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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 10, 26 septembre 2024, n° 21/08106

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/08106

26 septembre 2024

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRET DU 26 SEPTEMBRE 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08106 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CENNP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Août 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 21/04726

APPELANT

Monsieur [W] [C]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Elisabeth DE BOISSIEU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0218

INTIMEE

Association JEUNESSE LOUBAVITCH

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Carène MOOS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1946

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

- contradictoire

- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

M. [W] [C] a été engagé par l'association Jeunesse Loubavitch, dans le cadre d'un contrat "emploi jeunes", non formalisé par un écrit, en date du 1er décembre 2002, en qualité d'animateur. Il soutient, qu'au terme de ce contrat, la relation contractuelle s'est poursuivie sous la forme d'un contrat à durée indéterminée non écrit, ce que conteste l'association.

L'association Jeunesse Loubavitch est une association régie par la loi de 1901, à but non lucratif, reconnue d'utilité publique par décret du 11 janvier 1995 qui assure en France le rayonnement du mouvement Habad Loubavitch, issu du courant hassidique. Elle a été fondée en 1970 par le rabbin [B] [F] et remplit diverses missions, cultuelles, sociales et avant tout éducatives. Dans ce cadre, l'association gère de nombreux établissements scolaires israélites dont l'école [5] située [Adresse 7] à [Localité 3], qui regroupe 1 700 élèves de la crèche à la terminale.

M. [S] [C], père de M. [W] [C] a été le directeur salarié du complexe scolaire [5] de 1978 jusqu'à son décès intervenu en mars 2020.

Par un courrier daté du 27 mai 2021, M. [C] a pris acte de la rupture du contrat de travail dans les termes suivants :

" Vous m'avez demandé des précisions sur ma situation salariale, par mail des "ressources humaines" du 10 mars 2021, des demandes présentées comme venant du "cabinet Moos". Même si j'ai été étonné qu'en tant qu'employeur vous ne disposiez pas des informations demandées, je vous ai adressé une réponse précise à vos demandes le 25 mars 2021.

Depuis, alors que je ne faisais que répondre à votre demande, vous m'avez adressé des mails et courriers parfaitement incompréhensibles, estimant que ma réponse qui ne faisait que retracer l'exacte vérité de nos relations, justifiait mon départ.

Cela m'a été dit de vive voix, des menaces m'ont été faites par mail, et vous l'avez encore réitéré lors de notre rendez-vous d'hier au cours duquel vous avez été jusqu'à me dire que "si je voulais jouer avec le légal alors on m'installera dans un trou à côté du bureau des RH pour me pourrir la vie"(sic).

A propos de ce rendez-vous d'ailleurs, je vous ai fait part de ma réticence à venir sur les lieux alors que c'est à cet endroit que travaille Monsieur [N] qui, comme je vous l'ai rappelé dans mon courrier du 25 mars 2021, a fait preuve de violences à mon encontre, violences qui m'ont obligé à déposer plainte. Vous êtes parfaitement au courant de cet incident et je suis étonné que, loin de prendre des mesures à l'encontre de ce salarié, vous me convoquiez à l'endroit où il travaille encore en toute impunité.

Mais bien plus. Vous m'avez adressé un bulletin de paie au mois d'avril à 0€ et ne m'avez pas versé mon salaire. Vous évoquez sur ce bulletin, pour la première fois, des "absences injustifiées". J'ai pourtant été bien présent tout au long de ce mois. Vous ne m'avez d'ailleurs jamais adressé ni mail, ni courrier, à ce sujet... Je m'en suis inquiété le 10 mai 2021 en vous disant que je contestais cette qualification aberrante "absences injustifiées" et vous demandais le paiement de mon salaire.

Mon mail est resté à ce jour sans aucune réponse de votre part et je n'ai pas été payé.

Je me vois donc obligé de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail à votre initiative à compter de ce jour".

Le 2 juin 2021, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour voir dire que la prise d'acte de rupture du contrat de travail est effectuée aux torts exclusifs de l'employeur et qu'elle produit des effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que pour solliciter des rappels de salaire et une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

Le 31 août 2021, le conseil de prud'hommes de Paris, dans sa section Activités diverses, a statué comme suit :

- se déclare compétent

- requalifie la prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

- condamne l'association Jeunesse Loubavitch à payer à M. [C] les sommes suivantes :

* 1 564,62 euros au titre du salaire d'avril 2021

* 1 408,16 euros au titre du salaire du mois de mai 2021 (du 1er au 27)

* 3 129,24 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

* 312,92 euros au titre des congés payés afférents

* 8 344 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de jugement

Rappelle qu'en vertu de l'article R. 1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire. Fixe cette moyenne à la somme de 1 564,62 euros

- 4 693,86 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement

- ordonne la remise des documents sociaux conformes au présent jugement

- déboute M. [C] du surplus de sa demande

- déboute l'association Jeunesse Loubavitch de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamne l'association Jeunesse Loubavitch au paiement des entiers dépens.

Par déclaration du 1er octobre 2021, M. [C] a relevé appel du jugement de première instance dont il a reçu notification le 3 septembre 2021.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 17 avril 2024, aux termes desquelles M. [C] demande à la cour d'appel de :

- rejeter des débats les pièces 25, 26 et 27 communiquées par l'AJL comme relevant d'une violation de la correspondance

- dire l'association Jeunesse Loubavitch mal fondée en son appel incident

- la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a retenu que la prise d'acte de la rupture était aux torts de l'employeur et s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

- l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau

- requalifier les sommes versées sur facture en salaires

- dire que la rémunération brute mensuelle s'élève à 2 965,62 euros

- condamner l'association Jeunesse Loubavitch à verser à Monsieur [C] les sommes suivantes :

* 2 965,62 euros (à parfaire) au titre du salaire du mois d'avril 2021 outre 296 euros au titre des congés payés y afférents

* 2 582,95 euros au titre du salaire du mois mai 2021 outre 258 euros au titre des congés payés y afférents

* 1 411 euros par mois pour les mois de janvier, février et mars 2021 au titre de la partie de salaire non rémunérée outre 141euros/mois au titre des congés payés y afférents

* 17 299,45 euros (à parfaire) au titre de l'indemnité légale de licenciement

* 45 967 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail

* 5 930 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 593 euros bruts au titre des congés payés afférents

* 4 884 euros au titre du rattrapage de congés payés des trois dernières années, recalculés sur la base du salaire moyen réel, ainsi que le solde de ses congés payés (mémoire)

* 17 793 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

* 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

- condamner l'association Jeunesse Loubavitch à lui remettre, les documents conformes au jugement ainsi que tous les documents de fin de contrat

- dire que l'ensemble des condamnations sera assorti d'un intérêt au taux légal à compter de la présente requête

- ordonner la capitalisation des intérêts (anatocisme) en vertu des dispositions de l'article 1154 du code civil.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 22 avril 2024, aux termes desquelles l'association Jeunesse Loubavitch demande à la cour d'appel de :

- débouter M. [C] de sa demande de rejet des pièces 25, 26 et 27 produites par l'association Jeunesse Loubavitch

A titre principal,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 31 août 2021 en ce qu'il s'est déclaré compétent

Statuant à nouveau,

- juger qu'aucun contrat de travail ne lie Monsieur [W] [C] à l'association Jeunesse Loubavitch

- juger fondée l'exception d'incompétence soulevée par l'association Jeunesse Loubavitch au profit du tribunal judiciaire de Paris et par voie de conséquence

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en toutes ses dispositions

- renvoyer Monsieur [W] [C] à mieux se pourvoir

- débouter Monsieur [W] [C] de l'ensemble de ses demandes

- condamner Monsieur [W] [C] à régler à l'association Jeunesse Loubavitch la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait juger qu'un contrat de travail lie les parties et déclarer infondée l'exception d'incompétence soulevée par l'association Jeunesse Loubavitch, il lui est demandé de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 31 août 2021 en ce qu'il a :

"- débouté Monsieur [W] [C] de sa demande de requalification des sommes versées sur facture en salaire et de fixation de sa rémunération mensuelle à hauteur de 2 965,62 euros

- dit que la rémunération mensuelle de Monsieur [W] [C] s'élève à 1 564,62 euros

- débouté Monsieur [W] [C] de l'ensemble de ses demandes à ce titre (salaire des mois de janvier à mai à hauteur de 2 965,62 euros, indemnités légales de licenciement et de préavis calculées sur cette base, rattrapage de congés payés)

- condamné l'association Jeunesse Loubavitch à payer à Monsieur [C] :

' 1 564,62 euros au titre du salaire d'avril 2021

' 1 408,16 euros au titre du salaire du mois du 1er au 27 mai 2021

' 3 129,24 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

' 312,92 euros au titre des congés payés y afférents

' 8 344 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

' 4 693,86 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- débouté Monsieur [W] [C] de sa demande de condamnation au titre du travail dissimulé

- débouté Monsieur [W] [C] de sa demande d'article 700 du code de procédure civile

- débouté Monsieur [W] [C] de sa demande de capitalisation des intérêts"

En tout état de cause,

- condamner Monsieur [W] [C] à verser à l'association Jeunesse Loubavitch la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner Monsieur [W] [C] aux entiers dépens.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 24 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION :

1/ Sur les pièces 25, 26 et 27 produites par l'association Jeunesse Loubavitch

M. [C] demande à ce que soient écartées des débats les pièces 25, 26 et 27 produites par l'employeur dès lors qu'il s'agit de correspondances privées échangées entre la Mairie de [Localité 6] et les époux [C] relatives à leur logement et que ces documents, dont l'association ne peut avoir eu connaissance que par des moyens illicites, sont parfaitement étrangers au litige.

L'association Jeunesse Loubavitch objecte qu'elle a eu connaissance des pièces litigieuses car elles figuraient sur la messagerie professionnelle attribuée par l'académie de [Localité 6] au père de l'appelant, dont elle a récupéré la gestion après son décès. Elle ajoute qu'il s'agit d'échanges entre des professionnels exerçant des missions de service public qui ne revêtent pas un caractère privé et que ces pièces n'ont donc pas à être écartées des débats.

La cour relève que le mail figurant en pièce 25 produite par l'association Jeunesse Loubavitch est issu de la messagerie professionnelle de M. [S] [C] mais qu'il est identifié comme "personnel".

S'agissant de la pièce 26, il s'agit d'un courriel adressé à M. [S] [C] par sa fille, à partir d'une adresse mail non-professionnelle et dont il n'apparaît pas qu'il a été reçu sur l'adresse mail professionnelle de M. [S] [C] puisque la présentation de ce document diffère des autres extractions des mails professionnels de l'intéressé.

La production de ces courriels personnels, qui portent atteinte au secret des correspondances et à la vie privée de M. [C] et qui ne présentent aucun lien direct avec les faits de la cause, n'étant pas indispensable à l'association pour faire valoir ses droits, ces pièces seront écartées des débats.

La pièce 27 est un contrat de travail à temps plein signé entre M. [C] et la SARL Du Canal, le 2 janvier 2018, pour un emploi de graphiste. Il ne s'agit donc pas d'une correspondance privée et il n'est nullement établi que ce document aurait été obtenu d'une manière illicite ou déloyale. Il sera, en conséquence, jugé que cette pièce n'a pas à être écartée des débats.

2/ Sur l'existence d'un contrat de travail

M. [C] explique, qu'alors qu'il a été engagé, le 1er décembre 2002, par l'association Jeunesse Loubavitch comme animateur, la relation contractuelle s'est poursuivie au-delà du terme de son contrat sous la forme d'un contrat à durée indéterminée dans le cadre duquel il lui a été demandé d'effectuer un travail de graphiste. Il ajoute que, dans le cadre de ce contrat, il touchait une rémunération égale au SMIC pour un horaire de 35 heures par semaine, annualisé d'un commun accord, compte tenu de la nature de son activité. M. [C] verse aux débats un certain nombre de photos de travaux qu'il a été amené à effectuer pour l'association entre 2002 et 2006 (pièce 32). Il précise que jusqu'en 2008, il a travaillé dans les locaux de l'association, qu'il a toujours été placé sous la subordination hiérarchique des cadres de cette structure et qu'à l'exception d'un seul client il n'a travaillé que pour le compte de l'intimée.

Alors qu'il avait réclamé une augmentation de sa rémunération pour tenir compte des nouvelles qualifications qui lui étaient demandées comme graphiste, il lui a été demandé de s'inscrire comme auto-entrepreneur pour que l'association n'ait pas à supporter les charges afférentes au versement d'une partie de sa rémunération supplémentaire. Ainsi, à compter de l'année 2018, il a touché, en parallèle de sa rémunération de salarié, formalisée par des bulletins de paie (pièces 3 à 6), le règlement de factures pour d'autres travaux qu'il accomplissait en qualité d'auto-entrepreneur (pièces 7 à 9).

Ces conditions de travail se sont poursuivies jusqu'en mars 2021, date à laquelle il a reçu un courriel lui demandant de justifier d'un certain nombre d'éléments relatifs à ses conditions de travail (lieu, horaire, responsable ...) (pièce 10). Il a répondu à ces interrogations par un courrier détaillé du 25 mars 2021. Pourtant, dans un courriel du 30 avril 2021, l'association lui a fait savoir qu'elle contestait formellement sa présentation et ses revendications financières et a cessé de lui verser toute rémunération, ainsi qu'en atteste son bulletin de salaire pour le mois d'avril 2021 (pièce 13).

Bien que contestant le caractère salarié des activités qu'il aurait été amené à accomplir pour le compte de l'association, cette dernière n'a pas hésité à lui adresser un courriel en date du 25 mai 2021 pour lui demander de communiquer sous quinzaine tous les fichiers modifiables de ses créations (pièce 15). M. [C] a refusé de satisfaire à cette demande puisqu'aucune cession de droit n'avait été consentie à l'association Jeunesse Loubavitch qui n'avait même pas dénié lui établir un contrat de travail pour formaliser son activité de graphiste à son bénéfice.

Estimant avoir été lésé d'une partie de ses droits et rémunérations durant la relation contractuelle, M. [C] a pris acte de la rupture de son contrat de travail et réclame diverses sommes à titre de rappel de salaire et congés payés afférents ainsi qu'une indemnité pour travail dissimulé.

L'association Jeunesse Loubavitch rapporte, qu'en dépit du fait que le contrat aidé de M. [C] n'ait été ni renouvelé, ni régularisé par un autre contrat, ce dernier a continué à percevoir une rémunération équivalente au SMIC pour un poste d'animateur socio-culturel qu'il reconnaît lui-même n'avoir jamais occupé. Dans les faits, M. [C] s'est formé aux métiers du graphisme et, en mars 2006, il a lancé son activité de graphiste indépendant, avec le statut d'auto entrepreneur, sous la forme d'une agence à l'enseigne LT Créa, immatriculée sous la mention "activité artistique" (PA 24). Le père de M. [C] occupant le poste de directeur du complexe scolaire [5] jusqu'à son décès intervenu en mars 2020, l'association a fait appel aux services de l'appelant pour ses besoins en communication graphique. Néanmoins, l'intimée affirme que l'appelant ne recevait ni ordres, ni directives de l'association autres que ceux inhérents à la qualité de donneuse d'ordre. L'appelant n'exerçait pas son activité dans les locaux de l'association et n'était ni soumis au pouvoir hiérarchique de celle-ci, ni tenu à une exclusivité dans sa production artistique. D'ailleurs, M. [C] a bien signifié à l'association Jeunesse Loubavitch que son agence était propriétaire de l'intégralité des dossiers et productions réalisées pour son compte ce qui atteste encore de l'absence de relation de subordination entre les parties mais de la conclusion, au contraire, d'un contrat d'entreprise.

À la faveur d'un changement de présidence de l'association, à la fin de l'année 2014, il est apparu que M. [C] bénéficiait d'un emploi fictif au sein de l'association en qualité d'animateur socioculturel et qu'il déduisait le montant du salaire perçu à ce titre de celui des factures de son agence de graphisme pour ne pas faire supporter à l'association un double paiement de ses prestations. La position du père de M. [C] n'a pas permis à l'association de régulariser la situation de l'appelant avant l'année 2020. À cette date, il a été proposé à M. [C] de régler amiablement la situation mais l'ensemble des discussions entre les parties a abouti à un échec. C'est dans ces circonstances que l'association intimée a cessé de régler à l'appelant une rémunération qui était indue.

L'association Jeunesse Loubavitch dénie donc à M. [C] une quelconque qualité de salarié et demande à ce qu'il soit débouté de l'ensemble de ses demandes.

La cour rappelle que la preuve de l'existence d'un contrat de travail incombe à celui qui s'en prévaut, mais en présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve. En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [C] a été engagé par l'association Jeunesse Loubavitch en décembre 2002 par un contrat "emploi jeune" et déclaré auprès des organismes sociaux à ce titre (pièce 1 salarié). Il est également acquis que M. [C] a continué à être employé par l'association postérieurement au terme de ce contrat. Par ailleurs, pendant près de 20 ans M. [C] s'est vu délivrer des bulletins de salaire. Il sera donc retenu l'existence d'un contrat de travail apparent.

M. [C] reconnaît qu'il n'a jamais exercé l'activité d'animateur socio-culturel pour laquelle il avait été engagé et pour laquelle il a perçu une rémunération pendant quasiment 20 ans. Au contraire, il est établi que l'appelant a effectué des travaux de graphiste dès l'année 2000, sous l'enseigne LT Créa (pièce 4). Par ailleurs, il appert, qu'au moins à compter de l'année 2008, l'appelant a toujours réalisé les projets graphiques qui lui étaient confiés dans des locaux distincts de ceux de l'association et en parfaite indépendance, sans recevoir d'ordres, ni de directives de l'association, et sans répondre à des injonctions organisationnelles en termes d'horaires, de tâches à effectuer, de présence à assurer, ni d'intégration au sein d'un service de l'association.

Les quelques mails versés par l'appelant en pièce 41 et qui sont supposés illustrer le lien de subordination avec l'association intimée ne démontrent en aucune manière qu'il lui était adressé des ordres ou des directives sur la manière dont il devait exécuter les missions qui lui étaient confiées.

Les pièces produites par les parties ne permettent pas d'établir que M. [C] aurait bénéficié des infrastructures de l'association, ni de moyens particuliers, qu'ils soient informatiques ou logistiques, de cette dernière.

Il ne disposait pas non plus d'une adresse mail à l'intitulé de l'association et il ne ressort pas qu'il aurait été soumis au pouvoir hiérarchique d'un cadre de l'intimée. L'appelant concède qu'il a travaillé pour d'autre clients que l'association puisqu'aucune clause d'exclusivité ne le liait à cette dernière. Il apparaît même qu'en 2018, M. [C] a signé un contrat de travail à temps plein pour un emploi de graphiste (pièce 27 employeur). Enfin, M. [C] convient que la production et les dossiers de travail qu'il a établis pendant 20 ans dans le cadre de son activité pour le compte de l'association Jeunesse Loubavitch sont sa propriété personnelle ce qui confirme encore, s'il en était besoin, l'absence d'un lien de subordination entre les parties excluant la reconnaissance à l'appelant d'un statut de salarié. La seule rétribution de ses prestations sous la forme de salaire est insuffisante à elle seule à établir l'existence d'un contrat de travail.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a considéré que M. [C] était lié à l'association Jeunesse Loubavitch par un contrat de travail.

En l'absence de contrat de travail, le conseil de prud'hommes était incompétent pour connaître du présent litige.Lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d'appel de la juridiction qu'elle estime compétente.
Le juge judiciaire de droit commun étant le tribunal judiciaire, en l'espèce celui de Paris et la présente cour étant juridiction d'appel de cette juridiction, il convient de statuer sur le fond.

3/ Sur les demandes de rappel de salaire, indemnité pour travail dissimulé, prise d'acte de rupture du contrat de travail et prétentions subséquentes

M. [C] ne formant que des demandes financières fondées sur sa qualité de salarié, à savoir des rappels de salaire pour les mois de janvier, février, mars, d'avril, mai 2021, une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et des indemnités au titre de la rupture abusive de son contrat de travail, il ne peut qu'être débouté de ses prétentions puisque la cour ne retient pas l'existence d'un contrat de travail.

4/ Sur les autres demandes

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [C] supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Écarte des débats les pièces 25 et 26 produites par l'association Jeunesse Loubavitch,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :

- débouté M. [C] du surplus de ses demandes

- débouté l'association Jeunesse Loubavitch de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que M. [C] et l'association Jeunesse Loubavitch n'étaient pas liés par un contrat de travail,

Déclare le conseil de prud'hommes de Paris incompétent pour connaître des demandes de M. [C], au profit du tribunal judiciaire de Paris,

Statuant sur le fond en qualité de juridiction d'appel du tribunal judiciaire de Paris, déboute M. [C] de ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [C] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE