CA Douai, 1re ch. sect. 1, 26 septembre 2024, n° 22/02783
DOUAI
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Standing Cars (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poupet
Vice-président :
M. Vitse
Conseiller :
Mme Miller
Avocats :
Me Piret, Me Habourdin
Suivant facture du 26 juillet 2020, Mme [L] [V] a acquis de Mme [O] [U], exerçant sous l'enseigne Standing Cars, un véhicule d'occasion de marque Dacia, modèle Sandero, immatriculé [Immatriculation 4], mis pour la première fois en circulation en août 2010, affichant 148 900 kilomètres au compteur, moyennant la somme de 3 990 euros TTC.
Se plaignant d'une défectuosité du kit d'embrayage du véhicule litigieux, Mme [V] a fait assigner la venderesse devant le tribunal judiciaire de Douai par acte du 14 mai 2021 aux fins, notamment, d'obtenir la condamnation de cette dernière à lui verser, entre autres, la somme de 978,60 euros au titre des frais de réparation dudit kit sur le fondement de l'article L. 217-4 du code de la consommation.
Par jugement du 12 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Douai a :
- constaté l'existence d'un vice caché affectant le véhicule litigieux ;
- condamné la défenderesse à payer à Mme [V] la somme de 978,60 euros en restitution d'une partie du prix de vente ;
- débouté Mme [V] de sa demande de dommages et intérêts formulée tant au titre du trouble de jouissance qu'au titre de la résistance abusive ;
- condamné Mme [U], outre aux dépens, à verser à Mme [V] la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de toutes demandes contraires ou plus amples ;
- rappelé l'exécution provisoire de droit de la décision.
Mme [U] a interjeté appel de ce jugement et, aux termes de ses dernières conclusions remises le 20 décembre 2022, demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [V] de ses demandes formées au titre du préjudice de jouissance et de la résistance abusive, mais de l'infirmer pour le surplus et, abstraction faite de demandes de 'constater que' qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile mais le simple rappel de ses moyens, statuant à nouveau, de :
- débouter Mme [V] de son appel incident ;
en conséquence :
- la débouter de l'ensemble de ses demandes ;
- la condamner, outre aux dépens de première instance et d'appel, à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Subsidiairement :
- réduire les sommes à lui revenir à de plus justes proportions.
Aux termes de ses dernières conclusions remises le 20 septembre 2022, Mme [V] demande à la cour, au visa des articles L. 217-4 et suivants du code de la consommation et des articles 1641 et suivants du code civil, de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance et, statuant à nouveau sur ce point, de :
- condamner Mme [U] à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance ;
- à titre subsidiaire, si la cour écartait la théorie des vices cachés et réformait le jugement entrepris, condamner l'appelante à lui verser les sommes suivantes, sur le fondement du défaut de conformité :
* 978,60 euros correspondant au coût des travaux nécessaires afin de remédier aux désordres affectant le véhicule ;
* 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance subi;
En tout état de cause :
- condamner l'appelante, outre aux dépens de première instance et d'appel, à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 15 février 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il convient d'observer que, si le premier juge, saisi d'une demande en paiement sur le fondement de la garantie de conformité prévue à l'article L217-4 du code de la consommation, a requalifié d'office la demande en considérant qu'elle ne pouvait s'envisager que sur le fondement de l'article 1641 du code civil relatif à la garantie des vices cachés, la cour est saisie de l'appel principal formé contre cette décision, de sorte que la demande doit être examinée à titre principal sur le fondement de la garantie des vices cachés puis, subsidiairement, sur le fondement de la garantie de conformité qui fait l'objet d'une demande en ce sens de l'intimée.
Sur la garantie des vices cachés
Mme [V] soutient que le désordre relevé, constaté dans les six mois de la vente, est présumé avoir existé au moment de celle-ci et rend le véhicule litigieux impropre à l'usage auquel elle pouvait légitimement s'attendre, d'autant que sa venderesse, pourtant professionnelle, n'a aucunement attiré son attention sur une éventuelle défectuosité de l'embrayage.
Madame [U] estime, quant à elle, que le désordre allégué ne saurait être qualifié de vice caché en ce que l'embrayage est une pièce d'usure qui nécessite la réalisation de travaux d'entretien, notamment sur un véhicule d'occasion. Elle ajoute, en outre, que l'intimée n'apporte pas la preuve d'une usure anormale des pièces litigieuses qui porterait atteinte à l'usage normalement attendu de la chose.
Sur ce,
Aux termes de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus.
Il incombe à l'acquéreur de rapporter la preuve du vice caché et de ses différents caractères. Il doit ainsi établir que la chose vendue est atteinte d'un vice :
- inhérent à la chose et constituant la cause technique des défectuosités,
- présentant un caractère de gravité de nature à porter atteinte à l'usage attendu de la chose,
- existant antérieurement à la vente, au moins en l'état de germe,
- n'étant, au moment de la vente, ni apparent ni connu de lui, le vendeur n'étant pas tenu ' des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même' conformément à l'article 1642 du code civil.
Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l'espèce, en ne versant au soutien de sa demande qu'un devis établi le 22 janvier 2021, soit près de six mois après la vente d'un véhicule d'occasion mis en circulation dix ans auparavant et qui affichait 148 900 kilomètres au compteur lors de l'achat, indiquant : 'Embrayage à remplacer cause il commence à patiner', Mme [V], qui a elle-même parcouru 3 727 kilomètres depuis la vente intervenue le 26 juillet 2020, ne démontre pas en quoi le désordre allégué, à savoir la défectuosité de la pièce d'usure que constitue le kit d'embrayage, caractérise une usure anormale compte tenu de l'âge et du kilométrage du véhicule.
La seule vétusté d'une pièce d'usure d'un véhicule d'occasion ne pouvant constituer un vice caché au sens de l'article 1641 du code civil, la demande en paiement sur le fondement de la garantie des vices cachés sera en conséquence rejetée, par infirmation du jugement entrepris.
Sur la garantie de conformité
Mme [V] fait valoir à titre subsidiaire, sur le fondement des articles L217-4 et suivants du code de la consommation, que le désordre allégué, découvert dans les six mois suivant la vente et donc présumé avoir existé lors de celle-ci, rend le véhicule litigieux impropre à son usage habituel, et par conséquent non conforme au contrat liant les parties.
Mme [U] soutient au contraire que le véhicule litigieux est conforme au contrat de vente au sens des dispositions précitées du code de la consommation dès lors qu'il circule et présente les qualités qu'un acheteur peut légitimement attendre d'un bien semblable. Elle ajoute que le fait que l'embrayage patine n'implique pas que le véhicule soit en panne, l'acquéreure reconnaissant d'ailleurs qu'il est circulant. Elle ajoute que la présomption de non-conformité édictée par l'article L217-7 du code de la consommation peut faire l'objet d'une preuve contraire ; qu'en l'espèce, le véhicule avait roulé près de six mois et parcouru 3 100 km depuis la vente, alors qu'il présentait déjà une ancienneté de 10 ans et un kilométrage de 148 900 km lors de celle-ci, de sorte que l'acquéreure ne pouvait ignorer qu'il s'agissait d'un véhicule d'occasion pouvant nécessiter des travaux d'entretien.
Sur ce,
En application des articles L. 217-4 et suivants du code de la consommation, dans leur version applicable au litige, le vendeur doit livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance. Le bien est conforme au contrat dès lors qu'il est propre à l'usage habituellement attendu d'un bien semblable ou s'il correspond à la description donnée par le vendeur et possède les qualités que celui-ci a présentées à l'acheteur sous forme d'échantillon ou de modèle, ou s'il présente les qualités qu'un acheteur peut légitimement attendre au regard des déclarations publiques faites par le vendeur, notamment la publicité ou l'étiquetage ou s'il présente les caractéristiques définies d'un commun accord par les parties ou s'il est propre à tout usage spécial recherché par l'acheteur, porté à la connaissance du vendeur qui l'a accepté.
Les défauts de conformité qui apparaissent dans un délai de 24 mois à partir de la délivrance du bien sont présumés exister au moment de la délivrance sauf preuve contraire. Pour les biens d'occasion, ce délai est fixé à 6 mois.
Il est constant que la non-conformité de la chose aux spécifications convenues par les parties est une inexécution de l'obligation de délivrance.
Vu l'article 9 du code de procédure civile, précité,
En l'espèce, le véhicule litigieux a été vendu sans aucune indication particulière, que ce soit sur la facture d'achat, qui mentionne simplement ses caractéristiques (date de mise en circulation et kilométrage notamment) et les conditions de garantie, que sur le procès-verbal de contrôle technique, l'embrayage n'étant pas un point de contrôle.
L'annonce de vente, qui aurait pu contenir des informations supplémentaires n'est, de surcroît, pas versée aux débats.
Il n'est donc pas démontré une absence de conformité aux spécifications convenues par les parties.
Par ailleurs, Mme [V] ne démontre nullement en quoi le désordre qu'elle déplore, qui porte sur la défaillance d'une pièce d'usure du véhicule, porterait atteinte à l'usage habituellement attendu d'un véhicule d'occasion et caractériserait un défaut de conformité aux stipulations contractuelles prévues par les parties dès lors que, eu égard à l'ancienneté (10 ans) et au kilométrage du véhicule litigieux au moment de son achat (148 900 km), elle pouvait raisonnablement s'attendre à devoir entreprendre des réparations au cours des mois suivant l'acquisition dudit véhicule.
Par conséquent, il convient de la débouter de l'ensemble de ses demandes formées à titre subsidiaire sur le fondement de la garantie de conformité.
Sur les autres demandes
L'issue du litige justifie d'infirmer la décision entreprise des chefs des dépens et frais irrépétibles de première instance.
Mme [V] sera tenue aux entiers dépens de première instance et d'appel et condamnée à payer à Mme [U] la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera par ailleurs déboutée de sa propre demande formée au même titre.
PAR CES MOTIFS
La cour
statuant dans les limites de l'appel,
confirme la décision entreprise en ce qu'elle a débouté Mme [L] [V] de sa demande formulée au titre du préjudice de jouissance,
l'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,
déboute Mme [L] [V] de l'ensemble de ses demandes,
La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel,
la condamne également à verser à Mme [O] [U] la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
la déboute de sa demande au même titre.