CA Versailles, ch. civ. 1-3, 26 septembre 2024, n° 21/03215
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Époux
Défendeur :
Époux R
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perret
Conseillers :
Mme Girault, M. Maumont
Avocats :
Me Barthelemy, Me Gueilhers, Me Chapron
FAITS ET PROCEDURE :
Par acte authentique du 29 octobre 2015, M. [O] [R] et Mme [L] [Y] épouse [R] ont vendu à M. [E] [X] et Mme [K] [S] épouse [X] une maison avec jardin située [Adresse 3], à [Localité 12], dont ils étaient propriétaires depuis le 24 août 2006, ainsi que deux emplacements de garage faisant partie d'une copropriété située aux 219 et 221 de la même rue, au prix net vendeur de 1 125 000 euros.
L'acte a été précédé de la signature, le 21 juillet 2015, d'une promesse unilatérale de vente, par laquelle les époux [R] ont attribué aux époux [X] la faculté d'acquérir les biens, si bon leur semble, jusqu'à la date limite du 21 octobre 2015, moyennant une indemnité d'immobilisation d'un montant de 112 500 euros.
Le 5 avril 2016, le conseil de M. et Mme [X] a écrit à M. et Mme [R] que ses clients considéraient comme dolosif leur silence, avant la vente, sur la construction prochaine d'un immeuble collectif, d'un parking et d'un commerce en vis-à-vis du bien vendu.
Par lettre recommandée du 8 juin 2017, le conseil de M. et Mme [X] a réécrit à M. et Mme [R] au sujet de l'omission précitée en se plaignant également que ceux-ci avaient découvert qu'une extension du sous-sol, non mentionnée à l'acte de vente, avait été récemment réalisée, et ce, sans assurance construction.
Par actes du 21 septembre 2017, M. et Mme [X] ont fait assigner M. et Mme [R] devant le tribunal de grande instance de Nanterre en nullité de la vente du 29 octobre 2015 et, subsidiairement, en dommages-intérêts pour violation de l'obligation précontractuelle d'information.
Par jugement du 6 mai 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a débouté les époux [X] de l'ensemble de leurs demandes, les a condamnés à payer, outre les dépens de l'instance, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par acte du 18 mai 2021, les époux [X] ont interjeté appel et prient la cour par dernières écritures du 24 avril 2024 de :
- les dire et juger recevables et bien fondés en leur appel,
Y faisant droit,
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- écarter des débats les pièces adverses communiquées " le 19 avril 2015 " (sic), en violation de l'article 135 du code de procédure civile,
Sur la responsabilité des vendeurs au titre du dol, subsidiairement de la garantie des vices cachés et à titre infiniment subsidiaire de la violation de leur obligation d'information,
- condamner solidairement les époux [X] au titre de leur responsabilité pour dol et subsidiairement de la garantie des vices cachés :
* la somme de 275 000 euros au titre de la perte de de chance de renégociation du prix à la baisse, avec intérêts aux taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance et avec application de l'anatocisme en vertu de l'article 1342-2 du code civil (ancien article 1154) ;
* la somme de 68 544 euros du fait de l'absence des assurances construction, avec intérêts aux taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance et avec application de l'anatocisme en vertu de l'article 1342-2 du code civil (ancien article 1154),
* la somme de 20 520 euros pour la perte de jouissance de l'extension depuis mars 2018, à 380 euros par mois, jusqu'au 1eraoût 2023, à parfaire,
* la somme de 16 800 euros pour le préjudice de jouissance dû aux nuisances quotidiennes qu'ils ont subis, leurs enfants et eux, en raison des travaux de deux années, à hauteur de 700 euros par mois, soit 16 800 euros,
* la somme de 40 000 euros au titre du préjudice moral,
* la somme de 2 000 euros au titre du préjudice fiscal,
En tout état de cause,
- condamner solidairement M. et Mme [R], aux entiers dépens, en ce compris les frais de publicité foncière et d'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, les frais du constat d'huissier du 15 mars 2017, les frais du rapport d'architecte du 18 juillet 2017, les frais des constats d'huissier des 5 juin 2018 et 22 mars 2022,
- condamner solidairement les époux [R] à verser aux époux [X] la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs demandes, ils font valoir notamment :
- qu'ils ont découvert huit semaines après la vente qu'un ensemble immobilier de 3 étages et de 125 m de long, comprenant 34 logements locatifs, un parking et une surface commerciale allait être érigé au [Adresse 2], en face de leur propriété, permettant une vue plongeante sur leur jardin initialement sans vis-à-vis qui faisait tout l'attrait de leur bien ;
- qu'ils ont également découvert que l'extension en rez-de-jardin avait été construite moins de dix ans avant la vente, contrairement aux énonciations mensongères de l'acte de vente, et qu'elle n'avait fait l'objet d'aucune autorisation administrative, en plus de s'être rapidement révélée humide et donc inhabitable ;
- que ces informations, connues de leurs vendeurs, ne leur ont pas été communiquées à dessein, sachant qu'ils n'auraient pas acheté au prix convenu s'ils avaient été mieux informés, de sorte que M. et Mme [R] ont commis un dol qui engage leur responsabilité ;
- que la responsabilité de leurs vendeurs est sinon engagée sur le fondement de la garantie des vices cachés, compte tenu de leur mauvaise foi et des vices que constituent, d'une part, l'impossibilité de reconstruire l'extension à l'identique si elle venait à être détruite et, d'autre part, l'humidité due à l'absence de construction de l'extension dans les règles de l'art ;
- que s'il devait être jugé que les informations relatives au complexe immobilier et à la construction en sous-sol n'étaient pas déterminantes de leur consentement ou que M. et Mme [R] n'avaient pas eu l'intention de les tromper pour les amener à contracter, la responsabilité de ces derniers n'en demeurerait pas moins engagée sur le fondement de leur obligation précontractuelle d'information.
Par dernières écritures du 24 avril 2024, les époux [R] prient la cour de :
- dire M. et Mme [X] mal fondés en leur appel,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre en date du 6 mai 2021 en toutes ses dispositions,
En conséquence,
- dire et juger que la demande des époux [X] fondée sur le vice caché de la chose vendue est prescrite, invoquée pour la première fois en cause d'appel, et à l'occasion d'une notification ultérieure des conclusions d'appelant, en conséquence, les en débouter,
- débouter M. et Mme [X] de leur demande tendant à voir juger, au sujet de la vente du 29 octobre 2015, l'existence d'un dol dont seraient à l'origine M. et Mme [R],
- les débouter de leur demande tendant aux mêmes fins mais sur le terrain de l'erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue,
- dire et juger que M. et Mme [R] n'ont pas davantage manqué à une obligation précontractuelle d'information,
En conséquence,
- les débouter de leur demande de dommages et intérêts de ce chef et sur quelque fondement,
- les débouter dans une même mesure de leur demande à payer les travaux de mise en conformité des installations intérieures d'assainissement,
- les débouter de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- confirmer également le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre en date du 6 mai 2021 en ce qu'il a condamné les époux [X] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
Y ajoutant en cause d'appel,
En tout état de cause,
- condamner les époux [X] au paiement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
A cet effet, ils font valoir :
- qu'à aucun moment ils n'ont eu connaissance d'un projet précis de construction en face de chez eux ; qu'ils ne pouvaient dissimuler à leurs acquéreurs une information dont ils n'avaient pas connaissance ; que de surcroît cette information ne peut être considérée comme déterminante du consentement de M. et Mme [X], compte tenu de la configuration des lieux ; que depuis 2013 le PLU prévoyait la possibilité d'une construction, information qui était accessible aux acquéreurs ; qu'en conséquence leur responsabilité ne peut être recherchée ni sur le fondement du dol ni sur celui du devoir d'information ;
- qu'en ce qui concerne l'extension, les travaux ne nécessitaient pas d'autorisation puisqu'ils ont été réalisés dans un espace non aménagé situé sous la terrasse pour une surface de 20 m2 ; qu'il n'est aucunement démontré l'existence de désordres rendant l'ouvrage impropre à sa destination; que les acquéreurs bénéficient de toutes les garanties nécessaires à la sauvegarde de leurs droits; que le prétendu risque de démolition à la demande de la mairie est aujourd'hui définitivement écarté puisqu'il s'est écoulé plus de 10 ans depuis le construction ;
- que M. et Mme [X] ne sont pas recevables à agir sur le fondement des vices cachés, cette demande subsidiaire devant être assimilée à une prétention nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile, pareillement irrecevable en application de l'article 910-4 du code de procédure civile pour ne pas avoir été présentée dans les premières conclusions soumises à la cour.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé plus complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, la cour observe qu'apparaissent sans objet les demandes de débouté présentées par M. et Mme [R], relatives à l'erreur que les qualités substantielles et aux travaux de mise en conformité des installations intérieures d'assainissement, qui ne correspondant pas à des prétentions réitérées par M. et Mme [X] à hauteur d'appel.
1. Sur la demande de rejet de pièces n° 37 à 42 communiquées par les intimés
Aux termes de l'article 135 du code de procédure civile " le juge peut écarter du débat les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile ". Cette prérogative du juge n'est que l'expression du principe du contradictoire dont le juge doit veiller au respect en application de l'article 16 du code de procédure civile.
Les appelants font référence dans la partie discussion de leurs conclusions à des pièces communiquées, non le 19 avril 2025, comme l'indique par erreur le dispositif de leurs conclusions, mais le 19 avril 2024. Or, il ressort des pièces de la procédure que l'ordonnance de clôture, initialement prévue le 25 avril 2024, a été reportée au 2 mai 2024, ce qui laissait un temps suffisant aux appelants pour faire connaître leurs observations. Le grief tiré de la communication tardive de ces pièces doit donc être écarté.
En outre, si les époux [X] évoquent dans leurs écritures, à propos notamment de l'attestation de Mme [B], " le procédé particulièrement déloyal " qui " a consisté à envoyer une amie chez les appelants pour prendre des photos et faire dire à l'agent immobilier ce qu'elle veut ", ils n'invoquent pour autant aucune atteinte à leurs droits, de sorte que la cour n'est pas mise en position de procéder à une mise en balance entre le droit à la preuve de M. et Mme [R] et d'éventuels droits antinomiques de M. et Mme [X], étant rappelé, selon la position de la Cour de cassation, que l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne doit pas nécessairement conduire à l'écarter des débats (Ass. Plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648).
La demande des époux [X] sera rejetée pour ces motifs.
2. Sur la responsabilité des vendeurs au titre du dol
En tant que délit civil, le dol, visé par l'article 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui désigne le comportement d'une personne destiné à induire en erreur une autre pour la décider à conclure un contrat, peut fonder la responsabilité extracontractuelle de son auteur, en application de l'ancien article 1382 du code civil, en même temps qu'une action en nullité du contrat pour vice du consentement, la victime pouvant solliciter ces deux sanctions ou l'une des deux seulement selon ce que commande son intérêt.
Il est de jurisprudence constante que le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui s'il avait été connu de lui l'aurait empêché de contracter aux conditions prévues, soit une information dont l'auteur du dol connaissait le caractère déterminant pour l'autre partie.
En ce qu'il traduit un manquement à l'obligation de bonne foi dans la formation du contrat, le dol s'apprécie, s'agissant d'une vente précédée d'une promesse unilatérale de vente, à la date à laquelle la vente acquiert force obligatoire à l'égard des deux parties, soit au moment où le bénéficiaire lève l'option (Civ. 3ème, 24 janv. 2020, n° 20-13.951). Il est en outre décidé que la réticence dolosive, à la supposer établie, rend toujours excusable l'erreur qu'elle a provoquée (Civ. 3ème, 21 févr. 2001, n° 98-20.817) sans qu'il puisse être reproché à la victime de ne pas s'être elle-même renseignée.
Lorsque la victime fait le choix d'agir uniquement en indemnisation, elle ne peut en principe obtenir réparation que de sa seule perte de chance de ne pas avoir contracté à des conditions plus avantageuses (cf. Com. 10 juill. 2012, n° 11-21.954 ; Com. 5 juin 2019, n° 16-10.391) étant précisé que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle avait été réalisée (Civ. 1re, 14 nov. 2019, n° 18-23.915).
- Sur la réticence dolosive des vendeurs relative au projet de construction d'un immeuble en vis-à-vis :
En l'espèce, il ressort des photographies et plans versés aux débats que les époux [X] ont fait l'acquisition d'une maison dont le jardin n'était grevé d'aucune vue droite et plongeante ; qualité que les époux [R] eux-mêmes mettaient en avant dans leurs annonces de vente parues en 2011 et en 2012, en précisant, sauf dans leurs dernières annonces de 2015 : " jardin 170 m2 sans vis-à-vis ". La maison, côté rue, offrait ainsi une vue dégagée sur des arbres de la forêt de [Localité 8] qui étaient également visibles depuis les terrasses que compte la maison.
Il n'est donc pas douteux, compte tenu de la configuration des lieux, que le projet de construire un immeuble collectif de 3 étages, comprenant 34 logements locatifs, un parking et une surface commerciale, de l'autre côté de la rue, face à l'entrée de la maison, et offrant une vue droite, plongeante et profonde sur la propriété, en particulier son jardin, constituait une information importante qui, si elle avait été connue des époux [X] comme de tout autre acheteur normalement soucieux des nuisances susceptibles d'affecter l'habitabilité des lieux, aurait été de nature à modifier leur jugement sur les attraits du bien.
L'information de l'édification prochaine d'un tel bâtiment, inconnue des époux [X] au moment de la signature de la promesse de vente comme de l'acte authentique de vente le 29 octobre 2015, constituait donc une information déterminante pour eux.
En outre, bien que le permis de construire de la construction litigieuse date du 17 décembre 2015 et même s'il n'a fait l'objet d'un affichage sur la voie publique qu'en fin d'année 2015, et donc postérieurement à la vente, il ressort du courrier de l'adjoint au maire de la commune de [Localité 12], délégué à l'urbanisme, interrogé à ce sujet par les époux [X], que la municipalité a pris différentes mesures en amont afin d'informer les habitants du projet de construction.
Ainsi, le numéro de septembre 2015 du journal municipal a consacré une page aux projets d'aménagement de la [Adresse 11], en mettant en exergue " deux espaces particulièrement significatifs [devant retenir l'attention] ", dont le terrain situé [Adresse 2], cédé à un promoteur en 2013 et devant aboutir à la " construction de 34 logements sur 2 ou 3 étages avec une surface commerciale de 150 m2 ". Il est indiqué qu'une " permanence mobile " des élus, destinée à informer les habitants, s'est tenue en juin 2015, devant la maison forestière, soit à proximité du domicile de M. et Mme [R]. Enfin, une réunion publique a été organisée le 16 septembre 2015, à laquelle ont assisté, selon les dires de l'adjoint au maire, une trentaine de personnes, parmi lesquels M. [N], occupant d'une résidence voisine, qui dans son attestation délivrée au soutien des intérêts de M. et Mme [X] indique " que lors de la phase questions-réponses de nombreuses voix se sont élevées pour contester le projet qui, aux yeux de nombreux riverains, allait dévaloriser leur quartier ".
S'il n'est pas contesté que M. et Mme [R] n'ont pas assisté à cette réunion d'information, il ressort des éléments versés aux débats que le projet de construction était de notoriété publique, en septembre 2015, dans leur voisinage immédiat, ce qui constitue un indice grave au soutien de la thèse suivant laquelle ils avaient, de fait, connaissance du projet.
Pour tenter de donner du crédit à la thèse contraire, selon laquelle ils ignoraient l'existence d'un projet de construction, M. et Mme [R] versent aux débats des attestations de voisins expliquant ne pas avoir eu connaissance de la construction avant l'affichage du permis de construire, voire l'ouverture du chantier. Or, la sincérité ou la complétude de certains de ces témoignages est sujette à caution. Ainsi, Mme [J], qui affirme avoir " constaté la construction d'un immeuble lors de la pose de la première pierre " était pourtant destinataire d'un courriel daté 19 septembre 2015 envoyé par M. [N], qui a tenté de mobiliser les riverains contre le projet de construction. Il en va de même de Mme [V], qui figure parmi les destinataires dudit courriel, alors que son mari atteste, dans l'intérêt de M. et Mme [R] " avoir découvert le projet de construction (emplacement, architecture, design) lors de l'affichage du permis de construire ".
Par ailleurs, la construction de l'immeuble s'inscrit dans un projet d'urbanisme annoncé par la municipalité en 2014, qui avait modifié le plan d'occupation des sols en décembre 2013, en prévoyant, sur une zone délimitée et notamment en face du domicile de M. et Mme [R], la construction prochaine de logements et de commerces, dans l'objectif de désenclaver cette partie la plus à l'ouest de la [Adresse 11] et de créer un véritable quartier. Or, M. et Mme [R] ne pouvaient ignorer cet état de fait pour avoir répondu en mars 2015 au questionnaire relatif aux souhaits d'aménagement des habitants de la [Adresse 11], diffusé par leur voisine immédiate, Mme [A] [G], alors conseillère municipale. A la question " êtes-vous favorable à la création d'un véritable quartier [Adresse 11] ", ils avaient répondu " oui ", et à l'idée du nom à donner au quartier, ils avaient suggéré " quartier Beaumarié " révélant ainsi les bons rapports qu'ils entretenaient avec leur voisine, par ailleurs conseillère municipale chargée du projet [Adresse 11].
Ces circonstances constituent d'autres indices concordants au soutien de la thèse défendue par M. et Mme [X].
Au vu de l'ensemble de ces éléments, et étant rappelé que la preuve d'un fait juridique peut être établi aux moyens de présomptions graves, précises et concordantes, il y a lieu de considérer que M. et Mme [R] avaient connaissance du projet de construction qui s'est concrétisé en septembre 2015 et que le silence gardé sur cette information inconnue des époux [X], au moment crucial où ces derniers devaient donner leur consentement à la vente, est nécessairement intentionnel compte tenu de la nature de l'information dont les vendeurs ne pouvaient ignorer l'importance pour leurs acheteurs.
La réticence dolosive des époux [R], s'agissant de l'immeuble collectif nouvellement construit, est donc établie.
M. et Mme [R] demandent à être indemnisés de leur perte de chance de renégociation du prix en faisant valoir que du fait de la construction de l'immeuble et de son impact sur la qualité de vie, leur propriété a subi une décote d'environ 275 000 euros en moyenne, correspondant à l'indemnité qu'ils réclament. Ils produisent trois estimations de valeur, émanant de trois agences immobilières, datées des 30 mars 2017, 20 avril 2017 et 13 avril 2017, alors que l'immeuble était en construction, pour un prix situé entre 800 000 euros et 900 000 euros.
Etant rappelé que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle avait été réalisée, il doit être relevé que les appelants se prévalent d'un dol, non au stade de la promesse unilatérale de vente, mais au moment de la vente, étant précisé que les circonstances de la cause ne permettent d'établir la connaissance du projet de construction de l'immeuble par les vendeurs qu'en septembre 2015, soit postérieurement à la promesse et antérieurement à la vente.
Or, à ce moment-là, alors qu'une indemnité d'immobilisation était à la charge des acheteurs, M. et Mme [X] ne disposaient que d'une chance modérée de voir renégocier le prix. Ainsi, compte tenu de l'assiette du préjudice et des circonstances de la cause, leur préjudice de perte de chance sera justement évalué à la somme de 40 000 euros, sans que la valeur actuelle du bien, ou le prix de vente proposé par M. et Mme [X] actuellement, ne pèse d'un poids quelconque dans l'indemnisation de ce préjudice passé.
La somme portera intérêt à compter de la décision d'appel, sans qu'il y ait lieu de déroger à cette règle prévue par l'article 1231-7 du code civil, compte tenu de l'évolution du litige en appel ; les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt, en application de l'article 1343-2 du code civil.
En revanche, l'indemnisation de leur préjudice de perte de chance de renégocier la vente, qui suppose le choix de M. et Mme [X] de conserver le bien en toute connaissance de cause, ne leur permet pas de se prévaloir d'un préjudice de jouissance au titre des nuisances subies du fait du chantier entre novembre 2016 et novembre 2018, ou d'un préjudice moral tiré de la proximité du chantier ou de la perte d'intimité induite par les vues nouvellement créées.
- Sur l'extension du sous-sol de la maison
Aux termes de l'acte authentique de vente, les vendeurs ont déclaré " qu'aucune construction ou rénovation n'a été effectuée sur ces immeubles dans les dix dernières années " et " qu'aucun élément constitutif d'ouvrage ou équipement indissociable de l'ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil n'a été réalisé sur ces immeubles dans ce délai ".
Or, il est établi par les factures TG Renov que M. et Mme [R] ont finalement versé aux débats à hauteur d'appel à la suite d'un incident en communication de pièces, qu'entre 2012 et 2013, ces derniers ont fait réaliser des travaux correspondant à l'extension litigieuse.
Si les parties discutent du caractère ou non licite de l'extension, au regard des règles d'urbanisme, compte tenu notamment de la surface ou non construite, supérieure ou égale à 20 m2, force est de constater que ce débat est indifférent pour trancher la demande indemnitaire des appelants, uniquement motivée à hauteur d'appel par " l'absence d'assurances contre les risques de la construction ". A cet égard, M. et Mme [R] évaluent leur préjudice à hauteur du coût même de la construction (68 544 euros), sur la base du rapport de M. [P], architecte.
M. et Mme [X] expliquent cependant dans leurs écritures qu'ils ont finalement obtenu l'attestation de garantie décennale (pièce n° 24 de M. et Mme [R]). Ils indiquent seulement qu'il manque les devis, les plans, les dates de début et de fin des travaux, et en concluent que " le jeu de la garantie décennale est incertain " (p. 31 de leurs conclusions). S'ils produisent un courriel adressé par le service indemnisation de l'assureur évoquant ces pièces pour l'instruction de leur déclaration de sinistre, liée à un départ de feu, ils ne démontrent pas pour autant que l'absence des pièces réclamées a constitué un obstacle à la mise en jeu de la garantie décennale.
De même, le " préjudice fiscal " invoqué, à hauteur de 2 000 euros, uniquement basé sur le fait qu'une " majoration de 40 % de la taxe foncière n'est pas à exclure ", compte tenu de la surface habitable devant être déclarée, n'est étayé par aucun élément probant.
Enfin, si les époux [X] prétendent que l'extension s'est révélée inhabitable, en raison de l'humidité, et se prévalent à ce titre d'un préjudice de jouissance de mars 2018 à août 2023, calculé sur la base du prix moyen de la location d'une surface de 20 m2 à [Localité 12], ils produisent comme seule pièce, au soutien de cette demande, un procès-verbal d'huissier dont les constatations (craquellement de la peinture au sol et taux d'humidité au sol de 29, 8%), ne permet aucunement de conclure au caractère inhabitable des lieux. De surcroît, comme le relèvent les intimés, l'annonce immobilière des époux [X] de 2023 présente la pièce comme " une salle de jeux avec accès direct au jardin ", ce qui vient directement contredire leurs affirmations.
Seul étant indemnisable le préjudice certain, et non celui simplement hypothétique ou éventuel, il convient de débouter M. et Mme [X] de ces différents chefs de demande, en l'absence de démonstration de la réalité des préjudices, sans que les autres fondements invoqués, tirés du vice caché ou du manquement à l'obligation précontractuelle d'information, ne puissent pallier cette lacune.
Toutefois, les difficultés rencontrées par M. et Mme [X] pour voir reconnaitre le caractère récent de la construction, et l'inquiétude née de la situation assurantielle et administrative des travaux réalisés par M. et Mme [R], a nécessairement généré un préjudice moral, qui trouve son origine dans les déclarations erronées des vendeurs contenues dans l'acte de vente, et qui sera justement évalué à la somme de 2 500 euros.
3. Sur les frais irrépétibles et les dépens
M. et Mme [R] succombant seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel, en application de l'article 696 du code de procédure civile.
La liste des dépens, établie à l'article 695 du code de procédure civile, est exhaustive (Civ. 1ère, 31 oct. 2012, n° 11-17.270) et les dépens ne comprennent que les débours relatifs à des actes ou procédures judiciaires, de sorte qu'en sont exclus les honoraires des techniciens non désignés par le juge.
La demande de M. et Mme [X] de voir inclure dans les dépens les frais du constat d'huissier du 15 mars 2017, les frais du rapport d'architecte du 18 juillet 2017, les frais des constats d'huissier des 5 juin 2018 et 22 mars 2022, doit donc être rejetée.
Par ailleurs, les frais d'inscription d'hypothèque judiciaire, qui n'apparaissaient pas indispensables à la poursuite du procès en l'espèce, n'ont pas à être inclus dans les dépens.
Cependant, l'article 700 du code de procédure civile conduit à indemniser M. et Mme [X] des frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés, selon ce que commande l'équité.
A cet égard, compte tenu la nature des frais exposés dont il est justifié, de leur lien avec les demandes indemnitaires auxquelles il a été fait droit, et selon ce que commande l'équité, M. et Mme [R] seront condamnés à verser à M. et Mme [X] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En l'absence de disposition légale ou conventionnelle le prévoyant, les demandes de condamnations présentées par M. et Mme [X] doivent s'analyser en des demandes de condamnation in solidum et non solidaire.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau,
Condamne in solidum M. [O] [R] et Mme [L] [Y] épouse [R] à régler à M. [E] [X] et Mme [K] [D] épouse [X], ensemble :
- la somme de 40 000 euros au titre de la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, assortis des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, qui produiront eux-mêmes intérêts, le cas échéant, en application de l'article 1343-2 du code civil,
- la somme de 2 500 euros au titre de leur préjudice moral ;
Déboute M. et Mme [X] de leurs demandes plus amples ou contraires.
Condamne in solidum M. [O] [R] et Mme [L] [Y] épouse [R] aux dépens de première instance ;
Y ajoutant,
Déboute M. et Mme [X] de leur demande de rejet de pièces,
Condamne in solidum M. [O] [R] et Mme [L] [Y] épouse [R] à régler à M. [E] [X] et Mme [K] [D] épouse [X], ensemble, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs autres demandes.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.