CA Poitiers, 1re ch. civ., 23 mai 2023, n° 21/02392
POITIERS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Monge
Conseillers :
Mme Verrier, M. Maury
Avocats :
Me Barrière, Me Guedo
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS
Mme [W] a fait construire une maison d'habitation à [Localité 3].
Le planning de travaux prévoyait une réception en septembre 2019 (semaine 36).
Elle a confié le lot charpente-menuiserie à la société [X] [N] ([N]) selon devis accepté le 6 juillet 2018 rectifié le 2 mai 2019 chiffrant le coût des travaux à la somme de 23 082,12 euros.
Le devis distingue les postes charpente, ouvertures, fermetures, menuiserie intérieure.
Mme [W] a réglé la facture émise le 21 mars 2019 pour un montant de 9220,07 euros relative à la charpente, celle du 7 mai 2019 d'un montant de 8851,79 euros relative aux ouvertures.
Courant été 2019 , le chantier a subi des dégradations.
Des rayures ont été faites sur les ouvertures de la maison.
Un voisin également victime de dégradations a déposé plainte le 9 août 2010.
La société [N] a déclaré un sinistre à son assureur.
Par courrier du 12 septembre 2019, la société Maaf a décliné sa garantie : 'Vous n'êtes ni lésé ni responsable. Il appartient à votre cliente de déclarer ce sinistre à son assureur '.
Le 15 septembre 2019, Mme [W] envoyait un mail à l'entreprise, lui rappelait avoir constaté entre juillet et août des rayures sur la vitre et le montant de la baie vitrée, sur les ouvertures et vitres côté Sud, lui demandait de lui faire des propositions.
Elle mandatait le cabinet Arthex aux fins de réception le 28 septembre 2019.
Le cabinet Arthex a convoqué les entreprises en charge des lots maçonnerie, carrelage, plâtrerie et menuiserie.
Il a constaté des rayures sur les ouvrants de la chambre II, de la baie entrée séjour salon, le dormant de la porte d'entrée, du cellier, sur la porte d'entrée, sur le vitrage de la chambre II, baie entrée salon, cellier.
Il a proposé une réception à la date du 27 septembre 2019 avec réserves s'agissant du lot menuiserie.
Il a estimé que les vitrages rayés, les dormants et ouvrants rayés devaient être remplacés.
M. [N] a refusé de signer le procès-verbal précité.
Le 22 octobre 2019, la société [N] a établi une facture de 4375,10 euros au titre des fermetures et menuiseries intérieures.
Par acte du 8 décembre 2020, Mme [W] a assigné la société [X] [N] devant le tribunal judiciaire des
Sables d'Olonne aux fins de condamnation à lui payer les sommes de :
.4076,18 euros à titre de réparations,
.2500 euros à titre de dommages et intérêts.
La société [N] a conclu au débouté et demandé reconventionnellement au tribunal de fixer la date de réception tacite au 9 mai 2019, de condamner la demanderesse à lui payer les sommes de :
.1456,31 euros au titre de la facture du 22 octobre 2019,
.2000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 19 juillet 2021, le tribunal judiciaire des Sables d'Olonne a statué comme suit :
« - reçoit Madame [W] en ses demandes,
- condamne la SARL [X] [N] à verser à Madame [W] la somme principale de 4 076,18 € avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2020 date de la délivrance de l'acte introductif d'instance,
-condamne la SARL [X] [N] à verser à Madame [W] la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts,
-condamne la SARL [X] [N] à payer à Mme [W] la somme de 1 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-rejette le surplus de toutes les autres demandes, fins et conclusions notamment les demandes reconventionnelles de la SARL [X] [N],
-rappelle que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire,
-condamne la SARL [X] [N] en tous les dépens ».
Le premier juge a notamment retenu que :
-sur la réception
Le seul paiement du lot ne vaut pas réception.
Il résulte des productions que la réception du chantier est intervenue le 27 septembre 2019.
La société [N] ne rapporte pas la preuve d'une réception tacite des travaux.
Elle demeure gardienne et responsable des dommages pouvant affecter le chantier, doit en assumer le risque jusqu'à réception laquelle opère le transfert de la garde au profit du maître de l'ouvrage.
Elle se trouve responsable des détériorations de l'ouvrage, en doit réparation au maître de l'ouvrage.
-sur les préjudices
La demande indemnitaire formée est fondée au regard du devis de remise en état produit.
La résistance de la société [N] a été manifestement abusive, celle-ci n'hésitant pas à suspecter Mme [W] d'avoir elle-même vandalisé sa maison.
Il lui sera alloué la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts.
-sur les demandes reconventionnelles de l'entreprise
La société ne produit aucun état détaillé des sommes facturées et des paiements effectués.
Elle n'a jamais réclamé paiement de la facture litigieuse.
Sa créance n'est pas justifiée.
LA COUR
Vu l'appel en date du 28 juillet 2021 interjeté par la société [X] [N]
Vu l'article 954 du code de procédure civile
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 14 avril 2022 , la société [X] [N] a présenté les demandes suivantes :
Vu les articles 1103, 1231-1, 1353 et 1792-6 du Code civil,
Vu les pièces,
Plaise à la Cour de céans de :
-INFIRMER le jugement rendu le 19 juillet 2021 par le tribunal judiciaire des SABLES D'OLONNE en toutes ses dispositions
STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT
-DEBOUTER Madame [W] de sa demande en paiement de la somme de 4 076,18 € ainsi que des intérêts au taux légal ;
- DEBOUTER Madame [W] de sa demande en paiement de la somme de 2 000€ à titre de dommages et intérêts ;
-CONDAMNER Madame [W] à payer à la SARL [X] [N] la somme de 1 456,31 € au titre de la facture en date du 22 octobre 2019 avec application du taux d'intérêt légal en vigueur,
-CONDAMNER Madame [W] à payer à la SARL [X] [N] la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts;
-La CONDAMNER au paiement de la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-La CONDAMNER aux entiers dépens de première instance et d'appel.
A l'appui de ses prétentions, la société [N] soutient en substance que :
-Le maître de l'ouvrage a précipité une réunion de chantier le 28 septembre 2019 alors qu'il n'était pas achevé.
-La réception par lots est possible.
-Livraison, pose sont intervenues en avril 2019, ont été facturées le 7 mai, réglées le 9 mai 2019.
-L' achèvement de la totalité de la construction n'est pas une condition de la prise de possession d'un lot et de sa réception.
-Mme [W] était satisfaite, n'était pas opposée à la poursuite des travaux.
-70 % du chantier était réalisé.
-Les lots électricité, plomberie devaient être réalisés après le 9 mai 2019.
-Le maître de l'ouvrage a fait le choix de ne pas souscrire une assurance dommages-ouvrage.
Il tente de lui faire supporter le coût des travaux.
-Son assureur a décliné sa garantie faute de responsabilité.
-Elle n'est pas l' auteur des faits délictueux.
-Mme [W] pouvait déposer plainte pour des faits de vandalisme.
Il n'est pas démontré que les gendarmes aient refusé son dépôt de plainte. Ce n'est pas en leur pouvoir.
-Son refus n'était pas abusif. L' assureur l'a confortée dans son refus.
-Elle est ensuite intervenue en octobre 2019 sur les lots fermetures et menuiseries qui n'étaient pas achevés. Elle a établi une facture le 22 octobre 2019 de 10 300,08 euros.
-Le maître de l'ouvrage a réglé la somme de 8843, 77 euros le 18 novembre 2019.
Il manque 1456,31 euros. Elle en demande paiement.
-Elle réitère sa demande de dommages et intérêts.
Mme [W] a constitué avocat mais n'a pas conclu.
Il convient de se référer aux écritures de l'appelante pour un plus ample exposé de ses prétentions et de ses moyens.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 19 janvier 2023 .
SUR CE
I sur les demandes du maître de l'ouvrage
1) sur la condamnation de l'entreprise au paiement des des travaux de remise en état des menuiseries dégradées
La société [N] conteste la condamnation prononcée au motif que le sinistre est survenu alors que ses travaux avaient été réceptionnés, que les dégradations sont le fait d'un tiers, qu'il appartient au maître de l'ouvrage de souscrire une assurance dommages-ouvrage et de déposer plainte, ce qu'il n'a pas fait.
- sur la date de réception
Le tribunal a retenu que la réception du chantier était intervenue le 27 septembre 2019, que la société [N] avait la qualité de gardien, était responsable des dommages affectant le chantier, devait en assumer le risque jusqu'à réception, que les dommages étaient intervenus avant la réception.
L'article 1792-6 du code civil dispose que la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement.
Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.
La réception tacite suppose une prise de possession manifestant une volonté non équivoque d'accepter l'ouvrage.
Il est de jurisprudence constante que le paiement de l'intégralité des travaux d'un lot et la prise de possession valent présomption tacite.
La société [N] prétend que la réception s'agissant de son lot était acquise le 9 mai 2018, fait valoir que les factures qu'elle a émises le 7 mai ont été intégralement réglées le 9 mai 2018.
Il résulte des productions que les travaux portaient sur la construction d'une maison d'habitation, qu'intervenaient plusieurs entreprises chargées des lots gros-oeuvre-maçonnerie,charpente-zingueriecouverture, menuiseries extérieures et intérieures, électricité, plomberie.
La société [N] indique elle-même que 70 % du chantier seulement était effectué en mai 2019, que les lots électricité- plomberie n'étaient pas réalisés à cette date.
Elle est intervenue courant octobre 2019 sur les lots fermetures et menuiseries qui n'étaient donc pas achevés.
Elle a enfin émis une dernière facture le 22 octobre 2019, facture qui a été réglée partiellement le 18 novembre 2019.
Il est certain que l'intégralité des travaux de son lot n'étaient pas réalisés, facturés et réglés au 9 mai 2018.
De plus, si les factures intermédiaires avaient été réglées, il n'est nullement établi, ni prétendu que le maître de l'ouvrage avait pris possession de l'immeuble, immeuble qui n'était pas habitable à cette date.
Le planning des travaux mis à jour par le maître de l'ouvrage le 10 mai 2019 envisageait une réception en septembre 2019 semaine 36 .
Si ce planning n'est pas signé des entreprises, la société [N] ne conteste pas l'avoir reçu.
Il est prévu une réception unique et non une réception par lots.
Les entreprises ont conformément à ce planning été convoquées aux fins de réception le 27 septembre 2019.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que le sinistre survenu durant l'été 2018 s'était produit avant la réception des travaux.
-sur la condamnation de l'entreprise
L'article 1788 du code civil dispose que 'Si, dans un cas où l'ouvrier fournit la matière, la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d'être livrée, la perte est pour l'ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose'.
Avant réception, l'entrepreneur doit prendre en charge la réparation de la chose ayant péri même par cas fortuit ou force majeure.
Les risques de perte ou de détérioration de la chose sont supportés par l'entrepreneur sans qu'il soit nécessaire de démontrer sa faute.
La conservation de la chose est à la charge de l'entrepreneur, charge liée aux pouvoirs que l'entrepreneur a sur la chose jusqu'à réception des travaux.
La perte supportée par l'entrepreneur se limite à la chose qu'il fournit.
En l'espèce, partie du lot fourni (livré et posé) par la société [N] a été dégradée alors que le chantier n'avait pas été réceptionné.
Il est inopérant pour la société [N] de se prévaloir de la faute d'un tiers, d'un défaut d'assurance, l'assurance dommages-ouvrage n'ayant pas au demeurant vocation à couvrir le sinistre objet du litige faute de désordres décennaux ou d'un défaut de plainte.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société [N] à payer à Mme [W] la somme de 4076,18 euros correspondant aux travaux de remise en état des menuiseries dégradées.
2) sur la résistance abusive de l'entreprise
Le tribunal a retenu que la résistance de la société [N] était manifestement abusive, qu'elle avait suspecté sa cliente d'être elle-même à l'origine des dégradations, que le maître de l'ouvrage avait dû multiplier les démarches, qu'il lui faudrait subir des travaux importants nécessités par l'intervention d'un nouveau prestataire.
Le seul refus opposé par la société [N] ne saurait caractériser une résistance abusive.
La réalité des accusations qu'elle aurait proférées contre sa cliente ne résulte pas des pièces versées aux débats.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
II sur les demandes de l'entreprise
1) sur la demande en paiement du solde du chantier
Il résulte des productions que la société [N] produit la facture établie le 22 octobre 2019 pour un montant de 10 300,08 euros, facture partiellement réglée à hauteur de 8843,77 euros selon chèque du 18 novembre 2019.
Le maître de l'ouvrage n'a pas contesté que l'intégralité des prestations facturées ont été réalisées, ni mis en cause la qualité du travail réalisé.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
Mme [W] sera donc condamnée à payer à la société [N] le solde restant dû, soit la somme de 1456,31 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2021.
2) sur le préjudice complémentaire
La société [N] motive sa demande de condamnation au paiement d'une somme de 2000 euros par un retard de paiement de deux années révolues, par l'ancienneté de sa dette.
Le premier juge avait relevé l'absence de mise en demeure adressée au maître de l'ouvrage alors même que la facture du 22 octobre 2019 n' avait été que partiellement honorée.
Le préjudice financier est indemnisé par les intérêts au taux légal qui courront à compter du 31 mai 2021, date de l'audience devant le premier juge.
-sur les autres demandes
Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'
Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens d'appel seront fixés à la charge de l'appelante.
Il est équitable de laisser à la charge de l'appelante les frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
-confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
-condamné la SARL [X] [N] à verser à Madame [W] la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts,
-rejeté le surplus de toutes les autres demandes, fins et conclusions notamment les demandes reconventionnelles de la SARL [X] [N],
Statuant de nouveau sur les points infirmés :
-déboute Mme [W] de sa demande d'indemnisation fondée sur la résistance abusive
-condamne Mme [W] à payer à la société [X] [N] la somme de 1456,31 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2021
Y ajoutant :
-ordonne la compensation entre les créances respectives des parties
-déboute les parties de leurs autres demandes
-condamne la société [X] [N] aux dépens d'appel
-laisse à la charge de l'appelante les frais irrépétibles exposés par elle en appel.