CA Basse-Terre, 1re ch., 26 septembre 2024, n° 23/00337
BASSE-TERRE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Deltour
Vice-président :
Mme Berto
Conseiller :
Mme Marie-Gabrielle
Avocats :
Me Sarda, Me Hureaux, Me Saint-Clément, Me Racon
FAITS ET PROCEDURE
Le 17 juillet 2017, M. [O] [C] a vendu à M. [R] [D], un 'navire de plaisance d'occasion' type hors-bord série Concept 36SR dénommé 'Twins' immatriculé [Immatriculation 4] moyennant la somme de 52 500 euros. Exposant l'existence de désordres constatés amiablement par la société Renov'boat mandatée par ses soins, par acte du 30 mai 2018, M. [D] a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Fort-de-France et par ordonnance du 5 octobre 2018, obtenu l'organisation d'une expertise confiée à M. [F] [W] aux fins d'examiner ledit navire et déterminer les vices allégués.
Suivant dépôt du rapport d'expertise le 4 février 2020, faisant valoir le manquement du vendeur à ses obligations et notamment l'existence de vices cachés affectant ledit navire, M. [D] a, par acte d'huissier de justice du 9 avril 2021, fait assigner M. [C] devant le tribunal judiciaire de Basse-Terre - tribunal de proximité de Saint-Martin Saint-Barthélémy pour obtenir la résolution de la vente, la restitution du prix et le paiement de diverses sommes d'argent outre une indemnité de procédure.
Par jugement contradictoire du 20 décembre 2022, le tribunal de proximité de Saint-Martin - Saint-Barthélémy du tribunal judiciaire de Basse-Terre, a :
- ordonné la résolution de la vente intervenue le 17 juillet 2017 entre M. [D] et M. [C] ayant pour objet le navire Twins de type hors-bord série Concept 36 SR immatriculé à [Localité 3] n°[Immatriculation 4] ;
- dit que M. [D] devra mettre à la disposition de M. [C] le navire susvisé là où il se trouve actuellement dès remboursement du prix ;
- condamné M. [C] à payer à M. [D] la somme de 43 910 euros en remboursement du prix ;
- débouté M. [D] de ses demandes en paiement au titre des frais occasionnés ;
- dit que les intérêts échus sur la somme due, à condition qu'ils soient échus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts ;
- condamné M. [C] aux entiers dépens lesquels comprendront les frais d'expertise;
- condamné M. [C] à payer à M. [D] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 6 avril 2023, M. [C] a interjeté appel de ce jugement. Le 10 octobre 2023, M. [D] a constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 janvier 2024. L'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 6 mai 2024 puis mise en délibéré au 26 septembre 2024, date de son prononcé par mise à disposition au greffe.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Dans ses ultimes conclusions notifiées le 14 février 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, M. [C] sollicite de la cour, de :
- juger recevable et bien fondé l'appel formé par M. [C],
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
> ordonné la résolution de la vente intervenue le 17 juillet 2017 entre M. [D] et M. [C] ayant pour objet le navire Twin's de type hors-bord série Concept 36 SR immatriculé à [Localité 3] n°[Immatriculation 4] ;
> dit que M. [D] devra mettre à la disposition de M. [C] le navire susvisé là où il se trouve actuellement dès remboursement du prix ;
>condamné M. [C] à payer à M. [D] la somme de 43 910 euros en remboursement du prix ;
> dit que les intérêts échus sur la somme due, à condition qu'ils soient échus pour une année entière, produiront eux-mêmes intérêts ;
> condamné M. [C] aux entiers dépens lesquels comprendront les frais d'expertise;
> condamné M. [C] à verser à M. [D] une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau,
À titre principal,
- débouter M. [D] de sa demande de résolution de la vente pour vice cachés aux torts du vendeur, ainsi que de toutes ses demandes subséquentes, fins et conclusions ;
- débouter M. [D] de sa demande de résolution pour défaut de conformité, ainsi que de toutes ses demandes subséquentes, fins et conclusions ;
À titre subsidiaire, si par impossible, la cour estimait l'existence d'un vice caché susceptible de fonder une action en réparation,
- juger que le rapport d'expertise approximatif et ne répondant pas à la mission de l'expert ne permet pas de déterminer le coût de la remise en état du navire ;
- ordonner une nouvelle expertise judiciaire avec la commission d'un nouvel expert judiciaire, si la cour l'estimait nécessaire avec pour mission de décrire avec précision les travaux à réaliser sur le réservoir après l'avoir analysé et fournir un chiffrage précis des travaux de remise en état ;
En tout état de cause,
- débouter M. [D] de son appel incident et de toutes ses demandes plus amples et contraires, fins et conclusions ;
- condamner M. [D] à payer à M. [C] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 11 octobre 2024 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, M. [D] demande à la cour, de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
> ordonné la résolution de la vente intervenue le 17 juillet 2017 entre M. [D] et M. [C] ayant pour objet le navire Twins de type hors bord série Concept 36 SR immatriculé à [Localité 3] n°[Immatriculation 4],
> dit que M. [D] devra mettre à la disposition de M. [C] le navire susvisé là où il se trouve actuellement dés remboursement du prix,
> condamné M. [C] à payer à M. [D] la somme de 43 910 euros en remboursement du prix,
> dit que les intérêts échus sur la somme due, à condition qu'ils soient échus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts,
> condamné M. [C] aux entiers dépens lesquels comprendront les frais d'expertise,
- recevoir M. [D] en son appel incident,
Y faisant droit,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande en remboursement des frais liés à la vente et condamner M. [C] à payer à M. [D] les sommes de :
- 369,33 euros correspondant à un avitaillement en carburant au départ de [Localité 1],
- 600 euros euros correspondant à une vidange du bac à essence une fois en Guadeloupe, compte tenu de la très forte odeur d'essence émanant du réservoir,
- 874,93 euros correspondant à un nouveau plein de carburant pour regagner la Martinique au départ de la Guadeloupe,
- 905 euros correspondant à des frais d'expertise pour connaître la situation exacte du navire à son arrivée à la Martinique,
- condamner M. [C] à payer la somme de 13 620 euros au titre des frais de gardiennage du navire, à parfaire jusqu'au jugement à intervenir compte tenu du fait que M. [D] expose ces frais durant l'instance,
À titre subsidiaire,
- constater que les formalités administratives obligatoires n'ont pas été réalisées par le vendeur en ce qu'il n'a pas fourni notamment l'original de l'acte de francisation lors de la mutation de propriété ;
- constater par ailleurs au regard des conclusions de l'expert que le navire n'est pas conforme aux normes CE et ne peut circuler dans les eaux territoriales françaises et européennes ;
En conséquence,
- prononcer la résolution de la vente intervenue entre les parties pour défaut de délivrance conforme aux torts de M. [C] ;
En tout état de cause,
- débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes plus amples ou contraires notamment la demande d'expertise judiciaire non fondée ;
- condamner M. [C] à payer la somme de 5 000 euros à M. [D] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la garantie des vices cachés et ses effets
A l'énoncé de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. Selon les termes de l'article 1642 du même code le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même, l'article 1643 du code civil ajoutant que le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.
Il en découle qu'en cédant la chose, le vendeur se porte garant de ce qu'elle présente les qualités normalement attendues d'elle. Pour constituer un vice caché, le défaut doit être grave, inhérent à la chose vendue, antérieur à la vente et compromettre l'usage de celle-ci ; c'est à l'acheteur de rapporter la preuve du vice caché et de ses différents caractères.
Au cas présent, il ressort des pièces du dossier notamment du rapport d'expertise judiciaire du 4 février 2020, sérieux et argumenté, la présence constatée par l'expert [W] d'une ouverture non conventionnelle dans le plancher à l'emplacement des batteries, d'un fort taux d'humidité et des chancres électrolytiques sur le dessus du réservoir, la corrosion des embouts de puisage et de l'évent de carburant.
L'expert judiciaire relève 'la non conformité au regard de la norme Iso de référence (qui) précise que l'eau ne doit pas pouvoir stagner sur le dessus ou les parois du réservoir à carburant, (...) la présence de chancres (qui) ne peuvent résulter d'une action récente mais de présence d'eau sur le réservoir depuis au moins un an (probablement plusieurs années), le perçage du pont (qui) n'était pas visible, une batterie étant posée sur l'ouverture, cachant celle-ci et la rendant indécelable dans le cadre de l'examen (inspection) normal du navire'. Il ajoute que 'ces dispositions sont imputables à une intervention préalable à la vente du navire, telle que celle-ci est décrite dans l'acte de vente'.
Ces conclusions sont partagées par l'analyse faite dans son rapport du 1er septembre 2017 par la société Renov'boat mandatée par M. [D], laquelle fait état de 'l'emplacement des batteries localisées dans la console, juste au-dessus du réservoir de carburant, (qu'il faut) démonter pour observer une ouverture non conventionnelle pratiquée dans le plancher car dépourvue de surbaux (qui) permet l'écoulement des eaux dans le logement du réservoir (ainsi que l'emplacement) de 'la jauge à carburant placée au dessus du bac à essence (où a été) mesuré un fort taux d'humidité générant une ambiance corrosive et électrolytique sous le plancher. La présence de chancre électrolytique (perçant) sur le réservoir (et occassionnant) des fuites de carburant dans les fonds de cales'.
Aussi, contrairement à ce que soutient M. [C], l'objet du litige n'est pas le simple remplacement du réservoir à essence mais la nature du vice y afférent, celui-ci étant au regard des éléments décryptés par deux experts maritimes un vice indétectable pour l'acquéreur puisque camouflé par une batterie, antérieur à la vente, revêtant une gravité certaine puisque mettant en cause la sécurité des personnes et l'impossibilité d'utiliser le bateau de sorte que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
À ce sujet, la seule mention dans l'acte de vente selon laquelle l'acquéreur a 'déclaré bien connaître le navire et l'avoir visité le 15 juillet 2017 pour l'accepter [dans] en l'état et sans aucune garantie, que ce soit sur les moteurs ou la coque ainsi que les composants et accessoires', ne peut suffire à exonérer le vendeur d'un tel vice caché, les rapports d'expertises amiable et judiciaire soulignant l'absence de visibilité de cette ouverture dans le plancher du navire, juste au-dessus du réservoir à essence et ne permettant pas de visualiser l'écoulement des eaux dans le local de son emplacement. De la même manière, le fait que des témoins rapportent l'odeur persistante d'essence lors de la transaction ou les qualités de marin de M. [C] sont sans effet sur les garanties auxquelles est tenu ce dernier en sa qualité de vendeur.
Dès lors, sans qu'il soit nécessaire et opportun au cas présent d'ordonner une nouvelle expertise, mesure d'instruction longue et onéreuse, au regard de l'ensemble des pièces du dossier, il est démontré que le navire vendu le 17 juillet 2017 par M. [C] à M. [D], bien que paraissant bien entretenu s'agissant de son aspect extérieur et peu important la date ancienne de sa fabrication (2008), était bien atteint au moment de sa vente d'un vice caché, consistant en un dysfonctionnement du réservoir d'essence induisant un risque d'explosion par émanation de vapeurs d'essence, un vice donc grave et antérieur à la vente.
Ce faisant, c'est à raison que les premiers juges ont, en raison de ces vices cachés, ordonné la résolution de la vente conclue le 17 juillet 2017 entre les parties.
En application des dispositions de l'article 1644 du code civil, c'est également à bon droit que la juridiction de premier ressort a ordonné la restitution du prix payé -moins le coût des moteurs déjà revendus- à M. [D] et la remise en contrepartie à M. [C] dudit bateau.
La capitalisation des intérêts est valablement fondée sur les dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
En conséquence, sans avoir lieu à organisation d'une nouvelle expertise, le jugement querellé sera donc confirmé de ces chefs.
Sur la demande de remboursement des frais occasionnés par la vente
A l'énoncé de l'article 1646 du code civil, si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente.
Les frais occasionés par la vente s'entendent des dépenses directement liées à la conclusion du contrat.
En l'espèce, ainsi que le soulignent les premiers juges, M. [D] réclame l'indemnisation des frais distincts du prix d'achat sans invoquer la mauvaise foi du vendeur.
Aussi, il y aura lieu de rejeter ces demandes relatives aux frais de carburant ou de vidange du réservoir pendant la traversée du navire qui ne sont pas directement liés à la conclusion du contrat tout comme celle liée aux frais de gardiennage du navire. En conséquence, le jugement querellé sera confirmé de ce chef.
Sur les mesures accessoires
Le jugement est confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
En application de l'article 696 du code de procédure civile, M. [C] qui succombe en son appel, sera condamné aux dépens de l'instance d'appel. S'agissant des frais irrépétibles, les circonstances de la cause commandent l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'intimé ayant été contraint d'exposer des frais irrépétibles devant la cour.
PAR CES MOTIFS
La cour
- confirme en toutes ses dispositions critiquées le jugement ;
Y ajoutant,
- déboute M. [O] [C] et M. [R] [D] de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- condamne M. [O] [C] au paiement des dépens d'appel ;
- condamne M. [O] [C] à payer à M. [R] [D] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code procédure civile.