Cass. crim., 1 octobre 2024, n° 23-81.330
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Société (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
M. Samuel
Avocat général :
M. Croizier
Avocats :
Me Célice, Texidor, Périer, Me Boré, Salve de Bruneton, Mégret
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une information a été ouverte contre personne non dénommée du chef de tromperie aggravée portant sur les qualités substantielles de véhicules de marque [2] équipés de certains moteurs dépassant les seuils réglementaires d'émissions d'oxydes d'azote et les contrôles effectués sur ces moteurs, avec cette circonstance que les faits ont eu pour conséquence de rendre l'utilisation des marchandises dangereuses pour la santé de l'homme ou de l'animal.
3. La société [2] (la société) a été mise en examen du chef de tromperie aggravée.
4. Les juges d'instruction ont rejeté sa demande tendant à voir déclarer irrecevable la constitution de partie civile de l'association [1] ([1]).
5. La société a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de la société [2] tendant à voir constater l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'association [1], alors :
« 1°/ que les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ; qu'il en va ainsi lorsque de la régularité de ces actes dépend celle de la procédure ; qu'en l'espèce, la régularité de la procédure dépend de la recevabilité de la constitution de partie civile de l'association [1] et, partant, de la légalité de l'arrêté de renouvellement de son agrément, dont l'appréciation relevait dès lors de la compétence de la chambre de l'instruction ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale, L. 141-1 et L. 142-2 du code de l'environnement et 111-5 du code pénal, ce dernier par refus d'application ;
2°/ que même en dehors du champ d'application de l'article 111-5 du code pénal, les tribunaux judiciaires sont compétents pour se prononcer sur l'absence ou l'insuffisance de publication d'un acte administratif ; qu'en l'espèce, à supposer même que la chambre de l'instruction ait été incompétente, sur le fondement de l'article 111-5 du code pénal, pour apprécier la légalité de l'arrêté de renouvellement d'agrément de l'association [1], il n'en demeurait pas moins qu'elle était compétente pour statuer sur le moyen de l'exposante tiré de l'absence de publication de cet arrêté ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a méconnu les articles L. 141-1, L. 142-2, R. 141-17 et R. 141-17-1 du code de l'environnement, 2 et 3 du code de procédure pénale et 111-5 du code pénal, ce dernier par fausse interprétation ;
3°/ que la mention d'une association dans la liste des associations bénéficiant d'un agrément national publiée au Journal officiel ne peut suppléer à l'absence de publication au Journal officiel de la décision de renouvellement d'agrément de cette association ; qu'en rejetant le moyen de l'exposante tiré de l'absence de publication au Journal officiel de l'arrêté de renouvellement d'agrément de l'association [1], aux motifs que cette dernière figurait dans la liste des associations bénéficiant d'un agrément national publiée au Journal officiel et que la validité de la décision de renouvellement de son agrément n'était pas soumise à la publication « individuelle » de l'arrêté qui la prévoyait, la chambre de l'instruction a méconnu les articles L. 141-1, L. 142-2, R. 141-17 et R. 141-17-1 du code de l'environnement, 2 et 3 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur la recevabilité du moyen, pris en sa première branche, contestée en défense
8. Le grief est irrecevable comme contraire à la position prise par la demanderesse devant les juges du fond.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
9. La demanderesse ne saurait se faire un grief des motifs par lesquels la chambre de l'instruction a estimé ne pas devoir se prononcer sur les modalités de publication de la décision d'agrément au regard des prescriptions fixées par l'article R. 141-17 du code de l'environnement, dès lors qu'en se référant aux arrêtés du 12 décembre 2018 et du 31 mai 2021 qui portent publication de la liste des associations agréées dans le cadre national au titre de la protection de l'environnement à compter du 1er janvier 2018, les juges se sont suffisamment assurés que l'association [1] disposait d'un agrément à la date de dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, le 16 mai 2018.
10. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de la société [2] tendant à voir constater l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'association [1], alors :
« 1°/ que l'article L. 142-2 du code de l'environnement s'interprète strictement ; que s'il vise la pratique commerciale trompeuse comportant des indications environnementales, cette infraction est distincte, par ses éléments constitutifs et les peines qui y sont applicables, de celle de tromperie aggravée par la circonstance d'une utilisation de la marchandise rendue dangereuse pour la santé de l'homme ou de l'animal non visée par le texte précité ; qu'en assimilant ces deux infractions, pour juger que l'association [1] était recevable à se constituer partie civile du chef de la tromperie aggravée objet de l'information judiciaire, la chambre de l'instruction a méconnu les articles L. 142-2 du code de l'environnement, L. 121-2, L. 441-1 et L. 454-3 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 142-2 du code de l'environnement :
12. Ce texte spécial d'interprétation stricte, qui permet aux associations agréées pour la défense de l'environnement de se constituer partie civile, définit de façon limitative les catégories d'infractions qui leur ouvrent ce droit et ne s'applique donc pas à tout fait ayant des conséquences environnementales.
13. Au nombre de ces infractions figurent celles aux dispositions législatives ayant pour objet la lutte contre les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques et publicités comportent des indications environnementales, ce qui renvoie aux pratiques commerciales trompeuses définies à l'article L. 121-2 du code de la consommation, et non à la tromperie aggravée prévue à l'article L. 454-3 de ce code, quand bien même les faits poursuivis sous cette dernière qualification auraient pour effet de porter atteinte à l'environnement.
14. Pour confirmer l'ordonnance ayant rejeté la demande d'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'association [1], l'arrêt attaqué énonce notamment que la loi a étendu le domaine d'intervention des associations de protection de l'environnement aux pratiques commerciales et publicités trompeuses, sans distinguer entre une pratique commerciale trompeuse simple prévue à l'article L. 121- 2 du code de la consommation et la pratique trompeuse aggravée prévue aux articles L. 441-1 et L. 454-3 du même code.
15. En statuant ainsi, alors que l'information et la mise en examen de la société ne portent que sur des faits qualifiés de tromperie aggravée, infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1 et L. 213-2 du code de la consommation dans leur rédaction alors applicable et L. 441-1 et L. 454-3, 1°, du même code, distincte du délit de pratique commerciale trompeuse défini à l'article L. 121-2 du code de la consommation, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés.
16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 22 février 2023 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT que la constitution de partie civile de l'association [1] est irrecevable ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du premier octobre deux mille vingt-quatre.