solidairement les époux [I] et la société Le Muguet à lui payer la somme de 3000€ au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux dépens.
Vu les conclusions du 13 février 2020 de la société Eurofinance Courtage demandant à la cour
- de confirmer le jugement
- de dire qu'aucune preuve n'est rapportée de l'existence d'un contrat de mandat signé avec les époux [I] et la société Le Muguet ou d'une quelconque intervention de sa part dans cette affaire
- de condamner in solidum les époux [I] et la société Le Muguet à lui payer la somme de 5000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
La clôture de l'instruction du dossier est intervenue le 24 janvier 2023.
Motifs
1. Sur les mandats donnés à la société Eurofinance Courtage
La société Eurofinance Courtage soutient que les époux [I] ne lui ont confié aucun mandat et que ces contrats ne sont pas produits aux débats tandis que les époux [I] expliquent qu'ils n'ont jamais rencontré de courtier et n'ont découvert l'existence de mandats qu'à l'occasion de l'instance.
Cependant, la caisse d'épargne a régulièrement communiqué aux débats (bordereau de communication de pièces du 17 février 2020) les cinq mandats signés le 3 septembre 2014, confiés à la société Eurofinance Courtage, chargée 'de servir aux mieux ' les intérêts des époux [I] dans le cadre de la rénégociation des prêts.
La société de courtage ne peut donc nier l'existence de ces mandats qui ne sont pas argués de faux.
Même si les époux [I] justifient qu'ils étaient accaparés par leurs activités professionnells le 3 septembre 2014 et que les contrats de mandats ont été antidatés, ils ne contestent pas les signatures et paraphes figurant sur ces mandats et n'arguent pas ces pièces de faux.
D'ailleurs, la position des appelants est paradoxale puisqu'ils précisent dans leurs propres écritures que c'est leur gestionnaire de patrimoine, M. [U], gérant de la société Synergie Conseils Patrimoine, qui, après leur avoir conseillé d'étudier les incidences d'une renégociation des prêts et d'un rachat de crédit, a adressé un courrier à un courtier en lui transmettant pour étude les différents tableaux d'amortissement des prêts.
En outre, tout en se prévalant de l'irrégularité des contrats de mandat, ils recherchent la reponsabilité de la société de courtage.
2. Sur les obligations de la banque et du courtier
Les appelants soutiennent que non seulement l'opération de rachat de crédits a abouti à un surcoût final de l'opération mais encore que, d'un point de vue fiscal, elle ne permet pas la déductibilité des intérêts au-delà d'un certain seuil de sorte que les intimés ont manqué à leurs obligations d'information, de conseil et de mise en garde.
En présence, d'un courtier, c'est par des motifs que la cour adopte que le jugement a retenu que la banque ne pouvait être tenue en l'espèce que d'une obligation de mise en garde consistant à vérifier que les prêts alloués étaient adaptés aux capacités financières des emprunteurs ; au regard de la nature de l'opération, soit le rachat de crédits et leur réaménagement, l'opération n'a pas aggravé le niveau d'endettement déjà existant de sorte que la banque n'a pas manqué à son devoir de mise en garde.
Il est constant en revanche qu'en application de l'article R.519-28 du code monétaire et financier, il appartenait à la société Eurofinance Courtage d'éclairer les emprunteurs sur les avantages et les risques de l'opération envisagée et d'établir une étude prospective et financière de la situation et de proposer le type de contrats le mieux adapté à leur situation. En l'espèce, la société Eurofinance Courtage, qui ne justifie pas avoir donné la moindre information ou conseil aux époux [I] et à la société Le Muguet, a manqué à ses obligations contractuelles.
3. Sur le préjudice
Cependant, les appelants ne rapportent pas la preuve de l'existence d'un préjudice résultant des opérations litigieuses.
D'une part, et contrairement à ce qu'ils mentionnent dans le descriptif de leurs pièces, la pièce n° 13 ne constitue pas une analyse financière mais un simple tableau comparatif des anciens et des nouveaux crédits.
D'autre part, et comme l'a relevé le jugement attaqué, les demandes des appelants ne reposent sur aucune analyse financière ou comptable établie par un professionnel du chiffre mais sur le courrier détaillé qu'ils ont adressé le 29 avril 2015 à la Caisse d'épargne lequel, est démuni à lui seul de toute force probante.
Par ailleurs, comme l'a exactement relevé le jugement attaqué, les appelants ne prennent pas en considération, dans leurs calculs, les économies d'intérêts résultant de la baisse des intérêts conventionnels et des nouveaux taux consentis et de l'emploi des sommes ainsi épargnées.
Ainsi, la banque évoque une économie de 48184€ concernant le rachat du crédit relatif à la résidence de [Localité 10], une économie de 18 007, 84€ concernant l'appartement d'[Localité 6] et de 18 007,84€ concernant l'appartement de [Localité 8], après signatures, en août 2015, d'avenants diminuant le taux d'intérêt , sans que les appelants produisent des éléments de preuve tangibles pour contredire ces calculs.
En ce qui concerne le préjudice fiscal, les appelants ne démontrent pas qu'ils ont été contraints de vendre l'appartement situé à [Localité 11] ce qui ressort à leur propre volonté. Ils ont réalisé à cet égard une plus value sur cette vente, le bien acquis moyennant le prix de 473 575€ ayant été revendu 720 000€. L'impôt sur la plus value qu'ils ont dû régler n'est pas la conséquence du rachat de crédit litigieux mais de la décision qu'ils ont prise librement de vendre l'immeuble et de la législation fiscale qui s'impose à tous les contribuables et qui est étrangère à la caisse d'épargne comme au courtier. Pareillement,les sommes réclamées au titre du reliquat à rembourser à la banque à la suite de la vente du bien précité et au titre du remboursement anticipé du prêt de substitution, sont dépourvus de tout lien de causalité direct avec l'opération de rachat de crédit litigieuse.
Quant à la limitation de la déductibilité des intérêts au plan fiscal, elle ne repose sur aucune analyse fiscale ou élément de preuve.
Dès lors, à défaut pour les appelants de rapporter la preuve de leur préjudice, il y a lieu de confirmer le jugement les déboutant de leurs demandes.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions ;
Condamne M et Mme [I] et la Sarl Le Muguet aux entiers dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes des époux [I], de la société Le Muguet et de la société Eurofinance Courtage, condamne les époux [I] et la société Le Muguet à payer à la Caisse d'épargne Côte d'Azur la somme de 2000€.