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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 26 septembre 2024, n° 20/10652

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Brasilia (SCI)

Défendeur :

Floribel (SARL), La Belle Etape (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chalbos

Conseillers :

Mme Vignon, Mme Martin

Avocats :

Me Magnan, Me Alziari, Me Larabi

TJ Grasse, du 22 oct. 2020, n° 18/02215

22 octobre 2020


Suivant acte sous seing privé du 1er février 2009 la société Brasilia a donné à bail commercial à la société Segha, aux droits de laquelle est venue la société Floribel, des locaux à usage d'hôtel situés [Adresse 1], pour une durée de 9 années à compter du 1er avril 2009.

La société Floribel a fait signifier à la bailleresse le 2 octobre 2017 une demande de renouvellement du bail pour une durée de 9 années à compter du 1er avril 2018 avec application de la valeur locative déterminée selon la méthode hôtelière, estimant que le loyer courant de 66474 euros par an était trop élevé.

Après notification d'un mémoire préalable et en l'absence d'accord entre les parties, la société Floribel a saisi le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Grasse par acte du 18 avril 2018, sollicitant la fixation du loyer annuel à la somme de 32000 euros hors charges sur la base d'un rapport d'expertise amiable établi à sa demande par Mme [X].

Par jugement du 2 octobre 2018 le juge des loyers commerciaux a constaté l'accord des parties sur le principe du renouvellement du bail à compter du 1er avril 2018, ordonné une mesure d'expertise sur la valeur locative des locaux, confiée à Mme [Y] [W], aux frais avancés de la SARL Floribel, et dit que la locataire sera tenue de continuer à payer les loyers échus au prix ancien.

L'expert a déposé son rapport le 16 octobre 2019, proposant au tribunal de fixer la valeur locative selon la méthode hôtelière classique à 44000 euros HT ou 41700 euros HT si l'abattement pour segmentation de clientèle est porté à 10%, et selon la méthode hôtelière rénovée à 59200 euros HT en laissant au tribunal le soin d'apprécier si l'impôt foncier doit être déduit.

Par jugement du 22 octobre 2020, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Grasse a :

- fixé à la somme de 44000 euros par an hors taxes et hors charges à compter du 1er avril 2018 le montant de la valeur locative et donc du loyer sur renouvellement à cette date, des locaux à usage d'hôtel sis sur la commune de [Adresse 1],

- dit qu'en application de l'article 1231-7 du code civil la SARL Floribel sera tenue au paiement des intérêts sur la différence entre le loyer effectivement payé et le nouveau loyer à compter de ce jour pour les loyers échus au fur et à mesure des échéances contractuelles pour la période postérieure,

- dit que les dépens en ce compris le coût de l'expertise seront partagés par moitié entre les parties,

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Le juge a retenu l'application, compte tenu de la date de fixation de la valeur locative et de la situation géographique des locaux, de la méthode hôtelière classique plutôt que la méthode hôtelière rénovée, pensée pour [Localité 6] et les grandes villes, qui ne saurait être transposée en province.

Il relève que le secteur de [Localité 4] fait partie des statistiques du CRT de la zone 'métropole littoral ouest', la commune n'étant pas individualisée dans ces statistiques élaborées sur la base de 18 communes totalement disparates tant géographiquement qu'économiquement avec une saisonnalité touristique non comparable, et que les données analysées par le CRT ne correspondent pas à la totalité du parc hôtelier des diverses communes regroupées dans une zone très hétérogène.

Il n'a pas fait droit à la demande de la société Floribel tendant à ce que le montant de la taxe foncière supportée par le locataire soit déduit de la valeur locative, considérant que s'agissant de locaux monovalents, les dispositions de l'article R.145-8 du code de commerce n'étaient pas applicables.

La SCI Brasilia a interjeté appel de cette décision le 3 novembre 2020.

En cours de procédure, elle a cédé son fonds à la société La Belle étape, qui est intervenue volontairement à l'instance.

Par conclusions déposées et notifiées le 23 mai 2024, la SCI Brasilia demande à la cour de :

- déclarer la société Brasilia recevable en son appel,

- débouter la société Floribel de l'ensemble de ses demandes,

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé à la somme de 44000 par an HT et hors charges à compter du 1er avril 2018 le montant de la valeur locative et donc du loyer sur renouvellement à cette date des locaux loués,

- le confirmer pour le surplus et statuant à nouveau du chef réformé,

- fixer le nouveau loyer annuel de renouvellement des locaux considérés à la somme de 59200 euros HT et hors charges à compter du 1er avril 2018,

- condamner la société Floribel au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens d'appel distraits au profit de Maître Joseph Magnan.

Par conclusions déposées et notifiées le 10 mai 2024, les sociétés Floribel et La Belle étape demandent à la cour de :

- recevoir la société La Belle étape en son intervention volontaire aux cotés de la SARL Floribel et la juger bien fondée,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Grasse le 22 octobre 2020 en ce qu'il a fixé à la somme de 44000 euros par an, hors taxes et hors charges, à compter du 1er avril 2018, le montant de la valeur locative et donc du loyer sur renouvellement à cette date, des locaux à usage d'hôtel sis à [Adresse 1],

- recevoir la société Floribel en son appel incident et le déclarer bien fondé,

- réformer la décision dont appel en ce que le tribunal judiciaire de Grasse n'a pas fait droit à la déduction du montant de l'impôt foncier de celui de la valeur locative.

- réformer la décision dont appel en ce que le tribunal judiciaire de Grasse a dit et jugé que le coût de l'expertise devait être partagé par moitié entre les parties,

Statuant à nouveau

- fixer à la somme de 44.000 euros par an, hors taxes et hors charges, à compter du 1er avril 2018, le montant de la valeur locative et donc du loyer sur renouvellement à cette date, des locaux à usage d'hôtel sis à [Adresse 1],

- dire et juger que le montant de l'impôt foncier à la charge du preneur sera déduit du montant de cette valeur locative donc du loyer sur renouvellement des locaux à usage d'hôtel sis à [Adresse 1],

- dire et juger que le coût de l'expertise judiciaire sera à la charge du bailleur, la SCI Brasilia,

- condamner la SCI Brasilia à payer à la société Floribel la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance en ce compris la totalité du coût de l'expertise de Madame [W],

- condamner la SCI Brasilia à payer à la société La Belle étape la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance en ce compris la totalité du coût de l'expertise de Madame [W].

La procédure a été clôturée le 28 mai 2024.

MOTIFS :

La SCI Brasilia ne conteste pas la recevabilité de l'intervention volontaire de la société La Belle étape, qui justifie, par la production d'un acte de cession en date du 5 mars 2024, avoir acquis de la SARL Floribel le fonds de commerce d'hôtel exploité dans les locaux donnés à bail par l'appelante et faisant l'objet du litige.

Les parties s'accordent sur le caractère monovalent des locaux et sur la détermination de la valeur locative selon les usages de la profession, à savoir en l'espèce selon la 'méthode hôtelière', conformément aux dispositions de l'article R.145-10 du code de commerce.

Ainsi que le rappelle l'expert désigné par le juge des loyers, la méthode hôtelière consiste à déterminer la valeur locative des hôtels par référence à une recette théorique globale hors taxes à laquelle on applique un taux d'occupation, puis un coefficient sur recette tenant compte de la catégorie de l'établissement, de sa consistance, de son état, de son emplacement et de la concurrence.

Alors que la recette théorique de référence était traditionnellement déterminée à partir des grilles de tarifs affichées par l'hôtelier, l'évolution des pratiques tenant notamment aux remises importantes consenties sur les réservations par internet et à l'intervention des OTA (On line Travel Agency) commissionnées, a conduit à l'application, à partir de l'année 2016, à l'initiative de la compagnie des experts de la cour d'appel de Paris, d'une version de la méthode hôtelière dite 'actualisée' ou 'rénovée', qui consiste à déterminer la recette globale de référence non plus à partir de la grille de tarifs affichées par l'hôtel, qui ne reflète plus les prix réellement pratiqués, mais à partir de données statistiques correspondant à des établissements de même catégorie du même secteur géographique.

L'expert désigné par le juge des loyers formule deux propositions de valeur locative, l'une déterminée en appliquant la méthode hôtelière classique et l'autre en appliquant la méthode hôtelière rénovée, sans privilégier expressément l'une ou l'autre de ses propositions, notant seulement dans ses réponses aux dires des parties, que la méthode rénovée paraît plus en phase avec la pratique actuelle mais se heurte à la difficulté d'obtenir des statistiques pertinentes.

Les parties s'opposent sur la version à appliquer.

Selon les auteurs, l'intérêt de la méthode rénovée est de déterminer une recette théorique encaissable normative tenant compte de la réalité des prix du marché remisés.

Cet objectif n'est pas atteint si comme en l'espèce, la recette théorique pour l'hébergement obtenue par application de la méthode rénovée (323271 euros hors valorisation parking et petits déjeuners) est sensiblement supérieure à celle obtenue par la méthode classique (308776 euros) et que les statistiques utilisées font ressortir une recette moyenne par chambre nettement supérieure à celle ressortant des tarifs affichés par l'hôtelier.

Ces distorsions confirment le caractère peu pertinent des seules statistiques disponibles pour le calcul de la recette théorique d'un hôtel 3 étoiles situé à [Localité 4], à savoir celles établies par le Comité Régional de Tourisme pour la zone 'métropole littoral ouest' des Alpes-Maritimes, l'expert confirmant l'absence de statistiques disponibles spécifiques à la ville de [Localité 4].

C'est en conséquence à juste titre que le premier juge a écarté l'application de la méthode hôtelière rénovée en énonçant que les statistiques du CRT de la zone 'métropole littoral ouest' élaborées sur la base de 18 communes totalement disparates tant géographiquement qu'économiquement, avec une saisonnalité et un attrait touristique non comparables, étaient insuffisamment significatives pour servir de référence au calcul de la valeur locative de l'hôtel Brasilia.

Retenant l'application de la méthode hôtelière classique, le premier juge a entériné le calcul effectué par l'expert, sur la base des tarifs affichés par catégories de chambres en distinguant les basse, moyenne et haute saisons et les périodes 'festival du film' et 'grand prix de [Localité 5]' pendant lesquelles sont appliqués des tarifs spéciaux, et en appliquant pour chaque saison un taux d'occupation déterminé sur la base des statistiques du CRT pour les hôtels 3 étoiles de la Côte d'Azur.

L'expert a ainsi obtenu une recette théorique de 308776,79 euros, à laquelle il a appliqué un taux de 15% pour le calcul du loyer, compte tenu des caractéristiques de l'hôtel, puis un abattement de 5% au titre des commissions versées par l'exploitant.

Ce calcul n'est pas remis en cause par les parties en cause d'appel.

Le loyer ainsi calculé ressort à 44000 euros par an, hors taxes et hors charges.

Les parties s'opposent sur le point de savoir si l'impôt foncier, mis à la charge de la locataire par une clause du bail, suivant l'usage en vigueur dans l'hôtellerie, doit donner lieu ou non à un abattement sur la valeur locative.

Les sociétés Floribel et La Belle étape se prévalent des dispositions de l'article R.145-8 du code de commerce qui prévoient notamment que les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative, de même que les obligations imposées au locataire au delà de la loi ou des usages.

Elles invoquent la jurisprudence de la Cour de cassation qui juge qu'en application du texte précité, l'impôt foncier dont le paiement incombe normalement au bailleur et qui a été mis contractuellement à la charge du preneur doit être déduit de la valeur locative.

L'arrêt cité par les preneuses (Civ. 3ème, 23 mai 2019 n° 18-14 917) concerne des locaux à usage de supermarché dont la valeur locative doit être fixée conformément aux dispositions des articles L.145-33 et R.145-3 à R.145-8 du code de commerce.

Ainsi que l'a retenu le premier juge, accueillant à juste titre l'argument opposé par la bailleresse, les dispositions de l'article R.145-8 ne sont pas applicables lorsque s'agissant de locaux monovalents, la valeur locative est déterminée, conformément à l'article R.145-10 et par dérogation aux articles L.145-33 et R.145-3 et suivants, selon les usages observés dans la branche d'activité considérée.

Le jugement sera en conséquence également confirmé sur ce point.

La décision sera pareillement confirmée en ce que les dépens et le coût de l'expertise seront partagés par moitié entre les parties dès lors que la détermination de la valeur locative sur renouvellement relève de leur intérêt commun, et en ce que les parties sont déboutées de leurs demandes respectives fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Partie succombante en appel, la SCI Brasilia sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement au seul profit de la SARL Floribel, d'une indemnité pour frais irrépétibles d'appel comme il sera dit au dispositif.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Reçoit la SARL La Belle étape en son intervention volontaire,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SCI Brasilia à payer à la SARL Floribel la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à titre d'indemnité pour frais irrépétibles d'appel,

Déboute les autres parties de leur demande à ce titre,

Condamne la SCI Brasilia aux dépens d'appel.