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Décisions

TUE, 2e ch. élargie, 2 octobre 2024, n° T-624/15 RENV

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

European Food SA, Starmill SRL, Multipack SRL, Scandic Distilleries SA, Ioan Micula, Viorel Micula, European Drinks SA, Rieni Drinks SA, Transilvania General Import-Export SRL, West Leasing SRL

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marcoulli

Juges :

Mme Tomljenović, Mme Półtorak, M. Norkus (rapporteur), M. Valasidis

Avocats :

Me Forwood, Me De Catelle, Me Derenne, Me Vallindas, Me Álvarez Vidal, Me Chiriţă

TUE n° T-624/15 RENV

1 octobre 2024

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

1 Par leurs recours fondés sur l’article 263 TFUE, les requérants, European Food SA, Starmill SRL, Multipack SRL et Scandic Distilleries SA, dans l’affaire T 624/15, M. Ioan Micula, dans l’affaire T 694/15, M. Viorel Micula, European Drinks SA, Rieni Drinks SA, Transilvania General Import-Export SRL et West Leasing SRL, dans l’affaire T 704/15, demandent l’annulation de la décision (UE) 2015/1470 de la Commission, du 30 mars 2015, concernant l’aide d’État SA.38517 (2014/C) (ex 2014/NN) mise en œuvre par la Roumanie – Sentence arbitrale dans l’affaire Micula/Roumanie du 11 décembre 2013 (JO 2015, L 232, p. 43, ci-après la « décision attaquée »).

I. Antécédents du litige

2 Les requérants ont été désignés dans la décision attaquée comme étant les bénéficiaires des dommages et intérêts accordés par une sentence arbitrale rendue le 11 décembre 2013 dans l’affaire ARB/05/20 Micula e.a./Roumanie (ci-après la « sentence arbitrale ») par un tribunal arbitral (ci-après le « tribunal arbitral ») constitué sous l’égide du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).

3 MM. Ioan et Viorel Micula, citoyens suédois résidant en Roumanie, sont les actionnaires majoritaires du European Food and Drinks Group (EFDG), dont les activités portent sur la production de nourriture et de boissons dans la région de Ştei-Nucet, département de Bihor, en Roumanie. European Food, Starmill, Multipack, Scandic Distilleries, European Drinks, Rieni Drinks, Transilvania General Import-Export et West Leasing appartiennent à l’EFDG.

4 Le 2 octobre 1998, les autorités roumaines ont adopté l’ordonnance gouvernementale d’urgence no 24/1998 accordant à certains investisseurs de régions défavorisées qui avaient obtenu un certificat d’investisseur permanent une série d’incitations fiscales dont, notamment, des facilités telles que l’exonération des droits de douane et de la taxe sur la valeur ajoutée pour les machines, le remboursement des droits de douane pour les matières premières ou encore l’exonération de l’impôt sur les sociétés applicables aussi longtemps que la zone d’investissement demeurait qualifiée de « région défavorisée ».

5 Par la décision du 25 mars 1999 applicable à partir du 1er avril 1999, le gouvernement roumain a qualifié de « région défavorisée », pour une durée de dix ans, la zone minière Ştei-Nucet.

6 Le 1er juillet 2000, l’ordonnance gouvernementale d’urgence no 75/2000 a modifié l’ordonnance gouvernementale d’urgence no 24/1998 en maintenant les incitations fiscales en cause (ci-après, prises ensemble, le « régime d’incitations fiscales en cause »).

7 Sur la base des certificats d’investisseurs permanents obtenus le 1er juin 2000 par European Food et le 17 mai 2002 par Starmill et Multipack, ces trois sociétés ont effectué des investissements dans la zone minière Ștei-Nucet.

8 Au cours du mois de février 2000, les négociations d’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne ont débuté. Dans ce contexte, l’Union a constaté, dans la position commune du 21 novembre 2001, qu’il existait en Roumanie une « série de régimes d’aides existantes, ainsi que des régimes d’aides nouvelles incompatibles, qui n’[avaient] pas été alignés sur l’acquis », y compris les « facilités accordées en vertu [du régime d’incitations fiscales en cause] ».

9 Le 29 mai 2002, un traité bilatéral d’investissement a été conclu entre les gouvernements suédois et roumain pour la promotion et la protection réciproque des investissements (ci-après le « TBI »). Ce traité est entré en vigueur le 1er juillet 2003 et prévoyait pour les investisseurs de chacun des deux pays (y compris pour les investissements conclus avant l’entrée en vigueur du TBI) certaines mesures de protection lorsque les investisseurs d’un pays investissaient dans l’autre pays.

10 L’article 2, paragraphe 3, du TBI dispose notamment que « [c]haque partie contractante assure à tout moment un traitement juste et équitable aux investissements des investisseurs de l’autre partie contractante et n’entrave pas, par des mesures arbitraires ou discriminatoires, l’administration, la gestion, le maintien, l’utilisation, la jouissance ou la cession desdits investissements par lesdits investisseurs ». En outre, l’article 7 du TBI prévoit que les différends entre les investisseurs et les pays signataires sont réglés, notamment, par un tribunal arbitral placé sous l’égide du CIRDI. À cet égard, conformément à l’article 54, paragraphe 1, de la convention pour le règlement des différends concernant les investissements entre les États et les ressortissants d’autres États, conclue le 18 mars 1965 (ci-après la « convention CIRDI »), chaque État contractant a l’obligation d’exécuter les sentences arbitrales rendues sur son fondement, la sentence étant obligatoire à l’égard des parties, lesquelles, conformément à l’article 53, paragraphe 1, de la même convention, doivent y donner effet conformément à ses termes.

11 Le 26 août 2004, la Roumanie a abrogé toutes les mesures accordées par le régime d’incitations fiscales en cause, à l’exception de l’exonération de l’impôt sur les sociétés, en précisant que, « [a]fin de respecter les critères visés dans les règles communautaires portant sur les aides d’État et de finaliser les négociations portant sur le chapitre no 6 (Politique en matière de concurrence), il [était] nécessaire d’éliminer toutes les formes d’aides d’État prévues par la législation nationale qui [étaient] incompatibles avec l’acquis communautaire en la matière ». Cette abrogation a pris effet le 22 février 2005.

12 Le 28 juillet 2005, MM. Ioan et Viorel Micula, European Food, Starmill et Multipack (ci-après les « requérants en arbitrage ») ont demandé la constitution d’un tribunal arbitral conformément à l’article 7 du TBI, afin d’obtenir réparation du préjudice causé par l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause.

13 Le 1er janvier 2007, la Roumanie a adhéré à l’Union.

14 Par décision du 24 septembre 2008, le tribunal arbitral a déclaré la demande d’arbitrage recevable.

15 Par la sentence arbitrale, le tribunal arbitral a considéré que, en abrogeant le régime d’incitations fiscales en cause avant le 1er avril 2009, la Roumanie avait porté atteinte à la confiance légitime des requérants en arbitrage, qui pensaient que ces incitations seraient disponibles, essentiellement sous la même forme, jusqu’au 31 mars 2009 inclus, n’avait pas agi de manière transparente en ne les avertissant pas en temps opportun et n’avait pas assuré un traitement juste et équitable aux investissements desdits requérants, au sens de l’article 2, paragraphe 3, du TBI. Partant, il a condamné la Roumanie à leur verser en arbitrage, à titre de dommages et intérêts, la somme de 791 882 452 lei roumains (RON) (environ 178 millions d’euros), cette somme étant fixée en tenant principalement compte des préjudices prétendument subis par ces requérants pendant la période allant du 22 février 2005 au 31 mars 2009.

16 Le 31 janvier 2014, les services de la Commission européenne ont informé les autorités roumaines que toute mise en œuvre ou exécution de la sentence arbitrale serait considérée comme une aide nouvelle et devrait faire l’objet d’une notification adressée à la Commission.

17 Le 20 février 2014, les autorités roumaines ont informé les services de la Commission du versement d’une partie de la somme accordée par le tribunal arbitral aux requérants en arbitrage à titre de dommages et intérêts, par compensation des taxes et des impôts dus aux autorités roumaines par European Food.

18 Le 26 mai 2014, la Commission a adopté la décision C(2014) 3192 final, enjoignant à la Roumanie de suspendre immédiatement toute action qui pourrait aboutir à la mise en œuvre ou à l’exécution de la sentence arbitrale, au motif qu’une telle action apparaissait comme constituant une aide d’État illégale, jusqu’à ce que la Commission adopte une décision finale concernant la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur.

19 Le 1er octobre 2014, la Commission a informé la Roumanie de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE en ce qui concerne l’exécution partielle par la Roumanie de la sentence arbitrale au début de l’année 2014 ainsi que toute mise en œuvre ou exécution ultérieure de ladite sentence (ci-après la « décision d’ouverture »). Dans cette décision, publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 7 novembre 2014, elle a invité les parties intéressées à déposer leurs observations.

20 Le 31 octobre 2014, un huissier de justice désigné par le Tribunalul București (tribunal de Bucarest, Roumanie) a émis une ordonnance de saisie des comptes du ministère des Finances roumain et a demandé l’exécution de 80 % de la sentence arbitrale.

21 Le 26 novembre 2014, la Roumanie a transmis ses observations concernant la décision d’ouverture. Les requérants en arbitrage ont présenté des observations en leur qualité de parties intéressées le 8 décembre 2014. Leurs observations ont été transmises à la Roumanie qui s’est vu offrir la possibilité de réagir. Les observations de la Roumanie concernant celles des requérants en arbitrage ont été déposées le 27 janvier 2015.

22 Le 5 janvier 2015, un huissier de justice a fait saisir un montant de 36 484 232 RON (environ 8 100 000 euros) sur les comptes du ministère des Finances roumain. Il a ensuite transféré 34 004 232 RON (environ 7 560 000 euros), à parts égales, à trois des cinq requérants en arbitrage et a conservé le reste à titre d’honoraires.

23 Entre le 5 et le 25 février 2015, l’huissier de justice a fait saisir un autre montant de 9 197 482 RON (environ 2 000 000 euros) sur les comptes du ministère des Finances roumain. Le 9 mars 2015, ledit ministère a transféré de manière volontaire le solde du montant dû en vertu de la sentence arbitrale, soit 472 788 675 RON (environ 106 500 000 euros, y compris les frais pour l’exécution forcée, à savoir 6 028 608 RON), sur un compte bloqué ouvert au nom des cinq requérants en arbitrage. Les bénéficiaires du compte ne pouvaient retirer les montants que si la Commission décidait que l’aide d’État accordée en vertu de ladite sentence était compatible avec le marché intérieur.

24 Par courriers des 9 et 11 mars 2015, les autorités roumaines ont informé la Commission des saisies effectuées du 5 au 25 février 2015 et du versement volontaire sur un compte bloqué ouvert aux noms des cinq requérants en arbitrage, représentant le solde du montant dû en vertu de la sentence arbitrale.

25 Le 30 mars 2015, la Commission a adopté la décision attaquée dont l’article 1er prévoit que le versement des dommages et intérêts accordés par le tribunal arbitral dans la sentence arbitrale (ci-après les « sommes litigieuses ») à l’entité économique unique composée par MM. Ioan et Viorel Micula, European Food, Starmill, Multipack, European Drinks, Rieni Drinks, Scandic Distilleries, Transilvania General Import-Export et West Leasing constitue une « aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, incompatible avec le marché intérieur. Conformément à l’article 2, paragraphe 1, de cette décision, la Roumanie est tenue de ne verser aucune aide incompatible visée à l’article 1er de ladite décision et de récupérer celles qui ont déjà été versées aux entités de cette unité économique ainsi que toute aide versée à ces entités qui n’a pas été notifiée à la Commission au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ou toute aide versée après la date de l’adoption de la même décision. Le deuxième paragraphe de cet article précise que les requérants sont solidairement responsables du remboursement de l’aide d’État qu’ils ont reçue. Conformément aux troisième et quatrième paragraphes du même article, les montants à récupérer sont ceux découlant de la mise en œuvre ou de l’exécution de ladite sentence et produisant des intérêts à compter de la date à laquelle ils sont mis à la disposition des bénéficiaires.

II. Procédures antérieures devant le Tribunal et la Cour

26 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 6 (affaire T 624/15), 30 (affaire T 694/15) et 28 novembre 2015 (affaire T 704/15), complétées par une réplique, déposée au greffe du Tribunal, dans chacune des trois affaires, le 12 juillet 2016, les requérants ont demandé l’annulation de la décision attaquée.

27 Le Royaume d’Espagne et la Hongrie sont intervenus au soutien des conclusions de la Commission.

28 Par arrêt du 18 juin 2019, European Food e.a./Commission (T 624/15, T 694/15 et T 704/15, ci-après l’« arrêt initial », EU:T:2019:423), le Tribunal a annulé la décision attaquée. Il a fait droit aux conclusions des requérants en accueillant la première branche du premier moyen présentée dans l’affaire T 704/15 ainsi que la première branche du deuxième moyen présentée dans les affaires T 624/15 et T 694/15, en ce que, par les arguments soulevés à leur soutien, les requérants contestaient la compétence de la Commission pour adopter ladite décision. Il a également accueilli la seconde branche du deuxième moyen soulevée dans les affaires T 624/15 et T 694/15 et la première branche du deuxième moyen soulevée dans l’affaire T 704/15, relatives, en substance, à l’erreur de qualification juridique de la sentence arbitrale au regard des notions d’« avantage » et d’« aide », au sens de l’article 107 TFUE.

29 Par requête introduite au greffe de la Cour le 27 août 2019, la Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, par la République de Lettonie et par la République de Pologne, a formé un pourvoi contre l’arrêt initial.

30 Par un pourvoi incident, le Royaume d’Espagne a également demandé l’annulation de l’arrêt initial.

31 Les requérants ont demandé le rejet du pourvoi et du pourvoi incident.

32 Par arrêt du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a. (C 638/19 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2022:50), la Cour a annulé l’arrêt initial, déclaré qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le pourvoi incident, renvoyé l’affaire au Tribunal pour qu’il statue sur les moyens et les arguments soulevés devant lui sur lesquels elle ne s’était pas prononcée, et a réservé les dépens.

III. Conclusions des parties après renvoi

33 La République fédérale d’Allemagne, la République de Lettonie, la Hongrie et la République de Pologne n’ont pas produit d’observations écrites sur les conséquences à tirer de l’arrêt sur pourvoi au titre de l’article 217 du règlement de procédure du Tribunal.

34 Les requérants dans les affaires T 624/15 RENV et T 694/15 RENV concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– à titre subsidiaire, annuler ladite décision en ce qu’elle :

– concerne chacun d’entre eux dans ces deux affaires ;

– empêche la Roumanie d’exécuter la sentence arbitrale ;

– ordonne à la Roumanie de recouvrer toute aide incompatible ;

– ordonne qu’ils soient solidairement responsables du remboursement de l’aide d’État reçue par n’importe laquelle des entités visées à son article 2, paragraphe 2 ;

– condamner la Commission aux dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées devant le Tribunal et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant la Cour.

35 Les requérants dans l’affaire T 704/15 RENV concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– à titre subsidiaire, annuler ladite décision en ce qu’elle :

– qualifie M. Viorel Micula d’« entreprise » et le considère comme faisant partie de l’unité économique bénéficiaire de l’aide ;

– identifie le bénéficiaire de l’aide comme étant une unité économique constituée de MM. Viorel et Ioan Micula, de European Food, de Starmill, de Multipack, de European Drinks, de Rieni Drinks, de Scandic Distilleries, de Transilvania General Import-Export et de West Leasing ;

– dispose, à l’article 2, paragraphe 2, que MM. Viorel et Ioan Micula, European Food, Starmill, Multipack, European Drinks, Rieni Drinks, Scandic Distilleries, Transilvania General Import-Export et West Leasing sont solidairement responsables du remboursement de l’aide d’État qu’ils ont reçue ;

– condamner la Commission aux dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées devant le Tribunal et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant la Cour.

36 Dans les affaires T 624/15 RENV, T 694/15 RENV et T 704/15 RENV, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter les recours ;

– condamner les requérants aux dépens de l’instance, y compris aux dépens relatifs à la procédure de pourvoi devant la Cour.

37 Dans les affaires T 624/15 RENV, T 694/15 RENV et T 704/15 RENV, le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter les recours ;

– condamner les requérants aux dépens.

IV. En droit

38 Après avoir entendu les parties sur ce point, le Tribunal décide de joindre les présentes affaires aux fins de la décision mettant fin à l’instance, en  application de l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure.

39 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 61 du statut de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que l’affaire est renvoyée devant le Tribunal pour qu’il statue sur le litige, celui-ci est lié par les questions de droit tranchées par la décision de la Cour. Ainsi, à la suite de l’annulation par la Cour et du renvoi de l’affaire devant le Tribunal, celui-ci est saisi, en application de l’article 215 du règlement de procédure, par l’arrêt de la Cour et doit se prononcer une nouvelle fois sur l’ensemble des moyens d’annulation soulevés par la partie requérante, à l’exclusion des éléments du dispositif non annulés par la Cour ainsi que des considérations qui constituent le fondement nécessaire desdits éléments, ceux-ci étant passés en force de chose jugée (voir arrêts du 14 septembre 2011, Marcuccio/Commission, T 236/02, EU:T:2011:465, point 83 et jurisprudence citée, et du 7 juillet 2021, HM/Commission, T 587/16 RENV, non publié, EU:T:2021:415, point 38 et jurisprudence citée).

40 Ainsi qu’il résulte des points 150 à 153 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a rejeté la première branche du premier moyen dans l’affaire T 704/15 ainsi que la première branche du deuxième moyen dans les affaires T 624/15 et T 694/15, en ce que celles-ci visaient à remettre en cause la compétence de la Commission pour adopter la décision attaquée au titre de l’article 108 TFUE.

41 En conséquence, il convient de statuer sur les autres arguments, branches et moyens non tranchés par la Cour, lesquels peuvent être regroupés en sept moyens tirés, premièrement, d’un détournement de pouvoir ainsi que de la méconnaissance de l’article 351 TFUE et des principes généraux du droit, deuxièmement, d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, troisièmement, du principe de protection de la confiance légitime, quatrièmement, de l’appréciation erronée de la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur, cinquièmement, de la détermination erronée des bénéficiaires de l’aide et d’un défaut de motivation, sixièmement, d’une erreur de droit relative au recouvrement de l’aide et, septièmement, d’une violation du droit d’être entendu, de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1).

A. Sur la recevabilité des recours

42 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, soulève une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir des requérants.

43 Selon la Commission, la Cour, en s’appuyant sur l’arrêt du 6 mars 2018, Achmea (C 284/16, EU:C:2018:158), a reconnu, dans l’arrêt sur pourvoi, l’incompatibilité avec le droit de l’Union de la sentence arbitrale à l’origine de l’indemnisation en cause. En outre, conformément à l’ordonnance du 21 septembre 2022, Romatsa e.a. (C 333/19, non publiée, EU:C:2022:749), les juridictions de l’Union seraient tenues d’écarter ladite sentence et ne pourraient, en tout état de cause, en assurer l’exécution. Dans ces conditions et en substance, les requérants n’auraient pas d’intérêt « légitime » à voir annuler la décision attaquée.

44 Invitée à préciser son argument lors de l’audience, la Commission a fait valoir, en substance, qu’un intérêt à agir est légitime lorsqu’il n’est pas contraire à un intérêt fondamental de l’ordre public de l’Union.

45 Dans leurs observations complémentaires sur les conséquences à tirer de l’arrêt sur pourvoi, les requérants soutiennent que les recours sont recevables.

46 À cet égard, il faut rappeler qu’un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêt du 27 février 2014, Stichting Woonpunt e.a./Commission, C 132/12 P, EU:C:2014:100, point 67). L’intérêt à agir constitue ainsi la condition essentielle et première de tout recours en justice (arrêt du 15 juin 2023, Shindler e.a./Conseil, C 501/21 P, EU:C:2023:480, point 63).

47 En revanche, l’intérêt à agir fait défaut lorsque l’issue favorable d’un recours ne serait pas de nature, en tout état de cause, à donner satisfaction au requérant (voir, en ce sens, arrêts du 9 juin 2011, Evropaïki Dynamiki/BCE, C 401/09 P, EU:C:2011:370, point 49, et du 23 novembre 2017, Bionorica et Diapharm/Commission, C 596/15 P et C 597/15 P, EU:C:2017:886, point 85).

48 Par ailleurs, l’intérêt à agir d’un requérant ne dépend pas du bien-fondé de son recours (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T 392/15, EU:T:2017:462, point 41).

49 En l’espèce, il y a lieu de rappeler que, par la décision attaquée, la Commission a qualifié le versement des sommes litigieuses d’aide d’État incompatible avec le marché intérieur et ordonné à la Roumanie de récupérer les sommes déjà versées auprès des requérants, à savoir les requérants en arbitrage et cinq autres sociétés, au motif qu’ils formaient, ensemble, une unité économique. Une telle décision fait manifestement grief aux requérants, dès lors qu’elle impose à la Roumanie de récupérer auprès d’eux les sommes versées ainsi que les intérêts que celles-ci auraient produits jusqu’à la date de leur récupération effective. À cet égard, il y a lieu de relever que, selon la Commission, comme il ressort du considérant 42 de ladite décision, les autorités roumaines ont intégralement mis en œuvre la sentence arbitrale.

50 La circonstance selon laquelle la Cour a considéré que la sentence arbitrale était, depuis l’adhésion de la Roumanie à l’Union, incompatible avec le droit de l’Union, en particulier ses articles 267 et 344 TFUE, et qu’elle ne saurait ainsi produire aucun effet (ordonnance du 21 septembre 2022, Romatsa e.a., C 333/19, non publiée, EU:C:2022:749, points 42 et 43) n’est pas de nature à priver les requérants de leur intérêt à agir.

51 En effet, d’une part, ainsi que l’observent les requérants, le fait qu’une juridiction d’un État membre ne peut en aucun cas, conformément à l’ordonnance du 21 septembre 2022, Romatsa e.a. (C 333/19, non publiée, EU:C:2022:749, point 44), procéder à l’exécution de la sentence arbitrale est indépendant de la question de savoir si la décision attaquée, prise par la Commission, est conforme au droit de l’Union et, en particulier, si la mesure visée par celle-ci remplit, sur le plan matériel, les conditions énoncées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE pour être qualifiée d’aide d’État au sens de ladite disposition et, à ce titre, faire l’objet d’une obligation de récupération à la charge de la Roumanie.

52 D’autre part, le fait que le versement des sommes litigieuses a abouti, selon la Commission, à « l’exécution d’une sentence qui viole[rait] des principes fondamentaux du droit de l’Union » n’est pas de nature à priver les requérants, indépendamment du bienfondé de leur action, de leur droit à contester la légalité d’un acte leur faisant grief.

53 Par ailleurs, il doit être observé que la Cour, en estimant aux points 154 et 155 de l’arrêt sur pourvoi que le litige, s’agissant des arguments, branches et moyens concernant le bienfondé de la décision attaquée, n’était pas en état d’être jugé, alors qu’elle était d’ores et déjà en mesure d’en apprécier la recevabilité, et qu’il convenait, dès lors, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur ceux-ci, a implicitement mais nécessairement considéré que le présent litige était recevable.

54 Dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par la Commission pour défaut d’intérêt à agir des requérants doit être écartée.

B. Sur le bien-fondé des recours

55 À titre liminaire, il convient de relever que, dans les affaires T 624/15 RENV et T 694/15 RENV, la Commission a demandé, dans le mémoire complémentaire d’observations écrites, que les points 2 à 7 et 56 à 178, ainsi que les annexes A.1 à A.14, des observations écrites des requérants sur les conséquences à tirer de l’arrêt sur pourvoi soient retirés du dossier, en tant que ceux-ci iraient au-delà de ce qui est permis par l’article 217, paragraphe 1, du règlement de procédure.

56 Dans l’affaire T 704/15 RENV, la Commission a également demandé, dans le mémoire complémentaire d’observations écrites, que les points 14 à 22 et 63 à 176 des observations écrites des requérants sur les conséquences à tirer de l’arrêt sur pourvoi soient retirés du dossier, en tant que ceux-ci iraient au-delà de ce qui est permis par l’article 217, paragraphe 1, du règlement de procédure.

1. Sur le premier moyen, tiré d’un détournement de pouvoir ainsi que de la violation de l’article 351 TFUE et des principes généraux du droit

a) Sur la première branche, tirée d’un détournement de pouvoir

57 Les requérants, dans l’affaire T 704/15, soutiennent que la Commission a entaché la décision attaquée d’un détournement de pouvoir au motif, en substance, qu’elle était incompétente pour adopter une telle décision. Selon eux, en exerçant indûment ses compétences en matière d’aides d’État pour les empêcher de recevoir le dédommagement qui leur était dû, la Commission a adopté une décision « politique » visant à décourager d’autres investisseurs d’agir en justice et les États membres de se conformer à des sentences arbitrales.

58 Dans leurs observations écrites sur les conclusions à tirer de l’arrêt sur pourvoi, les requérants dans l’affaire T 704/15 RENV soutiennent que, la Commission ayant été reconnue compétente par la Cour pour adopter la décision attaquée, leur moyen doit être dorénavant interprété comme un détournement de procédure au motif que ladite décision aurait dû être adoptée sur le fondement de l’article 258 TFUE et non pas sur le fondement de l’article 108 TFUE.

59 La Commission conteste l’argumentation des requérants dans l’affaire T 704/15 RENV.

60 Selon une jurisprudence constante, la notion de « détournement de pouvoir », dont le détournement de procédure constitue une manifestation, a une portée bien précise qui se réfère à l’usage de ses pouvoirs par une autorité administrative dans un but autre que celui en vue duquel ils ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2003, O’Hannrachain/Parlement, C 121/01 P, EU:C:2003:323, point 46) ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C 72/15, EU:C:2017:236, point 135 et jurisprudence citée).

61 En l’espèce, il suffit de relever que la circonstance selon laquelle la Commission n’a pas introduit, sur le fondement de l’article 258 TFUE, un recours en manquement contre la Roumanie, alors qu’elle était libre de choisir la voie contentieuse qu’elle estimait être, dans le respect des dispositions applicables, la plus pertinente, est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

62 En tout état de cause, force est de constater que l’argumentation des requérants repose sur la prémisse erronée selon laquelle la Commission n’était pas compétente pour adopter la décision attaquée. Ainsi qu’il ressort du point 40 ci-dessus, la Cour a expressément jugé, au point 151 de l’arrêt sur pourvoi, que « la Commission [était] compétente pour adopter la décision [attaquée] au titre de l’article 108 TFUE, dès lors que le droit à l’aide d’État visée par cette décision a été accordé par la sentence arbitrale après l’adhésion de la Roumanie à l’Union ».

63 Au surplus, les requérants n’expliquent pas les raisons pour lesquelles la Commission aurait dû introduire, sur le fondement de l’article 258 TFUE, un recours en manquement contre la Roumanie et n’apporte aucun élément pour établir que la décision attaquée a été prise dans un but autre que celui pour lequel elle a été prise sur le fondement des articles 107 et 108 TFUE. À cet égard, leur affirmation selon laquelle « la Commission instrumentalise ladite décision et, ce faisant, les règles en matière d’aide[s] d’État pour la campagne qu’elle mène contre les [traités bilatéraux d’investissements à l’intérieur de l’Union] » n’est assortie d’aucun élément de preuve.

64 Compte tenu de ce qui précède, la présente branche doit être écartée.

b) Sur la seconde branche, tirée de la méconnaissance de l’article 351 TFUE et des principes généraux du droit

65 Les requérants soutiennent, en substance, que la Roumanie était tenue de respecter les obligations qu’elle avait contractées, antérieurement à son entrée dans l’Union, sur le fondement du TBI et de la convention CIRDI, en particulier des articles 53 et 54 de ladite convention, lesquels l’obligeaient à exécuter la sentence arbitrale, même dans l’hypothèse où le versement des sommes litigieuses aurait été constitutif d’une aide d’État au sens du droit de l’Union.

66 Selon les requérants, le respect par la Roumanie de la convention CIRDI s’impose à l’égard de l’ensemble des États signataires de ladite convention, de sorte que cette convention peut être invoquée par tout État tiers, sans qu’il lui soit nécessaire d’invoquer un intérêt particulier à la résolution du litige.

67 En particulier, les requérants se réfèrent à l’arrêt de la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni), du 19 février 2020, rendu dans l’affaire Micula e.a./Roumanie, lequel a autorisé l’exécution de la sentence arbitrale en reconnaissant que « les obligations des États contractants [à la convention CIRDI résultant des] articles 53, 54 et 69 s[ont] exprimées dans des termes absolus, sans aucune limite quant aux personnes auxquelles elles sont dues ».

68 Dans ces conditions, selon les requérants, même si le TBI n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 351 TFUE, cette circonstance serait sans incidence sur l’obligation de la Roumanie d’exécuter la sentence arbitrale en application de la convention CIRDI, même après son adhésion à l’Union. Le consentement donné par la Roumanie à la procédure arbitrale continuerait ainsi de lier ce pays sur le fondement de l’article 25, paragraphe 1, de ladite convention, lequel disposerait que, lorsqu’un État contractant a donné son consentement à l’arbitrage, il ne pourrait plus le retirer unilatéralement.

69 Les requérants ajoutent à cet égard, dans les affaires T 624/15 RENV et T 694/15 RENV, que, si la Roumanie devait manquer à ses obligations, tout État contractant, y compris tout État contractant non membre de l’Union, pourrait intenter une action contre la Roumanie devant la Cour internationale de justice (CIJ) en vertu de l’article 64 de la Convention CIRDI.

70 En conséquence, la décision attaquée, en ordonnant la récupération de la mesure d’aide en cause, empêcherait la Roumanie de se conformer à de telles obligations et serait, dès lors, contraire à l’article 351, premier alinéa, TFUE, en vertu duquel les droits et les obligations résultant d’une convention conclue entre un État membre avant son adhésion et des États tiers ne sont pas affectés par les dispositions des traités.

71 La décision attaquée serait également contraire au principe général du droit de l’Union, pacta sunt servanda, dont l’article 351, premier alinéa, TFUE constituerait l’expression. Elle méconnaîtrait de surcroît le principe de coopération loyale entre l’Union et les États membres, dont le caractère réciproque est souligné à l’article 4, paragraphe 3, TUE et auquel « ferait écho » l’article 351 TFUE.

72 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, conteste l’argumentation des requérants.

73 L’article 351, premier alinéa, TFUE dispose que « [l]es droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions des traités ».

74 Selon une jurisprudence constante, l’article 351, premier alinéa, TFUE a pour objet de préciser, conformément aux principes de droit international, tels qu’ils résultent notamment de l’article 30, paragraphe 4, sous b), de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331), que l’application du traité FUE n’affecte pas l’engagement par l’État membre concerné de respecter les droits des pays tiers résultant d’une convention antérieure et d’observer ses obligations correspondantes (voir arrêt du 15 septembre 2011, Commission/Slovaquie, C 264/09, EU:C:2011:580, point 41 et jurisprudence citée).

75 L’article 351, premier alinéa, TFUE a une portée générale, en ce sens qu’il s’applique à toute convention internationale, quel que soit son objet, susceptible d’avoir une incidence sur les traités de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 2 août 1993, Levy, C 158/91, EU:C:1993:332, point 11).

76 L’article 351, premier alinéa, TFUE a ainsi pour but de sauvegarder les droits des États tiers (arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, EU:C:1966:41, p. 500), en permettant aux États membres concernés d’observer les engagements qui leur incombent en vertu d’une convention internationale antérieure (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C 366/10, EU:C:2011:864, point 61).

77 L’article 351, premier alinéa, TFUE n’autorise pas, en revanche, les États membres à faire valoir des droits découlant de telles conventions dans leurs relations internes à l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 2 juillet 1996, Commission/Luxembourg, C 473/93, EU:C:1996:263, point 40, et du 7 juillet 2005, Commission/Autriche, C 147/03, EU:C:2005:427, point 58).

78 Il s’ensuit que, dans l’article 351, premier alinéa, TFUE, les termes « droits et obligations » se réfèrent, en ce qui concerne les « droits », aux droits des États tiers et, en ce qui concerne les « obligations », aux obligations des États membres (arrêt du 2 août 1993, Levy, C 158/91, EU:C:1993:332, point 12).

79 En conséquence, afin de déterminer si une norme du droit de l’Union peut être tenue en échec par une convention internationale antérieure, il convient d’examiner si celle-ci impose à l’État membre concerné des obligations dont l’exécution peut encore être exigée par les États tiers qui sont parties à la convention (arrêts du 2 août 1993, Levy, C 158/91, EU:C:1993:332, point 13, et du 15 septembre 2011, Commission/Slovaquie, C 264/09, EU:C:2011:580, point 42).

80 Si, dès lors, une règle du droit de l’Union peut être tenue en échec par une convention internationale, en vertu de l’article 351, premier alinéa, TFUE, c’est à la double condition qu’il s’agisse d’une convention conclue antérieurement à l’entrée en vigueur des traités de l’Union dans l’État membre concerné et que l’État tiers concerné en tire des droits dont il peut exiger le respect par cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 1998, T. Port, C 364/95 et C 365/95, EU:C:1998:95, point 61).

81 L’article 351, premier alinéa, TFUE, en tant qu’il constitue une règle susceptible d’autoriser des dérogations à l’application du droit de l’Union, y compris du droit primaire, doit donc faire l’objet d’une interprétation stricte, afin que les règles générales prévues par les traités de l’Union ne soient pas vidées de leur substance [arrêt du 14 mars 2024, Commission/Royaume-Uni (Arrêt de la Cour suprême), C 516/22, EU:C:2024:231, points 78 et 81].

82 La convention CIRDI, entrée en vigueur à l’égard de la Roumanie le 12 octobre 1975, stipule, en son article 25, paragraphe 1 :

« La compétence du Centre s’étend aux différends d’ordre juridique entre un État contractant (ou telle collectivité publique ou tel organisme dépendant de lui qu’il désigne au Centre) et le ressortissant d’un autre État contractant qui sont en relation directe avec un investissement et que les parties ont consenti par écrit à soumettre au Centre. Lorsque les parties ont donné leur consentement, aucune d’elles ne peut le retirer unilatéralement. »

83 L’article 53, paragraphe 1, de la convention CIRDI est ainsi rédigé :

« La sentence est obligatoire à l’égard des parties et ne peut être l’objet d’aucun appel ou autre recours, à l’exception de ceux prévus à la présente Convention. Chaque partie doit donner effet à la sentence conformément à ses termes [...] ».

84 L’article 54, paragraphe 1, de la convention CIRDI prévoit :

« Chaque État contractant reconnaît toute sentence rendue dans le cadre de la présente Convention comme obligatoire et assure l’exécution sur son territoire des obligations pécuniaires que la sentence impose comme s’il s’agissait d’un jugement définitif d’un tribunal fonctionnant sur le territoire dudit État. [...] »

85 L’article 64 de la convention CIRDI énonce que « [t]out différend qui pourrait surgir entre les États contractants quant à l’interprétation ou à l’application de la présente Convention et qui ne serait pas résolu à l’amiable est porté devant la CIJ à la demande de toute partie au différend, à moins que les États intéressés ne conviennent d’une autre méthode de règlement ».

86 L’article 7 du TBI prévoit que les différends entre les investisseurs et les pays signataires sont réglés, notamment, par un tribunal arbitral qui applique la convention CIRDI.

87 En l’espèce, la Commission a indiqué, aux considérants 126 et 127 de la décision attaquée, que les droits et les obligations invoqués par les requérants en arbitrage résultaient de l’application du TBI. Après avoir constaté que ce traité avait été conclu entre deux États membres, et non pas entre un ou plusieurs États membres et un ou plusieurs États tiers, la Commission en a conclu que l’article 351 TFUE n’était pas applicable en l’espèce. Elle en a déduit que la mise en application des règles relatives aux aides d’État n’avait pas, dans les circonstances de l’espèce, d’incidence sur les droits et les obligations prévus par l’article 351 du traité FUE.

88 La Commission a ajouté, au considérant 129 de la décision attaquée, que, dans la mesure où aucun pays tiers qui était partie contractante à la Convention CIRDI n’était partie au TBI qui avait fait l’objet de la procédure arbitrale, l’article 351 TFUE n’était pas pertinent en l’espèce.

89 Compte tenu de l’argumentation des requérants et de la motivation de la décision attaquée sur ce point, l’analyse de la présente branche conduit à vérifier, au préalable, si, en l’espèce, les obligations contractées par la Roumanie sur le fondement, d’une part, du TBI, d’autre part, de la convention CIRDI, entrent dans le champ d’application de l’article 351 TFUE.

1) Sur l’existence d’obligations, au sens de l’article 351 TFUE, contractées par la Roumanie sur le fondement du TBI

90 L’article 351 TFUE concerne, ainsi qu’il ressort des points 74 et 78 ci-dessus, les droits des États tiers et les obligations correspondantes des États membres. Les obligations de la Roumanie, contractées antérieurement à son adhésion, sur le fondement du TBI, correspondent aux droits du Royaume de Suède contractés sur ce même fondement.

91 À la date de la signature du TBI, le Royaume de Suède était un État membre et non un État tiers à l’Union. Un tel traité bilatéral doit donc, depuis l’adhésion de la Roumanie à l’Union, être considéré comme étant un traité concernant deux États membres [arrêt du 14 mars 2024, Commission/Royaume-Uni (Arrêt de la Cour suprême), C 516/22, EU:C:2024:231, point 72].

92 Or, l’article 351 TFUE n’est pas applicable à un traité bilatéral conclu entre deux États membres, dès lors qu’aucun État tiers n’est partie à celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2009, Budějovický Budvar, C 478/07, EU:C:2009:521, point 99).

93 Dans ces conditions, à la date où l’aide a été accordée, laquelle est déterminante pour apprécier l’applicabilité de l’article 351 TFUE, en l’occurrence, au jour du prononcé de la sentence arbitrale (voir point 62 ci-dessus), le TBI ne saurait être regardé comme une convention dont il résulterait, au sens dudit article, des droits pour des États tiers et des obligations pour cet État membre susceptibles d’être affectés par la mise en œuvre, en application de la décision attaquée, des articles 107 et 108 TFUE.

94 La circonstance selon laquelle le fait générateur du dommage, à savoir l’abrogation, prétendument en violation du TBI, du régime d’incitations fiscales en cause, pour lequel une indemnisation a été accordée par la sentence arbitrale, ait eu lieu antérieurement à l’adhésion de la Roumanie à l’Union ne saurait remettre en cause cette interprétation.

95 Il en va de même de la circonstance selon laquelle les faits qui sous-tendent la responsabilité de la Roumanie ont eu lieu, au moins en partie, avant son adhésion à l’Union, lorsque cet État était encore un État tiers, au sens de l’article 351 TFUE.

96 Ainsi que la Cour l’a souligné dans l’arrêt sur pourvoi, il ne peut certes être exclu que, selon les principes découlant des droits nationaux en matière de responsabilité civile, un droit à réparation prenne naissance à la date de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause, fait reconnu comme générateur du dommage (arrêt sur pourvoi, points 117 et 118). En revanche, ce droit à réparation se distingue du droit de percevoir l’indemnisation accordée par la sentence arbitrale, de sorte que la mesure d’aide en cause n’a pas été accordée à la date de ladite abrogation (arrêt sur pourvoi, points 119 à 127).

97 Compte tenu de ce qui précède, il doit être conclu que les obligations de la Roumanie contractées sur le fondement du TBI et examinées dans le cadre du présent litige ne relevaient pas des prévisions de l’article 351 TFUE.

98 Les requérants ne sauraient donc soutenir que par la décision attaquée la Commission a méconnu l’article 351 TFUE en ce qu’elle a fait obstacle à l’exécution par la Roumanie de ses obligations contractées sur le fondement du TBI.

2) Sur l’existence d’obligations, au sens de l’article 351 TFUE, contractées par la Roumanie sur le fondement de la convention CIRDI

99 Conformément à l’arrêt sur pourvoi, le système des voies de recours juridictionnel prévu par les traités UE et FUE s’est substitué à la procédure arbitrale prévue par le TBI à compter de l’adhésion de la Roumanie à l’Union, à savoir à compter du 1er janvier 2007 (arrêt sur pourvoi, point 145).

100 Il est constant que le tribunal arbitral, qui applique la convention CIRDI et auquel a été soumis le différend entre les requérants en arbitrage et la Roumanie, ne se situe pas dans le système juridictionnel de l’Union (arrêt sur pourvoi, point 141).

101 La sentence arbitrale, adoptée par le tribunal arbitral le 11 décembre 2013, soit après l’adhésion de la Roumanie à l’Union, ne saurait donc produire aucun effet et ne peut ainsi être exécutée en vue de procéder au versement de l’indemnisation accordée par celle-ci (voir, en ce sens, ordonnance du 21 septembre 2022, Romatsa e.a., C 333/19, non publiée, EU:C:2022:749, point 43).

102 En conséquence, une juridiction d’un État membre saisie de l’exécution forcée d’une sentence arbitrale est tenue d’écarter cette sentence et, partant, ne peut en aucun cas procéder à l’exécution de celle-ci afin de permettre à ses bénéficiaires d’obtenir le versement des dommages et intérêts qu’elle leur accorde (ordonnance du 21 septembre 2022, Romatsa e.a., C 333/19, non publiée, EU:C:2022:749, point 44). Ce constat s’impose à la Roumanie, en tant qu’État membre.

103 Il n’y avait donc aucune obligation pour la Roumanie d’exécuter la sentence arbitrale ni, a fortiori, de la mettre en œuvre, indépendamment de toute exécution forcée.

104 Dès lors, il doit être conclu que l’article 53 de la convention CIRDI, au terme duquel chaque partie liée par la sentence doit en donner effet conformément à ses termes, ainsi qu’il a été rappelé au point 83 ci-dessus, n’a pas, en l’espèce, créé d’obligations envers la Roumanie entrant dans le champ d’application de l’article 351 TFUE.

105 Par voie de conséquence, il doit être considéré que l’article 54 de la convention CIRDI, selon lequel « [c]haque État contractant reconnaît toute sentence rendue dans le cadre de la présente Convention comme obligatoire et assure l’exécution sur son territoire des obligations pécuniaires que la sentence impose », ainsi qu’il a été précisé au point 84 ci-dessus, ne saurait avoir créé des droits en faveur d’États tiers auxquels auraient correspondu des obligations de la Roumanie, lesquelles obligations sont, en l’espèce, inexistantes.

106 En outre, ainsi qu’a jugé la Cour, la convention CIRDI, en dépit de son caractère multilatéral, a pour objet de régir des relations bilatérales entre les parties contractantes d’une manière analogue à un traité bilatéral. Si les requérants soutiennent, en substance, que les États tiers ayant conclu la convention CIRDI pourraient avoir un intérêt à ce que la Roumanie respecte ses obligations à l’égard d’un autre État membre en procédant, conformément aux dispositions de cette convention, à l’exécution d’une sentence arbitrale relevant du champ d’application de celle-ci, un tel intérêt purement factuel ne saurait être assimilé à un « droit », au sens de l’article 351, premier alinéa, TFUE, susceptible de justifier l’application de cette disposition [voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2024, Commission/Royaume-Uni (Arrêt de la Cour suprême), C 516/22, EU:C:2024:231, points 75 et 76].

107 Dès lors, les articles 53 et 54 de la convention CIRDI ne sauraient être interprétés comme ayant créé des « droits », au sens de l’article 351, premier alinéa, TFUE, en faveur des États tiers signataires de cette convention lesquels auraient correspondu aux obligations de la Roumanie d’exécuter la sentence arbitrale.

108 Dans ces conditions, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’incidence alléguée par les requérants de l’article 25, paragraphe 1, et de l’article 64 de la convention CIRDI sur l’obligation de la Roumanie d’exécuter la sentence arbitrale en application de la même convention, la décision attaquée, en ordonnant la récupération de l’aide, ne saurait avoir empêché cet État membre de se conformer à des obligations qui relèveraient du champ d’application de l’article 351 TFUE. En conséquence, une telle décision n’a pas méconnu ce dernier article, en vertu duquel les droits et les obligations résultant d’une convention conclue entre un État membre avant son adhésion et des États tiers ne sont pas affectés par les dispositions des traités.

109 La Commission a ainsi pu sans erreur de droit considérer que « la mise en application des règles relatives aux aides d’État n’a[vait] pas d’incidence sur les droits et les obligations prévues par l’article 351 TFUE ».

110 Le grief tiré de la violation de l’article 351, premier alinéa, TFUE doit donc être écarté et, par voie de conséquence, le grief tiré de la méconnaissance du principe pacta sunt servanda, dont ledit article constituerait l’expression.

111 Il en va de même du grief tiré de la méconnaissance du principe de coopération loyale en ce qu’il serait mis en œuvre par l’article 351, premier alinéa, TFUE.

112 Compte tenu de tout ce qui précède, la présente branche doit être écartée et, en conséquence, le premier moyen dans son ensemble.

2. Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

113 Les requérants soutiennent que la Commission n’a pas démontré que les conditions posées par l’article 107, paragraphe 1, TFUE étaient en l’espèce remplies. Ils articulent leur moyen en trois branches.

114 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, conteste l’argumentation des requérants.

115 Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, « sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».

116 Selon une jurisprudence constante, la qualification d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE requiert que toutes les conditions visées à cette disposition soient remplies. Ainsi, pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’aide d’État, premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire et, quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir arrêt du 12 novembre 2013, MOL/Commission, T 499/10, EU:T:2013:592, point 51 et jurisprudence citée).

a) Sur la première branche, tirée de l’absence d’avantage économique

117 Les requérants soutiennent que la mesure d’aide en cause ne leur confère aucun avantage économique. Ils avancent trois griefs principaux.

118 En premier lieu, les requérants font valoir que, contrairement à ce qu’a estimé la Commission, la sentence arbitrale n’a pas dédommagé les requérants en arbitrage des conséquences de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause, mais a accordé à ceux-ci des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison du manquement de la Roumanie à leur assurer un traitement juste et équitable, en violation de l’article 2, paragraphe 3, du TBI. À tout le moins, à supposer exacte l’interprétation de la Commission de ladite sentence, la compensation des conséquences indirectes de cette abrogation, telles que le manque à gagner ou la perte de chance de conquérir de nouveaux marchés, ne saurait être qualifiée d’avantage au sens de la réglementation relative aux aides d’État.

119 En deuxième lieu, les requérants soutiennent que, en application de la jurisprudence issue de l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24), les dommages et intérêts accordés par la sentence arbitrale ne constituaient pas un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

120 En troisième et dernier lieu, à supposer que la sentence arbitrale ait pu constituer un avantage, la décision attaquée identifierait erronément la mesure d’aide en cause comme le versement des sommes litigieuses et non ladite sentence. Or, ce versement s’inscrirait dans « le cours normal » de l’exécution ou de la mise en œuvre de cette sentence, de sorte que le versement de l’indemnisation, en condamnation de la Roumanie, ne saurait constituer un avantage distinct de celui prétendument accordé par la même sentence.

121 Il convient de relever que sont considérées comme des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (voir arrêts du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, point 83 et jurisprudence citée, et du 17 septembre 2020, Compagnie des pêches de Saint-Malo, C 212/19, EU:C:2020:726, point 39 et jurisprudence citée).

122 À cet égard, pour évaluer si un État membre a conféré un avantage à une entreprise donnée, il convient de comparer la situation financière de l’entreprise après l’introduction de la mesure avec la situation financière qui aurait été la sienne si celle-ci n’avait pas été prise. Sont notamment considérées comme aides les interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise. Il y a donc avantage lorsque, du fait de la mesure et sans que cela soit justifié par la nature ou l’économie du système concerné, la situation financière nette du bénéficiaire est améliorée (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2020, Compagnie des pêches de Saint-Malo, C 212/19, EU:C:2020:726, point 40).

123 Le Tribunal estime opportun d’examiner, en premier lieu, le troisième grief, tiré de l’identification erronée de la mesure d’aide en cause, avant d’analyser les premier et deuxième griefs, reposant sur la prémisse selon laquelle l’attribution de dommages et intérêts accordés par la sentence arbitrale constitue ladite mesure.

1) Sur le troisième grief, tiré de l’identification erronée de la mesure d’aide en cause

124 Les requérants soutiennent, en substance, ainsi qu’il a été rappelé au point 120 ci-dessus, que la mesure d’aide en cause n’est pas le versement des sommes litigieuses, mais la sentence arbitrale. La Commission aurait donc entaché la décision attaquée d’une erreur de droit en identifiant de manière erronée la mesure soumise à son examen, de sorte qu’elle ne pouvait, sans erreur d’appréciation, qualifier d’avantage, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ledit versement.

125 En l’espèce, la mesure d’aide en cause est ainsi identifiée au considérant 39 de la décision attaquée : « [l]a mesure qui fait l’objet de l’évaluation est le versement [des sommes litigieuses] en vertu de la mise en œuvre ou de l’exécution de la sentence [arbitrale], plus les intérêts cumulés depuis la date où la sentence a été rendue ».

126 Il ressort sans ambiguïté du considérant 39 de la décision attaquée, qui porte sur la « Description de la mesure » et relève de la partie 3 de cette décision, intitulée « Description de la mesure et motifs d’ouverture de la procédure », que la mesure visée par ladite décision est le versement des sommes litigieuses et non la sentence arbitrale.

127 L’identification par la Commission de la mesure d’aide en cause comme correspondant au versement des sommes litigieuses est confirmée au considérant 123 de la décision attaquée dans lequel il est indiqué que « [ledit versement] aux [requérants en arbitrage], qu’il soit effectué par la mise en œuvre ou par l’exécution de la sentence, renforce leur position concurrentielle ».

128 Ce constat ne saurait être remis en cause par l’argument que les requérants tirent du point 124 de l’arrêt sur pourvoi selon lequel « le droit à l’indemnisation accordée en réparation du préjudice que les requérants en arbitrage allèguent avoir subi en raison de l’abrogation, prétendument en violation du TBI, du régime d’incitations fiscales en cause n’a été accordé que par la sentence arbitrale ».

129 En effet, il convient de préciser que, en procédant ainsi, la Cour s’est uniquement prononcée sur la compétence rationae temporis de la Commission pour adopter la décision attaquée au titre de l’article 108 TFUE. Elle ne s’est ainsi prononcée, au point 124 de l’arrêt sur pourvoi, que sur la date à laquelle le droit à l’indemnisation a été accordé aux requérants et non sur la qualification d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE du versement des sommes litigieuses, telle qu’elle a été examinée dans ladite décision.

130 À cet égard est sans incidence sur l’identification de la mesure d’aide en cause, comme constituant le versement des sommes litigieuses, la question de savoir si, indépendamment des versements examinés, la sentence arbitrale constitue en soi un avantage susceptible d’être qualifié d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

131 La Cour a d’ailleurs expressément constaté, au point 135 de l’arrêt sur pourvoi, que, par la décision attaquée, la Commission avait examiné, au regard des règles du traité FUE en matière d’aides d’État, le versement des sommes litigieuses en exécution de la sentence arbitrale.

132 La Commission ne saurait au demeurant inviter le Tribunal à considérer désormais, ainsi qu’il ressort de ses mémoires complémentaires d’observations écrites et des débats lors de l’audience, que la mesure ayant fait l’objet de son examen devrait être regardée comme une mesure unique constituée par la sentence arbitrale et son exécution. Il est en effet de jurisprudence constante que, dans le cadre d’un recours en annulation, le Tribunal ne peut substituer sa propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué (voir arrêt du 26 octobre 2016, PT Musim Mas/Conseil, C 468/15 P, EU:C:2016:803, point 64 et jurisprudence citée).

133 Si les requérants soutiennent également que le paiement des dommages et intérêts n’est que la « conséquence automatique » de la sentence arbitrale, ils ne font que constater, par cette affirmation, que cette sentence est la cause du versement des sommes litigieuses par la Roumanie et ne sauraient, par un tel constat, utilement soutenir que ledit versement n’aurait pas constitué un avantage distinct de ladite sentence.

134 En effet, l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas selon les causes des interventions étatiques, mais, ainsi que la Commission l’a rappelé au considérant 80 de la décision attaquée, les définit en fonction de leurs effets (arrêts du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C 362/19 P, EU:C:2021:169, point 61, et sur pourvoi, point 122).

135 À supposer même que la sentence arbitrale ne soit pas détachable de son exécution, il n’en demeure pas moins que le versement des sommes litigieuses, en exécution ou par la mise en œuvre de ladite sentence, a constitué la mesure soumise à l’appréciation de la Commission dans la décision attaquée.

136 Dans ces conditions, la Commission a pu définir à bon droit, contrairement à ce qu’ont fait valoir les requérants, la mesure d’aide en cause comme le versement des sommes litigieuses afin de vérifier, dans le cadre de son appréciation de l’existence d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, si un tel versement représentait un avantage économique dont les requérants n’auraient pas bénéficié dans des conditions normales de marché.

137 Compte tenu de tout ce qui précède, le présent grief doit être écarté.

2) Sur le premier grief, tiré de ce que la mesure d’aide en cause ne saurait constituer un avantage versé en compensation des conséquences de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause

138 Ainsi qu’il ressort du point 118 ci-dessus, le présent grief repose sur deux arguments principaux.

i) Sur le premier argument, tiré de l’erreur commise par la Commission en considérant que la sentence arbitrale indemnisait les requérants en arbitrage des conséquences de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause

139 Il ressort du point 131 ci-dessus que la Commission a examiné au regard des règles du traité FUE en matière d’aides d’État, le versement des sommes litigieuses et non le régime d’incitations fiscales en cause, lequel, ayant été abrogé avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union, n’était d’ailleurs plus en vigueur au moment de l’adoption de la décision attaquée (arrêt sur pourvoi, point 135).

140 À cette fin, ainsi qu’il ressort du considérant 93 de la décision attaquée, la Commission a examiné les éléments sur lesquels le tribunal arbitral s’était fondé pour caractériser l’aide qu’il avait accordée aux requérants en arbitrage et la description des dommages prétendument subis.

141 Il ressort du considérant 94 de la décision attaquée que la Commission a estimé, tout d’abord, que le tribunal arbitral avait indemnisé le préjudice résultant de l’abrogation prématurée du régime d’incitations fiscales en cause. Elle a considéré, ensuite, que la mise en œuvre ou l’exécution de la sentence arbitrale par la Roumanie accordait aux requérants en arbitrage, ainsi qu’il ressort du considérant 95 de ladite décision, un montant correspondant aux avantages que ces derniers auraient dû percevoir dans le cadre dudit régime pour la période s’étendant entre le moment de son abrogation, le 22 février 2005, et la date planifiée de son expiration, le 1er avril 2009. Enfin, elle a constaté que le montant du préjudice représentait, pour l’essentiel, d’une part, le remboursement du montant des droits de douane perçus sur le sucre et les autres matières premières que les requérants en arbitrage auraient évités si ladite abrogation n’avait pas eu lieu et, d’autre part, le montant du manque à gagner de la vente de produits finis résultant de cette abrogation.

142 La Commission a qualifié, en conséquence, au considérant 96 de la décision attaquée, le versement des sommes litigieuses d’avantage économique que les requérants en arbitrage n’auraient pu obtenir dans des conditions normales de marché au motif que ce versement était destiné à les indemniser pour les préjudices qu’ils avaient subis en raison de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause.

143 Pour contester l’interprétation par la Commission de la sentence arbitrale, les requérants soutiennent que le tribunal arbitral a accordé aux requérants en arbitrage des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’ils auraient subi, ainsi qu’il a été rappelé au point 118 ci-dessus, en raison du manquement de la Roumanie à assurer aux investissements de ces derniers un traitement juste et équitable, en violation de l’article 2, paragraphe 3, du TBI. À cet égard, ils précisent que la Roumanie a violé un tel article pour avoir, d’une part, supprimé les principaux avantages du régime d’incitations fiscales en cause tout en maintenant en vigueur les obligations concomitantes et, d’autre part, manqué de transparence pour ne pas avoir averti en temps utile les requérants en arbitrage de l’abrogation dudit régime.

144 Les requérants ajoutent que, si le tribunal arbitral s’est référé au régime d’incitations fiscales en cause pour quantifier le préjudice subi, cette circonstance ne saurait par elle-même signifier que la sentence arbitrale ait réinstauré ledit régime.

145 En l’espèce, il ressort du point 872 de la sentence arbitrale, tel qu’il a été repris au point 27 de l’arrêt sur pourvoi et au considérant 26 de la décision attaquée, que le tribunal arbitral a considéré que, en abrogeant le régime d’incitations fiscales en cause avant le 1er avril 2009, la Roumanie, premièrement, avait porté atteinte à la confiance légitime des requérants en arbitrage, qui pensaient que ces incitations seraient disponibles, essentiellement sous la même forme, jusqu’au 31 mars 2009 inclus, deuxièmement, n’avait pas agi de manière transparente en n’avertissant pas ces requérants en temps opportun et, troisièmement, n’avait pas, en conséquence, assuré un traitement juste et équitable aux investissements effectués par lesdits requérants, au sens de l’article 2, paragraphe 3, du TBI. Partant, ledit tribunal a condamné la Roumanie à leur verser des dommages et intérêts dont le montant a été fixé en tenant principalement compte des préjudices prétendument subis par ces requérants pendant la période allant du 22 février 2005 au 31 mars 2009.

146 Cela étant rappelé, il convient, en premier lieu, de relever que les préjudices indemnisés par la sentence arbitrale, tels qu’ils sont identifiés au dispositif de ladite sentence et tels qu’ils sont résumés au considérant 27 de la décision attaquée, correspondent aux dommages suivants : l’augmentation du coût du sucre (pour l’importation duquel les requérants en arbitrage ont dû payer des droits de douane après l’abrogation de la facilité pour les matières premières), l’augmentation du coût des matières premières autres que le sucre et certains types de polyéthylène téréphtalate (PET, pour lesquels la demande de dommages et intérêts avait été écartée par le tribunal arbitral au motif que les requérants n’avaient jamais bénéficié de la facilité pour les matières premières concernant leur importation), la perte de la capacité de stockage du sucre à des prix plus bas (dont le montant a été calculé sur la base des droits de douane perçus pour le sucre importé qui auraient pu être évités si les requérants en arbitrage avaient pu stocker le sucre avant le 1er avril 2009) ; le manque à gagner résultant de la perte de ventes de produits finis (correspondant à la perte des parts de marché sur la période 2004-2008 pour les sodas et les autres produits contenant du sucre, dont l’enchérissement a conduit à une hausse de prix desdits produits, cette hausse causant à son tour une baisse des ventes de ces mêmes produits).

147 Les sommes versées en réparation des préjudices ainsi identifiés ont porté intérêts, calculés à partir du 1er mars 2007 pour l’augmentation du coût du sucre et d’autres matières premières, à partir du 1er novembre 2009 pour la perte de capacité de stockage du sucre et à partir du 1er mai 2008 pour le manque à gagner.

148 En deuxième lieu, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, le régime d’incitations fiscales en cause accordait à certains investisseurs de régions considérées par le gouvernement roumain comme défavorisées, l’exonération des droits de douane pour les matières premières nécessaires à l’investissement réalisé dans la région défavorisée concernée, l’exonération des droits ayant succédé, après modification du régime, au remboursement de ces droits initialement prévu.

149 Ainsi qu’il a été relevé au point 7 ci-dessus, les requérants en arbitrage ont bénéficié, en leur qualité d’investisseurs dans la région minière de Ștei-Nucet, considérée comme défavorisée, à compter du début des années 2000, des exonérations des droits de douane sur les matières premières prévues par le régime d’incitations fiscales en cause, jusqu’à son abrogation, le 22 février 2005.

150 En troisième lieu, il convient d’ajouter que, si les requérants contestent les conséquences susceptibles d’être tirées du mode de calcul de l’indemnisation utilisé par le tribunal arbitral, ils ne contestent pas, en revanche, que le montant des dommages indemnisés a été fixé en tenant compte du régime d’incitations fiscales en cause.

151 Il ressort des points 944 et 945 de la sentence arbitrale que la méthode retenue par le tribunal arbitral pour calculer les dommages subis a été proposée par les requérants en arbitrage et a consisté à quantifier l’augmentation des coûts et le manque à gagner subi par les requérants en arbitrage pour ne pas avoir pu développer leur entreprise comme ils l’avaient prévu, par la mise en œuvre d’investissements supplémentaires et la vente de produits fabriqués à base de sucre.

152 À cet égard, le tribunal arbitral a indiqué, au point 917 de la sentence arbitrale, repris au considérant 94 de la décision attaquée, que les dommages et intérêts devaient être accordés sur la base du principe selon lequel « le requérant doit retrouver la situation dans laquelle il se serait trouvé, “selon toutes probabilités”, si le délit n’avait pas existé au niveau international ». Il a également considéré, ainsi qu’il ressort du point 928 de ladite sentence, que seules les pertes causées par l’acte qui constitue le délit au niveau international pourraient être compensées par l’octroi de dommages et intérêts et que « toutes les violations du traité bilatéral d’investissements invoquées par les requérants [en arbitrage] résultent du même fait [, à savoir] l’abrogation prématurée des incitations [prévues par le régime d’incitations fiscales en cause], ou sont liées directement à cette abrogation prématurée ».

153 Dans ces conditions, ainsi que l’a relevé la Commission au considérant 94 de la décision attaquée, le tribunal arbitral a analysé, lorsqu’il a établi le montant des dommages et intérêts dus aux requérants, si les pertes avaient été réellement subies et si elles étaient directement liées à l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause, ainsi qu’il ressort, en particulier, du point 953 de la sentence arbitrale, s’agissant de l’octroi de dommages et intérêts pour l’augmentation du prix du sucre, du point 971 de ladite sentence, s’agissant de l’octroi de dommages et intérêts pour l’augmentation du prix des matières premières autres que le sucre et les PET, des points 982 à 985 de cette sentence, s’agissant de l’octroi de dommages et intérêts pour la perte de la capacité de stockage pour le sucre, et des points 1016 à 1020 de la même sentence, s’agissant de l’octroi de dommages et intérêts pour le manque à gagner des ventes de produits finis.

154 En quatrième et dernier lieu, ainsi que l’a souligné la Cour au point 117 de l’arrêt sur pourvoi, l’indemnisation accordée par la sentence arbitrale, dès lors qu’elle visait à réparer le préjudice que les requérants en arbitrage alléguaient avoir subi en raison de l’abrogation, prétendument en violation du TBI, du régime d’incitations fiscales en cause par la Roumanie, trouve son origine dans cette abrogation, laquelle constitue le fait générateur du dommage pour lequel cette indemnisation a été accordée par le tribunal arbitral.

155 Il ressort des points 146 à 154 ci-dessus que le tribunal arbitral, en considérant que la Roumanie, ainsi qu’il a été rappelé au point 145 ci-dessus, n’avait pas assuré un traitement juste et équitable des investissements effectués par les requérants en arbitrage, au sens de l’article 2, paragraphe 3, du TBI, a entendu dédommager ces derniers des conséquences pécuniaires de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause.

156 Ainsi que l’a souligné la Commission lors de l’audience, le tribunal arbitral n’a, au demeurant, ni caractérisé, ni quantifié, d’une part, le préjudice qui aurait résulté des conséquences du maintien des obligations imposées aux bénéficiaires du régime d’incitations fiscales en cause, nonobstant la suppression des avantages qui y étaient précédemment associés, d’autre part, le préjudice qui aurait résulté du comportement non transparent de la Roumanie, pour ne pas avoir averti les investisseurs de façon adéquate que ce régime allait s’arrêter avant la date déclarée de son expiration.

157 Les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que la sentence arbitrale n’a pas indemnisé les requérants en arbitrage des conséquences de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause, mais leur a accordé des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison du comportement de la Roumanie pour avoir, d’une part, maintenu les obligations afférentes aux avantages institués par ledit régime malgré l’abrogation de ce régime et, d’autre part, pour ne pas les avoir avertis en temps utile de cette abrogation, en violation de son obligation d’assurer un traitement juste et équitable aux investissements des investisseurs, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du TBI.

ii) Sur le second argument, tiré de ce que l’indemnisation des conséquences indirectes de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause ne peut pas être qualifiée d’avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

158 Les requérants ajoutent, ainsi qu’il a été précisé au point 118 ci-dessus, que, à tout le moins, dans le cas où le Tribunal considérerait que la sentence arbitrale a indemnisé les requérants en arbitrage des conséquences de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause, la compensation des conséquences indirectes de cette abrogation, telles que le manque à gagner ou la perte de chance de conquérir de nouveaux marchés, ne saurait être qualifiée d’avantage au sens de la réglementation relative aux aides d’État.

159 À cet égard, les requérants relèvent que les sommes litigieuses ne correspondent pas aux montants qu’ils auraient perçus si le régime d’incitations fiscales en cause n’avait pas été abrogé. Selon eux, l’indemnisation accordée par le tribunal arbitral en vertu de la sentence arbitrale compense les conséquences indirectes de l’abrogation dudit régime, à savoir l’augmentation des coûts en raison de l’impossibilité dans laquelle ils se sont retrouvés de stocker le sucre avant la date planifiée de l’expiration de ce régime et la baisse des profits en raison de la perte de parts de marché résultant de l’enchérissement du coût des matières premières importées, en raison du paiement des droits de douane.

160 Dans ces conditions, à supposer même que le versement des sommes litigieuses ait conduit à l’indemnisation du retrait d’une aide illégale ou incompatible qu’aurait constitué le régime d’incitations fiscales en cause, les requérants dans l’affaire T 704/15 RENV soulignent que les sommes accordées par le tribunal arbitral en compensation du manque à gagner ou de la perte de chance à la suite de l’abrogation de ce régime ne sauraient, en tout état de cause, constituer, conformément à la jurisprudence pertinente, des « avantages » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

161 Selon la jurisprudence invoquée par les requérants, la récupération d’une aide illégale en vue du rétablissement de la situation antérieure n’implique pas une reconstitution différente du passé en fonction d’éléments hypothétiques et implique seulement la restitution de l’avantage procuré par celle-ci à son bénéficiaire et non pas la restitution de l’éventuel bénéfice économique réalisé par celui-ci par l’exploitation de cet avantage (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C 164/15 P et C 165/15 P, EU:C:2016:990, points 91 et 92).

162 Il convient, tout d’abord, de relever qu’est indifférente pour la qualification de l’indemnisation accordée par le tribunal arbitral, en vertu de la sentence arbitrale, la circonstance avérée ou non selon laquelle cette indemnisation ait correspondu à la compensation du retrait d’une aide illégale ou incompatible, seule étant pertinente à cet égard la question de savoir si l’indemnisation accordée était susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En outre, le fait que la récupération d’une aide illégale implique seulement, conformément à la jurisprudence invoquée par les requérants, la restitution de l’avantage procuré par celle-ci à son bénéficiaire est également sans incidence sur la qualification à laquelle doit procéder la Commission de l’indemnisation accordée par ladite sentence au regard de cette disposition.

163 Ensuite, il y a lieu de relever que la jurisprudence citée au point 161 ci-dessus s’oppose à ce que la récupération d’une aide illégale porte sur la restitution de l’éventuel bénéfice économique réalisé par l’exploitation de l’aide illégale par son bénéficiaire. Or, en tout état de cause, la décision attaquée ordonne la récupération du versement des sommes litigieuses et non pas la récupération d’un hypothétique avantage qui aurait découlé de son exploitation par le bénéficiaire.

164 L’avantage dont ont bénéficié les requérants dans le présent litige est en effet le versement de l’indemnisation octroyée en vertu de la sentence arbitrale.

165 Au surplus, une action en réparation, telle que celle initiée par les requérants en arbitrage devant le tribunal arbitral ne saurait conduire à un contournement de l’application effective des règles en matière d’aides d’État (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen, C 505/14, EU:C:2015:742, points 42 à 44). Des dommages et intérêts versés en compensation de pertes de parts de marché ou en compensation de pertes de stockage de matières premières ou, en définitive, de tout chef de préjudice résultant de l’abrogation d’un régime d’aides, ne pourraient ainsi échapper à la qualification d’aide d’État dès lors que de tels dommages et intérêts répondraient à la définition d’avantage économique au sens desdites règles.

166 À cet égard, la Commission a estimé, au considérant 96 de la décision attaquée, ce qui suit :

« […] [L]’octroi de dommages et intérêts aux requérants [en arbitrage] pour les pertes de profit, étant donné qu’ils ont été contraints de supporter leurs propres dépenses de fonctionnement, constitue lui aussi un avantage économique qu’ils n’auraient pas eu dans des conditions normales de marché et en l’absence de sentence ; dans des conditions normales de marché, l’entreprise aurait dû supporter ses propres coûts inhérents à son activité économique et n’aurait, par conséquent, pas produit ces profits. Troisièmement, l’octroi aux requérants [en arbitrage] des intérêts sur les paiements prétendument dus dans le passé, mais qui doivent être considérés comme conférant un avantage, constitue un avantage supplémentaire et distinct. »

167 Or, force est de constater que les requérants n’ont avancé aucun argument de nature à remettre en cause les conclusions de la Commission, figurant au considérant 96 de la décision attaquée, selon lesquelles l’indemnisation accordée par le tribunal arbitral constituait un avantage économique au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, après avoir analysé les avantages qui auraient été accordés aux requérants dans le cadre du régime d’incitations fiscales en cause pour la période s’étendant entre le moment de son abrogation et la date planifiée de son expiration.

168 Compte tenu de tout ce qui précède, les requérants n’établissent pas que la Commission a estimé, à tort, que la mesure d’aide en cause constituait un avantage économique au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE versé aux requérants en arbitrage en compensation des conséquences de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause.

169 En conséquence, le présent grief doit être écarté dans son ensemble.

3) Sur le deuxième grief, tiré de la méconnaissance de l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87)

170 Le présent grief repose, ainsi qu’il ressort du point 119 ci-dessus, sur la prémisse selon laquelle la sentence arbitrale a produit des effets de droit à l’égard des requérants, en leur accordant des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice subi en raison de la prétendue violation du TBI, laquelle serait à l’origine de leur droit à indemnisation accordé par ladite sentence. Dès lors, le versement de dommages et intérêts en vertu de ladite sentence échapperait à la qualification d’aide d’État en application de l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24).

171 Il convient de rappeler que les aides publiques, qui constituent des mesures de l’autorité publique favorisant certaines entreprises ou certains produits, revêtent une nature juridique fondamentalement différente des dommages et intérêts que les autorités nationales sont, éventuellement, condamnées à verser à des particuliers, en réparation d’un préjudice qu’elles leur ont causé. Aussi les dommages et intérêts ne constituent-ils pas des aides d’État, au sens du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a., 106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24).

172 Il convient, conformément à une jurisprudence constante, de faire, en outre, une distinction entre les demandes en réparation d’un préjudice résultant d’une illégalité et une action en paiement de montants dus au titre d’une réglementation (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a., 106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 25 et 26 et jurisprudence citée).

173 Dans le cas, en effet, où des sommes réclamées en justice, même formellement sur le terrain indemnitaire, correspondent au paiement d’un avantage que le requérant demande en application d’une législation, l’action ne vise pas à réparer un préjudice distinct de celui consistant dans le non-versement complet de l’avantage auquel le requérant a estimé avoir droit en application de cette même législation (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1, points 61 et 62).

174 Dès lors, lorsqu’une réglementation nationale a institué une « aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, le paiement d’une somme réclamée en justice en application de cette réglementation constitue également une telle aide (arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1, point 65).

175 Le bénéficiaire d’une aide ne saurait donc, ainsi qu’il a été rappelé au point 165 ci-dessus, contourner l’application effective des règles en matière d’aides d’État en obtenant, sans invoquer le droit de l’Union en matière d’aides d’État, un jugement indemnitaire dont l’effet lui permettrait, en définitive, de continuer à mettre en œuvre l’aide en cause durant plusieurs années (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen, C 505/14, EU:C:2015:742, points 42 à 44).

176 En l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 99 à 101 ci-dessus, le système juridictionnel de l’Union, au sein duquel ne se situe pas le tribunal arbitral (arrêt sur pourvoi, point 141), s’est substitué à la procédure d’arbitrage prévue par le TBI à compter de l’adhésion de la Roumanie à l’Union, à savoir à compter du 1er janvier 2007, de sorte que la sentence arbitrale, adoptée par ledit tribunal après ladite adhésion, ne saurait avoir produit d’effets à l’égard des requérants (ordonnance du 21 septembre 2022, Romatsa e.a. C 333/19, non publiée, EU:C:2022:749, points 40 à 43).

177 Dans ces conditions, et en tout état de cause, la qualification retenue dans la sentence arbitrale n’est pas déterminante pour l’analyse de la question de l’existence d’une aide d’État. Le versement des sommes litigieuses en exécution de ladite sentence ne saurait donc être qualifié, juridiquement, de dommages et intérêts au sens du droit de l’Union, au seul motif qu’une telle qualification résulterait de cette sentence.

178 À cet égard, la Commission, ainsi qu’elle a procédé dans la décision attaquée, était donc en droit d’analyser l’existence d’une aide d’État indépendamment de la qualification juridique retenue par le tribunal arbitral.

179 Or, ainsi qu’il ressort de l’analyse du premier grief de la première branche du deuxième moyen, la Commission a conclu, sans que les requérants soient parvenus à remettre en cause une telle appréciation, que la mesure d’aide en cause constituait un avantage économique versé aux requérants en arbitrage en compensation des conséquences de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause et non du dommage qu’ils auraient subi en raison du comportement de la Roumanie pour avoir, d’une part, maintenu les obligations afférentes aux avantages institués par ledit régime malgré son abrogation et, d’autre part, pour ne pas les avoir avertis en temps utile de cette abrogation.

180 Dès lors qu’il n’est pas établi que le versement des sommes litigieuses a eu pour effet la réparation d’un préjudice résultant du comportement supposément fautif de la Roumanie, tel qu’il vient d’être exposé au point 157 ci-dessus, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la mesure d’aide en cause n’est pas qualifiable d’aide d’État en application de l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24).

181 Les requérants ajoutent toutefois que la sentence arbitrale ne saurait non plus les avoir indemnisés du retrait d’une aide illégale ou incompatible qu’aurait constitué le régime d’incitations fiscales en cause. Il en irait ainsi, en substance, parce que ce régime, qui a été mis en œuvre avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union, n’aurait jamais été soumis à la réglementation de l’Union en matière d’aides d’État ainsi qu’à la compétence de la Commission.

182 Il doit être rappelé, à titre liminaire, que la jurisprudence issue de l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24), dont la méconnaissance est invoquée par les requérants, concerne uniquement la qualification d’une aide publique, puisqu’elle dispose, seulement, que les aides publiques revêtent une nature juridique fondamentalement différente des dommages et intérêts.

183 Ainsi qu’il ressort des points 139 à 157 ci-dessus, la Commission a conclu à bon droit que l’avantage obtenu par les requérants en arbitrage ne constituait pas la réparation d’un préjudice résultant d’une illégalité au sens de l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24). Dès lors, les arguments des requérants tendant à remettre en cause la motivation complémentaire de la décision attaquée relative à l’illégalité de l’aide, avancée par la Commission afin d’exclure l’application de l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457), ne sauraient remettre en cause le bien-fondé de ladite décision à cet égard.

184 En tout état de cause, et à titre surabondant, il peut être rappelé que, en application de l’article 64, paragraphe 1, sous iii), de l’accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la Roumanie, d’autre part, conclu et approuvé au nom de la Communauté par la décision 94/907/CECA/CE, Euratom du Conseil et de la Commission, du 19 décembre 1994 (JO 1994, L 357, p. 2, ci-après l’« accord européen »), toute aide publique qui fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou la production de certains biens est incompatible avec le bon fonctionnement dudit accord, dans la mesure où elle est susceptible d’affecter les échanges entre les Communautés européennes et la Roumanie. En vertu de l’article 64, paragraphe 2, de cet accord, toute pratique contraire audit article est évaluée « sur la base des critères découlant de l’application des règles des articles 85, 86 et 92 du traité [CEE, devenus articles 101, 102 et 107 TFUE] ».

185 Pour respecter son obligation d’alignement prévue par l’accord européen, la Roumanie a adopté en 1999 la lege nr. 143/1999 privind ajutorul de stat (loi no 143/1999 portant sur les aides d’État), laquelle incluait la même définition des aides d’État que celle visée à l’article 64 dudit accord et dans le droit de l’Union. Cette loi a désigné le Consiliul Concurenţei (Conseil de la concurrence, Roumanie) et l’Oficiul Concurenței (Office de la concurrence, Roumanie) en tant qu’autorités nationales chargées de la surveillance des aides d’État, compétentes pour apprécier la compatibilité des aides d’État accordées par la Roumanie aux entreprises.

186 En l’espèce, la Commission a précisé que le présent litige ne relevait pas de la jurisprudence issue de l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24), au motif, ainsi qu’il ressort en substance du considérant 103 de la décision attaquée, que le régime d’incitations fiscales en cause ayant eu pour effet l’octroi d’une aide d’État illégale, l’indemnisation accordée aux requérants en arbitrage dont le montant aurait correspondu aux incitations fiscales dont ils avaient été privés à la suite de l’abrogation dudit régime constituait elle-même une aide d’État illégale.

187 À cet égard, il ressort du dossier que le Conseil de la concurrence roumain a considéré par décision du 15 mai 2000 que « [l]es exonérations des droits de douane pour les matières premières [devaient être] considérées comme des aides d’État au fonctionnement », et cette décision n’a été ni contestée ni annulée.

188 Dans ces conditions, la seule circonstance, invoquée au soutien de leur argument rappelé au point 181 ci-dessus, selon laquelle le régime d’incitations fiscales en cause ait été institué avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union ne signifie pas que ce régime n’a pas été examiné au regard des règles applicables dans l’Union en matière d’aides d’État. Est sans incidence à cet égard le fait que la Commission n’aurait pas eu compétence pour procéder à une telle appréciation, puisque cette appréciation a été effectuée par une autorité dont la compétence n’est pas remise en cause dans le présent litige.

189 Les requérants ne peuvent donc, pour ce seul motif, valablement soutenir que la Commission a commis une erreur de droit pour avoir considéré, ainsi qu’il ressort du considérant 103 de la décision attaquée, que l’indemnisation accordée par la sentence arbitrale avait eu pour effet d’indemniser les requérants en arbitrage du retrait d’une aide illégale ou incompatible qu’aurait constitué le régime d’incitations fiscales en cause, conformément aux principes jurisprudentiels rappelés aux points 172 à 174 ci-dessus.

190 Compte tenu de tout ce qui précède, le présent grief doit être écarté et, en conséquence, l’ensemble de la présente branche.

b) Sur la deuxième branche, tirée de l’absence de sélectivité de la mesure d’aide en cause

191 Les requérants, dans l’affaire T 704/15 RENV, soutiennent que l’avantage que représenterait le versement des sommes litigieuses n’est pas sélectif au motif, en substance, que la base juridique sur laquelle les dommages et intérêts leur ont été accordés en arbitrage, à savoir le TBI, constitue une règle juridique générale en matière de responsabilité.

192 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, conteste l’argumentation des requérants.

193 En l’espèce, aux considérants 110 à 115 de la décision attaquée, la Commission a estimé en substance que la mise en œuvre de la sentence arbitrale ou son exécution par la Roumanie octroyait un avantage sélectif aux requérants en arbitrage. Il en serait ainsi non seulement parce que ces derniers seraient les seuls bénéficiaires du versement des sommes litigieuses, mais également parce que le TBI, à la base de ladite sentence, conférerait uniquement un droit à des dommages et intérêts uniquement à un groupe d’investisseurs particulier. En outre, la mesure d’aide en cause dédommagerait les requérants pour la suppression d’incitations aux investissements, lesquelles seraient elles-mêmes sélectives par nature.

194 Le caractère sélectif d’une mesure étatique constitue l’une des caractéristiques de la notion d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En effet, cet article interdit les aides « favorisant certaines entreprises ou certaines productions », c’est-à-dire les aides sélectives. C’est ainsi que des avantages résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques ne constituent pas des aides d’État au sens de cet article (voir arrêt du 9 septembre 2014, Hansestadt Lübeck/Commission, T 461/12, EU:T:2014:758, point 44 et jurisprudence citée).

195 Afin d’apprécier la sélectivité d’une mesure, il convient d’examiner si, dans le cadre d’un régime juridique donné, cette mesure constitue un avantage pour certaines entreprises par rapport à d’autres se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable (voir arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C 487/06 P, EU:C:2008:757, point 82 et jurisprudence citée).

196 En l’espèce, force est de constater, ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission aux considérants 111 et 112 de la décision attaquée, que le TBI ne conférerait un droit à des dommages et intérêts, en cas de différend porté devant un tribunal arbitral, qu’aux investisseurs des pays signataires, et non à l’ensemble des investisseurs de l’Union, soit un nombre limité d’investisseurs. Le TBI ne saurait donc constituer une règle générale d’indemnisation que toute personne pourrait invoquer afin d’exclure la possibilité qu’une indemnité versée sur son fondement confère un avantage sélectif à certaines catégories d’acteurs économiques.

197 Dans ces conditions, dès lors que « des dommages et intérêts n’ont été accordés qu’aux requérants à l’arbitrage », ce que les requérants reconnaissent eux-mêmes expressément, une telle circonstance suffit pour caractériser le caractère sélectif de la mesure d’aide en cause.

198 L’argument des requérants selon lequel tout autre investisseur « aurait pu » réclamer le versement de dommages et intérêts est au demeurant purement hypothétique et il ne ressort pas du dossier qu’une telle hypothèse se serait réalisée. Elle ne concernerait, en tout état de cause, que les seuls investisseurs suédois et non tout autre investisseur.

199 Enfin, le fait qu’une étude, qui n’est pas, en tout état de cause, une norme contraignante, réalisée à la demande de la commission du commerce international du Parlement européen, et dont se prévalent les requérants, attesterait que « les [traités bilatéraux d’investissement] ne peuvent être considérés techniquement comme des [a]ides d’État » est sans incidence sur la sélectivité de la mesure d’aide en cause, puisque cette mesure n’est pas le TBI, ni consiste en un avantage qui y serait prévu.

200 Compte tenu de tout ce qui précède, la présente branche doit être écartée.

c) Sur la troisième branche, tirée de l’absence d’imputabilité à la Roumanie de la mesure d’aide en cause

201 Les requérants soutiennent en substance que, conformément aux articles 53 et 54 de la convention CIRDI, la mise en œuvre ou l’exécution de la sentence arbitrale par la Roumanie est une conséquence involontaire et automatique de ses obligations légales à l’égard des autres signataires de cette convention. La Roumanie étant tenue de mettre en œuvre ou d’exécuter ladite sentence, le versement des sommes litigieuses ne serait donc pas une décision unilatérale et autonome de cet État membre. En conséquence, l’aide alléguée ne pourrait pas lui être imputée pour considérer que celle-ci constituerait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

202 À l’appui de leur raisonnement, les requérants invoquent la jurisprudence issue de l’arrêt du 5 avril 2006, Deutsche Bahn/Commission (T 351/02, EU:T:2006:104, points 100 à 102), selon laquelle les mesures que les États membres seraient tenues d’arrêter en vertu du droit de l’Union et pour lesquelles ils ne disposeraient d’aucun pouvoir d’appréciation ne leur seraient pas imputables. Ils font valoir qu’il devrait en être de même pour les mesures imposées par le droit international.

203 En outre, la sentence arbitrale, conformément à la convention CIRDI, serait exécutoire dans tous les pays contractants, y compris en dehors de l’Union. Les requérants en arbitrage ayant ainsi le droit de procéder à son exécution forcée sur les actifs détenus par la Roumanie à l’étranger, son exécution ne saurait être nécessairement décidée par une juridiction roumaine, de sorte que, également pour cette raison, l’aide alléguée ne saurait être imputable à la Roumanie.

204 Dans leurs observations écrites sur les conclusions à tirer de l’arrêt sur pourvoi, les requérants ajoutent que la sentence arbitrale n’est pas, en tout état de cause, elle-même imputable à la Roumanie. En effet, ladite sentence aurait été prise par un tribunal indépendant, puisque la Roumanie n’exercerait aucun contrôle sur ses décisions, lesquelles ne pourraient pas faire l’objet de recours devant les juridictions roumaines. Pour cette raison, cette sentence ne pourrait pas être imputable à cet État membre.

205 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, conteste l’argumentation des requérantes.

206 Il ressort de la jurisprudence que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent être imputables à l’État (voir arrêt du 13 septembre 2017, ENEA, C 329/15, EU:C:2017:671, point 20 et jurisprudence citée). À cet égard, il convient de relever que, lorsqu’un avantage est accordé par une autorité publique, celui-ci est, par définition, imputable à l’État (voir arrêt du 15 décembre 2021, Oltchim/Commission, T 565/19, EU:T:2021:904, point 160 et jurisprudence citée).

207 En l’espèce, la Commission rappelle, au considérant 43, cinquième tiret, de la décision attaquée qu’elle a considéré, dans la décision d’ouverture, que la décision d’octroi de l’avantage était imputable à la Roumanie, qu’elle ait exécuté la sentence arbitrale de manière volontaire ou sur ordre d’une juridiction.

208 Aux considérants 118 à 120 de la décision attaquée, la Commission relève, tout d’abord, que la décision volontaire de la Roumanie de conclure le TBI a créé les conditions favorables à l’avantage sélectif.

209 La Commission précise, ensuite, que le paiement de la partie des dommages et intérêts accordés aux requérants en arbitrage au titre de la sentence arbitrale par compensation des taxes et des impôts dus aux autorités roumaines par un des requérants ainsi que le versement du solde effectué par ces mêmes autorités étaient imputables à cet État membre, car ces actions avaient été effectuées de manière volontaire dans le cadre de la mise en œuvre de ladite sentence.

210 La Commission considère, en outre, que le versement de la partie des dommages et intérêts effectué par la Roumanie, à la suite des actions entreprises, à la demande des requérants en arbitrage, par les juridictions nationales et les huissiers de justice désignés par ces dernières, est également imputable à cet État membre, puisque de telles actions sont imputables à des autorités publiques de l’État roumain.

211 Relevant que la Roumanie n’était pas tenue par la législation de l’Union d’exécuter la sentence arbitrale, la Commission conclut que « [t]oute décision de mise en œuvre ou d’exécution de [cette] sentence, qu’elle [ait été] prise par le gouvernement roumain ou par les juridictions nationales roumaines, [était] donc imputable à l’État roumain ».

212 Pour contester l’appréciation de la Commission quant à l’imputabilité à la Roumanie de la mesure d’aide en cause, les requérants se fondent, pour l’essentiel, sur la prémisse selon laquelle la mise en œuvre ou l’exécution de la sentence arbitrale par la Roumanie constituait une obligation pour cet État membre envers d’autres signataires de la convention CIRDI.

213 À cet égard, il convient de rappeler que depuis l’adhésion de la Roumanie à l’Union, le système des voies de recours juridictionnel prévu par les traités UE et FUE s’est substitué à la procédure d’arbitrage prévue par le TBI (arrêt sur pourvoi, point 145), de sorte que la sentence arbitrale, prise postérieurement à cette adhésion, n’a produit aucun effet à l’égard de la Roumanie et ne peut être exécutée (ordonnance du 21 septembre 2022, Romatsa e.a., C 333/19, non publiée, EU:C:2022:749, point 43).

214 Dans ces conditions, la Roumanie était tenue d’écarter la sentence arbitrale (voir, en ce sens, ordonnance du 21 septembre 2022, Romatsa e.a., C 333/19, non publiée, EU:C:2022:749, point 44). En conséquence et a fortiori, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la Roumanie avait l’obligation de mettre en œuvre ou d’exécuter cette sentence (voir, en ce sens, ordonnance du 21 septembre 2022, Romatsa e.a., C 333/19, non publiée, EU:C:2022:749, point 43).

215 En tout état de cause, la convention CIRDI ne saurait, en l’espèce, en ce qui concerne l’exécution de la sentence arbitrale, imposer à la Roumanie des obligations auxquelles celle-ci aurait été tenue envers des États tiers et dont ceux-ci seraient en droit de se prévaloir à l’égard de la Roumanie. Ainsi qu’il a été précisé au point 106 ci-dessus, un intérêt purement factuel d’un état tiers ayant conclu la convention CIRDI à ce qu’une telle sentence soit exécutée ne saurait être assimilé à un « droit » à l’égard de cet état tiers créant une obligation de la Roumanie de procéder à ladite exécution [voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2024, Commission/Royaume-Uni (Arrêt de la Cour suprême), C 516/22, EU:C:2024:231, point 76].

216 La prémisse sur laquelle se fonde les requérants à l’appui de la présente branche étant erronée, les arguments sur lesquels elle se fonde sont donc sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

217 Au demeurant, en se bornant à se prévaloir d’une jurisprudence relative au droit de l’Union, les requérants n’apportent aucun élément de nature à établir, ainsi qu’ils le prétendent, qu’un acte qui découlerait d’obligations extérieures à l’ordre juridique interne d’un État membre ne saurait être considéré comme une décision imputable à cet État, aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Ainsi que la Commission le fait observer, admettre le raisonnement des requérants reviendrait dans les faits à permettre à tous les États membres d’échapper au contrôle des aides d’État en contractant une obligation internationale leur imposant d’accorder une mesure d’aide d’État donnée.

218 En outre, le fait que la Roumanie aurait tenté de s’opposer à l’exécution de la sentence arbitrale ou que la Commission n’aurait pu fonder son appréciation de l’imputabilité de la mesure sur le caractère volontaire de l’adhésion de la Roumanie au TBI, comme le soutiennent les requérants, ne saurait signifier que la mise en œuvre ou l’exécution de ladite sentence n’aurait pas été imputable à la Roumanie pour les autres motifs invoqués par la Commission dans la décision attaquée. Il est en effet constant, ainsi qu’il ressort du considérant 120 de ladite décision, repris au point 210 ci-dessus, que les autorités publiques de cet État membre  ont procédé au versement effectif des dommages et intérêts, de sorte qu’elles ont été impliquées dans sa mise en œuvre ou son exécution (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, point 48 et jurisprudence citée).

219 Par ailleurs, s’agissant de la circonstance invoquée par les requérants selon laquelle l’exécution forcée de la sentence arbitrale intervenant à la suite d’une décision de justice rendue par la juridiction d’un État tiers se traduirait par une saisie sur les avoirs de la Roumanie à l’étranger, il suffit de constater qu’une telle exécution n’avait pas eu lieu au moment de l’adoption de la décision attaquée, de sorte qu’un tel argument est dépourvu de pertinence dans le présent litige.

220 Enfin, le fait que la sentence arbitrale a été prise par un tribunal indépendant est sans incidence sur l’appréciation de l’imputabilité de la mesure d’aide en cause. En effet, ainsi que cela ressort des points 125 à 136 ci-dessus, la mesure faisant l’objet de la décision attaquée n’est pas ladite sentence, mais le versement des sommes litigieuses en exécution ou par la mise en œuvre de cette sentence.

221 Compte tenu de tout ce qui précède, la présente branche doit être écartée et, en conséquence, le deuxième moyen dans son ensemble.

3. Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime

222 Les requérants soutiennent en substance que les requérants en arbitrage pouvaient légitimement espérer que la Commission n’empêcherait pas la Roumanie de se conformer à une décision arbitrale rendue au motif de la violation de ses obligations découlant du TBI, puisque la signature de ce type de traité aurait été expressément encouragée par ladite institution, ainsi qu’il ressortirait de l’article 74 de l’accord européen.

223 La Commission n’aurait, à aucun moment, informé les investisseurs qu’une indemnisation versée en cas de violation, par la Roumanie, de ses obligations découlant du TBI serait considérée comme une aide d’État illégale et incompatible à compter de l’adhésion de ce pays à l’Union.

224 En particulier, la Commission n’aurait jamais suggéré que le versement de dommages et intérêts, non pour compenser les conséquences de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause, mais pour indemniser les requérants de la conduite déloyale et non transparente de la Roumanie et le maintien en vigueur déloyal des obligations compensatoires serait considéré comme une aide d’État incompatible.

225 Dans ces conditions, les requérants considèrent que la décision attaquée en ce qu’elle interdit le versement des sommes litigieuses et en ordonne la récupération méconnaît le principe de protection de la confiance légitime.

226 Les requérants dans l’affaire T 704/15 ajoutent que les conditions pour reconnaître la violation par la décision attaquée du principe de protection de la confiance légitime sont également remplies dans la mesure où aucun intérêt public péremptoire ne saurait justifier en l’espèce qu’un tel principe ne fût pas respecté.

227 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, conteste l’argumentation des requérants.

228 Il convient de rappeler que le principe de protection de la confiance légitime, principe fondamental du droit de l’Union, permet à tout opérateur économique à l’égard duquel une institution a fait naître des espérances fondées de s’en prévaloir (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2011, ISD Polska e.a./Commission, C 369/09 P, EU:C:2011:175, point 123).

229 Toutefois, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption par les institutions d’un acte de nature à affecter ses intérêts, il ne peut invoquer le bénéfice de ce principe, lorsque cette mesure est adoptée [voir arrêt du 16 octobre 2014, Portovesme/Commission, T 291/11, EU:T:2014:896, point 66 (non publié) et jurisprudence citée].

230 Le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime suppose la réunion de trois conditions cumulatives. Premièrement, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, doivent avoir été fournies à l’intéressé par l’administration. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants (voir arrêt du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C 630/11 P à C 633/11 P, EU:C:2013:387, point 132 et jurisprudence citée). Deuxièmement, ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de celui auquel elles s’adressent. Troisièmement, les assurances données doivent être conformes aux normes applicables [voir arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T 282/02, EU:T:2006:64, point 77 et jurisprudence citée].

231 En l’espèce, il ressort du considérant 157 de la décision attaquée que la Commission estime, en substance, qu’elle avait clairement informé les requérants en arbitrage, avant l’adoption de la sentence arbitrale, que le versement des sommes litigieuses aurait eu pour effet l’octroi d’une aide d’État illégale et incompatible.

232 Il convient, tout d’abord, de relever que l’article 74 de l’accord européen, invoqué par les requérants à l’appui de leur moyen, et intitulé « Promotion et protection des investissements » dispose que « [l]a coopération [entre la Communauté et la Roumanie] vise à créer un climat favorable aux investissements privés, tant nationaux qu’étrangers, indispensables au redressement économique et industriel de la Roumanie ». Dans ce cadre, cet article prévoit que « [l]a coopération vise, en particulier, à promouvoir […] la conclusion d’accords de promotion et de protection des investissements par les États membres et la Roumanie ».

233 Alors que les requérants ne précisent pas les dispositions de l’article 74 de l’accord européen dont ils entendraient se prévaloir, il suffit de constater, ainsi qu’il a été exposé au point 232 ci-dessus, qu’un tel article vise seulement à promouvoir, de manière générale, la coopération économique entre les États membres et la Roumanie. Il ne saurait en être déduit que, en signant cet accord, la Commission a donné aux requérants l’assurance, et encore moins de manière précise et inconditionnelle, qu’un traité bilatéral d’investissement avait été conclu entre le Royaume de Suède et la Roumanie.

234 À supposer même que la signature du TBI ait été « encouragée » par la Commission, l’adoption de la sentence arbitrale, lors de la signature dudit traité, demeurait, en tout état de cause, purement hypothétique.

235 Il convient, ensuite, de constater que, au cours de la procédure arbitrale, la Commission, intervenant en qualité d’amicus curiae, a soutenu, dans son mémoire du 20 juillet 2009, lequel a été communiqué aux requérants en arbitrage, que les incitations au titre du régime d’incitations fiscales en cause étaient « incompatibles avec les règles communautaires en matière d’aides régionales », en faisant observer, en particulier, que « les incitations ne respectaient pas les exigences du droit communautaire en matière de coûts éligibles et d’intensités de l’aide [et que] les facilités [avaient] constitué une aide au fonctionnement qui n’[était] pas autorisée en vertu des règles en matière d’aides régionales ». La Commission a ainsi soutenu que « [t]oute décision rétablissant les privilèges annulés par la Roumanie ou octroyant des compensations aux requérants en arbitrage pour la perte de ces privilèges constituerait une nouvelle aide qui ne serait pas compatible avec le traité [FUE] » et que « l’exécution [de toute décision imposant à la Roumanie de rétablir les régimes d’investissement qui avaient été déclarés incompatibles avec le marché intérieur pendant les négociations d’adhésion] ne pouvait donc pas se produire si elle était contraire aux règles de la politique de [l’Union] en matière d’aides d’État ».

236 En conséquence, les requérants pouvaient aisément comprendre des observations de la Commission que cette dernière estimait que le versement des dommages et intérêts, qu’ils avaient sollicités en compensation de l’abrogation du régime d’incitations fiscales en cause, aurait pour effet l’octroi d’une aide nouvelle incompatible.

237 À cet égard, le fait que la Commission n’a jamais informé les requérants qu’une indemnisation en réparation d’une conduite déloyale et non transparente de la Roumanie en violation de ses obligations issues du TBI était susceptible de constituer une aide incompatible ne saurait constituer un renseignement de nature à établir que le versement des sommes litigieuses n’était susceptible de constituer une aide d’État.

238 Dans ces conditions, les éléments invoqués par les requérants à l’appui du présent moyen ne sont pas susceptibles de constituer des renseignements précis, inconditionnels et concordants qui auraient été de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de ces derniers.

239 Les requérants dans l’affaire T 704/15 soutiennent également qu’aucun intérêt public péremptoire ne justifiait, en l’espèce, que le principe de protection de la confiance légitime ne soit pas respecté.

240 Aux termes de la jurisprudence dont se prévalent les requérants à l’appui de ce dernier argument, « un intérêt public péremptoire peut s’opposer à l’adoption de mesures transitoires pour des situations nées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation mais non achevées dans leur évolution » (arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C 182/03 et C 217/03, EU:C:2006:416, point 148).

241 Alors que les requérants n’expliquent pas en quoi la situation du présent litige entrerait dans le champ d’application de la jurisprudence rappelée au point 240 ci-dessus, il suffit de relever qu’une telle jurisprudence n’est applicable que dans le cas où une confiance légitime serait reconnue dans le chef des requérants, mais qu’un intérêt public pût malgré tout faire obstacle à sa protection.

242 Or, dès lors, ainsi qu’il ressort du point 238 ci-dessus, que les requérants n’ont apporté aucun élément susceptible d’établir qu’ils remplissaient, en l’espèce, les conditions pour se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime, un tel argument est inopérant.

243 Compte tenu de tout ce qui précède, le troisième moyen doit être écarté.

4. Sur le quatrième moyen, tiré de l’appréciation erronée de la compatibilité de la mesure d’aide en cause avec le marché intérieur

244 Les requérants soutiennent en substance que, à supposer que le versement des sommes litigieuses puisse être qualifié d’aide d’État, la Commission a conclu à tort à son incompatibilité avec le marché intérieur.

245 Premièrement, dans la mesure où une partie des dommages et intérêts a été versée après le 30 juin 2014, la Commission aurait commis une erreur de droit en appréciant la compatibilité de l’aide en cause au regard des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013 (JO 2006, C 54, p. 13, ci-après les « lignes directrices de 2007 »).

246 Deuxièmement, dès lors que la Commission a considéré que l’indemnisation réinstaurait de fait le régime d’incitations fiscales en cause, elle aurait dû examiner la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur pour conclure à l’incompatibilité de l’aide.

247 Troisièmement, alors que l’examen du régime d’incitations fiscales en cause démontrerait qu’aucune décision définitive ne serait intervenue quant à son incompatibilité, un tel régime serait compatible avec le marché intérieur conformément aux dispositions qui lui étaient alors applicables, à savoir les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale (JO 1998, C 74, p. 9, ci-après les « lignes directrices de 1998 »).

248 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, conteste l’argumentation des requérants. Elle fait valoir, en particulier, que la Roumanie n’a pas avancé d’arguments à même de justifier la mesure d’aide en cause au titre de l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE.

249 Conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous a) et c), TFUE, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à favoriser, d’une part, le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi et, d’autre part, le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.

250 À cet égard, il convient de rappeler que la charge de la preuve de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur, en dérogation aux dispositions de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, pèse en principe sur l’État membre concerné, qui doit établir que les conditions de cette dérogation sont réunies (arrêt du 12 septembre 2007, Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, T 68/03, EU:T:2007:253, point 34). À cette fin, il lui appartient de fournir à la Commission tous les éléments nécessaires afin de démontrer la compatibilité avec le marché intérieur des aides projetées (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 1993, Italie/Commission, C 364/90, EU:C:1993:157, point 20).

251 Dans ce cadre, la Commission est habilitée à adopter une décision sur la base des informations disponibles, si l’État membre s’abstient, en violation de son devoir de coopération, de lui fournir les informations qu’elle lui a demandées soit pour examiner la qualification et la compatibilité avec le marché commun d’une aide nouvelle ou modifiée, soit pour vérifier l’application régulière d’une aide précédemment approuvée (arrêt du 24 septembre 2019, Fortischem/Commission, T 121/15, EU:T:2019:684, point 158).

252 En l’espèce, la Commission a observé, au considérant 142 de la décision attaquée, que la Roumanie, sur laquelle reposait la charge de la preuve, n’avait fourni aucun élément justifiant de la compatibilité de la mesure d’aide en cause. Répondant à l’argument des requérants invoqué lors de la procédure formelle d’examen selon lequel la mesure d’aide en cause constituait une aide régionale compatible, elle a constaté, aux points 143 et 144 de la décision attaquée, qu’un droit inconditionnel à une aide d’État avait été accordé à ceux-ci par la sentence arbitrale, adoptée le 11 décembre 2013, et en a déduit que la compatibilité du versement des dommages et intérêts accordés par le tribunal arbitral devrait être apprécié, dans l’hypothèse avancée par ceux-ci, sur le fondement des lignes directrices de 2007, lesquelles auraient été applicables aux aides accordées avant le 1er juillet 2014.

253 Dans ce cadre, la Commission a estimé que le versement des sommes litigieuses correspondait à une aide au fonctionnement et a procédé à l’analyse de sa compatibilité au regard des points 76, 77 et 79 des lignes directrices de 2007, lesquelles préciseraient les conditions dans lesquelles, à titre exceptionnel, une aide au fonctionnement peut être accordée dans les régions couvertes par l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE.

254 En substance, la Commission a estimé, ainsi qu’il ressort des considérants 146 à 149 de la décision attaquée, que les activités économiques qui avaient bénéficié de l’exécution de la sentence arbitrale se trouvaient dans une région relevant du champ d’application de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE. Elle a considéré, pour l’essentiel, que le versement des sommes litigieuses aux requérants en arbitrage n’était pas justifié par sa contribution au développement régional des zones concernées, car ce versement aurait consisté en un apport de fonds accordé gratuitement, sans aucune incidence positive sur la région en cause.

255 À cet égard, la Commission, après avoir constaté, au considérant 142 de la décision attaquée, que la Roumanie n’avait fourni aucun élément de nature à justifier la mesure d’aide en cause, a précisé, au considérant 150 de cette même décision, que, en l’absence de preuves, elle n’avait pas pu identifier l’existence de handicaps spécifiques que la mesure, pour être compatible avec le marché intérieur, aurait visé à pallier, conformément aux dispositions pertinentes des lignes directrices de 2007.

256 La Commission a conclu, au considérant 152 de la décision attaquée, que le versement des dommages et intérêts accordés par la sentence arbitrale n’était pas conforme aux lignes directrices de 2007 et ne pouvait, par conséquent, être déclaré compatible avec le marché intérieur. Elle a ajouté que, dès lors qu’aucune autre base sur laquelle fonder sa compatibilité ne pouvait être appliquée, ladite compatibilité ne pouvait être établie.

257 Il ressort du dossier, ainsi qu’il a été précisé au point 19 ci-dessus, que la Roumanie a été informée par lettre du 1er octobre 2014 de l’ouverture de la procédure formelle d’examen de la mesure d’aide en cause. La Commission a rappelé dans cette lettre que, lors de l’évaluation de la compatibilité d’une mesure avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE, la charge de la preuve incombait à l’État membre concerné. Dans ce contexte, elle a constaté que, à ce jour, la Roumanie n’avait fourni aucun argument susceptible de justifier la mesure d’aide en cause au titre de l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE.

258 La Commission a toutefois estimé dans sa lettre du 1er octobre 2014 qu’il convenait, en substance, de procéder à une évaluation préliminaire de la compatibilité de la mesure d’aide en cause au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous a) et c), TFUE. Après avoir examiné si la mesure d’aide en cause était susceptible d’être destinée à promouvoir le développement économique de certaines régions défavorisées de Roumanie, elle a conclu avoir de sérieux doutes quant à la possibilité que la mesure d’aide en cause puisse être déclarée compatible avec le marché intérieur au titre des lignes directrices de 2007 ainsi que des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2014-2020 (JO 2013, C 209, p. 1, ci-après les « lignes directrices de 2014 »).

259 Dans ses observations sur l’ouverture de la procédure formelle d’examen, ainsi qu’il ressort du considérant 47 de la décision attaquée, sans que cela soit contesté par les parties requérantes, la Roumanie a affirmé que la mesure d’aide en cause ne constituait pas une mesure d’aide nouvelle incompatible au motif qu’elle devait être considérée comme des dommages et intérêts pour les préjudices subis au sens de l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457).

260 Il ressort des points 170 à 190 ci-dessus, que les sommes litigieuses ne pouvaient, en tout état de cause, constituées des dommages et intérêts au sens de la jurisprudence invoquée par la Roumanie.

261 Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la Commission a conclu que la Roumanie n’avait pas fourni d’arguments de nature à justifier la compatibilité de la mesure d’aide en cause.

262 Par ailleurs, il convient de relever que, en l’espèce, la Roumanie, qui n’avait pas au demeurant notifié la mesure d’aide en cause à la Commission, a été expressément invitée à présenter ses observations sur la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur dans le cadre de l’ouverture de la procédure formelle d’examen. La Commission lui a clairement exposé les raisons pour lesquelles elle considérait avoir de sérieux doutes quant à cette compatibilité en tant qu’aide régionale.

263 En conséquence, la Roumanie s’étant bornée à contester la nature de la mesure d’aide en cause sans répondre aux arguments relatifs à l’incompatibilité de cette mesure avec le marché intérieur, sur lesquels elle avait été en mesure de faire valoir ses observations, la Commission pouvait, à bon droit, considérer qu’il lui appartenait d’effectuer de sa propre initiative une appréciation de la compatibilité de ladite mesure pour en conclure que, en l’absence de base applicable autres que les lignes directrices de 2007, ladite compatibilité, après avoir procédé à son examen au regard desdites lignes directrices, n’était pas établie en l’espèce.

264 À cet égard, s’agissant, tout d’abord, de la première branche, il convient de relever que le point 105 des lignes directrices de 2007 précise que celles-ci sont applicables à « l’ensemble des aides à finalité régionale accordées après le 31 décembre 2006 », « les aides régionales attribuées ou accordées avant 2007 » étant évaluées au regard des lignes directrices de 1998.

265 En application de l’article 186 des lignes directrices de 2014, la Commission a étendu les lignes directrices de 2007 jusqu’au 30 juin 2014.

266 Conformément à l’article 188 des lignes directrices de 2014, les principes qui y sont énoncés aux fins de l’appréciation de la compatibilité avec le marché intérieur sont applicables « à toutes les aides à finalité régionale qui seront attribuées après le 30 juin 2014 ».

267 L’article 188 des lignes directrices de 2014 précise également que « les aides à finalité régionale accordées illégalement ou les aides à finalité régionale qui seront attribuées après le 31 décembre 2013 et avant le 1er juillet 2014 seront appréciées à la lumière des [lignes directrices de 2007] ».

268 À cet égard, le point 20, sous d), des lignes directrices de 2014 définit la notion de « date d’attribution de l’aide » comme la « date à laquelle l’État membre s’est engagé, de manière juridiquement contraignante, à accorder l’aide, qui peut être invoquée devant une juridiction nationale ».

269 Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que les aides d’État à finalité régionale accordées entre le 1er janvier 2007 et jusqu’au 30 juin 2014 relèvent, pour l’appréciation de leur compatibilité avec le marché intérieur, des lignes directrices de 2007.

270 Or, l’aide a été accordée, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, par la sentence arbitrale, à savoir le 11 décembre 2013 (arrêt sur pourvoi, points 115 et 123 à 125). Elle a donc été accordée antérieurement au 31 décembre 2013.

271 Dès lors, les lignes directrices de 2007 étaient applicables au versement des sommes litigieuses.

272 Indépendamment de la date à laquelle est intervenu le versement effectif des sommes litigieuses, les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que la Commission a commis une erreur de droit pour avoir apprécié la compatibilité de la mesure d’aide en cause au regard des lignes directrices de 2007. Par voie de conséquence, les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir que la Commission aurait dû appliquer les lignes directrices de 1998.

273 La présente branche doit donc être écartée.

274 S’agissant, ensuite, de la deuxième branche, il ressort de la décision attaquée que la Commission a considéré que le versement des sommes litigieuses, dans l’hypothèse où il aurait constitué une aide au fonctionnement à finalité régionale, était incompatible avec le marché intérieur. Si la Commission a considéré que la mise en œuvre de la sentence arbitrale avait rétabli la situation dans laquelle les requérants en arbitrage se seraient trouvés selon toutes probabilités si le régime d’incitations fiscales en cause n’avait jamais été abrogé, une telle circonstance ne saurait avoir modifié l’objet de la décision attaquée, lequel concerne le versement de dommages et intérêts en exécution de ladite sentence et non le versement d’une aide, y compris d’un montant égal à l’indemnisation accordée aux requérants, dans le cadre dudit régime.

275 Au demeurant, le régime d’incitations fiscales en cause ayant été abrogé et aucune aide n’ayant été versée après son abrogation, les sommes versées aux requérants en exécution de la sentence arbitrale n’ont pu l’être en application de ce régime, ainsi que l’a d’ailleurs constaté à juste titre la Commission au considérant 105 de la décision attaquée.

276 Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la Commission aurait dû examiner la compatibilité du régime d’incitations fiscales en cause et non celle du versement des dommages et intérêts accordés par la sentence arbitrale.

277 La présente branche doit donc être écartée.

278 S’agissant, enfin, de la troisième branche, il suffit de constater que l’objet de la décision attaquée n’est pas le régime d’incitations fiscales en cause. Les considérations sur l’illégalité ou l’absence de motivation alléguée de la décision du Conseil de la concurrence roumain sont ainsi sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Il en est de même du fait qu’aucune décision n’aurait constaté l’incompatibilité définitive d’un tel régime fiscal ou du fait qu’il aurait été compatible avec le marché intérieur sur le fondement des lignes directrices de 1998.

279 Au surplus, les requérants n’apportent aucun élément de nature à remettre en cause l’appréciation effectuée par la Commission aux considérants 145 à 151 de la décision attaquée par lesquels elle a estimé que le versement des sommes litigieuses constituait une aide au fonctionnement qui n’était pas, en substance, justifiée par sa contribution au développement régional des zones au titre desquelles elle aurait été versée.

280 Si les requérants soutiennent, à cet égard, que « leurs investissements [avaient] considérablement contribué au développement économique » de la région minière de Ștei-Nucet, ils n’apportent aucun élément ni aucune donnée documentée susceptible de corroborer les « considérations [de la requête] en matière de créations d’emplois, de formation, de commandes aux fournisseurs locaux » dont ils se sont prévalus. En particulier, ils n’établissent pas que le niveau des sommes versées était proportionnel aux handicaps que celles-ci visaient à pallier, en affirmant seulement que de tels handicaps étaient « colossaux », sans justifier les éléments chiffrés dont ils se réclament ni démontrer en quoi ils étaient de nature à créer un obstacle au développement de la région concernée par leurs investissements.

281 En se bornant à affirmer que « si une évaluation appropriée [du régime d’incitations fiscales en cause] avait été réalisée, il est probable qu[e,] au moins une partie de ces incitations aurait été qualifiée d’aide régionale compatible », les requérants ne contestent ainsi pas valablement les conclusions de la Commission, reprises au considérant 149 de la décision attaquée, selon lesquelles l’aide versée n’a eu « aucune incidence positive sur le développement de la région ».

282 Lors de l’audience, les requérants ont cependant soutenu qu’ils n’avaient pas produit d’éléments précis concernant les effets de leurs investissements au motif qu’ils n’y avaient pas été invités au cours de la procédure. Une telle circonstance, à la supposer même fondée, est sans incidence sur leur obligation, devant le Tribunal, d’établir, par des éléments de preuve, la matérialité des affirmations dont ils entendent se prévaloir à l’appui de leur moyen.

283 Compte tenu de tout ce qui précède, la présente branche doit donc être écartée et, en conséquence, le quatrième moyen dans son ensemble.

5. Sur le cinquième moyen, tiré de la détermination erronée des bénéficiaires de la mesure d’aide en cause et d’un défaut de motivation

284 Les requérants soutiennent que la Commission a entaché son appréciation des bénéficiaires de la mesure d’aide en cause d’une erreur manifeste et d’un défaut de motivation en concluant que, premièrement, MM. Ioan et Viorel Micula, en tant que personnes physiques, faisaient partie d’une entité économique unique avec les autres parties requérantes, sans démontrer que ceux-ci exerçaient eux-mêmes une activité économique pour être considérés comme des entreprises au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, deuxièmement, l’ensemble d’entre eux formaient une entité économique unique et, troisièmement, les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à l’arbitrage étaient bénéficiaires de la mesure d’aide en cause.

285 La Commission conteste l’argumentation des requérants.

286 Dans un souci de bonne administration de la justice, il convient d’examiner la seconde branche du présent moyen, relative à un défaut de motivation de la décision attaquée, avant la première branche de ce moyen, relative au bien-fondé de ladite décision.

287 Compte tenu des arguments soulevés à l’appui du présent moyen, il est également opportun d’apprécier chaque branche de ce moyen, d’une part, en ce qu’elle concerne MM. Ioan et Viorel Micula et, d’autre part, en ce qu’elle concerne les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale.

a) Sur la seconde branche, tirée d’un défaut de motivation

288 Il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE, lequel dispose que les actes juridiques sont motivés, constitue une formalité substantielle (arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C 535/14 P, EU:C:2015:407, point 37) et doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Ainsi, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées par ledit acte au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences prévues par l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C 367/95 P, EU:C:1998:154, point 63, et du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390/06, EU:C:2008:224, point 79).

289 À cet égard, il convient de relever, à titre liminaire, que, contrairement à ce que prétendent les requérants, la Commission pouvait, sans modifier la motivation de la décision attaquée, se prévaloir d’éléments tirés de la sentence arbitrale, que ces derniers ont eux-mêmes annexée à la requête, mais qui n’auraient pas été repris dans la motivation de ladite décision, pour répondre aux arguments que ceux-ci ont présentés au cours de la procédure contentieuse devant le Tribunal.

290 Ainsi qu’il a été rappelé au point 288 ci-dessus, la motivation d’un acte s’apprécie en effet non seulement à l’aune du contenu de l’acte attaqué lui-même, mais également du contexte dans lequel celui-ci s’insère, contexte que constituent en l’espèce la procédure arbitrale et la sentence arbitrale qui en a résulté.

291 De tels éléments étaient d’ailleurs connus des requérants en arbitrage, auxquels la sentence arbitrale était destinée. En outre, il y a lieu de considérer que les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale étaient en mesure de connaître de tels éléments de manière indirecte, par l’intermédiaire de MM. Ioan et Viorel Micula, à savoir leurs actionnaires majoritaires (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 septembre 2007, Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, T 68/03, EU:T:2007:253, point 45).

292 Dans ces conditions, les requérants ne sauraient utilement soutenir que la Commission, en répondant aux arguments qu’ils avaient développés dans la requête et la réplique, a complété la motivation de la décision attaquée en se référant au contenu de la sentence arbitrale.

293 En l’espèce, la Commission a conclu, ainsi qu’il ressort du considérant 91 de la décision attaquée, ce qui suit :

« [L]es frères Micula et les trois [entreprises] requérantes [en arbitrage] forment ensemble une seule unité économique qui constitue une entreprise aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE]. Les autres sociétés du groupe EFDG pour les pertes présumées desquelles des dommages et intérêts ont été accordés aux frères Micula en vertu de la sentence (European Drinks SA, Rieni Drinks SA, Scandic Distilleries SA, Transilvania General Import-Export SRL, West Leasing SRL) font partie également de cette unité économique unique. Le bénéficiaire final de la mesure d’aide est cette entité économique unique formée des cinq requérants [en arbitrage] et des sociétés concernées du groupe EFDG ».

1) Sur la motivation de la décision attaquée en ce qu’elle désigne MM. Ioan et Viorel Micula comme bénéficiaires de la mesure d’aide en cause

294 Après avoir indiqué, au considérant 85 de la décision attaquée, que les trois entreprises requérantes en arbitrage et MM. Ioan et Viorel Micula formaient ensemble une seule unité économique aux fins de l’application des règles relatives aux aides d’État, la Commission en a déduit que cette entité économique unique devait être regardée comme l’entreprise en cause et a exposé, aux considérants 85 à 89 de cette décision, les raisons pour lesquelles elle estimait que les cinq requérants en arbitrage formait une unité économique unique. En particulier, elle a relevé que MM. Ioan et Viorel Micula détenaient, directement ou indirectement, la quasi-totalité du capital des entreprises requérantes, de sorte qu’ils exerçaient, en vertu de leurs droits de propriété « presque exclusifs », le « contrôle entier » sur ces mêmes entreprises. Au considérant 88 de ladite décision, elle a ajouté que les entreprises requérantes en arbitrage avaient demandé que les sommes litigieuses soient versées à MM. Ioan et Viorel Micula et en a conclu qu’un tel comportement prouvait le manque d’autonomie des entreprises requérantes en arbitrage à l’égard de ces derniers.

295 Enfin, en réponse aux arguments des requérants, la Commission s’est référée, dans la présente instance, à la sentence arbitrale en exposant leurs propres témoignages dont il ressortirait qu’ils formaient une seule et même entreprise avec les entreprises requérantes en arbitrage. Elle a ainsi souligné que, lors de la procédure arbitrale, les requérants en arbitrage avaient qualifié leur organisation entrepreneuriale de « modèle d’entreprise intégré », d’« entreprise familiale dont les décisions étaient prises verbalement et qui n’avait pas pour habitude de fonctionner sur la base de plans écrits » ou encore de « système intégré d’entreprises de production ».

296 Dans ces conditions, la décision attaquée est suffisamment motivée pour permettre à MM. Ioan et Viorel Micula de connaître les justifications par lesquelles la Commission a estimé qu’ils devaient être regardés comme formant, avec les entreprises requérantes en arbitrage, une entité économique unique pour l’application de la réglementation relative aux aides d’État, de sorte qu’ils soient considérés comme bénéficiaires de la mesure d’aide en cause. La motivation de ladite décision était d’autant plus suffisante que celle-ci a été prise dans un contexte bien connu de ces derniers (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2017, Grèce/Commission, T 314/15, non publié, EU:T:2017:903, point 110 et jurisprudence citée).

297 Le premier grief de la présente branche doit donc être écarté.

2) Sur la motivation de la décision attaquée en ce qu’elle désigne les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale comme bénéficiaires de la mesure d’aide en cause

298 Ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, la Commission, après avoir rappelé, aux considérants 81 et 82 de ladite décision, la définition d’une entreprise au sens de la jurisprudence et les conditions permettant de considérer que des entités juridiques, physiques ou morales, pouvaient ensemble constituer une entité économique unique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État, a indiqué les raisons pour lesquelles elle estimait que l’ensemble des requérants, y compris les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale, formait une entité économique unique.

299 S’agissant de l’appartenance à une entité économique unique des entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale, la Commission, après avoir relevé que celles-ci faisaient partie d’un groupe d’entreprises plus large, à savoir le groupe EFDG, a relevé, au considérant 87 de la décision attaquée, que les requérants en arbitrage avaient demandé, au cours de la procédure, des dommages et intérêts pour les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à l’arbitrage et a quantifié le montant de l’indemnisation sollicitée sur les pertes prétendument subies par ledit groupe dans son ensemble. Elle a également indiqué, au même considérant, que le tribunal arbitral avait établi que MM. Ioan et Viorel Micula détenaient au moins 99,96 % de leur capital et a souligné que le comportement des requérants en arbitrage et les évaluations de l’indemnisation opérées par ledit tribunal démontraient que « les frères Micula et les trois sociétés requérantes [en arbitrage], ainsi que les sociétés […] faisant partie d[u groupe] EFDG, [lesquelles n’étaient pas parties à la procédure arbitrale] constitu[ai]ent une seule unité économique à intérêt économique unique ». Elle a précisé au considérant 89 de ladite décision que, de fait, en vertu de leur droit de propriété, MM. Ioan et Viorel Micula exerçaient un « contrôle entier » sur les entreprises qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale. Dans ces conditions, ainsi qu’il a été précisé au point 293 ci-dessus, la Commission a conclu que « le bénéficiaire final de la mesure d’aide [était] cette entité économique unique formée des cinq requérants [en arbitrage] et des sociétés concernées [dudit groupe] ».

300 En réponse aux arguments des requérants dans la présente instance, la Commission, en se référant aux témoignages des requérants produits lors de la procédure arbitrale, a en outre considéré que le développement du groupe EFDG avait suivi un plan d’entreprise intégré et unique, « les nouvelles entreprises et les nouveaux investissements [ayant été] intégrés dans les entreprises et investissements existants, de sorte que toutes les entreprises [avaient] coopéré pour créer, fabriquer, conditionner et distribuer les produits de manière efficace ».

301 Il ressort de la motivation de la décision attaquée, et du contexte dans lequel elle a été prise, que les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale ont été en mesure de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission a estimé qu’elles devaient également être regardées comme les bénéficiaires de la mesure d’aide en cause.

302 À cet égard, l’argument des requérants tiré de ce que la décision attaquée ne fournit aucune motivation quant à la prétendue « jouissance effective » de la mesure d’aide en cause par les entreprises non requérantes à la procédure arbitrale est, au surplus, inopérant, puisque la Commission ne s’est nulle part fondée, dans ladite décision, sur la notion de « jouissance effective » pour identifier les bénéficiaires de cette mesure.

303 Compte tenu de tout ce qui précède, le second grief de la présente branche doit être écarté et, en conséquence, ladite branche dans son ensemble.

b) Sur la première branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation

304 Les requérants soutiennent que la Commission n’a pas démontré, à suffisance de droit et en substance, que MM. Ioan et Viorel Micula, en raison de leur participation au capital des entreprises du groupe EFDG ainsi que, en raison des liens qui les uniraient auxdites entreprises, auraient été en mesure, au-delà de l’exercice de leurs droits en qualité d’actionnaires dans ces entreprises, d’intervenir effectivement dans la gestion concrète des entreprises de ce groupe, de sorte à former avec de telles entreprises une entité économique unique.

305 Les requérants font valoir, en particulier, que les motifs de la décision attaquée, relatifs à l’existence d’intérêts majoritaires, au demeurant non démontrée, dans le capital des entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale, au fait que MM. Ioan et Viorel Micula ont été autorisés durant la procédure d’arbitrage à demander des dommages et intérêts pour des pertes qu’ils ont subies à travers ces entreprises et à la circonstance selon laquelle le tribunal arbitral a « collectivement » indemnisé les cinq requérants en arbitrage, ne suffisent pas pour démontrer l’existence d’un contrôle de MM. Ioan et Viorel Micula sur la prétendue unité économique qu’ils formeraient avec les entreprises du groupe EFDG.

306 Selon les requérants, puisqu’une aide d’État ne peut pas bénéficier à des personnes physiques qui ne sont pas elles-mêmes des entreprises, la Commission a donc entaché la décision attaquée d’une erreur manifeste d’appréciation en désignant MM. Ioan et Viorel Micula, qui n’exerçaient aucune activité économique, comme bénéficiaires de la mesure d’aide en cause.

307 Les requérants ajoutent que, alors que MM. Ioan et Viorel Micula ont été indemnisés par la sentence arbitrale pour les préjudices qu’ils ont subis en leur seule qualité d’actionnaires des entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale, ces dernières, qui n’ont reçu aucune somme, ne peuvent pas non plus être regardées comme bénéficiaires de la mesure d’aide en cause.

308 Au demeurant, l’analyse à laquelle le tribunal arbitral aurait procédé dans la sentence arbitrale concernerait la période comprise entre les années 2000 et 2009, et non la période prise en compte dans la décision attaquée.

309 Il convient de rappeler que le droit de la concurrence de l’Union et, en particulier, l’interdiction énoncée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE visent les activités des entreprises (arrêt du 25 juillet 2018, Commission/Espagne e.a., C 128/16 P, EU:C:2018:591, point 34).

310 Selon une jurisprudence constante, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d’« entreprise » comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C 222/04, EU:C:2006:8, point 107 et jurisprudence citée).

311 Constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (voir arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C 74/16, EU:C:2017:496, point 45 et jurisprudence citée).

312 Ce faisant, le droit de la concurrence de l’Union, en visant les activités des entreprises, consacre comme critère décisif l’existence d’une unité de comportement sur le marché, sans que la séparation formelle entre diverses sociétés résultant de leur personnalité juridique distincte puisse s’opposer à une telle unité aux fins de l’application des règles de concurrence (arrêt du 27 juin 2024, Unichem Laboratories/Commission, C 166/19 P, non publié, EU:C:2024:548, point 52).

313 Dès lors, lorsque des personnes physiques ou morales juridiquement distinctes constituent une unité économique, il y a lieu de les traiter comme une seule entreprise au regard de l’application des règles de concurrence de l’Union. Dans le domaine des aides d’État, la question de savoir s’il existe une unité économique se pose lorsqu’il s’agit d’identifier le bénéficiaire d’une aide [voir arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM; Covid-19), T 643/20, EU:T:2021:286, point 46 et jurisprudence citée].

314 Parmi les éléments pris en compte par la jurisprudence pour déterminer la présence ou l’absence d’une unité économique dans le domaine des aides d’État figurent notamment la participation de l’entreprise concernée à un groupe de sociétés dont le contrôle est exercé directement ou indirectement par l’une d’entre elles, la poursuite d’activités économiques identiques ou parallèles, l’absence d’autonomie économique des sociétés concernées, la formation d’un groupe unique contrôlé par une seule entité, la possibilité pour une entité détenant des participations de contrôle dans une autre société d’exercer des fonctions de contrôle, d’impulsion et de soutien financier sur cette société ainsi que l’existence de liens organiques et fonctionnels entre ces sociétés [voir arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM; Covid-19), T 643/20, EU:T:2021:286, point 47 et jurisprudence citée].

315 Si, le plus souvent, l’activité économique est exercée directement sur le marché, il n’est donc pas exclu qu’elle soit le fait à la fois d’un opérateur en contact direct avec le marché et, indirectement, d’une autre entité contrôlant cet opérateur dans le cadre d’une unité économique qu’ils forment ensemble (arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C 222/04, EU:C:2006:8, points 109 et 110).

316 Il convient cependant de souligner que la simple détention de participations, même de contrôle, ne suffit pas à caractériser une activité économique de l’entité détentrice de ces participations, lorsqu’elle ne donne lieu qu’à l’exercice des droits attachés à la qualité d’actionnaire ou d’associé ainsi que, le cas échéant, à la perception de dividendes, simples fruits de la propriété d’un bien (arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C 222/04, EU:C:2006:8, point 111).

317 En revanche, une entité qui, détenant des participations de contrôle dans une société, exerce effectivement ce contrôle en s’immisçant directement ou indirectement dans la gestion de celle-ci doit être considérée comme prenant part à l’activité économique exercée par l’entreprise contrôlée et doit donc elle-même, à ce titre, être qualifiée d’entreprise, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C 222/04, EU:C:2006:8, points 112 et 113).

318 La Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer si des sociétés faisant partie d’un groupe doivent être considérées comme une unité économique ou bien juridiquement et financièrement autonomes aux fins de l’application du régime des aides d’État (arrêt du 29 juin 2000, DSG/Commission, T 234/95, EU:T:2000:174, point 124).

319 Le contrôle du juge de l’Union se limite à la vérification, outre du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir. À cette fin, le juge de l’Union doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité, leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées [voir arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM; Covid-19), T 643/20, EU:T:2021:286, points 69 et 70 et jurisprudence citée].

320 À cet égard, la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée par le juge de l’Union en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée, lesquels incluent ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation à effectuer et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C 300/16 P, EU:C:2017:706, points 70 et 71).

1) Sur le premier grief, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation concernant la désignation de MM. Ioan et Viorel Micula comme bénéficiaires de la mesure d’aide en cause

321 En l’espèce, il est constant que l’ensemble des requérants en arbitrage ont été destinataires du versement des sommes litigieuses. MM. Ioan et Viorel Micula reconnaissent, explicitement, avoir été bénéficiaires dudit versement dans leurs réponses aux questions écrites que le Tribunal leur a adressées le 30 mai 2023 par une mesure d’organisation de la procédure prise sur le fondement de l’article 89 du règlement de procédure (ci-après la « mesure d’organisation de la procédure du 30 mai 2023 »).

322 Le fait qu’une partie des sommes a été « bloquée » sur un compte ouvert au nom des cinq requérants en arbitrage n’est pas de nature à remettre en cause ce constat. En effet, un transfert effectif des ressources d’État n’est pas exigé dès lors que le droit est conféré aux bénéficiaires (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Arriva Italia e.a., C 385/18, EU:C:2019:1121, point 36).

323 MM. Ioan et Viorel Micula soutiennent, toutefois, que les sommes litigieuses ne sauraient, en substance, leur avoir bénéficié qu’en tant qu’actionnaires des entreprises du groupe EFDG et pas en tant qu’entités exerçant une activité économique. Cela ressortirait en particulier du raisonnement que le tribunal arbitral a suivi au soutien de la sentence arbitrale.

324 En premier lieu, sans que les requérants remettent en cause les constatations factuelles effectuées par le tribunal arbitral et reprises au soutien de la décision attaquée, il ressort du dossier que, lors de la procédure arbitrale, ainsi qu’en attestent les observations et témoignages produits par les requérants en arbitrage le 22 décembre 2009 et repris au soutien de la sentence arbitrale, MM. Ioan et Viorel Micula, après le succès de leurs investissements initiaux, ont élargi, ainsi qu’il ressort du point 160 de ladite sentence, leurs activités de production de boissons, en construisant ce qui deviendrait un système de production intégré. À cet égard, les requérants en arbitrage ont fait valoir, ainsi qu’il ressort du point 161 de cette sentence, que l’expansion de leurs activités de production, à travers la création de nouvelles entreprises, avait été prévue pour coïncider avec l’expiration des incitations fiscales prévues pour les entreprises précédentes. Les nouvelles entreprises et les nouveaux investissements étaient ainsi intégrés dans les entreprises et les investissements existants, de sorte que toutes les entreprises auraient coopéré « pour créer, fabriquer, conditionner et distribuer les produits de manière efficace ». En particulier, il ressort de leur réplique du 22 décembre 2009, reprise au point 164 de la même sentence, que les requérants en arbitrage ont déplacé leur distillerie, devenue plus tard la société Scandic Distilleries, dans le département de Bihor pour bénéficier du régime d’incitations fiscales en cause.

325 Alors que MM. Ioan et Viorel Micula avaient initialement prévu de réorienter leurs activités de la région minière de Ștei-Nucet, ils ont décidé, ainsi qu’il est précisé au point 554 de la sentence arbitrale, de rester dans le département de Bihor pour bénéficier du régime d’incitations fiscales en cause. À cet égard, ils ont déclaré que les entreprises requérantes European Food, Starmill et Multipack avaient été créées, la première, pour importer la majorité des matières premières, la deuxième, pour créer des installations de meunerie à grains intégrées en interne, et la troisième, pour établir l’emballage et l’étiquetage de la quasi-totalité des produits des sociétés du groupe. Ils ont également indiqué, ainsi qu’il ressort de leurs témoignages produits le 22 décembre 2009, que leur modèle de stratégie commerciale visait, grâce à une intégration verticale de leurs installations, à atteindre une rentabilité à long terme en tirant bénéfice dudit régime. Les requérants en arbitrage ont ainsi dû réaliser un investissement initial pour tirer parti des incitations à développer une activité intégrée, compétitive et efficace à long terme.

326 Il ressort également des observations produites par les requérants en arbitrage le 13 mai 2011, telles qu’elles sont reprises au point 555 de la sentence arbitrale, qu’ils se définissaient comme des « entreprises familiales » et que MM. Ioan et Viorel Micula avaient soigneusement examiné l’impact du régime d’incitations fiscales en cause, la manière dont ils pouvaient en profiter, et avaient comparé, avant de prendre la décision d’y investir, les inconvénients d’opérer dans une région défavorisée, qui manquait d’infrastructures et de travailleurs qualifiés, et les avantages procurés par ce régime.

327 Les requérants en arbitrage ont également fait état, lors de la procédure arbitrale, ainsi que cela ressort du point 1067 de la sentence arbitrale, de leur « modèle économique global » qui consistait à construire une « plateforme de production » durable à l’expiration du régime d’incitations fiscales en cause.

328 Il ressort du témoignage de l’un de leurs intervenants, dont il est fait référence au point 1072 de la sentence arbitrale, cité en défense, et repris au point 1071 de ladite sentence, que ce dernier a inclus, dans le cadre de sa première déclaration, des diagrammes montrant l’« intégration des différentes installations », lesquels ont permis de souligner, en substance, que la planification initiale du groupe EFDG concernant le partage de cette infrastructure avait permis de réaliser d’importantes économies, lesquelles avaient été réinvesties dans l’« expansion et l’intégration de l’entreprise ».

329 Il ressort des témoignages et des observations ainsi produits par les requérants en arbitrage lors de la procédure arbitrale que MM. Ioan et Viorel Micula intervenaient dans les activités économiques des entreprises requérantes qui étaient parties à ladite procédure, en s’immisçant directement ou indirectement dans leur gestion.

330 En deuxième lieu, il convient d’ajouter que l’indemnisation collective accordée par la sentence arbitrale et le fait que les entreprises requérantes en arbitrage ont demandé, lors de la procédure arbitrale, que les sommes litigieuses soient versées à MM. Ioan et Viorel Micula, ce que ces derniers ne contestent pas, corroborent l’existence d’une absence d’autonomie tant fonctionnelle qu’organisationnelle des entreprises requérantes en arbitrage à l’égard de ces derniers.

331 En troisième et dernier lieu, il ressort du point 1245 de la sentence arbitrale, dont s’est prévalue la Commission, que le tribunal arbitral n’a pas eu « l’intention de se pencher sur la question de savoir si les dommages et intérêts des actionnaires [étaient] équivalents au préjudice subi par la société sous-jacente » et a ajouté qu’il était convaincu que, « compte tenu de l’importance de leur participation dans les sociétés [du groupe EFDG, MM. Ioan et Viorel Micula] […] [avaient] subi indirectement au moins une grande partie, voire la quasi-totalité, du préjudice subi directement par les sociétés requérantes ». Dans ces conditions, les requérants ne sauraient soutenir que MM. Ioan et Viorel Micula ont été dédommagés exclusivement en leur qualité d’actionnaires des entreprises en cause.

332 Les autres arguments des requérants ne sauraient pas davantage venir utilement au soutien de leurs prétentions.

333 Le fait, tout d’abord, que ni M. Ioan Micula ni M. Viorel Micula ne détient, à lui seul, la majorité du capital d’aucune des entreprises du groupe EFDG est sans incidence quant à l’existence d’une entité économique unique entre ceux-ci et lesdites entreprises dès lors que ces derniers sont, ensemble, actionnaires majoritaires des mêmes entreprises.

334 Les requérants font ensuite valoir que les éléments tirés de la sentence arbitrale se rapportent uniquement à la période comprise entre les années 2000 et 2009 et ne seraient donc pas pertinents pour apprécier l’existence d’une entité économique unique lorsque la décision attaquée a été prise.

335 Il convient de relever à cet égard que, dans ses réponses aux questions écrites qui lui avaient été posées dans le cadre de la mesure d’organisation de la procédure du 30 mai 2023, la Commission a indiqué que « les requérants n’[avaient] jamais prétendu au cours de la procédure formelle d’examen que [les] liens [de contrôle] de MM. Ioan et Viorel Micula sur les sociétés [du groupe] EFDG pour lesquelles des dommages et intérêts [avaient] été accordés avaient changé après [la] période [couverte par l’indemnisation] ». La Commission a ajouté que, alors que la question de l’existence d’une entité économique unique avait été soulevée lors de la procédure formelle d’examen, « les requérants en arbitrage n’[avaient] présenté aucun fait ou élément de preuve contredisant la conclusion provisoire de la Commission selon laquelle MM. Ioan et Viorel Micula contrôlaient les sociétés pour les pertes desquelles le tribunal arbitral accordait des dommages et intérêts, ni les raisons pour lesquelles [ledit tribunal] les a[vaient] également accordés à ces personnes physiques ».

336 Les requérants, qui n’ont pas contesté de telles affirmations, n’établissent ni même n’allèguent que leur structure capitalistique ou leur mode de fonctionnement interne ont évolué entre la fin de la période au titre de laquelle ils auraient été indemnisés et l’adoption de la décision attaquée.

337 Enfin, si la Commission n’a pas, ainsi qu’elle le reconnaît d’ailleurs elle-même, considéré, dans la décision attaquée, que MM. Ioan et Viorel Micula devaient, chacun, également être regardés, en tant que personnes physiques, comme des entreprises pour l’application de la réglementation relative aux aides d’État, une telle circonstance est sans incidence sur la qualification des bénéficiaires de la mesure d’aide en cause, puisqu’elle a estimé, au considérant 85 de ladite décision, qu’ils formaient avec l’ensemble des entreprises requérantes en arbitrage une entité économique unique, laquelle constituait l’entreprise en cause pour l’application de ladite réglementation.

338 MM. Ioan et Viorel Micula ne sauraient donc prétendre ne pas exercer d’activité économique pour contester avoir été bénéficiaire d’une mesure d’aide d’État par le versement des sommes litigieuses.

339 Compte tenu de tout ce qui précède et eu égard au large pouvoir d’appréciation reconnu à la Commission, le premier grief de la présente branche doit être écarté.

2) Sur le second grief, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation concernant la désignation des entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale comme bénéficiaires de la mesure d’aide en cause

340 En l’espèce, en premier lieu, il ressort du diagramme représentant la structure du groupe EFDG et produit lors de la procédure arbitrale par l’un des experts sollicités par les requérants en arbitrage, reproduit au point 937 de la sentence arbitrale cité par la Commission en défense, que MM. Ioan et Viorel Micula détiennent 95 % du capital de la société Transilvania General Import-Export, laquelle détient, d’une part, 20 % du capital d’European Drinks, les 80 % restant étant directement détenus par les frères Micula, ainsi que, d’autre part, 58 % du capital de la société West Leasing, les 42 % restant étant également détenus directement par ces derniers.

341 En outre, le diagramme de la structure capitalistique des entreprises du groupe EFDG atteste que MM. Ioan et Viorel Micula détiennent 99 % du capital de la société Rieni Drinks et 96 % de celui de la société Scandic Distilleries.

342 Lors de la procédure arbitrale, ainsi qu’il ressort du point 156 de la sentence arbitrale, sans que les requérants en contestent l’exactitude, MM. Ioan et Viorel Micula ont expressément affirmé être les actionnaires majoritaires des entreprises du groupe EFDG.

343 MM. Ioan et Viorel Micula, qui n’établissent ni même n’allèguent que leur participation dans le capital des entreprises du groupe EFDG a évolué depuis l’adoption de la sentence arbitrale, ainsi qu’il ressort du point 336 ci-dessus, détiennent donc, directement et indirectement, la quasi-totalité des entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale. Il n’est par ailleurs pas contesté, d’une part, que ces requérants sont des entreprises en ce qu’elles exercent effectivement une activité économique et, d’autre part, que de telles entreprises appartiennent audit groupe, lequel intervient, notamment, dans la fabrication à l’échelle industrielle de produits alimentaires, de produits de minoterie ou d’emballages en plastique.

344 Dans ces conditions, il doit être considéré que, compte tenu de leur droit de propriété sur l’ensemble des entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale, MM. Ioan et Viorel Micula, à travers la détention de la totalité ou la quasi-totalité du capital de ces dernières, exercent des fonctions d’impulsion et de soutien financier sur l’ensemble desdites entreprises, de sorte à en assurer le contrôle exclusif ou quasi exclusif.

345 En outre, poursuivant des activités économiques identiques ou parallèles, les entreprises contrôlées par MM. Ioan et Viorel Micula constituent un tout cohérent, sur le plan tant financier qu’industriel, formant ainsi un groupe unique contrôlé par ces derniers.

346 En deuxième lieu, il ressort des propres témoignages des requérants en arbitrage, produits lors de la procédure arbitrale, que leur modèle de stratégie commerciale visait une intégration verticale de leurs installations, que ces derniers se définissaient comme une « entreprise familiale » dont les décisions étaient prises verbalement et qu’ils n’avaient pas l’habitude de fonctionner sur la base de plans écrits et, enfin, que leur « modèle économique global » consistait à construire une plateforme de production durable à l’expiration du régime d’incitations fiscales en cause, MM. Ioan et Viorel Micula s’impliquant directement dans la décision d’investir dans de nouvelles installations, en examinant l’impact dudit régime, ses avantages et ses inconvénients, ainsi qu’il a été précisé respectivement aux points 325 à 327 ci-dessus.

347 En particulier, les requérants en arbitrage ont fait valoir que, dans le cadre de l’expansion de leurs activités de production, ainsi qu’il a été précisé au point 324 ci-dessus, les nouvelles entreprises et les nouveaux investissements étaient intégrés dans les entreprises et les investissements existants, de sorte que toutes les entreprises coopèrent pour « créer, fabriquer, conditionner et distribuer les produits de manière efficace ». À cet égard, ainsi qu’il a été repris au point 328 ci-dessus, la planification initiale du groupe EFDG concernant le partage des différentes installations avait permis de réaliser d’importantes économies qui étaient réinvesties dans l’« expansion et l’intégration de l’entreprise ».

348 Il ressort ainsi de l’analyse du premier grief de la présente branche que les éléments au dossier, tels qu’ils sont repris aux points 324 à 328 ci-dessus, permettent de confirmer l’existence de liens économiques et organisationnels unissant les requérants, y compris les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale, au sein d’un même marché et d’une même activité intégrée, dans le but d’être compétitifs et efficaces à long terme.

349 Si les requérants soutiennent toutefois que MM. Ioan et Viorel Micula n’intervenaient pas dans la gestion directe des entreprises du groupe EFDG, ils se bornent, à cet égard, à affirmer que celles-ci agissaient de « manière indépendante » en déterminant leur propre ligne d’action sur le marché, mais ils n’apportent pas le moindre élément concret et documenté à l’appui d’une telle affirmation.

350 En troisième et dernier lieu, il peut être relevé que l’absence d’autonomie économique des entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale est renforcée, contrairement à ce que soutiennent les requérants, par le fait que, lors de cette procédure, les requérants en arbitrage ont demandé que l’évaluation de leur préjudice tienne compte de celui également subi par ces entreprises.

351 Dans ces conditions et conformément aux principes jurisprudentiels rappelés au point 314 ci-dessus, il doit être conclu que MM. Ioan et Viorel Micula appartiennent, avec les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale, à une seule et même entreprise pour l’application de la réglementation en matière d’aides d’État.

352 Les requérants ajoutent toutefois que les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale ne peuvent pas être regardées comme les bénéficiaires de la mesure d’aide en cause puisque le tribunal arbitral ne leur a accordé aucune indemnisation.

353 À cet égard, il suffit en tout état de cause de relever que la Commission n’a pas considéré que les entreprises qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale étaient bénéficiaires de la mesure d’aide en cause au motif qu’elles avaient effectivement bénéficié du versement des sommes litigieuses. Elle a estimé que ces entreprises en étaient bénéficiaires au seul motif qu’elles formaient, avec les autres requérants, une entité économique unique constituant l’entreprise en cause pour l’application des règles en matière d’aides d’État, ainsi qu’il ressort des considérants 85 à 91 de la décision attaquée.

354 Or, il résulte des points 340 à 351 ci-dessus, que la Commission pouvait, à bon droit, considérer que les entreprises qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale formaient, avec les autres requérants, une seule et même entreprise pour l’application de la réglementation en matière d’aides d’État.

355 Les sommes versées aux requérants en arbitrage, en exécution ou par la mise en œuvre de la sentence arbitrale, étaient donc susceptibles de bénéficier, directement ou indirectement, aux entreprises qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale. Il en est notamment ainsi, puisque MM. Ioan et Viorel Micula exerçant des fonctions d’impulsion et de soutien financier sur ces mêmes entreprises pouvaient estimer nécessaire, afin de poursuivre de façon durable le but économique assigné aux entreprises du groupe EFDG, d’investir tout ou partie de ces sommes dans la consolidation financière ou le développement économique desdites entreprises.

356 Dès lors est sans incidence sur la désignation comme bénéficiaires de la mesure d’aide en cause des entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale le fait que ces dernières n’auraient pas été désignées comme bénéficiaires de l’indemnisation accordée par le tribunal arbitral en vertu de la sentence arbitrale.

357 Compte tenu de tout ce qui précède, le deuxième grief de la présente branche doit être écarté et, en conséquence, cette branche et, par suite, le cinquième moyen dans son ensemble.

6. Sur le sixième moyen, tiré d’une erreur de droit dans le recouvrement de l’aide

358 Le présent moyen s’articule en deux branches principales.

359 Par une première branche, les requérants, dans les affaires T 624/15 et T 694/15, soutiennent que la Commission a erronément ordonné la récupération, d’une part, de montants qui ne leur ont jamais été effectivement versés, d’autre part, de toute autre aide versée après la date d’adoption de la décision attaquée.

360 Par une seconde branche, les requérants font valoir que la récupération des sommes litigieuses ne peut être effectuée auprès de certaines entités visées par la décision attaquée, à savoir, dans l’affaire T 704/15, M. Viorel Micula, qui ne peut être considéré comme une entreprise et, dans les trois affaires jointes, les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale, puisqu’elles n’ont pas été désignées comme bénéficiaires par la sentence arbitrale.

361 À cet égard, les requérants ajoutent que la récupération des sommes litigieuses ne peut se faire que parmi ceux d’entre eux qui en auraient eu la jouissance effective, à savoir une partie ou la totalité des seuls requérants en arbitrage.

362 Selon les requérants, la Commission n’aurait donc pas dû conclure que l’ensemble d’entre eux étaient solidairement responsables du remboursement, mais aurait dû démontrer lesquels d’entre eux avaient effectivement bénéficié de l’aide.

363 La Commission conteste l’argumentation des requérants.

364 Il y a lieu de rappeler que, conformément au droit de l’Union, lorsqu’elle constate que des aides sont incompatibles avec le marché intérieur, la Commission peut enjoindre à l’État membre de récupérer ces aides auprès des bénéficiaires (arrêt du 8 mai 2003, Italie et SIM 2 Multimedia/Commission, C 328/99 et C 399/00, EU:C:2003:252, point 65).

365 La suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité et vise au rétablissement de la situation antérieure. Cet objectif est atteint dès que les aides en cause, augmentées le cas échéant des intérêts de retard, ont été restituées par le bénéficiaire ou, en d’autres termes, par les entreprises qui en ont eu la jouissance effective (arrêts du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C 164/15 P et C 165/15 P, EU:C:2016:990, points 89 et 90, et du 13 décembre 2018, Transavia Airlines/Commission, T 591/15, EU:T:2018:946, point 299). Par cette restitution, le bénéficiaire perd en effet l’avantage dont il avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents et la situation antérieure au versement de l’aide est rétablie (arrêt du 1er octobre 2015, Electrabel et Dunamenti Erőmű/Commission, C 357/14 P, EU:C:2015:642, point 110 et jurisprudence citée).

366 À cet égard, il convient de rappeler que l’existence d’une unité économique permet d’identifier l’entreprise, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes morales ou physiques bénéficiaires de l’aide en cause [voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2015, Pollmeier Massivholz/Commission, T 89/09, EU:T:2015:153, points 122 et 123 (non publiés)].

367 La récupération de l’aide, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait par ailleurs être considérée, en principe, comme étant une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité FUE en matière d’aides d’État (voir arrêts du 11 mars 2010, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C 1/09, EU:C:2010:136, point 54 et jurisprudence citée, et du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C 164/15 P et C 165/15 P, EU:C:2016:990, point 116 et jurisprudence citée).

368 Le Tribunal estime opportun d’analyser, en premier lieu, la seconde branche du présent moyen relative aux bénéficiaires de l’aide et, en second lieu, la première branche de ce moyen relative au montant de l’aide.

a) Sur la seconde branche, tirée de l’erreur de droit dont serait entachée la décision attaquée en ce qu’elle ordonne la récupération de la mesure d’aide en cause auprès de certains requérants

369 La Commission a indiqué au considérant 160 de la décision attaquée que « la Roumanie [devait] récupérer tout montant versé au titre des dommages et intérêts accordés aux requérants par le tribunal [arbitral], car ce versement constitu[ait] une aide d’État illégale et incompatible » et a retenu que, « [d]ès lors que les cinq requérants [en arbitrage] et les autres sociétés visées du groupe EFDG form[ai]ent une seule unité économique […], ils [étaient] solidairement responsables du remboursement de l’aide d’État que l’État roumain leur a[vait] versée ».

370 À titre liminaire, dès lors qu’il a été conclu au soutien de l’analyse du premier grief de la première branche du cinquième moyen que MM. Ioan et Viorel Micula faisaient partie d’une seule unité économique, il convient d’écarter l’argument selon lequel la mesure d’aide en cause ne pouvait pas être récupérée, ainsi que les requérants ont soutenu dans l’affaire T 704/15, auprès de M. Viorel Micula au motif qu’il ne serait pas susceptible d’être regardé comme une entreprise pour l’application de la réglementation en matière d’aides d’État.

371 En outre, si, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, la récupération de l’aide illégale doit s’effectuer conformément aux modalités de mise en œuvre prévues par le droit national applicable (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C 349/17, EU:C:2019:172, point 108), les requérants dans les affaires T 624/15 RENV et T 694/15 RENV ne sauraient, en revanche, utilement soutenir, pour contester la légalité de la décision attaquée, que la récupération auprès de M. Ioan Micula des « dettes [des entreprises requérantes] méconnaît[rait] illégalement la personnalité morale et enfrein[drait] la législation roumaine sur les sociétés, reflétée dans diverses directives sur les droits des actionnaires ».

372 Cela dit, pour remettre en cause l’appréciation de la Commission, les requérants soutiennent, pour l’essentiel, que la récupération des sommes litigieuses n’aurait pu s’effectuer qu’auprès des entreprises qui en auraient eu la « jouissance effective », à savoir les seuls requérants en arbitrage, qui ont été désignés comme bénéficiaires par la sentence arbitrale. Ils font valoir que le fait, à le supposer fondé, que l’ensemble des entreprises requérantes auraient appartenu à une entité économique unique serait sans incidence.

373 Les requérants fondent leur argumentation sur l’arrêt du 11 mai 2005, Saxonia Edelmetalle et ZEMAG/Commission (T 111/01 et T 133/01, EU:T:2005:166, point 113), ainsi que sur l’arrêt du 19 octobre 2005, Freistaat Thüringen/Commission (T 318/00, EU:T:2005:363, point 324), lesquels reprennent la jurisprudence de la Cour, telle qu’elle est rappelée au point 365 ci-dessus.

374 Toutefois, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les arrêts cités au point 373 ci-dessus ne sauraient être de nature à faire obstacle à la récupération d’une mesure d’aide auprès de l’ensemble des entités constituant une entité économique unique.

375 En effet, d’une part, les affaires ayant donné lieu aux arrêts cités au point 373 ci-dessus ne concernent pas, comme en l’espèce, des entités économiques formant une seule et même entreprise dans le cadre d’une entité économique unique.

376 D’autre part, ainsi qu’il a été rappelé au point 312 ci-dessus, le droit de la concurrence de l’Union, en visant les activités des entreprises, consacre comme critère décisif l’existence d’une unité de comportement sur le marché, sans que la séparation formelle entre diverses sociétés résultant de leur personnalité juridique distincte puisse s’opposer à une telle unité aux fins de l’application des règles de concurrence.

377 En l’espèce, comme il ressort de l’analyse du cinquième moyen et, notamment, des points 344 et 355 ci-dessus, MM. Ioan et Viorel Micula, en exerçant des fonctions d’impulsion et de soutien financier sur l’ensemble des entreprises du groupe EFDG, peuvent faire bénéficier ces entreprises de la mesure d’aide en cause, directement ou indirectement, en l’absence de toute décision autonome des mêmes entreprises. Par la restitution de la mesure d’aide en cause, l’entité économique unique que forment ensemble les requérants perd ainsi l’avantage dont elle avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents et la situation antérieure au versement de l’aide est rétablie.

378 Compte tenu de tout ce qui précède, la présente branche doit être écartée.

b) Sur la première branche, tirée de l’erreur de droit dont serait entachée la décision attaquée dans le calcul du montant des sommes litigieuses à récupérer

379 Les requérants dans les affaires T 624/15 et T 694/15 articulent la première branche du sixième moyen en trois griefs.

380 Les requérants soutiennent, premièrement, que certaines sommes dont le remboursement leur est demandé, telles qu’identifiées au considérant 161 de la décision attaquée, ne peuvent être recouvrées, celles-ci ne leur ayant pas été « véritablement » accordées, à savoir les sommes correspondant à la compensation des dettes fiscales opérée au bénéfice d’une des trois sociétés requérantes en arbitrage, European Food, les honoraires versés aux huissiers pour la saisie de certaines sommes sur les comptes du ministère des Finances roumain et pour le versement des sommes que les autorités roumaines ont transférées volontairement sur un compte bloqué ouvert au nom des cinq requérants en arbitrage et, enfin, les sommes bloquées sur ledit compte ainsi que les intérêts produits sur lesdites sommes.

381 Les requérants font valoir, deuxièmement, que l’article 2 de la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit en ce qu’il prévoit la récupération de sommes qui auraient été versées postérieurement à la date de ladite décision.

382 Les requérants estiment, troisièmement, que les sommes dont le remboursement leur est réclamé au titre de la récupération de la mesure d’aide en cause seraient excessives, car l’indemnisation prononcée par la sentence arbitrale tiendrait compte des « coûts afférents aux obligations compensatoires auxquelles les sociétés requérantes [seraient] demeurées soumises ».

383 Il convient de rappeler à titre liminaire qu’aucune disposition du droit de l’Union n’exige que la Commission, lorsqu’elle ordonne la restitution d’une aide déclarée incompatible avec le marché commun, fixe le montant exact de l’aide à restituer. Il suffit à cet égard que la décision de la Commission comporte des indications permettant à son destinataire de déterminer lui-même, sans difficultés excessives, ce montant (arrêts du 12 octobre 2000, Espagne/Commission, C 480/98, EU:C:2000:559, point 25, et du 12 mai 2005, Commission/Grèce, C 415/03, EU:C:2005:287, point 39).

384 Il ressort ainsi de la jurisprudence que la Commission peut valablement se limiter à constater l’obligation de restitution des aides en question et laisser aux autorités nationales le soin de calculer le montant précis des sommes à restituer (arrêt du 12 mai 2005, Commission/Grèce, C 415/03, EU:C:2005:287, point 40).

385 À cet égard, l’obligation pour un État membre de calculer le montant précis des aides à récupérer s’inscrit dans le cadre plus large de l’obligation de coopération loyale, consacrée à l’article 4, paragraphe 3, TUE, liant mutuellement la Commission et les États membres dans la mise en œuvre des règles du traité en matière d’aides d’État (arrêt du 13 juin 2002, Pays-Bas/Commission, C 382/99, EU:C:2002:363, point 91).

386 Il s’ensuit que la quantification précise de l’avantage octroyé par la mesure d’aide en cause ne peut intervenir qu’après l’adoption de la décision attaquée, au stade de la récupération de l’aide, en coopération loyale avec la Commission, de sorte que le calcul exact du montant à récupérer ne saurait faire l’objet des présents recours contre ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2017, Grèce/Commission, T 314/15, non publié, EU:T:2017:903, point 203).

387 C’est dans ce contexte qu’il y a lieu d’examiner les arguments des requérants.

388 En premier lieu, s’agissant du premier grief des requérants, selon lequel certaines sommes dont le remboursement leur est demandé, telles qu’identifiées au considérant 161 de la décision attaquée, ne peuvent être recouvrées, il convient de relever que le considérant 161 de la décision attaquée se lit comme suit :

« […] [L]a Commission constate que la Roumanie a déjà versé un montant de 337 492 864 RON (quelque 76 000 000 d’euros) en compensant certaines dettes fiscales d’un des requérants [en arbitrage] ([European Food]). La Commission constate également que l’huissier de justice désigné par la juridiction a fait saisir un montant de 36 484 232 RON (quelque 8 100 000 euros) sur les comptes du ministère […] des [F]inances publiques [roumain] et qu’il a ensuite transféré 34 004 232 RON (quelque 7 560 000 euros), en parts égales, à trois des cinq requérants, conservant le montant restant à titre d’honoraires. Jusqu’au 25 février 2015, l’huissier de justice a récupéré un autre montant de 9 197 482 RON (quelque 2 000 000 d’euros) sur les comptes du [ministère des Finances roumain]. En outre, la Commission prend note du fait que les autorités roumaines ont transféré volontairement un montant de 472 788 675 RON (quelque 106 500 000 euros) (y compris les frais pour l’exécution forcée, à savoir 6 028 608 RON) sur un compte bloqué ouvert au nom des cinq requérants. La Roumanie doit récupérer les montants en cause et tout autre versement destiné aux requérants en vue de mettre en œuvre la sentence [arbitrale], qui a été ou sera effectué. »

389 Il convient de constater que le considérant 161 de la décision attaquée comporte des indications suffisamment précises pour permettre à la Roumanie de déterminer elle-même, sans difficultés excessives, le montant des sommes litigieuses à récupérer auprès des requérants.

390 À cet égard, il ne saurait, tout d’abord, être inféré de la motivation de la décision attaquée que la Commission a exigé de la Roumanie la récupération auprès de requérants du montant conservé « à titre d’honoraires » par l’« huissier de justice désigné par la juridiction » ainsi que les « frais pour l’exécution forcée » visés au considérant 161 de ladite décision.

391 Il ressort en effet expressément du considérant 160 de la décision attaquée que « la Roumanie doit récupérer tout montant versé au titre des dommages et intérêts accordés aux requérants [en arbitrage] par le tribunal », au titre desquels ne sauraient correspondre les honoraires versés aux huissiers lors de l’exécution forcée de la sentence arbitrale. En réponse à la question écrite qui lui avait été posée dans le cadre de la mesure d’organisation de la procédure du 30 mai 2023, la Commission a confirmé que la Roumanie n’était pas tenue de « récupérer ces frais d’exécution, étant donné qu’ils ne constitu[ai]ent pas une indemnisation versée aux requérants en arbitrage au titre de la sentence [arbitrale] ».

392 Ensuite, si le versement partiel des dommages et intérêts que le tribunal arbitral a accordés aux requérants en arbitrage s’est effectuée par une compensation des taxes et des impôts dus aux autorités roumaines par un seul desdits requérants, en l’occurrence European Food, une telle circonstance ne saurait faire obstacle à ce qu’une telle somme puisse être récupérée auprès des autres requérants. Ainsi qu’il a été rappelé dans le cadre de l’analyse du cinquième moyen, les requérants forment une seule et même entreprise, au sens de l’article 107 TFUE, de sorte qu’ils sont solidairement responsables du remboursement des sommes litigieuses.

393 Le fait que, par un arrêt du 11 mai 2015, la Curtea de Apel Oradea (cour d’appel d’Oradea, Roumanie) a confirmé que cette méthode d’exécution de la sentence arbitrale n’était pas légale au regard du droit national est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée au regard de la réglementation en matière d’aides d’État.

394 Cela n’empêche pas toutefois que, lors du recouvrement, les autorités nationales déduisent, le cas échéant, du montant à récupérer certaines sommes en application de leurs règles internes, à condition que l’application de ces règles ne rende pratiquement impossible ledit recouvrement ou ne soit discriminatoire par rapport à des cas comparables régis par le droit national (voir arrêt du 22 janvier 2013, Salzgitter/Commission, T 308/00 RENV, EU:T:2013:30, point 167 et jurisprudence citée).

395 Par ailleurs, s’agissant du remboursement par les requérants des sommes versées sur un compte bloqué ouvert au nom des cinq requérants en arbitrage ainsi que des intérêts produits par lesdites sommes, si la Roumanie est tenue de récupérer tout versement destiné aux requérants en arbitrage en vue de mettre en œuvre la sentence arbitrale, ainsi qu’il ressort du considérant 161 de la décision attaquée, il ne peut être inféré du dispositif de ladite décision que la Commission a exigé de cet État membre, lequel récupère conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la même décision les sommes litigieuses « versées aux entités, quelles qu’elles soient, qui composent l’unité économique unique qui a bénéficié de [la mesure d’]aide [en cause] », de demander le remboursement desdites sommes auprès des requérants dans l’hypothèse où de telles sommes ne leur auraient pas été versées. L’argument des requérants selon lequel cette décision est entachée d’une « erreur de droit dans le calcul des montants à rembourser » au titre des sommes bloquées sur le compte susmentionné et non versées repose ainsi sur une lecture erronée de ladite décision.

396 À cet égard, il ne ressort pas des éléments communiqués en réponse aux questions écrites adressées aux requérants et à la Commission dans le cadre de la mesure d’organisation de la procédure du 30 mai 2023 que les sommes versées sur un compte bloqué ouvert au nom des requérants en arbitrage ont été effectivement versées aux requérants, ni par conséquent que les intérêts produits par lesdites sommes l’ont été. La Commission a en outre indiqué que ces sommes avaient été « retiré[e]s de ce compte et qu’[elles avaient] dès lors été récupérées par les autorités roumaines, de sorte que la Roumanie a[vait] satisfait aux obligations de récupération qui lui incombaient à cet égard ». Un tel argument est donc devenu sans objet.

397 Au surplus, il ne ressort pas non plus de la motivation de la décision attaquée que, par une telle décision, la Roumanie aurait été tenue de récupérer les intérêts générés par les sommes versées sur un compte bloqué ouvert au nom des requérants en arbitrage. De tels intérêts n’ont pas été versés aux requérants. Le fait que, postérieurement à l’adoption de cette décision, « les autorités roumaines cherche[raient] désormais à recouvrer des intérêts sur ces sommes », comme l’indiquent les requérants, est ainsi sans incidence sur la légalité de ladite décision.

398 En deuxième lieu, s’agissant du deuxième grief des requérants, tiré de l’illégalité de la récupération des sommes litigieuses versées postérieurement à la décision attaquée, il convient de rappeler que la mesure d’aide en cause, ainsi qu’il a été relevé aux points 125 et 126 ci-dessus, est le « versement des sommes litigieuses en vertu de la mise en œuvre ou de l’exécution de la sentence arbitrale, plus les intérêts cumulés depuis la date où la sentence a été rendue ». Dans ces conditions et dans la mesure où la Commission a qualifié d’aide d’État incompatible avec le marché intérieur, conformément à l’article 1er de la décision attaquée, le versement des dommages et intérêts accordés par ladite sentence, celle-ci était fondée à demander la récupération de sommes dont le versement serait intervenu, par la mise en œuvre ou à la suite de l’exécution forcée de ladite sentence, après l’adoption de cette même sentence.

399 En troisième et dernier lieu, pour autant que, en qualifiant d’excessif le montant à recouvrer, les requérants soutiennent que la décision de récupération ne respecte pas le principe de proportionnalité, il convient de rappeler, conformément à la jurisprudence citée au point 367 ci-dessus, que la récupération de l’aide, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait être considérée, en principe, comme étant une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité FUE en matière d’aides d’État.

400 Par ailleurs, il suffit de constater que l’argument des requérants selon lequel les « dommages et intérêts accordés [en vertu de la sentence arbitrale auraient été] au moins en partie contrebalancés par les coûts afférents aux obligations compensatoires auxquelles les sociétés requérantes [seraient] demeurées soumises » repose sur la prémisse erronée selon laquelle les requérants ont bénéficié par le versement des sommes litigieuses d’une indemnisation de leurs préjudices au sens de l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24).

401 Au surplus, ainsi qu’il ressort des points 155 à 157 ci-dessus, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal arbitral les a indemnisés des conséquences du maintien des obligations imposées aux bénéficiaires du régime d’incitations fiscales en cause.

402 Compte tenu de tout ce qui précède, la présente branche doit être écartée et, en conséquence, l’ensemble du sixième moyen.

7. Sur le septième moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu, de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 659/1999

403 Les requérants soutiennent que la Commission aurait dû indiquer, dans la décision d’ouverture, que les entreprises requérantes Scandic Distilleries, European Drinks, Rieni Drinks, Transilvania General Import-Export et West Leasing faisaient partie de la même unité économique qui avait bénéficié ou était susceptible de bénéficier de la mesure d’aide en cause. Faute de les avoir nommément désignées dans cette décision, la Commission ne les aurait pas mises en demeure de présenter leurs observations et aurait, en conséquence, méconnu leur droit d’être entendues, protégé par l’article 108, paragraphe 3, TFUE et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 659/1999. La décision attaquée ayant pu avoir un sens différent si ces entreprises requérantes avaient été entendues, ce vice de procédure serait de nature à entraîner l’annulation de ladite décision.

404 Dans leurs observations écrites sur les conclusions à tirer de l’arrêt sur pourvoi, les requérants dans les affaires T 624/15 RENV et T 694/15 RENV ajoutent que la Commission a commis d’autres erreurs de procédure, en n’identifiant pas la mesure correcte dans la décision d’ouverture et en n’invitant pas l’État membre et les parties intéressées à présenter des observations sur la mesure correcte, comme l’exigeraient l’article 4, paragraphe 4, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 659/1999.

405 La Commission conteste l’argumentation des requérants.

406 À titre liminaire, il convient de relever que le grief des requérants tiré de ce que la Commission a commis différentes erreurs de procédure pour ne pas avoir correctement identifié la mesure d’aide en cause dans la décision d’ouverture est fondé, ainsi qu’il ressort de l’analyse du second grief de la première branche du deuxième moyen, sur la prémisse erronée selon laquelle la mesure d’aide en cause est la sentence arbitrale. Dans ces conditions et indépendamment de la recevabilité d’un tel argument soulevé dans le cadre des observations écrites sur les conclusions à tirer de l’arrêt sur pourvoi, un tel grief doit être écarté comme non fondé.

407 L’article 108, paragraphe 2, TFUE, auquel renvoie le paragraphe 3 du même article, dispose que, « [s]i, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu’une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d’État n’est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l’article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l’État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine ».

408 L’article 108, paragraphe 3, deuxième phrase, TFUE précise que « [s]i [la Commission] estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l’article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent ».

409 Il est de jurisprudence constante que les entreprises potentiellement bénéficiaires des aides d’État sont considérées comme étant des parties intéressées que la Commission a le devoir, lors de la phase d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, d’inviter à présenter leurs observations (voir arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C 933/19 P, EU:C:2021:905, point 61 et jurisprudence citée). Cette règle a le caractère d’une formalité substantielle (arrêt du 11 décembre 2008, Commission/Freistaat Sachsen, C 334/07 P, EU:C:2008:709, point 55).

410 Dans le cadre de l’application de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, la publication d’un avis au Journal officiel constitue un moyen adéquat en vue de faire connaître à toutes les parties intéressées l’ouverture d’une procédure. Cette communication vise à obtenir, de la part de ces dernières, toutes informations destinées à éclairer la Commission dans son action future (arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C 933/19 P, EU:C:2021:905, point 64).

411 Le simple fait d’être informé de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen ne suffit cependant pas pour pouvoir faire valoir ses observations de manière utile.

412 À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 prévoit que « [l]a décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure […] visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide et expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché commun ».

413 Il s’ensuit que la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, en dépit du caractère nécessairement provisoire de l’appréciation qu’elle comporte, doit être suffisamment précise pour mettre les parties intéressées en mesure de participer de manière efficace à la procédure formelle d’examen lors de laquelle elles auront la possibilité de faire valoir leurs arguments (arrêt du 11 mai 2005, Saxonia Edelmetalle et ZEMAG/Commission, T 111/01 et T 133/01, EU:T:2005:166, point 50).

414 En particulier, il convient de considérer que l’identification du bénéficiaire de l’aide constitue un « élément pertinent de fait et de droit » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 659/1999 devant, en vertu de cette disposition, être exposé dans la décision d’ouverture si cela est possible à ce stade de la procédure, puisque c’est sur la base d’une telle identification que la Commission pourra adopter la décision de récupération. En effet, à défaut d’indication sur sa qualité de bénéficiaire de l’aide litigieuse, que ce soit dans la décision d’ouverture ou à un stade ultérieur de la procédure formelle d’examen préalable à l’adoption de la décision finale constatant l’incompatibilité de l’aide avec le marché intérieur, ce type de partie intéressée ne peut pas être considéré comme ayant été mis en demeure de présenter ses observations de manière pertinente, puisqu’il peut légitimement penser que de telles observations ne sont pas nécessaires, étant donné qu’il n’est pas désigné comme bénéficiaire de l’aide à récupérer (arrêt du 22 février 2006, Le Levant 001 e.a./Commission, T 34/02, EU:T:2006:59, points 80, 82 et 83).

415 En l’espèce, les points 31 et 32 de la décision d’ouverture, dont se prévaut la Commission, énoncent :

« (31) Les plaignants sont M. Ioan Micula et M. Viorel Micula (ci-après les “frères Micula”) ainsi que trois sociétés détenues par ces derniers (European Food SA, Starmill SRL et Multipack SRL). Ces trois sociétés exercent des activités économiques, car elles sont spécialisées respectivement dans la fabrication à l’échelle industrielle de produits alimentaires, de produits de minoterie et d’emballages en plastique. Par conséquent, les trois sociétés constituent des entreprises. Les frères Micula sont les seuls actionnaires de ces trois sociétés, ainsi que de plusieurs autres. À la lumière des liens étroits qui existent entre les frères Micula et les trois sociétés, la Commission estime que le groupe de sociétés détenues par les frères Micula ainsi que les frères Micula eux-mêmes constituent une même unité économique aux fins de l’application des règles relatives aux aides d’État. Par conséquent, cette unité économique est considérée comme étant l’entreprise en cause.

(32) Le fait de qualifier les frères Micula et leurs sociétés de même unité économique est renforcé par la sentence, qui leur a accordé des dommages et intérêts “collectivement”, en vertu d’un “droit commun”. Lorsqu’il a refusé d’accorder des dommages et intérêts à ces trois sociétés uniquement, le tribunal arbitral a considéré qu’il “ne pouvait pas accorder l’intégralité des dommages et intérêts aux [trois sociétés], pour la simple raison qu’une partie des dommages et intérêts est liée à d’autres sociétés détenues par les [frères Micula]”. Le fait même que les trois sociétés aient demandé d’accorder tous les dommages et intérêts aux frères Micula en tant que personnes physiques prouve aussi que ces sociétés n’ont aucune autonomie vis-à-vis des frères Micula. En effet, les points 156 et 166 de la sentence soulignent que les frères Micula sont les actionnaires majoritaires d’un groupe d’entreprises hautement intégré qui exerce des activités de production d’aliments et de boissons. [Ledit tribunal] a en outre permis aux plaignants de récupérer le montant intégral des dommages et intérêts accordés et de le partager ensuite selon ce qu’ils jugent approprié, quel que soit le préjudice effectif subi par chacun d’eux. »

416 Il ressort de la motivation de la décision d’ouverture, telle qu’elle vient d’être exposée, que la Commission a considéré que le groupe de sociétés détenues par MM. Ioan et Viorel Micula ainsi que ces derniers constituaient une même unité économique aux fins de l’application des règles relatives aux aides d’État, de sorte que cette entité économique unique était l’entreprise en cause pour l’application de cette réglementation.

417 La Commission n’a certes pas nommément désigné dans la décision d’ouverture les « autres sociétés » qui constituaient, avec les trois entreprises requérantes en arbitrage, le groupe de sociétés avec lesquelles MM. Ioan et Viorel Micula formaient une seule et même entreprise. Il convient toutefois de considérer, sauf à vider de sa substance la notion d’« unité économique » pour l’application des règles en matière d’aides d’État, qu’elle a procédé de manière suffisamment précise à l’identification du bénéficiaire de la mesure d’aide en cause puisqu’elle a indiqué que le « groupe de sociétés détenues » par les frères Micula, lesquels ne contestent pas qu’il comprend les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale, formaient, avec ces derniers, leurs actionnaires majoritaires, l’entreprise en cause aux fins de l’application des règles relatives aux aides d’État.

418 La décision d’ouverture était donc suffisamment précise pour mettre les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale en mesure de présenter leurs observations de manière pertinente sur la décision éventuelle de récupération de la mesure d’aide en cause dont elles avaient été désignées comme bénéficiaires au sens de la réglementation pertinente.

419 En tout état de cause, les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale ont été mises en mesure de participer à la procédure formelle d’examen de manière indirecte par l’intermédiaire de MM. Ioan et Viorel Micula, leurs uniques ou quasi uniques actionnaires, lesquels, ainsi qu’il ressort du point 344 ci-dessus, exercent un contrôle effectif sur lesdites entreprises (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 septembre 2007, Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, T 68/03, EU:T:2007:253, point 45).

420 À cet égard, il peut encore être rappelé que, selon la jurisprudence citée au point 288 ci-dessus, la motivation d’un acte, au sens de l’article 296 TFUE, doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.

421 Ainsi que l’a souligné la Commission, le tribunal arbitral a relevé, au point 940 de la sentence arbitrale, que « cinq autres sociétés du [groupe] EFDG (à savoir European Drinks, Rieni Drinks, Scandic Distilleries, [Transilvania General Import-Export] et West Leasing) [avaient] subi une partie du préjudice dont la réparation [était] demandée en l’espèce ».

422 En indiquant, au point 32 de la décision d’ouverture, que le tribunal arbitral avait considéré qu’« une partie des dommages et intérêts [était] liée à d’autres sociétés détenues par les [frères Micula] », ces derniers étaient donc en mesure de comprendre que la Commission avait identifié les entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale comme bénéficiaires du versement des sommes litigieuses.

423 Compte tenu de tout ce qui précède, la Commission ne saurait avoir méconnu le droit d’être entendues des entreprises requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure arbitrale.

424 En conséquence, le septième et dernier moyen doit être écarté.

425 Dans ces conditions, l’ensemble des moyens et des arguments au soutien de ces moyens ayant été écartés au fond, les recours doivent être rejetés dans leur intégralité, tant s’agissant de leurs conclusions formulées à titre principal que s’agissant de leurs conclusions formulées à titre subsidiaire, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de certains moyens, arguments ou documents annexés à leur soutien, tels qu’ils sont identifiés aux points 4 et 3 des mémoires complémentaires d’observations écrites produits par la Commission, d’une part, dans les affaires T 624/15 RENV et T 694/15 RENV et, d’autre part, dans l’affaire T 704/15 RENV, et tels qu’ils ont été rappelés aux points 55 et 56 ci-dessus.

V. Sur les dépens

426 Selon l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt qui met fin à l’instance. Aux termes de l’article 219 dudit règlement, il appartient au Tribunal, lorsqu’il se prononce après annulation et renvoi par la Cour, de statuer sur les dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées devant le Tribunal et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant la Cour.

427 Conformément à l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

428 Enfin, conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

429 En l’espèce, la Cour, dans l’arrêt sur pourvoi, a annulé l’arrêt initial et a réservé les dépens. Il convient donc de statuer, dans le présent arrêt, sur les dépens afférents à la procédure initiale devant le Tribunal, à la procédure de pourvoi devant la Cour et à la présente procédure après renvoi.

430 Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci, dans la procédure initiale devant le Tribunal, dans la procédure devant la Cour et dans la présente procédure après renvoi.

431 La République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République de Lettonie, la Hongrie et la République de Pologne supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) Les affaires T 624/15 RENV, T 694/15 RENV et T 704/15 RENV sont jointes aux fins de l’arrêt.

2) Les recours sont rejetés.

3) European Food SA, Starmill SRL, Multipack SRL, Scandic Distilleries SA, MM. Ioan et Viorel Micula, European Drinks SA, Rieni Drinks SA, Transilvania General Import-Export SRL et West Leasing SRL, anciennement West Leasing International SRL, supporteront leurs propres dépens ainsi que les dépens exposés par la Commission européenne dans les affaires T 624/15, T 694/15, T 704/15, T 624/15 RENV, T 694/15 RENV, T 704/15 RENV et C 638/19 P.

4) La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens dans les affaires T 624/15 RENV, T 694/15 RENV, T 704/15 RENV et C 638/19 P.

5) Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens dans les affaires T 624/15, T 694/15, T 704/15, T 624/15 RENV, T 694/15 RENV, T 704/15 RENV et C 638/19 P.

6) La République de Lettonie supportera ses propres dépens dans les affaires T 624/15 RENV, T 694/15 RENV, T 704/15 RENV et C 638/19 P.

7) La Hongrie supportera ses propres dépens dans les affaires T 624/15, T 694/15, T 704/15, T 624/15 RENV, T 694/15 RENV, T 704/15 RENV et C 638/19 P.

8) La République de Pologne supportera ses propres dépens dans les affaires T 624/15 RENV, T 694/15 RENV, T 704/15 RENV et C 638/19 P.