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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-6, 26 septembre 2024, n° 24/03706

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 24/03706

26 septembre 2024

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 26 SEPTEMBRE 2024

N° 2024/252

Rôle N° RG 24/03706 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BMYRV

S.A.S. DEPIL TECH

S.E.L.A.R.L. BG & ASSOCIES

S.E.L.A.R.L. TADDEI [I]

C/

[L] [T]

Organisme CPAM DES ALPES MARITIMES

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Joseph MAGNAN

- Me Romain CHERFILS

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du Juge de la mise en état de NICE en date du 29 Février 2024 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 21/03461.

APPELANTES

S.A.S. DEPIL TECH prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Hubert DIDON, avocat plaidant, avocat au barreau de PARIS

S.E.L.A.R.L. BG & ASSOCIES Es qualité de « Commissaire à l'exécution du plan » de la « SAS DEPIL TECH » mission conduite par Maître [V] [D] désigné à cette mission par jugement du Tribunal de Commerce de Nice en date du 27/12/2019, demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Hubert DIDON, avocat plaidant, avocat au barreau de PARIS

S.E.L.A.R.L. TADDEI [I] Es qualité de « Mandataire judiciaire » à la procédure de sauvegarde de la « SAS DEPIL TECH », mission conduite par Maître [Z] [I], désigné à cette mission par jugement du Tribunal de Commerce de Nice du 24/06/2018, demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Hubert DIDON, avocat plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur [L] [T]

assuré n° [Numéro identifiant 1]

né le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 8], demeurant [Adresse 7]

représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Houdé KHADRAOUI-ZGAREN, avocat plaidant, avocat au barreau de NICE

Organisme CPAM DES ALPES MARITIMES

signification 23/04/2024 à personne hablitée

assignation portant signification de DA le 04/06/2024 à personne habiliée.

, demeurant [Adresse 4]

défaillante

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 juin 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Premier Président de chambre

Greffier lors des débats : Madame Sancie ROUX.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024.

ARRÊT

réputé contradictoire

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024.

Signé par M. Jean-Wilfrid NOEL, Président et Mme Sancie ROUX, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS & PROCÉDURE

M. [L] [T] a contracté en juin 2017 avec la SAS Depil Tech en vue de séance dépilation par lumière pulsée. Il a été brûlé lors de la séance du 2 septembre 2017 et a néanmoins poursuivi les séances jusqu'au 3 novembre 2018. Une échographie du 11 octobre 2017 a objectivé la formation d'un lipome.

Commis par ordonnance du 28 février 2019 du juge des référés de Nice, le docteur [N] ultérieurement substitué par le docteur [R] a déposé son rapport le 17 janvier 2020.

Par jugement du 24 mai 2018 publié au BODACC les 4 et 5 juin 2018, le tribunal de commerce de Nice avait ouvert une procédure de sauvegarde et commis :

- M. [G] [O] en qualité de juge-commissaire,

- Maître [Z] [I] en qualité de mandataire judiciaire,

- Maître [V] [D] en qualité d'administratrice

Par jugement du 27 décembre 2019, le tribunal de commerce avait arrêté un plan de sauvegarde sur 120 mois et commis Maître [V] [D] en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde.

C'est dans ce contexte que, par acte d'huissier de justice du 6 septembre 2021, M. [L] [T] a assigné la SAS Depil Tech en réparation de son préjudice corporel, puis a dénoncé ladite assignation, par acte d'huissier de justice du 28 mars 2023, à Maître [D].

Le dossier de M. [L] [T] a été renvoyé à la mise en état.

Par ordonnance du 29 février 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice a :

- rejeté la demande de mise hors de cause de la SELARL BG & Associés prise en la personne de Maître [D] en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde,

- rejeté l'exception d'irrecevabilité des demandes contre la SAS Depil Tech soulevée par la société Depil Tech, Maître [Z] [I] ' SELARL Taddei-[I], pris en qualité de mandataire à la procédure de sauvegarde de la société Depil Tech ainsi que la SELARL BG & Associés, représentée par Maître [D] en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde,

- réservé les dépens de l'instance,

- renvoyé les parties à la mise en état,

- débouté de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile la SAS Depil Tech, Maître [Z] [I] - SELARL Taddei-[I], pris en qualité de mandataire à la procédure de sauvegarde de la société Depil Tech ainsi que la SELARL BG & Associés, représentée par Maître [D] en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde,

- rappelé l'exécution provisoire de droit.

Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a considéré que, nonobstant la règle selon laquelle toute demande adossée à une créance antérieure au jugement d'ouverture est irrecevable faute pour le demandeur d'avoir produit sa créance (articles L.622-24 et L.622-26 alinéa 2 du code de commerce), l'absence de déclaration la créance au passif de la procédure n'emporte pas l'extinction de la créance mais uniquement son opposabilité à la procédure collective, de sorte que le créancier a un intérêt à agir pour la défense de ses droits et obtenir un titre exécutoire, y compris pendant l'exécution du plan, afin de préserver ses droits dans l'hypothèse où il recouvrerait son droit de poursuite individuelle en cas de résolution du plan à la suite de la défaillance du débiteur.

Par déclaration du 21 mars 2024 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la SAS Depil Tech, la SELARL BG & Associés et la SELARL Taddei-[I] ont interjeté appel de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice, en ce qu'elle a rejeté l'exception d'irrecevabilité et débouté la SAS Depil Tech de ses demandes au titre des frais irrépétibles.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions d'appelant notifiées par la voie électronique le 14 mai 2024, la SAS Depil Tech, Maître [Z] [I] - SELARL Taddei-[I], pris en qualité de mandataire à la procédure de sauvegarde de la société Depil Tech ainsi que la SELARL BG & Associés, représentée par Maître [D] en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde, demandent à la cour de :

- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice du 29 février 2024 en ce qu'elle a rejeté l'exception d'irrecevabilité et débouté la SAS Depil Tech de ses demandes au titre des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau,

- déclarer M. [L] [T] irrecevable en ses demandes,

- condamner M. [L] [T] à verser à la SAS Depil Tech la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance,

- condamner M. [L] [T] à verser à la SAS Depil Tech la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

- condamner M. [L] [T] aux entiers dépens.

Les appelants font valoir que :

- les demandes de M. [L] [T] se fondent sur un événement antérieur à l'ouverture de la procédure collective et sont irrecevables faute de déclaration de créance entre les mains du mandataire judiciaire désigné par le tribunal de commerce ;

- M. [L] [T] n'a pas déclaré sa créance dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement de sauvegarde, soit le 5 août 2018 au plus tard ;

- M. [L] [T] n'a pas davantage sollicité un relevé de forclusion dans un délai de six mois suivant la publication du jugement (article L.622-26 du code de commerce), soit le 5 décembre 2018 au plus tard ;

- la position du juge de la mise en état est incompatible avec la jurisprudence constante de la cour de cassation selon laquelle la créance non déclarée a pour conséquence l'irrecevabilité des demandes formées en cours de plan par le créancier (Com, 6 juin 2018, 16-23.996) ' précision étant faite en l'occurrence le plan de sauvegarde est toujours en cours d'exécution.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée notifiées par la voie électronique le 12 juin 2024, M. [L] [T] demande à la cour de :

- juger M. [L] [T] recevable et bien fondé en ses demandes,

- confirmer l'ordonnance de mise en état du 29 février 2024 en ses entières dispositions,

- débouter la SAS Depilt Tech de toutes demandes, fins et conclusions,

- condamner la SAS Depil Tech au paiement des sommes de 1 500 euros en première instance et de 2 500 euros en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de Maître Romain Cherfils, membre de la SELARL LX Aix-en-Provence, avocats associés.

M. [L] [T] fait valoir que :

- selon l'alinéa 2nd de l'article L.622-26 du code de commerce, « les créances et les sûretés non déclarées régulièrement [...] sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus » ;

- le titulaire d'une créance antérieure non déclarée recouvre par conséquent son droit de poursuite individuelle en cas de résolution du plan, de sorte que l'absence de déclaration n'entraîne que l'inopposabilité et non son extinction ;

- la créance née d'un contrat à exécution successive conclu antérieurement au jugement d'ouverture accède au statut de créance postérieure ;

- en l'occurrence, le contrat conclu le 17 juin 2017 devait produire et a produit ses effets jusqu'au 3 novembre 2018, soit postérieurement au jugement d'ouveture ; en outre, la réalité du préjudice corporel qu'il a subi ne s'est imposée qu'entre le 30 août et le 3 septembre 2018, après qu'il eût consulté le docteur [X], subi une radiographie et qu'il eût été informé de la nécessité d'une intervention chirurgicale.

* * *

Assignée à personne habilitée le 23 avril 2024, la caisse primaire d'assurance-maladie des Bouches-du-Rhône n'a pas constitué avocat.

* * *

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Le dossier a été plaidé le 25 juin 2024 et mis en délibéré au 26 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nature de la décision rendue :

L'arrêt rendu sera réputé contradictoire, conformément à l'article 474 du code de procédure civile.

Sur la recevabilité des demandes de M. [T] :

L'article L.622-21 § I du code de commerce prévoit que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L.622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.

L'article L.622-22 du code de commerce dispose que les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus.

M. [L] [T] fait valoir que le contrat du 17 juin 2017 devait produire effet jusqu'au 3 novembre 2018, et soutient que la créance née d'un contrat à exécution successive conclu antérieurement au jugement d'ouverture accède au statut de créance postérieure.

M. [L] [T], qui a assigné au fond la SAS Depil Tech le 7 septembre 2021 sur le fondement quasi-délictuel de l'article 1384 alinéa 1er du code civil, aurait dû démontrer en réalité que le fait générateur de sa créance de dommages-intérêts était postérieur à la date de publication au BODACC du jugement d'ouverture du 24 mai 2018.

Or, ainsi qu'il résulte des termes de son assignation du 7 novembre 2021, « après sa séance du 2 septembre 2017, M. [T] s'est apercu qu'il était brûlé sur une partie de son épaule droite. En effet, le 3 septembre 2017, M. [T] faisait prendre des photos de ses plaies brûlées et force est de constater que les brûlures étaint très importantes. Des boursouflures étaient apparentes. Souffrant toujours de ces brûlures, lesquelles ne cicatrisaient pas, le 11 octobre 2017, M. [T] devait passer une échogaphie de l'épaule droite ».

Le premier juge précise à cet égard qu'il n'est pas contestable :

- que la faute délictuelle reprochée à la SAS Depil Tech est antérieure à l'ouverture de la procédure de sauvegarde à l'égard de la société puisque la brûlure invoquée date du 2 septembre 2017, ni

- que, s'agissant d'une créance antérieure, elle est soumise à déclaration entre les mains du mandataire désigné par le jugement d'ouverture du 24 mai 2018 (dans un délai de deux mois à compter de la publication dudit jugement au BODACC).

Il est constant que le créancier ne peut faire constater le principe de sa créance antérieure au jugement d'ouverture et en faire fixer le montant qu'en la déclarant et en se soumettant à la procédure de vérification du passif. Cette interdiction constitue une fin de non-recevoir qui doit être relevée d'office par le magistrat et ne peut être contournée au motif que le défaut de déclaration de créance n'éteint pas celle-ci mais la rend seulement inopposable à la procédure collective pendant l'exécution du plan (Civ. 3, 24 juin 2021, 20-15.886 + 20-16.785).

La SAS Depil Tech ajoute à juste titre que M. [L] [T] ne justifie ni n'allègue avoir sollicité, conformément à l'article L.626-26 du code de commerce, à être relevé de forclusion dans les six mois de la publication du jugement.

M. [L] [T] n'ayant pas déclaré sa créance, il est irrecevable en ses demandes formées à l'encontre de la SAS Depil Tech, de Maître [Z] [I] - SELARL Taddei-[I], pris en qualité de mandataire à la procédure de sauvegarde de la société Depil Tech ainsi que de la SELARL BG & Associés, représentée par Maître [D] en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde. L'ordonnance entreprise est infirmée en toutes ses dispositions.

Sur les demandes annexes :

M. [L] [T] est condamné aux dépens.

L'équité ne justifie pas particulièrement l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.

Déclare M. [L] [T] irrecevable en ses demandes.

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [L] [T] aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT