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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 2, 26 septembre 2024, n° 24/03258

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/03258

26 septembre 2024

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 26 SEPTEMBRE 2024

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/03258 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CI52V

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 26 Janvier 2024 -Président du TC de PARIS - RG n° 2024000193

APPELANTE

S.A.S. DOMUSVI, RCS de Nanterre sous le n°519 158 794, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Ayant pour avocat plaidant Me Hervé CAMADRO et Me Romain GUILLOT, avocat au barreau de PARIS, toque : P074

INTIMÉE

S.A.S. GAZ DE PARIS, RCS de Nanterre sous le n°510 764 335, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

Ayant pour avocat plaidant Me Maxime CLÉRY-MELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E518

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 Juin 2024 en audience publique, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et Laurent NAJEM, Conseiller, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Michèle CHOPIN, Conseillère, pour la Présidente de chambre empêchée et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

******

EXPOSE DU LITIGE

La société Gaz de Paris, dont le nom commercial est Gaz Européen, est fournisseur de gaz naturel et d'électricité. La société Domusvi est spécialisée dans le domaine de la santé et de l'hébergement des personnes âgées.

Par contrat-cadre du 5 avril 2019, la société Gaz de Paris a fourni les différents établissements de la société Domusvi en gaz naturel du 1er mai 2019 au 31 décembre 2021, cette période étant prolongée par avenant du 14 mai 2020, jusqu'au 31 décembre 2022.

En mai 2022, la société Domusvi a lancé un appel d'offres pour la conclusion d'un contrat- cadre de fourniture de gaz naturel à compter du 1er janvier 2023, appel d'offres auquel la société Gaz de France a répondu par courriel du 25 mai 2022, complété le 25 juillet 2022.

Après échanges de divers projets, le 24 janvier 2023, M. [M], directeur général de la société Domusvi a signé un contrat-cadre, daté du 25 juillet 2022.

Le 17 novembre 2023, la société Gaz de Paris a constaté sur la plateforme GRDF que des points de livraison de la société Domusvi, qu'elle approvisionnait jusqu'alors, ont été attribués à un autre fournisseur de gaz naturel à compter du 1er janvier 2024.

Par exploit du 21 novembre 2023, la société Domusvi a fait assigner la société Gaz de Paris devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :

A titre principal,

- Juger que la société Gaz de Paris a commis une réticence dolosive,

- Constater en conséquence la nullité du contrat-cadre pour la fourniture de gaz naturel signé par les parties,

A titre subsidiaire,

- Juger que la société Gaz de Paris a engagé sa responsabilité dans le cadre de la conclusion et l'exécution du contrat-cadre pour la fourniture de gaz naturel en date du 25 juillet 2022 en

- A) obtenant de la société Domusvi des avantages ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionnés au regard de la valeur de la contrepartie consentie,

- B) soumettant la société Domusvi à des obligations créant un déséquilibre manifeste dans les droits et obligations des parties,

- Constater la nullité du contrat-cadre pour la fourniture de gaz naturel signé par les parties,

En tout état de cause,

- Condamner la société Gaz de Paris à payer à la société Domusvi une somme de 6.995.471 euros, à parfaire ou compléter, en réparation de son entiers préjudice,

- Condamner la société Gaz de Paris au paiement d'une somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Aux termes d'une ordonnance rendue le 2 janvier 2024, le Président du Tribunal de commerce de Paris a autorisé la société Gaz de Paris à assigner en référé heure à heure la société Domusvi.

Par exploit du 4 janvier 2024, la société Gaz de Paris a fait assigner la société Domusvi devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :

ordonner à la société Domusvi de poursuivre les relations commerciales avec la société Gaz de Paris jusqu'à la décision du tribunal de commerce au fond, dans les conditions en vigueur jusqu'alors entre les parties, le tout sous astreinte de 35.000 euros par jour à compter de la signification du jugement à intervenir ;

condamner la société Domusvi à verser à la société Gaz de Paris la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.

Par ordonnance contradictoire du 26 janvier 2024, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

dit les demandes de la société Gaz de Paris recevables ;

autorisé la société Gaz de Paris à solliciter des opérateurs de réseau gaz et notamment de GRDF la réintégration immédiate dans son périmètre d'équilibre de l'ensemble des points de livraison mentionnés en pièce n°019 de son dossier,

dit que la société Domusvi ne sera pas autorisée à faire sortir de points de livraison mentionnés en pièce n°19 de la demanderesse avant la décision à intervenir au fond, appelée à l'audience du 29 janvier 2024 par devant la 1ère chambre du tribunal de commerce de Paris, sauf autorisation dûment accordée par la société Gaz de Paris,

assorti cette décision d'une astreinte provisoire de 30.000 euros pour toute infraction commise postérieurement à la réintégration des PDL dans le périmètre d'équilibre de la société Gaz de Paris, et dit que le juge de l'exécution sera chargé de liquider l'astreinte,

dit n'y avoir lieu à référé quant aux demandes de la société Domusvi ;

condamné la société Domusvi à payer à la société Gaz de Paris la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Domusvi aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,93 euros TTC dont 6,78 euros de TVA.

Par déclaration du 8 février 2024, la société Domusvi a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 10 juin 2024, la société Domusvi demande à la cour, au visa des articles 4, 872, 873 du code de procédure civile, 1103 et 1302-1 du code civil, de :

A titre principal,

infirmer en toutes ces dispositions, l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 26 janvier 2024 ;

A titre reconventionnel,

condamner la société Gaz de Paris à verser à la société Domusvi, à titre de provision sur dommages et intérêts, la somme de 1.297.530, 90 euros ;

condamner la société Gaz de Paris à verser à la société Domusvi, à titre de provision sur la répétition de l'indu, la somme de 2.411.527, 88 euros ;

En tout état de cause,

condamner la société Gaz de Paris au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 17 juin 2024, la société Gaz de Paris demande à la cour, au visa des articles 10, 1103, 1104, 1221, 1228 du code civil, 9, 10, 11, 122, 138 et suivants, 142, 485, 564, 565, 700 et 873 du code de procédure civile, de :

In limine litis,

déclarer irrecevable la demande reconventionnelle de la société Domusvi tendant à la condamnation de la société Gaz de Paris à lui verser, à titre de provision sur dommages et intérêts, la somme de 1.297.530, 97 euros, en ce qu'elle constitue une demande nouvelle en appel ;

Avant dire-droit,

enjoindre la société Domusvi à produire les pièces suivantes :

Le contrat conclu entre les sociétés Domusvi et Cristal décisions confiant à cette dernière l'organisation de la consultation des fournisseurs de gaz naturel pour l'approvisionnement des établissements du groupe Domusvi à compter du 1er janvier 2023 ;

L'intégralité des offres soumises par les autres fournisseurs de gaz naturel consultés sur la base des cahiers de charges des 10 mai et 18 juillet 2022 par la société Cristal décisions pour le compte de la société Domusvi ;

ordonner cette production sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, à l'expiration d'un délai d'une semaine à compter de la mise à disposition de la décision à intervenir ;

Au fond,

confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;

débouter la société Domusvi de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

condamner la société Domusvi à payer à la société Gaz de Paris la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Domusvi aux dépens de l'instance.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle de la société Domusvi

Selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

En revanche, il résulte de l'article 565 du même code que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

En outre, selon l'article 566, les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

L'intimée soutient que la demande reconventionnelle de la société Domusvi au titre de la perte de chance et de la répétition de l'indu est irrecevable comme étant une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile. La société Domusvi précise que cette demande est recevable comme présentant un lien suffisant avec la demande initiale, et qu'elle est justifiée dans son principe et son quantum.

Toutefois, alors que la société Domusvi reconnait n'avoir soumis aucune demande indemnitaire et en répétition de l'indu au premier juge, les demandes de provisions de 1.297.530 euros et de 2.411.527, 88 euros de ces deux chefs sont nouvelles et par conséquent irrecevables, n'étant ni l'accessoire, ni la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge, ne tendant pas aux mêmes fins que les demandes soumises au premier juge et n'étant pas destinée à opposer compensation, à faire écarter les prétentions adverses ou à faire juger une question née de la révélation d'un fait.

Elles seront déclarées irrecevables.

Sur la demande de production de pièces sous astreinte

La société Gaz de Paris soutient que la communication du contrat liant la société Domusvi à la société Cristal décision, intervenue pour son compte comme conseil technique, qui aurait échangé directement avec la société Gaz de France, est indispensable à faire la lumière sur les liens contractuels entre les deux sociétés, comme l'est aussi l'ensemble des réponses à l'appel d'offres afin le cas échéant d'apprécier la perte de chance alléguée par la société Domusvi.

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Il entre dans les pouvoirs du juge des référés d'ordonner, sur le fondement de ce texte, une communication de pièces, sous réserve pour le demandeur de justifier d'un motif légitime. Le juge des référés doit constater l'existence d'un procès « en germe », possible et non manifestement voué à l'échec, dont la solution peut dépendre de la communication sollicitée, laquelle n'implique aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé.

En l'espèce il convient de rappeler qu'une instance au fond oppose les parties, la société Domusvi ayant fait assigner la société Gaz de France devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir à titre principal, juger que cette dernière a commis une réticence dolosive, constater en conséquence la nullité du contrat-cadre pour la fourniture de gaz naturel signé par les parties, et à titre subsidiaire, juger que la société Gaz de France a engagé sa responsabilité dans le cadre de la conclusion et l'exécution du contrat-cadre pour la fourniture de gaz naturel en date du 25 juillet 2022.

Si la société Domusvi ne conteste pas l'intervention de la société Cristal Décisions en qualité de conseil technique et intermédiaire avec la société Gaz de Paris dans la période précontractuelle, la société Gaz de Paris n'explique pas en quoi cette intervention d'une société tierce et la production d'un contrat auquel elle n'est pas partie serait susceptible de démontrer qu'elle n'aurait commis aucune réticence dolosive susceptible d'avoir influé au moment de la formation du contrat-cadre sur le consentement de la société Domusvi, sa seule cocontractante, ni d'établir qu'elle n'aurait commis aucun manquement dans la formation et l'exécution dudit contrat. Ainsi la production du contrat liant la société Domusvi et la société Cristal Décisions, qui n'est pas partie à la cause, n'est pas de nature à améliorer la société probatoire de la société Gaz de France.

Par ailleurs, l'imprécision de la demande de communication de « l'ensemble des réponses à l'appel d'offres » permettant d'apprécier la perte de chance invoquée par la société Domusvi ne permet pas d'y faire droit, la société Gaz de France n'ayant pas indiqué exacte la nature des éléments recherchés pouvant lui être utiles pour un futur procès.

Cette demande sera rejetée.

Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent

L'article 873, alinéa 1, du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit et le dommage imminent s'entend de celui qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation dénoncée perdure.

Au cas présent, la société Domusvi expose que les conditions de l'article 873 alinéa 1 du code de procédure civile ne sont pas réunies, dès lors qu'il n'existe aucun trouble manifestement illicite puisqu'elle n'a pas manqué à ses obligations contractuelles, n'a pas résilié le contrat dont s'agit, utilisant seulement la faculté contractuelle de réduction de périmètre, ce, alors que ledit contrat ne prévoit aucun engagement du nombre de points de vente et du volume de consommation minimums, et ne comporte aucune exclusivité au bénéfice de la société Gaz de France. Elle précise que le juge des référés a procédé à une interprétation extensive du contrat, ce qui n'entre pas dans ses pouvoirs, et retenu à son encontre une violation de l'obligation de bonne foi, ce qui suppose une appréciation subjective du comportement de la partie fautive, qui ne relève pas plus des pouvoirs du juge des référés. Elle ajoute qu'il n'existe aucun dommage imminent, alors que le contrat-cadre est toujours en cours, est exécuté, et que le fonctionnement du marché du gaz rend impossible la détermination et le quantum du préjudice allégué par la société Gaz de Paris, indiquant que le premier juge a statué ultra petita en ce qu'il a prononcé une condamnation qui ne lui était pas demandée.

La société Gaz de France répond pour sa part que le premier juge n'a pas statué ultra petita puisque la modification des demandes a été discutée contradictoirement, qu'il a ordonné la mesure qui lui paraissait la plus appropriée, et n'a fait qu'ordonner l'exécution forcée du contrat-cadre selon des modalités techniques.

Elle expose que le trouble manifestement illicite est caractérisé en ce que le contrat-cadre a été conclu pour deux ans, que la clause d'évolution de périmètre de ce contrat n'autorise pas la société Domusvi à réduire unilatéralement le périmètre contractuel de 90%, et que la société Gaz de France n'a pas manqué à ses obligations contractuelles.

Le dommage imminent est selon elle établi également, alors que malgré une mise en demeure du 13 décembre 2023,elle a subi un préjudice du fait de la perte d'un nombre important de points de vente, ce qui constitue une faute contractuelle de la société Domusvi.

A titre liminaire, il doit être relevé que le premier juge n'a pas statué ultra petita en ordonnant une mesure conservatoire, qui n'est pas définitive, l'autorisation donnée à la société Gaz de Paris à solliciter la réintégration des points de vente concernés relevant de la poursuite demandée par celle-ci des relations contractuelles qu'elle revendique, étant rappelé qu'une procédure au fond oppose les parties.

Il résulte des moyens développés par les parties que celles-ci ne discutent pas avoir été liées par un contrat-cadre régularisé au cours de l'année 2019, qui a fait l'objet de plusieurs avenants prorogeant son terme jusqu'au 31 décembre 2022, et prévoyant en son article 11 la faculté pour la société Domusvi d'intégrer ou supprimer des points de livraison aux conditions du marché et ce, au vu de son article 10 dans les limites de 10% par rapport au volume marché. Elles excipent chacune d'une forte tension en 2022 sur le prix du gaz, liée au contexte international puis divergent ensuite sur leurs engagements contractuels.

Etant précisé que le contrat en cours entre les parties n'a pas été résilié mais que la société Domusvi a entendu faire usage de la faculté de réduction de périmètre dont elle estime pouvoir faire l'usage, il entre dans les pouvoirs du juge des référés, afin de caractériser le trouble manifestement illicite invoqué par l'intimée, de rechercher si cette réduction ainsi pratiquée peut être constitutive d'un tel trouble et si la faculté contractuelle de réduction de périmètre revendiquée par la société Domusvi lui était permise avec toute l'évidence requise en référé.

De même, si le juge des référés ne peut interpréter un contrat , il lui revient de tirer les conséquences de stipulations claires et dépourvues d'ambiguïté ou, à défaut, d'en tenir compte pour admettre l'absence de caractère manifestement illicite du trouble allégué.

Il est relevé à la lecture des pièces produites que :

- le cahier des charges édité le 10 mai 2022 par la société Domusvi dans le cadre de l'appel d'offres lancé préconise une clause d'évolution de périmètre plus souple (15%) que celle prévue dans le contrat- cadre de 2019,

- La société Domusvi se prévaut dans ses écritures de l'article 9 d'un contrat signé par ses soins (sa pièce n°25) qui prévoit à son bénéfice une faculté d'intégrer ou supprimer des établissements, et notamment de la stipulation suivante : « ('). A ce titre, le client aura la faculté d'intégrer ou supprimer des établissements. Toutefois, compte tenu des circonstances économiques en vigueur au moment de la conclusion du contrat, et de la forte volatilité des prix, Gaz Européen n'est pas en mesure de consentir au client un prix unique pour les établissements qui seraient raccordés au périmètre en cours de contrat. Tout ajout de périmètre devra faire l'objet d'un chiffrage de prix distinct des conditions du contrat par Gaz Européen sur la base du marché spot » ; l'appelante précise qu'aucune stipulation n'indique que la faculté de réduction doit s'exercer sous condition, ni sous réserve d'une information préalable,

- Ce contrat est daté du 25 juillet 2022, signé par la société Domusvi mais non toutefois par la société Gaz de Paris,

- La société Domusvi estime d'ailleurs elle-même dans un courriel du 18 décembre 2023 que ce contrat est une « fiction » puisque signé par ses soins en réalité en 2023 (pièce n°20-2 de la société Gaz Européen),

- la société Gaz Européen considère pour sa part que la société Domusvi a accepté des clauses modifiées et s'est engagée le 30 novembre 2022,

- Il s'avère en réalité que les parties ont échangé, postérieurement à la signature en 2023 du contrat du 25 juillet 2022, plusieurs projets de contrats-cadre et que, s'agissant des échanges du 30 novembre 2022, la société Gaz de Paris évoque une clause de flexibilité en ces termes : « pour toute entrée d'un nouveau point de livraison, si nous constatons que le prix du marché pour la période de livraison considérée au moment de la demande est supérieur au prix fixé dans le contrat pour l'année considérée, Gaz de Paris appliquera la différence entre le prix du marché et le prix défini au moment des achats dans le calcul du prix du site entrant », et propose une compensation pendant les périodes hivernales afin de préserver l'équilibre du contrat et compenser ses pertes,

- Il résulte des nombreux échanges de courriels entre les parties (pièce n°41 de Gaz Européen) les éléments suivants : (courriel de 14h38) : « la flexibilité ne pourra être appliquée à partir du mois de décembre 2022, compris pour 2023 et la durée du marché », puis (courriel de16h10) en réponse de la société Domusvi qui précise « je vous confirme que nous attendons votre proposition de contrat »,

- La société Domusvi écrit encore le 14 décembre 2022, « j'insiste une nouvelle fois pour qu'un contrat nous soit promptement adressé » et enfin le 22 décembre 2022, un projet de contrat lui est adressé, lequel est produit en version non signée par les parties,

- De la sorte, aucun exemplaire du contrat-cadre qui est censé lier les parties n'est produit en version régularisée par les deux parties, alors que celles-ci divergent sur la version qui les lie, que la société Domusvi se prévaut d'une version datée du 25 juillet 2022, signée en réalité par ses soins en 2023, mais non par l'intimée, que la société Gaz de Paris soutient que la clause d'évolution de périmètre a été supprimée dans la version du 30 novembre 2022, sans que ne soit produite aucune version régularisée,

- Par ailleurs, quand bien même le projet signé par la société Domusvi serait à retenir, comme contenant son engagement, la clause d'évolution de périmètre renferme un premier alinéa rédigé comme suit : « Gaz Européen devra s'adapter à l'évolution des besoins de Domusvi : variations positive ou négatives en volume de consommation par rapport au périmètre initial tel que fixé à l'annexe 1 des CGV »,

- Or, seule l'interprétation du contrat permet de déterminer si les parties ont entendu soumettre la faculté autorisée par cette clause à l'accord voire à l'information préalable de la société Gaz de Paris, la notion de « besoins » de Domusvi ne pouvant se définir, de surcroît, qu'au regard d'une analyse approfondie de la période précontractuelle qui permettra également de faire apparaître la commune intention des parties,

- En outre, cette analyse de période contractuelle est bien de nature à vérifier si la clause d'évolution de périmètre est bien une condition déterminante du contrat, sans laquelle les parties n'auraient pas contracté et si elle répond à son économie générale,

- enfin, si tant est que les parties aient été liées par une clause d'évolution de périmètre, il importe de déterminer la portée de cette clause qui, rédigée de façon peu claire, ne permet pas de savoir si la société Domusvi pouvait en en faisant application sortir les 187 points de livraisons concernés, sans aucun formalisme au surplus.

Ainsi, il résulte de ces éléments que l'appréciation du trouble manifestement illicite allégué nécessite de déterminer quel contrat lie les parties voire une interprétation de la clause d'évolution de périmètre au vu de la commune intention des parties et de l'économie générale du contrat-cadre, ce qui ne relève pas des pouvoirs du juge des référés.

Ainsi, au regard des motifs qui précèdent, il n'apparaît pas que l'usage fait par la société Domusvi de la faculté de retrait de points de livraison soit constitutive d'un trouble manifestement illicite.

En outre, le dommage n'est pas à ce jour imminent, puisque le dommage, constitué par le retrait de points de livraison, s'est déjà produit et la mesure envisagée, consistant en l'exécution forcée de dispositions contractuelles n'a pas un caractère conservatoire mais suppose de déterminer quelles elles sont.

Il convient donc, infirmant l'ordonnance entreprise de ce chef, de dire n'y avoir lieu à référé et de débouter la société intimée de ses demandes tendant à voir autoriser la société Gaz de Paris à solliciter des opérateurs réseau et notamment de GRDF la réintégration immédiate de l'ensemble des points de livraison concernés.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Au regard de l'issue du litige en appel, la société Gaz de Paris, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, l'ordonnance rendue étant infirmée de ce chef.

Elle sera également infirmée en ce qui concerne le sort des frais irrépétibles.

A ce titre, la société Gaz de Paris sera condamnée à payer à la société Domusvi une somme globale de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevables les demandes reconventionnelles de la société Domusvi ;

Dit n'y avoir lieu à la production avant-dire droit du contrat liant la société Domusvi à la société Cristal décision, et de l'ensemble des réponses à l'appel d'offres afin le cas échéant d'apprécier la perte de chance alléguée par la société Domusvi,

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Gaz de Paris,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société Gaz de Paris aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Domusvi, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

LA GREFFIÈRE POUR LA PRÉSIDENTE

EMPÊCHÉE