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Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 1, 26 septembre 2024, n° 22/01244

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 22/01244

26 septembre 2024

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 26/09/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 22/01244 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UFDW

Jugement n° 21/00018 rendu le 24 février 2022 par le tribunal judiciaire d'Arras

APPELANTE

SCI Fidji prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]

représentée par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Vincent Debliquis, avocat au barreau d'Arras, avocat plaidant

INTIMÉS

SELAS MJS Partners prise en la personne de Me [K] [U] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SCI Alsodoma, nommée à cette fonction suivant jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Arras en date du 02 juillet 2020

ayant son siège social [Adresse 1]

représentée par Me François-Xavier Wibault, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué

Ministère Public

représenté par M. le procureur général près la cour d'appel de Douai pris en la personne de Christophe Delattre, substitut général

DÉBATS à l'audience publique du 05 juin 2024 tenue par Aude Bubbe magistrat chargé d'instruire le dossier et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Valérie Roelofs

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Aude Bubbe, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 29 mai 2024

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Par jugement du 16 mai 2019, le tribunal de grande instance d'Arras a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société civile immobilière Alsodoma.

Par jugement du 2 juillet 2020, la liquidation judiciaire de la SCI Alsodoma a été prononcée.

Par acte extrajudiciaire du 25 novembre 2021, la SELAS MJS Partners, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SCI Alsodoma, a fait assigner la SCI Fidji en extension de cette liquidation judiciaire, pour cause de confusion des patrimoines des deux sociétés en cause.

Par jugement réputé contradictoire du 24 février 2022, notifié le 4 mars 2022, le tribunal judiciaire d'Arras a :

- ordonné l'extension de la liquidation judiciaire de la SCI Alsodoma ouverte par jugement rendu le 2 juillet 2020 à la SCI Fidji,

- ordonné la jonction des dossiers SCI Alsodoma, (RG : 19/14) et SCI Fidji (RG : 21/18),

- fixé identiquement la date de cessation des paiements de la SCI Fidji à celle retenue pour la SCI Alsodoma,

- dit que l'extension ainsi prononcée emportait création d'une procédure collective unique, avec patrimoine commun, unicité d'actif et de passif entre la SCI Alsodoma et la SCI Fidji,

- dit qu'une copie du présent jugement sera adressée aux autorités désignées à l'article R.621-7 du code de commerce,

- dit que les publicités prescrites à l'article R.621-8-1 du code de commerce seront accomplies,

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Par déclaration du 14 mars 2022, la SCI Fidji a interjeté de ce jugement.

Par arrêt avant dire droit du 24 novembre 2022, cette cour a rouvert les débats et a invité les parties à s'expliquer sur le moyen relevé d'office pris du défaut d'intimation de la SCI Alsodoma.

Par arrêt avant dire droit du 16 novembre 2023, la cour a :

- révoqué l'ordonnance de clôture,

- relevé d'office la nullité du jugement entrepris, à défaut, l'irrecevabilité de la demande d'extension de la procédure collective, et encore à défaut, le mal fondé de la demande d'extension de la procédure collective, faute d'avoir appelé en cause la SCI Alsodoma dès la première instance,

- renvoyé le dossier à la mise en état du 22 février 2024,

- réservé les dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 21 février 2024, la SCI Fidji demande à la cour de :

A titre principal,

- annuler l'acte introductif d'instance et le jugement rendu le 24 novembre 2022,

- juger que l'effet dévolutif ne peut opérer,

- renvoyer le liquidateur judiciaire à mieux se pourvoir,

A titre subsidiaire, annulant ou réformant le jugement,

- déclarer le liquidateur judiciaire irrecevable en sa demande d'extension de liquidation judiciaire de la SCI Alsodoma à la SCI Fidji,

A titre plus subsidiaire,

- annuler ou, à défaut, réformer le jugement,

- déclarer le liquidateur judiciaire, ès qualités, mal fondé en sa demande d'extension de liquidation judiciaire,

- dire n'y avoir lieu à confusion de patrimoine ni à extension de procédure collective de la SCI Alsodoma à elle-même,

En toute hypothèse,

- débouter le liquidateur judiciaire, ès qualités, de ses demandes,

- condamner le liquidateur judiciaire, ès qualités, à lui verser 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 27 mars 2024, au visa des articles L. 621-2 et L. 641-1 du code de commerce et 554 du code de procédure civile, la SELAS MJS Partners en sa qualité de liquidateur de la SCI Alsodoma demande à la cour de :

A titre liminaire,

- déclarer l'appel irrecevable ;

- déclarer irrecevable la SCI Fidji à invoquer le défaut de mise en cause de la SCI Alsodoma à défaut de qualité à agir,

- la déclarer recevable en ses demandes,

Sur le fond,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Arras en date du 24 février 2022 en tous ses chefs de dispositif,

- employer les dépens en frais privilégiés de procédure.

Vu l'avis du ministère public de cour d'appel déposé et notifié par la voie électronique le 25 janvier 2023, par lequel celui-ci indique n'avoir aucune observation particulière à formuler à la suite à la réouverture des débats, son avis précédent tendant à l'infirmation du jugement entrepris ayant été oralement repris à l'audience ;

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.

La clôture de l'instruction est intervenue le 29 mai 2024 et l'affaire a été renvoyée à l'audience de plaidoiries du 5 juin 2024.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'appel

Le liquidateur judiciaire rappelle que la SCI Fidji n'a pas qualité pour invoquer l'absence de mise en cause de la SCI Alsodoma. Il expose que le débiteur initialement soumis à la procédure collective, qui dispose d'un droit propre à contester l'extension de la procédure, ne doit être mis en cause qu'au stade de l'appel. Il souligne qu'à défaut pour la SCI Fidji d'avoir intimé la SCI Alsodoma et, à raison du caractère indivisible du litige, son appel est irrecevable en application de l'article 553 du code de procédure civile. Il fait valoir que la société Alsodoma était partie à la première instance puisqu'il la représentait.

La SCI Fidji rappelle, au visa de l'article 547 du code de procédure civile, que l'appel ne peut être dirigé que contre les parties au litige en première instance. Elle expose que si le liquidateur judiciaire représentait la SCI Alsodoma devant le tribunal, alors son appel est recevable puisqu'elle l'a intimé en cette qualité. Elle ajoute que si le liquidateur judiciaire ne pouvait représenter le débiteur pour l'exercice de ses droits propres, son appel reste recevable puisqu'elle ne pouvait intimer une personne qui n'était pas partie au litige en première instance. Elle en conclut que la conséquence de l'indivisibilité du litige à l'égard de la SCI Alsodoma ne peut être que la nullité du jugement ou l'irrecevabilité de la demande d'extension en première instance.

Aux termes de l'article 547 al.1 du code de procédure civile, 'En matière contentieuse, l'appel ne peut être dirigé que contre ceux qui ont été parties en première instance. Tous ceux qui ont été parties peuvent être intimés.'

En l'espèce, si la SCI Fidji n'est pas recevable à soulever l'absence de convocation de la SCI Alsodoma à l'instance devant le tribunal de grande instance , il convient de rappeler que la question a été relevée d'office par la cour.

En outre, en application des articles L. 641-1 et L. 661-1, I, 3° du code de commerce, dans leur rédaction applicable à la date de la procédure collective de la SCI Alsodoma, cette dernière bénéficie d'un droit propre de demander l'extension de la procédure et de contester le jugement ayant prononcé cette extension.

En conséquence, elle ne peut pas être représentée par le liquidateur judiciaire dans l'exercice de son droit propre.

Or, il résulte des mentions du jugement et du dossier de première instance que la SCI Alsodoma, prise en la personne de son gérant, n'a été ni entendue ni appelée en première instance.

Ainsi, il ne peut être retenu que la SCI Alsodoma était partie à l'instance devant le tribunal judiciaire.

Dès lors, n'étant pas partie à la première instance, la SCI Alsodoma ne pouvait être intimée et il n'y aura pas lieu de déclarer irrecevable l'appel de la SCI Fidji.

Sur la nullité du jugement

Visant l'arrêt de réouverture des débats, la SCI Fidji fait valoir que la SCI Alsodoma disposait d'un droit propre et ne pouvait être représentée à l'instance par le liquidateur judiciaire, qui sollicitait l'extension de cette procédure à une autre société. Elle conclut que la sanction de l'absence de mise en cause de la SCI Alsodoma ne peut être que la nullité de l'acte introductif d'instance et du jugement et que l'effet dévolutif n'a pas pu opérer.

Le liquidateur judiciaire conteste la nullité du jugement soulevée d'office par la cour, indiquant que l'ensemble des textes relatifs à l'ouverture d'une procédure collective, dont l'article L.621-1 al.1 du code de commerce, prévoit que seul le débiteur susceptible de faire l'objet d'une procédure collective doit être entendu ou appelé. Il précise qu'aucune disposition n'exige de convoquer le débiteur en liquidation judiciaire dans les instances en extension de procédure. Il souligne qu'il appartenait au greffe de convoquer la SCI Alsodoma afin qu'elle fasse valoir ses droits propres et que le défaut de convocation ne peut lui être reproché. Enfin, il expose que l'absence de convocation de la SCI Alsodoma ne lui a causé aucun grief, alors que sa gérante est associée de la société DB Finances, gérante de la SCI Fidji et dirigée par son époux.

En l'espèce, en application de l'article L.621-2 al.2 du code de commerce, la procédure d'extension a notamment pour effet d'apprécier si le débiteur initial a porté indûment atteinte aux droits de ses créanciers par le moyen de l'entreprise cible, soit par confusion de leur patrimoines soit en cas de fictivité de la personne morale.

Dans le cadre de cette procédure, les articles L.641-1 et L.661-1, I, 3° du code de commerce, dans leur rédaction applicable à la date de la liquidation judiciaire de la SCI Alsodoma, prévoient que le débiteur en procédure collective bénéficie du droit propre de demander l'extension de la procédure de liquidation judiciaire et de contester le jugement ayant prononcé cette extension, la saisine du tribunal étant réalisée par voie d'assignation selon l'article R.621-8-1 alinéa 1 du code de commerce.

Dès lors, même si aucune disposition ne prévoit expressément que le débiteur initial doit être assigné en cas de demande d'extension de la liquidation judiciaire à une autre personne, les textes visés ci-dessus ne permettent pas pour autant de déroger au principe de droit naturel de la contradiction, repris aux articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et 14 du code de procédure civile, selon lesquels nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.

De même, aucun texte ne justifie ni que la mise en cause du débiteur doive intervenir au stade de l'appel uniquement, ni que cette mise en cause incombe à la société à laquelle la liquidation est étendue.

Au contraire, même s'il est exact que cette dernière société n'a pas qualité pour invoquer, au lieu et place du débiteur initialement soumis à la procédure collective, l'absence de mise en cause de celui-ci (Cass.com, 13 septembre 2011, pourvoi n° 10-24.536), il n'en demeure pas moins que ce défaut de mise en cause constitue un vice de la procédure d'extension.

Enfin, la proximité des représentants et associés des SCI Alsodoma et Fidji ne permet pas d'écarter le vice de procédure alors que les personnes morales sont distinctes des personnes physiques et qu'au surplus, leurs gérants et associés ne sont même pas identiques.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les premiers juges ont statué sans avoir entendu ou appelé le débiteur initial, étant observé que la SCI Alsodoma n'a pas conclu au fond à titre principal en appel.

Dès lors, la nullité du jugement sera prononcée pour vice de procédure, privant la cour de la possibilité d'évoquer en l'absence d'effet dévolutif, en application de l'article 562 du code de procédure civile.

Sur les demandes accessoires

L'équité ne commande pas d'accorder des sommes sur le fondement des dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Annule l'assignation du 25 novembre 2021 et le jugement du 24 février 2022,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Le greffier

Valérie Roelofs

Le président

Dominique Gilles