CA Paris, Pôle 4 ch. 7, 26 septembre 2024, n° 23/08351
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Optiklab (SAS)
Défendeur :
IDFM - Établissement Public Île-de-France Mobilités, Direction Départementale des Finances Publiques du Val de Marne - Commissaire du Gouvernement
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Locu
Conseillers :
Mme Morlet, Mme Distinguin
Avocats :
Me Chabrun, Me Azogui
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La SAS OPTIK LAB occupe des bureaux situés [Adresse 4] à [Localité 14] cadastré section A n°[Cadastre 2], dans le cadre d'une activité de commerce de gros non spécialisé.
Par arrêté du 16 octobre 2020, le préfet du Val de Marne a déclaré immédiatement cessible pour cause d'utilité publique, au profit d'Ile de France Mobilité (ci après dénommé IDFM), les parcelles et droits réels nécessaires à la réalisation de la ligne de bus T ZEN 5, situés sur le territoire de la commune de [Localité 14] et désignés sur les plans et états parcellaires.
Par ordonnance du 7 mai 2021, le juge départemental de l'expropriation du Val de Marne a transféré la propriété du bien donné à bail à la SAS OPTIK LAB à IDFM.
Par jugement contradictoire du 28 mars 2023, après transport sur les lieux le 21 juin 2022, le juge de l'expropriation a :
- Annexé le PV de transport du 21 juin 2022 ;
- Fixé l'indemnité totale d'éviction due par IDFM à la SAS OPTIKLAB au titre de l'opération d'expropriation des locaux commerciaux et d'activités situés dans le centre commercial [Adresse 10] à [Localité 9], à la somme de 14 290, 23 euros, se décomposant comme suit :
- indemnité principale : 4307 euros ;
- indemnité de remploi : 215,35 euros ;
- indemnité pour trouble commercial : 1700 euros ;
- indemnité de déménagement et réinstallation : 5961 euros ;
- indemnité pour double loyer : 2106,88 euros ;
- rejeté toutes les autres demandes des parties ;
- Condamné IDFM à payer à la SAS OPTIK LAB la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné IDFM aux dépens.
La SAS OPTIKLAB a interjeté appel le 2 mai 2023 de toutes les dispositions de fond du jugement.
Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures :
1/ adressées au greffe par la SAS OPTIKLAB le 27 juillet 2023 notifiées le 8 août 2023(AR du 7 août 2023) notifiées le aux termes desquelles il est demandé à la cour de :
- la déclarer recevable et fondée en son appel ;
- reformer le jugement ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé :
- l'indemnité principale à la somme de 4307 euros ;
- l'indemnité de remploi à la somme de 215,35 euros ;
- l'indemnité pour trouble commercial à la somme de 1700 euros ;
- en ce qu'il a rejeté le principe de l'indemnisation pour frais divers ;
en conséquence :
- fixer l'indemnité principale à la somme de 8427,52 euros ;
- fixer l'indemnité de remploi à la somme de 421 euros ;
- fixer l'indemnité pour trouble commercial à la somme de 66 763 euros ;
- fixer l'indemnité pour frais divers à la somme de 1500 euros ;
- confirmer l'indemnité allouée au titre du déménagement ;
- confirmer l'indemnité allouée au titre du double loyer ;
- confirmer l'indemnité allouée au titre des frais de réinstallation ;
- confirmer l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- lui allouer une indemnité de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
2/adressées au greffe par OPTIKLAB le 20 décembre 2023 notifiées le 11 janvier 2024 (AR non rentrés) il est demandé à la cour de :
- de la déclarer recevable et fondée en son appel ;
- reformer le jugement ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé :
- l'indemnité principale à la somme de 4307 euros ;
- l'indemnité de remploi à la somme de 215,35 euros ;
- l'indemnité pour trouble commercial à la somme de 1700 euros ;
- en ce qu'il a rejeté le principe de l'indemnisation pour frais divers ;
en conséquence :
- fixer l'indemnité principale à la somme de 8427,52 euros ;
- fixer l'indemnité de remploi à la somme de 421 euros ;
- fixer l'indemnité pour trouble commercial à la somme de 66 763 euros ;
- fixer l'indemnité pour frais divers à la somme de 1500 euros ;
- confirmer l'indemnité allouée au titre du déménagement ;
- confirmer l'indemnité allouée au titre du double loyer ;
- confirmer l'indemnité allouée au titre des frais de réinstallation ;
- confirmer l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- lui allouer une indemnité de 5000 euros au titre de l'article 700 en cause d'appel.
3/adressées au greffe par IDFM le 6 octobre 2023 notifiées le 17 octobre 2023
(AR appelant du 19 octobre 2023 et AR CG du 23 octobre 2023) aux termes desquelles il est formé appel incident et demandé à la cour de :
- Infirmer le jugement en tant qu'il a fixé l'indemnité de déménagement et de réinstallation à la somme de 5961 euros, l'indemnité de double loyer à 2106,88 euros et qu'il l'a condamné à verser une somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Confirmer le jugement en tant qu'il a fixé l'indemnité principale à la somme de 4307 euros, l'indemnité de remploi à 215,35 euros, l'indemnité pour trouble commercial à 1700 euros et a rejeté les autres demandes de la SAS OPTIKLAB (pertes salaires et charges, frais de licenciement, frais divers) ;
- Fixer à 8878 euros l'indemnité d'expropriation due à la SAS OPTIKLAB pour l'éviction de la parcelle cadastrée section A n°[Cadastre 3] sise [Adresse 4] à [Localité 14], décomposée comme suit :
- indemnité principale : 4307 euros
- indemnité de remploi : 215 euros
- indemnité pour trouble commercial : 1700 euros
- indemnité pour frais de réinstallation : 1000 euros
- indemnité pour frais divers : 0 euro
- indemnité de déménagement : 220 euros
- indemnité pour double loyer : 1 436 euros ;
- Débouter la SAS OPTIKLAB de l'ensemble de ses demandes et notamment l'indemnité pour frais divers ;
- Condamner la SAS OPTIKLAB à lui verser une somme de 4000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la SAS OPTIKLAB aux entiers dépens de l'instance d'appel.
4/ adressées au greffe par le commissaire du gouvernement le 31 octobre 2023 notifiées le 15 novembre 2023 aux termes de quelles il est demandé à la cour de ne pas allouer d'indemnité d'éviction à la SAS OPTIKLAB.
Il est proposé :
- indemnité principale : 0 euro
- indemnité pour trouble commercial : le mieux disant des trois méthodes de calcul habituellement pratiquées ;
- indemnité de déménagement : confirmation
- indemnité pour frais de déménagement et réinstallation : confirmation ;
- indemnité pour frais divers : à l'appréciation de la cour.
EXPOSÉ DES MOYENS DES PARTIES
La SAS OPTIKLAB expose que :
Elle fournit un descriptif précis des locaux qu'elle occupait, dans le cadre d'un bail cédé sur une surface de bureaux pour une durée de neuf ans à compter du 1er juillet 2018 pour un loyer de 8614,14 euros hors-taxes soit 12'641,28 euros TTC.
Elle indique que le [Adresse 12] se situe sur le territoire de la commune de [Localité 14] et que la zone est idéalement desservie par l'autoroute A 86 ainsi par les transports en commun.
Elle y exerce une activité de négoce de matériel optique et plus particulièrement de lunettes.
Elle communique copie de ses trois dernières liasses fiscales et ajoute une attestation chiffrée pour les résultats de 2022.
Elle ne conteste pas :
' le taux retenu pour le calcul de l'indemnité de remploi ;
' l'indemnité pour double loyer ;
' la méthode de calcul de l'indemnité principale ;
' l'indemnité allouée au titre du déménagement et de la réinstallation ;
' l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
' Premier motif d'appel : le montant de l'indemnité principale
Contrairement à ce qu'indique le premier juge, son bail est un bail professionnel et non un bail précaire.
Elle est donc fondée à solliciter une indemnité principale calculée à hauteur de huit mois de loyer soit une somme de 8 427,52 euros NR.
' Second motif d'appel : le trouble commercial
Le jugement énonce à tort que le préjudice de déménagement des bureaux est quasi inexistant puisque l'activité va continuer au siège social de l'entreprise situé [Adresse 13] à [Localité 11].
Elle produit une attestation établie par son expert-comptable démontrant que le siège social est une simple domiciliation commerciale et que le site de l'entreprise est donc la seule et unique implantation.
Elle sollicite en conséquence sur la base de 15 jours de chiffre d'affaires moyen TTC, la somme de 66'763 euros.
' troisième motif d'appel : les frais divers
Cette indemnité est constamment retenue par la juridiction et vise à indemniser un certain nombre de frais comme les frais de mailing, frais de modification du registre du commerce, les frais de modification du site Internet.
Elle sollicite à ce titre la somme de 1 500 euros.
' en réponse à l'appel incident : concernant les frais de réinstallation
Les sommes allouées correspondent au devis produit.
L'autorité expropriante sollicite la réformation du jugement et la réduction à 20 % du montant de l'indemnité allouée sans aucun motif valable.
' en réponse au mémoire d'appel incident : concernant le double loyer
La limitation au loyer hors taxes comme demandée par l'expropriant ne correspond pas à la réalité du préjudice subi.
IDFM répond que :
La date de référence en application des articles L 322-2 du code de l'expropriation et L213-4 du code de l'urbanisme doit être fixé au 22 décembre 2020 et le jugement pourra donc être confirmé sur ce point.
À cette date, le bien exproprié se situe en zone UFI du PLU révisé le 15 décembre 2000, correspondant à une zone d'activité économique avec de nombreuses restrictions comme les activités commerciales qui sont exclues.
L'exproprié est titulaire d'un bail précaire puisqu'il peut être révisé ad nutum par chaque partie et avant son terme moyennant un simple préavis de six mois.
' sur l'indemnité principale
La société ne dispose d'aucun droit au bail dès lors qu'il s'agit d'un bail professionnel précaire, il est donc proposé une indemnité principale sur la base de six mois de loyer soit 4307,22 euros.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
' sur l'indemnité de remploi
Elle est d'un montant de 115 euros (confirmation)
' Indemnité pour trouble commercial
L'exproprié utilise un chiffre d'affaires TTC au lieu de hors-taxes ; il est mentionné le chiffre d'affaires de l'ensemble de la société alors que seuls des bureaux à [Localité 14] sont expropriés et non le siège social sis [Adresse 13].
La moyenne sur trois ans est également erronnée dès lors qu'il est produit un chiffre d'affaires pour une période de 20 mois de mai 2018 à décembre 2019.
La cour d'appel pourra retenir la moyenne du chiffre d'affaires des années 2019, 2020 et 2021 avec un ratio de 5 % soit une somme de 1700 euros (confirmation).
' Indemnité pour perte aux salaires et charges
Cette indemnité a été abandonnée par l'appelante en cause d'appel.
' Indemnité pour frais de réinstallation
Un ratio de 20 % doit être appliqué sur la demande, le juge de l'expropriation n'étant pas en mesure de vérifier si cette dépense correspond à l'indemnisation d'un préjudice certain ; il sera donc alloué la somme de 1000 euros.
' Indemnité pour frais divers
En l'absence de devis, il ne peut être accordé une indemnité à ce titre : zéro euro (confirmation).
' Indemnité de déménagement
Seuls 20 % des montants demandés peuvent être pris en compte soit une somme de 220 euros (infirmation).
' Indemnité pour double loyer
Il doit être retenu deux mois de double loyer HT soit la somme de 1 436 euros (infirmation).
' Indemnité pour licenciement
Ce poste d'indemnité a été abandonné par l'appelante en cause d'appel.
Le commissaire du gouvernement conclut que :
La date de référence en application de l'article L213-6 du code de l'urbanisme est celle du 22 décembre 2020.
À cette date la parcelle est située en zone Ufi correspondant une zone d'activité économique avec de nombreuses restrictions comme les activités commerciales qui en sont exclues.
' Indemnité principale
Le bail conclut correspond à un bail professionnel dont les modalités sont prévues par l'article 57 A de la loi 86 - 1290 du 23 décembre 1986 ; il n'est donc pas soumis au statut des baux commerciaux.
A ce titre aucune indemnité d'éviction ne peut être allouée.
' Indemnité pour trouble commercial
Il est proposé de retenir le mieux disant parmi les trois méthodes de calcul habituellement pratiquées.
' Indemnité pour frais de déménagement et réinstallation.
Il est proposé de confirmer le jugement.
SUR CE, LA COUR
- Sur la recevabilité des conclusions
Aux termes de l'article R311-26 du code de l'expropriation modifié par décret n°2017-891 du 6 mai 2017 - article 41 en vigueur au 1er septembre 2017, l'appel étant du 2 mai 2023, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel.
À peine d'irrecevabilité, relevée d'office, l'intimé dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant. Le cas échéant, il forme appel incident dans le même délai et sous la même sanction.
L'intimé à un appel incident ou un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui en est faite pour conclure.
Le commissaire du gouvernement dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et l'ensemble des pièces sur lesquelles il fonde son évaluation dans le même délai et sous la même sanction que celle prévue au deuxième alinéa.
Les conclusions et documents sont produits en autant d'exemplaires qu'il y a de parties, plus un.
Le greffe notifie à chaque intéressé et au commissaire du gouvernement, dès leur réception, une copie des pièces qui lui sont transmises.
En l'espèce, les conclusions de la SAS OPTIKLAB du 27 juillet 2023, d'IDFM du 6 octobre 2023 du commissaire du gouvernement du 31 octobre 2023 adressées ou déposées dans les délais légaux sont recevables.
Les conclusions de la SAS OPTIKLAB du 20 décembre 2023 sont de pure réplique à celles de IDFM, appelant incident et à celles du Commissaire du Gouvernement , ne formulent pas de demandes nouvelles, sont donc recevables au-delà des délais initiaux.
- Sur le fond
Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ratifiée qui s'impose au juge français, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.
Aux termes de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la propriété est un droit inviolable et sacré, dont nul ne peut être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la réserve d'une juste et préalable indemnité.
L'article 545 du code civil dispose que nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.
Aux termes de l'article L 321-1 du code de l'expropriation, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.
Aux termes de l'article L 321-3 du code de l'expropriation le jugement distingue, dans la somme allouée à chaque intéressé, l'indemnité principale et, le cas échéant, les indemnités accessoires en précisant les bases sur lesquelles ces diverses indemnités sont allouées.
Aux termes de l'article L 322-1 du code de l'expropriation le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété ou lorsque l'expropriant fait fixer l'indemnité avant le prononcé de l'ordonnance d'expropriation, à la date du jugement.
Conformément aux dispositions de l'article L 322-2, du code de l'expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, seul étant pris en considération - sous réserve de l'application des articles L 322-3 à L 322-6 du dit code - leur usage effectif à la date définie par ce texte.
S'agissant de la date de référence, les parties s'accordent toutes à la situer comme le premier juge en application des articles L 322-2 du code de l'expropriation et L213-4 du code de l'urbanisme, le bien exproprié étant soumis au droit de préemption, au 22 décembre 2020, correspondant au PLU approuvé par le conseil territorial du 15 décembre 2020 et modifié le 22 décembre 2020.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
S'agissant des données d'urbanisme, à cette date de référence la parcelle est en zone UFI, correspondant à une zone d'activité économique ou les activités commerciales sont exclues, et la zone étant inondable.
Pour ce qui est de la nature du bien, de son usage effectif et de sa consistance, il s'agit d'un local de bureau d'une surface Carrez de 9 m², comprenant de nombreux cartons et stocks de montures de lunettes.
Pour une plus ample description, il convient de se référer au procès verbal de transport.
La SAS OPTIKLAB souligne que le [Adresse 12] se situe sur le territoire de la commune de [Localité 14], qui longe la Seine et que la zone est idéalement desservie par l'autoroute A 86 et le périphérique ainsi que par les transports en commun.
S'agissant de la date à laquelle le bien exproprié doit être estimé, il s'agit de celle du jugement de première instance conformément à l'article L322-2 du code de l'expropriation, soit le 28 mars 2023.
- Sur l'indemnité principale
Sur le fondement de l'article L145-14 du code de commerce, le premier juge a indiqué que le bail souscrit par la SAS OPTIKLAB est un bail professionnel précaire non pas un bail commercial, qu'elle ne peut par conséquent prétendre, en principe, à aucuneindemnité d'éviction et que son activité qui n'est pas rattachée à une zone commercialisée peut être exercée dans n'importe quel autre bureau.
Il lui a alloué, le juge ne pouvant statuer infra petita, l' indemnité principale proposée par IDFM à savoir la somme de 4307 euros correspondant à six mois de loyer.
La SAS OPTIKLAB demande l'infirmation du jugement et sollicite une indemnité principale à hauteur de huit mois de loyer soit la somme de 8427,52 euros en indiquant que son bail est bien un bail professionnel et non un bail précaire.
L'article L 145-14 du code de commerce dispose que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L145-17 et suivants, payer au locataire évinçét une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivants les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
En l'espèce, le bail produit (pièce n°1) entre la SCI EMRN et la SAS OPTIKLAB est un bail professionnel conclu le 17 juillet 2018 pour une durée de six ans et peut être résilié à tout moment par chaque partie avant son terme moyennant un simple préavis de six mois.
Comme indiqué dans son intitulé, il s'agit d'un bail professionnel ( durée de six ans) dont les modalités sont prévues à l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 et qui n'est pas soumis au statut des baux commerciaux.
Aucune indemnité d'éviction n'est en conséquence due.
Cependant, IDFM propose d'allouer à la SAS OPTIKLAB une indemnité principale correspondant à six mois de loyer soit la somme de 4 307 euros.
Le jugement sera donc confirmé en ce sens.
- Sur les indemnités accessoires
1° sur l'indemnité de remploi
Elle est calculée selon la jurisprudence habituelle comme suit :
5% jusqu'à 23'000 euros : 215,35 euros
Le jugement sera donc confirmé en ce sens.
2° sur indemnité pour trouble commercial
Le premier juge indique que compte tenu de la période nécessaire pour se réinstaller, le préjudice commercial peut être évalué à 15 jours du chiffre d'affaires hors taxes; que toutefois, en l'espèce, le préjudice suite au déménagement des bureaux est quasi inexistant ,puisque l'activité va continuer au siège social de l'entreprise située [Adresse 13] à [Localité 11] et il a en conséquence alloué à la SAS OPTIKLAB une indemnité pour trouble commercial d'un montant de 15 jours sur la base de 5 % de son chiffre d'affaires moyen pour les années 2019 à 2021 soit la somme de 1 700 euros.
La SAS OPTIKLAB demande l'infirmation du jugement en indiquant que l'adresse du siège social de l'entreprise du [Adresse 13] n'est qu'une simple domiciliation commerciale et elle sollicite en conséquence une indemnité pour trouble commercial correspondant à 15 jours de chiffre d'affaires moyen TTC soit la somme de 66'763 euros.
IDFM demande la confirmation.
Le commissaire du gouvernement propose de retenir en appel le mieux disant parmi les trois méthodes de calcul habituellement pratiquées :
' trois mois de résultat d'exploitation
' un mois de salaire et charges
' 15 jours de chiffre d'affaires TTC.
La SAS OPTIKLAB produisant en appel une attestation établie par son expert-comptable (pièce numéro 11) indiquant que les locaux de [Localité 14] touchés par l'opération d'expropriation constituaient la seule et unique implantation d'OPTIKLAB à l'exclusion de tout autre site et le PDG de celle-ci atteste sur l'honneur (pièce numéro 12) dans les mêmes termes et que l'adresse [Adresse 13] est uniquement une adresse postale sans aucun local associé.
Le préjudice au titre du trouble commercial est donc établi.
Vu les pièces versées aux débats (pièce n° 2, 3, 4, 10 et 19), il sera alloué à la SAS OPTIKLAB en application de la méthode d'occasion de chiffre d'affaires TTC la somme de :
1'335'257 euros X 5% X 15 jours / 300 = 3 338,14 euros arrondis à la somme de 3 338 euros
Le jugement sera infirmé en ce sens.
3° sur l'indemnité pour perte sur salaires et charges
Le premier juge a rejeté la demande de la SAS OPTIKLAB.
Celle-ci a formé appel de ce chef mais n'a pas conclu.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
4° sur l'indemnité de déménagement et de réinstallation
Le premier juge a accordé sur devis une indemnité de déménagement et réinstallation pour un montant de 5 961 euros.
IDFM demande l'infirmation en indiquant que les devis ne mentionnent pas de travaux spécifiquement dans les locaux de [Localité 14] et que sur la demande de 5021 euros, le juge d'expropriation n'est pas en mesure de vérifier que cette dépense correspond à l'indemnisation d'un préjudice réel et certain et il n'est produit aucun second devis.
Il est cependant établi que l'activité se trouve à [Localité 14] et il est produit des devis correspondant à des frais de réinstallation (pièces numéro 15, 16 et 17) correspondant à :
' l'indemnisation des frais informatiques : 4 421 euros
' des frais de transfert de téléphonie : 440 euros
' un déménagement pour 1 100 euros.
Ces devis sont en cohérence avec l'activité exercée et seront donc retenus.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a exactement alloué à la SAS OPTIKLAB une indemnité de déménagement de réinstallation pour un montant de 5 961 euros.
5° sur les frais divers
Le premier juge a indiqué que les supports commerciaux de la société n'évoquaient que la seule adresse de la [Adresse 13] à [Localité 11] et qu'aucun autre document n'était produit et il a donc rejeté la demande de ce chef de la SAS OPTIKLAB.
Il est établi que l'immeuble exproprié constitue la seule implantation de la société OPTIKLAB et que l'adresse [Adresse 13] à [Localité 11] n'est qu'une domiciliation.
Il convient d'indemniser les frais divers correspondant aux frais de mailing, frais de modification au registre du commerce et frais de modification du site Internet.
Il sera donc alloué à la SAS OPTIKLAB la somme de 1 500 euros au titre de l'indemnité pour frais divers.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
6° sur les frais de double loyer
Le premier juge a indiqué qu'en raison de la faible surface occupée par l'activité de la SAS OPTIKLAB, il lui sera très facile de retrouver un autre bureau pour y stocker des marchandises et lui a accordé une indemnité pour frais de double loyer correspondant à deux mois de loyer soit la somme de 2 106,88 euros.
La SAS OPTIKLAB demande la confirmation du jugement, tandis que IDFM demande l'infirmation du jugement en demandant de se baser sur un loyer hors charges hors-taxes, soit d'accorder une indemnité pour double loyer de 1 436 euros.
Ce poste indemnitaire couvre l'entreprise de la perte qu'elle subit à l'occasion du paiement d'un double loyer et elle devra donc régler des loyers pour assurer son relogement, lesquels sont associés à des charges complémentaires.
Il convient en conséquence de retenir le loyer TTC et de confirmer le jugement, la période de deux mois de loyer n'étant pas contestée par les parties, pour une indemnité fixée à la somme de 5961 euros.
7° sur les frais de licenciement du personnel
Le premier juge a rejeté cette demande d'indemnité présentée par la SAS OPTIKLAB.
Celle-ci a formé appel de ce chef mais ne conclut pas sur ce point.
En conséquence le jugement de rejet de la demande au titre des frais de licenciement du personnel sera confirmé.
L'indemnité totale d'éviction due par IDFM à la SAS OPTIKLAB est donc de :
4 307 euros (indemnité principale) + 215,35 euros (indemnité de remploi) + 3 338 euros (indemnité pour trouble commercial) + 5 961 euros (indemnité de réinstallation de déménagement) + 1 500 euros (indemnité pour frais divers)+ 5 961 euros (indemnité de double loyer) = 21 282,35 euros arrondis à 21 282 euros.
Le jugement sera infirmé en ce sens
- Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de confirmer le jugement qui a condamné IDFM à payer à la SAS OPTIKLAB la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande de débouter IDFM de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et de le condamner de ce chef à verser à la SAS OPTIKLAB la somme de 2 000 euros sur ce fondement.
- Sur les dépens
Il convient de confirmer le jugement pour les dépens de première instance, qui sont à la charge de l'expropriant conformément à l'article L 312-1 du code de l'expropriation.
IDFM perdant pour l'essentiel le procès sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Statuant dans les limites des appels ;
Déclare recevables les conclusions des parties ;
Infirme partiellement le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
Fixe l'indemnité totale d'éviction due par Île-de-France Mobilités à la SAS OPTIKLAB au titre de l'opération d'expropriation des locaux commerciaux une activité située dans le centre commercial [Adresse 10] à [Localité 9] à la somme arrondie de 21 282 euros se décomposant comme suit :
' indemnité principale : 4 307 euros ;
' indemnité de remploi : 215,35 euros ;
' indemnité pour trouble commercial : 3 338 euros ;
' indemnité de déménagement et de réinstallation : 5 961 euros ;
' indemnité pour frais divers : 1 500 euros ;
' indemnité pour double loyer : 5 961 euros ;
Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions ;
Déboute Île-de-France Mobilités de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Île-de-France Mobilités à verser la somme de 3000 euros à la SAS OPTIKLAB au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Île-de-France Mobilités aux dépens.