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Décisions

TUE, 2e ch. élargie, 2 octobre 2024, n° T-587/22

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Crown Holdings, Inc., Crown Cork & Seal Deutschland Holdings GmbH

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marcoulli

Juges :

M. Schwarcz, Mme Tomljenović, M. Norkus (rapporteur), M. Valasidis

Avocats :

Me Burnside, Me Graf York von Wartenburg, Me Kidane, Me Strohl

Comm. UE, du 12 juill. 2022, aff. AT.405…

12 juillet 2022

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Crown Holdings, Inc. et Crown Cork & Seal Deutschland Holdings GmbH, demandent l’annulation de la décision C(2022) 4761 final de la Commission, du 12 juillet 2022, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE (affaire AT.40522 – Emballages métalliques) (ci-après la « décision attaquée ») en ce qu’elle les concerne. La Commission européenne demande à titre reconventionnel l’augmentation du montant de l’amende qui a été infligée aux requérantes.

I. Antécédents du litige

2 Les requérantes sont des sociétés actives dans le secteur des emballages métalliques, y compris des canettes métalliques et des fermetures métalliques.

3 En mars 2015, le Bundeskartellamt (Office fédéral des ententes, Allemagne) a ouvert une enquête à l’égard de plusieurs sociétés du secteur, dont les requérantes.

4 À la suite d’une demande de l’Office fédéral des ententes d’instruire la présente affaire, la Commission a adopté, le 19 avril 2018, la décision C(2018) 2466 final, relative à l’ouverture d’une procédure dans l’affaire AT. 40522 – Pandora (ci-après la « décision d’ouverture »).

5 Le 25 avril 2018, la Commission a reçu une demande de clémence de la part des requérantes.

6 Le 23 mars 2021, la Commission a invité ces dernières et l’autre groupe concerné par l’infraction à participer à des discussions en vue de parvenir à une transaction.

7 Par décision du 1er octobre 2021, la procédure a été close concernant tous les territoires de l’Espace économique européen (EEE), à l’exception de l’Allemagne.

8 Les requérantes ont déposé une demande formelle de transaction, dans laquelle elles ont, d’une part, reconnu leur responsabilité dans l’infraction et, d’autre part, indiqué le montant maximal de l’amende qu’elles s’attendaient à se voir infliger et qu’elles accepteraient dans le cadre d’une procédure de transaction.

9 Le 19 mai 2022, la Commission a adressé une communication des griefs aux requérantes qui ont répondu en confirmant que les faits et l’appréciation juridique de l’infraction tels que retenus par la Commission reflétaient la teneur de leurs propositions de transaction et qu’elles maintenaient leur engagement à suivre la procédure de transaction.

10 Le 12 juillet 2022, la Commission a adopté la décision attaquée. Elle a notamment considéré que les requérantes avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE dans le secteur des emballages métalliques en Allemagne du 11 mars 2011 au 18 septembre 2014 et les a condamnées à une amende d’un montant de 7 670 000 euros.

11 Ce montant tient compte d’une réduction de l’amende de 50 % accordée aux requérantes sur le fondement de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17) et de 10 % au titre de la communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil dans les affaires d’entente (JO 2008, C 167, p. 1, ci-après la « communication sur la transaction »).

II. Conclusions des parties

12 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée en ce qu’elle les concerne ;

– condamner la Commission aux dépens.

13 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– fixer le montant de l’amende à un niveau pouvant atteindre 9 588 000 euros ;

– condamner les requérantes aux dépens.

14 La République fédérale d’Allemagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner les requérantes aux dépens.

III. En droit

A. Sur la demande en annulation

15 À titre liminaire, premièrement, il convient de rappeler que la Commission est investie par l’article 105, paragraphe 1, TFUE de la mission de veiller à l’application des articles 101 et 102 TFUE.

16 La Commission est ainsi appelée à définir et à mettre en œuvre, selon la jurisprudence, la politique de concurrence de l’Union européenne (voir arrêt du 16 octobre 2013, Vivendi/Commission, T 432/10, non publié, EU:T:2013:538, point 22 et jurisprudence citée).

17 Conformément à ces principes, la Commission s’est vu confier par le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), indépendamment des modalités selon lesquelles elle prend connaissance du dossier, à savoir notamment qu’elle soit saisie d’une plainte ou qu’elle se saisisse de sa propre initiative, le pouvoir de décider si des comportements devaient faire l’objet de poursuites, d’une décision constatant l’existence d’une infraction et d’une mesure corrective, y compris une amende, en fonction des priorités qu’elle définit dans le cadre de la politique de concurrence de l’Union. Il en va également ainsi dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, la Commission s’est saisie du dossier à la demande d’une autorité nationale de concurrence.

18 Deuxièmement, le règlement no 1/2003 met fin au régime centralisé antérieur et organise, conformément au principe de subsidiarité, une association plus large des autorités nationales de concurrence, les habilitant à cette fin à mettre en œuvre le droit de la concurrence de l’Union. L’économie du règlement repose sur l’étroite coopération appelée à se développer entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres organisées en réseau (arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T 655/11, EU:T:2015:383, point 75).

19 Troisièmement, il ressort de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 que la Commission garde un rôle prépondérant dans la recherche et la constatation d’infractions aux règles de concurrence de l’Union, qui n’est pas affecté par la compétence parallèle dont disposent les autorités nationales de concurrence en vertu dudit règlement (arrêt du 13 juillet 2011, ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, T 144/07, T 147/07 à T 150/07 et T 154/07, EU:T:2011:364, point 76).

20 En effet, en application de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, dès lors que la Commission ouvre une procédure contre une ou plusieurs entreprises en raison d’une violation présumée des articles 101 ou 102 TFUE, les autorités de concurrence des États membres sont dessaisies de leur compétence pour poursuivre les mêmes entreprises pour les mêmes conduites prétendument anticoncurrentielles, intervenues sur le ou les mêmes marchés de produits et géographiques au cours de la ou des mêmes périodes (arrêts du 25 février 2021, Slovak Telekom, C 857/19, EU:C:2021:139, point 30, et du 20 avril 2023, Amazon.com e.a./Commission, C 815/21 P, EU:C:2023:308, point 27). La Commission garde la possibilité d’ouvrir une procédure même si une autorité nationale traite déjà de l’affaire, sous réserve d’une simple consultation de ladite autorité (arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T 339/04, EU:T:2007:80, point 80).

21 Quatrièmement, il y a lieu de rappeler que, selon le point 4 de la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (JO 2004, C 101, p. 43, ci-après la « communication sur la coopération »), les consultations et les échanges au sein du réseau formé par les autorités de concurrence sont une affaire entre autorités agissant dans l’intérêt public et que, selon son point 31, cette communication ne confère pas aux entreprises impliquées un droit individuel à voir l’affaire traitée par une autorité donnée. Plus généralement, ni le règlement no 1/2003 ni ladite communication ne créent de droits ou d’attentes pour une entreprise en ce qui concerne le traitement de son affaire par une autorité de concurrence donnée (voir arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, point 39 et jurisprudence citée, et ordonnance du 14 octobre 2021, Amazon.com e.a./Commission, T 19/21, EU:T:2021:730, point 48 et jurisprudence citée).

22 Aux termes du point 5 de la communication sur la coopération, chaque membre du réseau conserve toute latitude pour décider d’enquêter ou non sur une affaire et son point 55 prévoit, conformément à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, que la Commission informe l’autorité nationale traitant une affaire des motifs pour lesquels elle décide de la reprendre.

23 S’agissant de la réattribution des affaires entre autorités de concurrence, le point 18 de la communication sur la coopération prévoit que « [s]i des problèmes de réattribution d’affaires surviennent, il convient de les résoudre rapidement, en principe dans les deux mois suivant la date de la première information envoyée au réseau conformément à l’article 11 du règlement [no 1/2003] » et que, « [d]urant ce délai, les autorités de concurrence s’efforcent de parvenir à un accord sur une éventuelle réattribution et, au besoin, sur les modalités d’une action parallèle ».

24 Le point 19 de la communication sur la coopération dispose ce qui suit :

« […] l’autorité ou les autorités de concurrence traitant une affaire à la fin du délai de réattribution doivent continuer à la traiter jusqu’à l’achèvement de la procédure. La réattribution d’une affaire au-delà du délai initial de deux mois ne doit se faire qu’en cas d’évolution importante, en cours de procédure, des faits connus de l’affaire. »

25 Enfin, le point 54 de la communication sur la coopération vise plus particulièrement la situation dans laquelle la Commission ouvre une procédure sur le fondement de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, après qu’« une ou plusieurs autorités nationales de concurrence ont informé le réseau […] qu’elles traitaient d’une affaire donnée ». Ce point indique que, « [a]u cours de la période d’attribution initiale », à savoir le « délai indicatif de deux mois » mentionné au point 18 de la même communication, la Commission peut ouvrir une procédure sur le fondement de ladite disposition, après avoir consulté les autorités concernées. En outre, il précise que, « [à] l’issue de la phase d’attribution », la Commission n’applique, en principe, cette disposition que dans certains cas, à savoir lorsque des membres du réseau envisagent des décisions contradictoires dans la même affaire [point 54, sous a)] ; lorsque ceux ci envisagent une décision manifestement contraire à la jurisprudence constante [point 54, sous b)] ; lorsqu’un ou plusieurs membres prolongent une procédure à l’excès [point 54, sous c)] ; pour développer la politique de la concurrence de l’Union, notamment si une question similaire de concurrence se pose dans plusieurs États membres, ou pour assurer une application efficace [point 54, sous d)] ; ou même en l’absence d’opposition de la ou des autorités nationales de concurrence concernées [point 54, sous e)].

26 C’est sur la base de ces éléments qu’il y a lieu d’apprécier les moyens des requérantes.

27 En l’espèce, les requérantes soulignent ne pas contester le contenu de la décision attaquée, qu’elles ont accepté dans le cadre de la procédure de transaction. Elles précisent que la requête porte uniquement sur les irrégularités procédurales ayant conduit à la réattribution de l’affaire à la Commission et finalement à l’adoption de ladite décision.

28 À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent six moyens. Le premier moyen est tiré de la violation des principes énoncés dans la communication sur la coopération. Le deuxième moyen est pris de la violation du principe de protection de la confiance légitime et de l’insuffisance de motivation de la décision attaquée. Le troisième moyen repose sur la violation du principe de subsidiarité. Le quatrième moyen est fondé sur la violation des droits de la défense. Le cinquième moyen repose sur la violation du principe de proportionnalité. Le sixième moyen est tiré de la violation du principe de bonne administration.

29 Il y a lieu d’examiner ensemble les premier et deuxième moyens, puis les autres moyens dans l’ordre dans lequel ils ont été présentés.

1. Sur les premier et deuxième moyens, tirés d’une violation de la communication sur la coopération et du principe de protection de la confiance légitime ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation

30 Les requérantes soutiennent, en substance, premièrement, que la Commission est tenue par la communication sur la coopération, laquelle ferait naître une confiance légitime et, deuxièmement, que la Commission n’a pas motivé sa décision de s’écarter du délai de réattribution initiale prévu par ladite communication.

a) Sur l’argumentation selon laquelle la Commission est tenue par la communication sur la coopération, laquelle ferait naître une confiance légitime

31 Les arguments des requérantes s’articulent, en substance, en trois branches. La première est relative à la question de savoir si la Commission est tenue par la communication sur la coopération. La deuxième vise à déterminer si les points 18 et 19 de ladite communication ont fait naître une confiance légitime quant à une réattribution de l’affaire dans un délai de deux mois et la troisième consiste à déterminer s’il existait, en l’espèce, des raisons de déroger à ce délai.

1) Sur la première branche, selon laquelle la Commission est tenue par la communication sur la coopération

32 Les requérantes soutiennent qu’il résulte de la jurisprudence que, en adoptant des règles de conduite telles que celles exposées dans la communication sur la coopération, la Commission s’autolimite dans son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ses règles sans se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation des principes généraux du droit, dont la protection de la confiance légitime.

33 La Commission et la République fédérale d’Allemagne contestent les arguments des requérantes.

34 À cet égard, il convient de rappeler que, selon la Cour, la série C du Journal officiel de l’Union européenne a, contrairement à la série L de celui-ci, pour objet de publier non des actes juridiquement contraignants, mais seulement des informations, des recommandations et des avis concernant l’Union (arrêts du 12 mai 2011, Polska Telefonia Cyfrowa, C 410/09, EU:C:2011:294, point 35, et du 13 décembre 2012, Expedia, C 226/11, EU:C:2012:795, point 30). Or, la communication sur la coopération, adoptée dans le cadre du réseau européen de la concurrence, a été publiée au cours de l’année 2004 dans la série C dudit Journal officiel [arrêt du 20 janvier 2016, DHL Express (Italy) et DHL Global Forwarding (Italy), C 428/14, EU:C:2016:27, point 34].

35 Cependant, il ressort de la jurisprudence que, lorsque la Commission adopte des règles de conduite et annonce par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, elle s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (arrêt du 16 février 2017, H&R ChemPharm/Commission, C 95/15 P, non publié, EU:C:2017:125, point 57).

36 Ainsi que le relèvent les requérantes, le Tribunal a récemment indiqué que cette jurisprudence s’appliquait à la communication sur la coopération, par laquelle la Commission s’est autolimitée dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans le traitement des plaintes en définissant des orientations qui visent à clarifier, notamment, dans quelles conditions il peut être considéré que soit la Commission, soit une seule autorité nationale de concurrence, soit plusieurs autorités nationales de concurrence sont mieux placées pour examiner une plainte (arrêt du 9 février 2022, Sped Pro/Commission, T 791/19, EU:T:2022:67, point 40).

37 La Commission considère toutefois que la communication sur la coopération se distingue des autres communications du fait qu’elle traite uniquement des relations entre autorités de concurrence. De plus, l’arrêt du 9 février 2022, Sped Pro/Commission (T 791/19, EU:T:2022:67), ne serait pas pertinent en l’espèce, puisqu’il porte sur le « traitement des plaintes » au titre de l’article 7 du règlement no 1/2003 et de l’article 7 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), et non sur la réattribution d’affaires ou sur une décision établissant une infraction aux règles de concurrence. La préoccupation sous-jacente dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt aurait été d’éviter une situation dans laquelle une plainte ne serait pas examinée, tandis que les requérantes font valoir en l’espèce que c’est la Commission qui devait être empêchée d’appliquer l’article 101 TFUE, et non l’Office fédéral des ententes, pour la seule raison que le délai initial d’attribution avait expiré. Cela irait en fait à l’encontre de l’objectif poursuivi par ledit arrêt, à savoir l’application effective des règles de concurrence. De plus, la communication sur la coopération aborderait essentiellement le traitement des plaintes en ses points 20 à 25, 35 et 36, lequel ne serait pas en cause en l’espèce.

38 Or, à cet égard, il y a lieu de relever que la distinction invoquée par la Commission entre le cas dans lequel une affaire a été introduite à la suite d’une plainte et le cas dans lequel elle s’est saisie d’office d’une affaire – et, a fortiori, comme en l’espèce, à la suite de la demande de l’Office fédéral des ententes de le faire – n’est pas pertinente.

39 En effet, certes, l’arrêt du 9 février 2022, Sped Pro/Commission (T 791/19, EU:T:2022:67), concerne le risque de violation des droits d’un plaignant en cas de rejet d’une plainte.

40 Toutefois, la communication sur la coopération traite conjointement des cas dans lesquels l’affaire a été introduite à la suite d’une plainte et de ceux dans lesquels une autorité de concurrence s’est saisie d’office.

41 En particulier, les points 18 et 19 de la communication sur la coopération, relatifs aux questions de réattribution et pour lesquels les requérantes se prévalent d’une violation, ne font aucune distinction selon que l’affaire en cause est instruite d’office ou à la suite d’une plainte.

42 Il convient donc de considérer que, malgré le fait que les échanges au sein du réseau sont une affaire entre autorités de concurrence agissant dans l’intérêt public et ne modifient nullement les droits ou obligations incombant aux entreprises (point 4 de la communication sur la coopération), la Commission, en adoptant cette communication, ne s’est pas autolimitée uniquement à l’égard des plaignants, mais aussi à l’égard des entreprises dont les activités font l’objet d’une enquête.

43 Un manquement de la Commission aux règles qu’elle s’est elle-même imposées pourrait ainsi conduire, conformément à la jurisprudence rappelée au point 35 ci dessus, à une violation des principes généraux tels que la protection de la confiance légitime, que les requérantes ont soulevée en l’espèce et qui fait l’objet des deuxième et troisième branches ci-après.

2) Sur la deuxième branche, selon laquelle les points 18 et 19 de la communication sur la coopération ont fait naître une confiance légitime

44 Les requérantes considèrent que les règles de réattribution des affaires énoncées aux points 18 et 19 de la communication sur la coopération ont fait naître une confiance légitime sur le fait que toute réattribution de l’affaire aurait lieu au cours du délai initial de deux mois.

45 La Commission et la République fédérale d’Allemagne contestent les arguments des requérantes.

46 À cet égard, il convient de rappeler que, pour que la violation du principe de protection de la confiance légitime soit constatée, il faut qu’une institution de l’Union, en fournissant à un administré des assurances précises, ait fait naître chez lui des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants (voir arrêt du 16 septembre 2021, FVE Holýšov I e.a./Commission, C 850/19 P, non publié, EU:C:2021:740, point 34 et jurisprudence citée).

47 Or, la communication sur la coopération ne fournit aucune assurance précise selon laquelle le délai de réattribution ne pourrait être supérieur à une période de deux mois.

48 En effet, premièrement, la réattribution devant se faire, selon le point 18 de la communication sur la coopération (voir point 23 ci-dessus), « en principe », dans un délai de deux mois, il résulte de ces termes que ce délai n’est pas impératif. En outre, ce point n’est, en tout état de cause, pas pertinent au regard des circonstances de l’espèce, étant donné qu’il est constant entre les parties que l’Office fédéral des ententes et la Commission n’ont pas eu, selon les termes de cette disposition, à « s’efforce[r] de parvenir à un accord sur une éventuelle réattribution » pour « résoudre » des « problèmes de réattribution », mais que la Commission a ouvert la procédure à la demande de l’Office fédéral des ententes.

49 Deuxièmement, il convient de relever que les requérantes se prévalent d’une interprétation stricte du point 19, seconde phrase, de la communication sur la coopération rappelé au point 24 ci-dessus. Selon celles ci, l’expression « faits connus de l’affaire » couvre seulement les faits qui s’avèrent pertinents pour déterminer si une infraction aux règles de concurrence a été commise, et non les événements qui ont eu lieu au cours de la procédure administrative ultérieure et qui pourraient avoir un impact sur celle ci.

50 Toutefois, selon une jurisprudence constante, il convient, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir arrêt du 27 janvier 2021, De Ruiter, C 361/19, EU:C:2021:71, point 39 et jurisprudence citée).

51 Ainsi, l’interprétation proposée par les requérantes ne peut pas être retenue, car elle se heurte à l’interprétation du point 19 de la communication sur la coopération à l’aune du contexte dans lequel il s’insère. En effet, il résulte des différents cas de figure prévus au point 54 de ladite communication (voir point 25 ci dessus) que divers motifs peuvent justifier l’ouverture par la Commission d’une procédure sur le fondement de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003. Dès lors que ces cas de figure vont au-delà des faits qui s’avèrent pertinents pour déterminer si une infraction aux règles de concurrence a été commise, la notion d’« évolution importante, en cours de procédure, des faits connus de l’affaire » doit être interprétée comme couvrant tout fait pertinent qui se manifeste au cours de la procédure.

52 Il y a donc lieu de rejeter l’argumentation des requérantes selon laquelle les points 18 et 19 de la communication sur la coopération ont fait naître une confiance légitime dans le fait que toute réattribution devait se faire dans un délai de deux mois.

3) Sur la troisième branche, selon laquelle il n’existait, en l’espèce, aucune évolution importante des faits de l’affaire

53 Selon les requérantes, il n’existait, en l’espèce, aucune évolution importante des faits de l’affaire, au sens du point 19 de la communication sur la coopération, pour qu’il soit dérogé au délai initial de deux mois.

54 La Commission et la République fédérale d’Allemagne contestent les arguments des requérantes.

55 Premièrement, il est constant entre les parties que, après que l’Office fédéral des ententes a ouvert la procédure, il s’est avéré que certaines filiales des requérantes faisaient l’objet de restructurations.

56 Selon les explications fournies par la Commission, le droit allemand de la concurrence en vigueur à l’époque suivait l’approche de la « notion juridique d’entreprise » selon laquelle, en principe, seules pouvaient être tenues pour responsables d’une infraction à l’article 101 TFUE les entités juridiques qui avaient participé à l’infraction ou auxquelles la responsabilité pouvait en être imputée. Dans le cas de restructurations internes, des entités pouvaient ne pas être tenues pour responsables d’une éventuelle infraction aux règles de concurrence.

57 Les requérantes avancent que le législateur allemand avait déjà pris, au moment de la réattribution de l’affaire, des mesures visant à aligner les règles allemandes relatives à la responsabilité des sociétés mères et des successeurs légaux sur les règles de l’Union.

58 Il y a toutefois lieu de constater que l’exposé des motifs du projet de la neuvième modification de la loi allemande contre les restrictions de concurrence, à laquelle renvoient les requérantes, indique que le droit allemand, tel qu’applicable avant le 9 juin 2017, date d’entrée en vigueur de ladite modification, souffrait de « lacunes » et que des entreprises pouvaient échapper aux sanctions en procédant, notamment, à des restructurations. Or, la période infractionnelle a débuté le 11 mars 2011 et, selon les explications fournies par les requérantes, le groupe Crown a « entrepris une série de restructurations de ses activités européennes (y compris de ses activités en Allemagne) entre 2011 et 2016 ». Certaines entités avaient donc été restructurées avant l’entrée en vigueur de ladite modification, à une époque où le droit allemand connaissait, selon ledit projet, des « lacunes ».

59 Deuxièmement, il est également constant entre les parties que, au cours de la procédure devant l’Office fédéral des ententes, se sont développés des soupçons de violation du droit de la concurrence dans plusieurs États membres de l’Union.

60 À cet égard, aucun élément au dossier ne permet de vérifier l’assertion des requérantes selon laquelle le ou les documents clés évoquant des violations du droit de la concurrence dans plusieurs États membres de l’Union auraient été élaborés dès novembre 2013 et auraient été en possession de l’Office fédéral des ententes en mars 2015 lorsque ce dernier les a saisis au cours de son inspection dans leurs locaux, les requérantes n’ayant produit aucune preuve devant le Tribunal à cet égard.

61 En tout état de cause, à supposer que l’Office fédéral des ententes ait eu connaissance, dès janvier 2016, des restructurations opérées par les requérantes et des violations du droit de la concurrence dans plusieurs États membres de l’Union, celles ci ne sauraient reprocher utilement à la Commission le fait que l’Office fédéral des ententes avait enquêté pendant une certaine période avant finalement de lui demander de se saisir de l’affaire en cause.

62 Ainsi, outre qu’il résulte de l’examen de la deuxième branche que le délai de deux mois dans lequel doit avoir lieu la réattribution d’une affaire au sens du point 19 de la communication sur la coopération n’est pas impératif, il convient de constater qu’il existait, en l’espèce, des raisons de dépasser ce délai.

63 Il y a donc lieu de conclure que, même si la Commission est tenue par la communication sur la coopération, ladite communication n’a pas fait naître une confiance légitime quant au fait que la réattribution de l’affaire devait avoir lieu au cours d’un délai initial de deux mois et que, en tout état de cause, une évolution importante, en cours de procédure, des faits connus de l’affaire a justifié sa réattribution de l’Office fédéral des ententes à la Commission.

b) Sur l’argumentation selon laquelle la Commission n’a pas motivé sa décision de s’écarter du délai de réattribution initiale prévu par la communication sur la coopération

64 Les requérantes avancent que, selon la jurisprudence, le fait qu’un acte s’écarte d’une « norme plus générale » renforce normalement l’exigence de motivation. Or, la Commission n’aurait fourni aucune motivation à propos de la réattribution de l’affaire près de trois ans après que l’Office fédéral des ententes avait effectué ses inspections inopinées, que ce soit dans la décision d’ouverture ou dans la décision attaquée. Les justifications énoncées dans son communiqué de presse du 3 mai 2018, à savoir que le comportement anticoncurrentiel suspecté pourrait s’étendre à d’autres marchés que celui de la République fédérale d’Allemagne, et dans son communiqué de presse du 12 juillet 2022, à savoir que le droit allemand applicable à l’époque ne lui permettait pas de sanctionner certaines filiales en raison d’un programme de restructuration, ne figureraient pas dans la décision attaquée.

65 La Commission et la République fédérale d’Allemagne contestent les arguments des requérantes.

66 Il convient d’abord de relever que la jurisprudence à laquelle renvoient les requérantes, selon laquelle le fait qu’un acte s’écarte d’une norme plus générale renforce normalement l’exigence de motivation et selon laquelle cette exigence est d’autant plus forte que la dérogation réalise une modification de la situation existante, susceptible de porter préjudice aux intérêts de ces destinataires (arrêt du 25 octobre 2001, Italie/Conseil, C 120/99, EU:C:2001:567, point 53), n’est pas pertinente, dès lors qu’il résulte de ce qui précède que la Commission ne s’est pas écartée de la communication sur la coopération.

67 Ensuite, force est de constater que la Commission a indiqué, au considérant 11 de la décision attaquée, avoir ouvert la procédure à la demande de l’Office fédéral des ententes.

68 En outre, les justifications données dans les communiqués de presse de la Commission et de l’Office fédéral des ententes permettaient aux requérantes de comprendre le contexte ayant conduit ledit office à faire cette demande et la Commission à ouvrir une procédure en vertu de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003.

69 En effet, selon le communiqué de presse de la Commission du 12 juillet 2022, publié à l’issue de l’adoption de la décision attaquée, ledit office avait renvoyé l’affaire devant elle parce que la loi allemande alors applicable ne lui permettait pas de sanctionner les entreprises appartenant aux requérantes qui avaient été dissoutes ou réorganisées avant la conclusion de son enquête. Le législateur allemand aurait, depuis, comblé cette « lacune ».

70 En outre, selon le communiqué de presse de l’Office fédéral des ententes du 27 avril 2018, d’une part, il existait des indices concrets d’infractions au droit des ententes dans plusieurs États membres de l’Union. D’autre part, au cours de la procédure menée par cette autorité, certaines des entreprises concernées avaient procédé à des restructurations qui, en raison de la situation juridique existant en Allemagne jusqu’au milieu de l’année 2017, pouvaient avoir pour effet de rendre impossible toute sanction par ladite autorité. Ledit communiqué a également souligné l’importance d’une coopération étroite entre les autorités de concurrence et le fait que la Commission et l’Office fédéral des ententes avaient pour habitude de collaborer étroitement à l’application des règles de concurrence de l’Union.

71 Il convient donc de rejeter l’argumentation tirée d’un défaut de motivation.

72 Il résulte ainsi de l’ensemble de ce qui précède qu’il convient de rejeter les premier et deuxième moyens, tirés d’une violation de la communication sur la coopération et du principe de protection de la confiance légitime et d’une insuffisance de motivation de la décision attaquée.

2. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de subsidiarité

73 Les requérantes renvoient notamment à la jurisprudence selon laquelle le règlement no 1/2003 organise, conformément au principe de subsidiarité, une association plus large des autorités nationales de concurrence. La Commission serait ainsi tenue de respecter le principe de subsidiarité dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires que lui confère le règlement no 1/2003. Il aurait donc été inapproprié de la part de la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accepter la réattribution de l’affaire afin de contourner les règles allemandes.

74 La Commission et la République fédérale d’Allemagne contestent les arguments des requérantes.

75 En vertu du principe de subsidiarité, tel que consacré à l’article 5, paragraphe 3, TUE, l’Union intervient dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union.

76 Aux termes du considérant 34 du règlement no 1/2003, « [c]onformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité énoncés à l’article 5[, paragraphes 1 et 3, TUE], [ledit] règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre son objectif qui est de permettre l’application efficace des règles […] de concurrence [de l’Union] ».

77 Le Tribunal a déjà jugé que le principe de subsidiarité ne remettait pas en cause les compétences conférées à la Commission par le traité FUE, parmi lesquelles figure l’application des règles de concurrence (arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T 339/04, EU:T:2007:80, point 89).

78 Comme il a été rappelé aux points 18 et 19 ci dessus, si le règlement no 1/2003 a mis fin au régime centralisé antérieur et organise, conformément au principe de subsidiarité, une association plus large des autorités nationales de concurrence, la Commission conserve un rôle prépondérant dans la recherche et la poursuite des infractions.

79 De la sorte, comme il a été rappelé au point 20 ci dessus, l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 prévoit, sous réserve d’une simple consultation de l’autorité nationale concernée, que la Commission garde la possibilité d’ouvrir une procédure en vue de l’adoption d’une décision même si une autorité nationale traite déjà de l’affaire.

80 En l’espèce, ainsi qu’il est indiqué au considérant 11 de la décision attaquée, la Commission ayant ouvert la procédure à la demande même de l’Office fédéral des ententes, la condition posée par l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 a été pleinement satisfaite. Ladite ouverture n’a donc pas porté atteinte aux prérogatives de l’État membre concerné et toute violation du principe de subsidiarité est nécessairement exclue.

81 Il y a donc lieu de rejeter le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de subsidiarité.

3. Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

82 Les requérantes font valoir que leur capacité à se défendre efficacement a été considérablement affectée par le retard dans la réattribution de l’affaire. Premièrement, le fait d’avoir dû se soumettre à deux séries d’inspections par deux autorités différentes et à des mesures d’enquête faisant double emploi aurait augmenté les perturbations subies et les coûts de la défense. Leur situation juridique aurait changé en raison de la réattribution de l’affaire, dès lors que, après plusieurs années d’enquête par l’Office fédéral des ententes, elles auraient été raisonnablement en droit d’attendre de pouvoir se prévaloir des droits spécifiques prévus par les lois procédurales allemandes. Deuxièmement, au cours de ces deux enquêtes, plusieurs employés importants auraient pris leur retraite ou auraient cessé d’être leurs employés, les privant de la possibilité de bénéficier de leur connaissance détaillée des faits, et, en raison du délai considérable qui se serait écoulé, la clarté des souvenirs des autres employés aurait considérablement diminué.

83 La Commission conteste les arguments des requérantes.

84 À cet égard, il résulte du considérant 16, sous c), de la décision attaquée que les requérantes ont confirmé avoir « été suffisamment mise[s] en mesure de faire connaître [leur] point de vue à la Commission ».

85 En outre, premièrement, s’agissant de l’argument des requérantes tiré du fait qu’elles ont dû se défendre devant deux autorités différentes, une telle circonstance n’emporte pas d’effets dépassant le cadre procédural et n’affecte donc pas leur situation juridique (voir, en ce sens, ordonnance du 14 octobre 2021, Amazon.com e.a./Commission, T 19/21, EU:T:2021:730, point 36).

86 Deuxièmement, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel il a été porté atteinte à leurs droits de la défense au motif que le temps a altéré les souvenirs de leurs employés et que certains auraient même entre temps pris leur retraite, il revêt un caractère abstrait et imprécis. Cette argumentation générale n’est dès lors pas de nature à établir la réalité d’une violation des droits de la défense, laquelle doit être examinée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C 105/04 P, EU:C:2006:592, point 59).

87 Dès lors, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense.

4. Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

88 Les requérantes considèrent que, lorsque la Commission exerce les pouvoirs lui permettant d’appliquer l’article 101 TFUE, elle est tenue de veiller à ne pas excéder ce qui est nécessaire et approprié et doit toujours s’efforcer de recourir à la mesure la moins contraignante. Or, quelles que soient les justifications avancées par la Commission, la décision attaquée serait invalide du fait de la réattribution tardive de l’affaire, laquelle aurait constitué un exercice disproportionné des pouvoirs d’enquête dont dispose la Commission en vertu du règlement no 1/2003.

89 La Commission conteste les arguments des requérantes.

90 Il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés [voir arrêt du 18 octobre 2023, Ryanair/Commission (Nordica ; COVID-19), T 769/20, non publié, EU:T:2023:642, point 119 et jurisprudence citée].

91 En l’espèce, d’une part, il résulte des « lacunes » du droit allemand précédemment relevées (voir point 58 ci dessus) que l’Office fédéral des ententes aurait pu ne pas être en mesure de s’assurer que les éventuelles infractions seraient intégralement sanctionnées.

92 D’autre part, il a également déjà été relevé que, au cours de la procédure devant l’Office fédéral des ententes, s’étaient développés des soupçons de violation du droit de la concurrence dans plusieurs États membres de l’Union (voir point 59 ci dessus). Or, conformément au point 14 de la communication sur la coopération, la Commission doit être considérée comme particulièrement bien placée « si un ou plusieurs accords ou pratiques […] ont des effets sur la concurrence dans plus de trois États membres ».

93 Chacune de ces raisons suffit pour conclure que la Commission ne s’est pas livrée à un exercice disproportionné des pouvoirs dont elle disposait.

94 Il y a donc lieu de rejeter le cinquième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité.

5. Sur le sixième moyen, tiré d’une violation du principe de bonne administration

95 Les requérantes considèrent que le principe de bonne administration, consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a été violé du fait, comme elles l’ont déjà exposé, que la réattribution de l’affaire après le délai de réattribution initiale prévu aux points 18, 19 et 54 de la communication sur la coopération a constitué une violation manifeste des règles de conduite que la Commission s’était fixées elle-même. Le non-respect des principes de réattribution des affaires prévus par cette communication enfreindrait également le code européen de bonne conduite administrative prévoyant que cette dernière doit être cohérente dans sa conduite administrative et se conformer à sa pratique habituelle.

96 La Commission conteste les arguments des requérantes.

97 Le droit de l’Union exige des institutions qu’elles traitent dans un délai raisonnable les affaires dans le cadre des procédures administratives qu’elles mènent (voir arrêt du 5 juin 2012, Imperial Chemical Industries/Commission, T 214/06, EU:T:2012:275, point 284).

98 En effet, l’obligation d’observer un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives constitue un principe général du droit de l’Union repris, notamment, à l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux (voir arrêts du 11 avril 2006, Angeletti/Commission, T 394/03, EU:T:2006:111, point 162, et du 7 juin 2013, Italie/Commission, T 267/07, EU:T:2013:305, point 61).

99 En l’espèce, dès lors que c’est par une lettre du 14 juin 2017 que l’Office fédéral des ententes a invité la Commission à ouvrir une procédure d’examen et que cette dernière a ouvert une telle procédure le 19 avril 2018, un délai de plus de dix mois s’est écoulé.

100 À cet égard, si la requérante argue d’un retard de près de trois ans dans la réattribution de l’affaire, il convient de relever que le délai imputé à la Commission ne peut commencer à courir qu’à partir du moment où elle a eu connaissance de l’infraction en cause. Or, les requérantes n’ont pas établi que la Commission avait eu connaissance des éléments de cette infraction qui pouvaient justifier l’ouverture de la procédure par elle avant d’en avoir été informée par la lettre du 14 juin 2017.

101 Quant au caractère raisonnable du délai d’environ dix mois, selon la jurisprudence, le caractère raisonnable du délai est apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire ainsi que du comportement de la partie requérante et de celui des autorités compétentes (arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C 238/99 P, C 244/99 P, C 245/99 P, C 247/99 P, C 250/99 P à C 252/99 P et C 254/99 P, EU:C:2002:582, point 187).

102 Premièrement, concernant l’enjeu du litige pour l’intéressé, il convient de rappeler que, en cas de litige concernant une infraction au droit de la concurrence, l’exigence fondamentale de sécurité juridique dont doivent bénéficier les opérateurs économiques ainsi que l’objectif d’assurer que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur présentent un intérêt considérable non seulement pour la partie requérante et pour ses concurrents, mais également pour les tiers, en raison du grand nombre de personnes concernées et des intérêts financiers en jeu (voir arrêt du 1er février 2017, Aalberts Industries/Union européenne, T 725/14, EU:T:2017:47, point 40 et jurisprudence citée).

103 En l’espèce, la Commission a constaté dans la décision attaquée que les requérantes avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et les a condamnées à une amende de 7 670 000 euros.

104 Il est donc permis de considérer que l’enjeu de l’affaire était important pour les requérantes.

105 Deuxièmement, concernant la complexité de l’affaire, il peut être considéré que les circonstances de l’espèce, à savoir l’existence d’une série de restructurations effectuées à une époque où la loi allemande souffrait de « lacunes » (voir point 58 ci dessus) ainsi que les soupçons de violation du droit de la concurrence dans plusieurs États membres de l’Union (voir point 59 ci dessus), contribuaient à une telle complexité.

106 Troisièmement, concernant le comportement des parties, il n’est pas contesté que les requérantes ont collaboré avec l’Office fédéral des ententes. Toutefois, une telle collaboration, en soi, ne permet de tirer aucune conclusion sur le délai dans lequel la Commission a ouvert la procédure à la suite de la demande de ce dernier.

107 Par ailleurs, il ne saurait être exclu que le délai d’un peu plus de dix mois qui s’est écoulé entre l’invitation à ouvrir une procédure d’infraction adressée à la Commission par l’Office fédéral des ententes et l’adoption de la décision d’ouverture puisse s’expliquer par le fait que la Commission, comme elle l’a fait valoir lors de l’audience, a dû examiner les informations transmises par ledit office dans le cadre d’une affaire complexe et préparer des inspections au titre de l’article 20 du règlement no 1/2003.

108 Ainsi, compte tenu de ces éléments, un délai d’un peu plus de dix mois n’apparaît pas comme étant déraisonnable dans les circonstances de la présente affaire.

109 En tout état de cause, une éventuelle violation du principe du respect du délai raisonnable ne justifie pas, en règle générale, l’annulation de la décision prise à l’issue d’une procédure administrative. En effet, ce n’est que lorsque l’écoulement excessif du temps est susceptible d’avoir une incidence sur la teneur même de la décision adoptée à l’issue de la procédure administrative que le non-respect du principe du délai raisonnable affecte la validité de la procédure administrative. Il peut en aller ainsi dans des procédures administratives lorsque l’écoulement excessif du temps affecte la capacité des personnes concernées de se défendre effectivement (voir arrêt du 25 octobre 2017, Lucaccioni/Commission, T 551/16, non publié, EU:T:2017:751, point 94 et jurisprudence citée).

110 Or, il résulte de ce qui précède (voir points 84 à 87 ci dessus) que les requérantes sont restées en défaut d’établir que leurs droits de la défense avaient été affectés.

111 Il y a donc lieu de rejeter l’argument des requérantes selon lequel le principe de bonne administration, consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux, a été violé du fait que l’affaire en cause a été réattribuée après les délais indiqués aux points 18, 19 et 54 de la communication sur la coopération.

112 Enfin, en ce qui concerne les arguments des requérantes relatifs au code européen de bonne conduite administrative, il suffit de rappeler que ce code n’est pas un texte juridiquement contraignant et qu’il ne crée aucun droit dont les requérantes pourraient se prévaloir à l’appui de leur recours (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2018, Przedsiębiorstwo Energetyki Cieplnej/ECHA, T 625/16, non publié, EU:T:2018:44, point 116 et jurisprudence citée).

113 Dès lors, il y a lieu de rejeter le sixième moyen, tiré d’une violation du principe de bonne administration, et, par voie de conséquence, le recours dans son intégralité.

B. Sur la demande reconventionnelle de la Commission

114 Selon la Commission, la charge administrative supplémentaire occasionnée par les requérantes après la conclusion de la transaction rend nécessaire une réévaluation du montant de l’amende qui leur a été infligée. Les requérantes n’avanceraient que des moyens par lesquels elles contestent la compétence de la Commission pour mener la procédure administrative en cause, bien qu’elles aient déclaré dans le cadre de leurs propositions de transaction qu’elles accepteraient que la Commission leur inflige une amende. La Commission estime que la réduction de 10 % de l’amende au titre du point 32 de la communication sur la transaction n’est plus justifiée, et demande donc au Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de fixer le montant de l’amende infligée aux requérantes à 9 588 000 euros. À titre subsidiaire, la Commission propose de tenir compte du fait que la procédure de transaction en l’espèce n’a contribué que dans une mesure beaucoup plus limitée que d’habitude à la préservation des ressources publiques, et soutient que cela ne justifiait pas une pleine réduction de 10 % du montant de l’amende.

115 Les requérantes contestent les arguments de la Commission. En particulier, selon elles, aucune base juridique ne permet de supprimer la réduction accordée dans le cadre de la transaction.

116 Il convient donc, d’abord, de vérifier si le Tribunal jouit de la compétence de supprimer la réduction accordée dans le cadre de la transaction, ce qui reviendrait à augmenter l’amende, puis d’apprécier le bien-fondé de la demande de la Commission.

1. Sur la compétence du Tribunal

117 Il convient de rappeler que le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge de l’Union, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou l’astreinte infligée (voir arrêts du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C 386/10 P, EU:C:2011:815, point 63 et jurisprudence citée, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T 590/20, EU:T:2023:650, point 185 et jurisprudence citée).

118 Si l’exercice de la compétence de pleine juridiction est le plus souvent sollicité par les parties requérantes dans le sens d’une réduction du montant de l’amende, rien ne s’oppose à ce que la Commission puisse également soumettre au juge de l’Union la question du montant de l’amende et formuler une demande d’augmentation dudit montant (arrêts du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T 69/04, EU:T:2008:415, point 244, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T 590/20, EU:T:2023:650, point 221).

119 Cette compétence de pleine juridiction vaut également dans l’hypothèse dans laquelle, comme en l’espèce, les requérantes ne demandent pas, à titre subsidiaire, une réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée. En effet, l’article 31 du règlement no 1/2003, qui prévoit expressément que le juge de l’Union peut « supprimer, réduire ou majorer l’amende » dans le cadre des recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende, ne conditionne pas cette compétence à une telle demande.

120 Il convient donc d’écarter la fin de non-recevoir opposée par les requérantes à la demande reconventionnelle présentée par la Commission.

2. Sur le bien fondé de la demande

a) Observations liminaires

121 En premier lieu, s’agissant de la procédure de transaction, le Tribunal a déjà rappelé ses traits essentiels aux points 58 à 74 de l’arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission (T 456/10, EU:T:2015:296), et, dernièrement, aux points 208 à 216 de l’arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission (T 590/20, EU:T:2023:650).

122 Il ressort de ladite jurisprudence que la procédure de transaction permet à la Commission de traiter les affaires d’entente plus rapidement et plus efficacement. L’objectif de cette procédure est donc de simplifier et d’accélérer les procédures administratives, en vue de permettre à la Commission de traiter davantage d’affaires avec les mêmes ressources (arrêts du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T 456/10, EU:T:2015:296, point 60, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T 590/20, EU:T:2023:650, point 209).

123 La procédure de transaction se déroule essentiellement de la manière suivante. Cette procédure est engagée par la Commission avec l’accord des entreprises concernées (communication sur la transaction, points 5, 6 et 11). Dès que la procédure est lancée, les entreprises faisant l’objet d’enquêtes et participant à la procédure de transaction sont informées par la Commission, lors de discussions bilatérales, des éléments essentiels « tels que les faits allégués, leur qualification, la gravité et la durée de l’entente alléguée, l’attribution des responsabilités, une estimation des fourchettes d’amendes probables, ainsi que les éléments de preuve utilisés à l’appui des griefs éventuels » (communication sur la transaction, point 16). Ce dispositif permet aux parties de faire valoir leur point de vue sur les griefs que la Commission pourrait soulever à leur égard et de décider, en connaissance de cause, de conclure ou non une transaction (communication sur la transaction, point 16).

124 C’est à la suite de la communication de ces informations que les entreprises concernées ont le choix d’opter pour la procédure de transaction et de présenter une proposition de transaction. Cette proposition de transaction doit contenir, notamment, une reconnaissance en termes clairs et sans équivoque, par les parties, de leur responsabilité dans l’infraction, une indication du montant maximal des amendes qu’elles s’attendent à se voir infliger par la Commission et qu’elles accepteraient dans le cadre d’une procédure de transaction et une confirmation du fait qu’elles n’envisagent pas de demander l’accès au dossier ou à être entendues de nouveau, lors d’une audition, à moins que la communication des griefs et la décision de la Commission ne reflètent pas leur proposition de transaction (communication sur la transaction, point 20).

125 À la suite de cette reconnaissance de responsabilité et des confirmations fournies par les entreprises concernées, la Commission leur transmet la communication des griefs et adopte une décision finale. Celle ci se fonde essentiellement sur le fait que les parties ont sans équivoque reconnu leur responsabilité, n’ont pas contesté la communication des griefs et ont maintenu leur engagement de parvenir à une transaction (communication sur la transaction, points 23 à 28).

126 Dans sa décision finale, la Commission peut décider de récompenser une partie pour la conclusion d’une transaction, et ce à hauteur de 10 % du montant de l’amende à infliger (communication sur la transaction, point 32).

127 En second lieu, s’agissant de la demande reconventionnelle de la Commission, si, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 118 ci-dessus, la Commission peut demander au Tribunal de majorer le montant de l’amende, il convient de rappeler que, à cette fin, il lui incombe de mettre le Tribunal en mesure de déterminer si les circonstances de l’espèce justifient une telle augmentation (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T 224/00, EU:T:2003:195, point 362, et du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T 69/04, EU:T:2008:415, point 251).

128 En particulier, il appartient à la Commission de démontrer que l’augmentation du montant de l’amende est appropriée au regard, notamment, de faits et de circonstances apparus en cours d’instance dont elle n’avait pas connaissance lorsqu’elle a adopté la décision fixant le montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2011, Transcatab/Commission, T 39/06, EU:T:2011:562, point 402, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T 590/20, EU:T:2023:650, point 222). En effet, il importe de savoir si le comportement de la partie requérante a obligé la Commission, contre toute attente qu’elle pouvait raisonnablement fonder sur la base de la coopération de ladite partie pendant la procédure administrative, à élaborer et à présenter une défense devant le Tribunal qui était ciblée sur la contestation d’éléments dont elle pouvait considérer à bon droit qu’ils ne seraient plus remis en question par cette partie (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T 259/02 à T 264/02 et T 271/02, EU:T:2006:396, point 573).

b) Examen de la demande de la Commission

129 En l’espèce, la Commission avance que l’augmentation de l’amende est appropriée, d’une part, parce que les requérantes ne sauraient remettre en cause sa compétence devant le Tribunal pour avoir mené, en l’espèce, la procédure administrative, alors que ces dernières avaient reconnu cette compétence dans leur demande de transaction et, d’autre part, parce que la présente affaire entraînerait une charge administrative supplémentaire.

130 En premier lieu, il convient de vérifier si la Commission a établi à suffisance de droit que, lors de la procédure administrative, les requérantes avaient reconnu sa compétence en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes.

131 Premièrement, alors que la Commission a soutenu, dès le mémoire en défense, que les requérantes avaient, en substance, reconnu cette compétence au cours de la procédure administrative, elle n’a fourni ou proposé de fournir aucun élément de preuve de nature à établir leur prétendue reconnaissance de ladite compétence au cours de la procédure de transaction, que ce soit dans ledit mémoire ou même dans la duplique, alors que la contestation de ladite compétence constitue l’objet même de leur recours.

132 Ce n’est que lors de l’audience que la Commission a indiqué qu’elle était disposée à fournir au Tribunal, dans le cadre d’une mesure d’instruction ordonnée au titre de l’article 92, paragraphe 3, et de l’article 103 du règlement de procédure du Tribunal, la demande de transaction formulée par les requérantes, celle ci ayant un contenu très « sensible » et « confidentiel ». Selon la Commission, ladite demande contient des indications de la reconnaissance de cette compétence.

133 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure dispose que, « [à] titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié ».

134 De même, l’article 88, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que, lorsqu’une demande de mesures d’instruction est formulée après le premier échange de mémoires, la partie qui présente la demande doit exposer les raisons pour lesquelles elle n’a pas pu la présenter antérieurement.

135 En outre, conformément à l’article 92, paragraphe 3, du règlement de procédure, la partie demandant une mesure d’instruction au titre de cette disposition doit justifier la nécessité d’une telle mesure sous forme d’une ordonnance d’instruction.

136 Cependant, indépendamment même de la question de savoir si la démarche de la Commission doit être considérée comme étant une offre de preuve présentée au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure ou une demande de mesures d’instruction au titre de l’article 92, paragraphe 3, du même règlement, force est de constater qu’elle est restée en défaut de fournir une justification valable pour le retard de sa démarche.

137 En effet, la Commission s’est limitée, lors de l’audience, à renvoyer au point 222 de l’arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission (T 590/20, EU:T:2023:650), cité au point 128 ci dessus, et à relever que, en l’espèce, lorsqu’elle avait adopté la décision attaquée, elle ignorait que les requérantes contesteraient sa compétence.

138 Or, d’une part, l’explication de la Commission ne saurait remettre en cause le fait que, suivant le recours des requérantes, dès le mémoire en défense, elle était en mesure de présenter toute preuve, offre de preuve ou demande de mesures d’instruction au soutien de son argument portant, en substance, sur la reconnaissance implicite de sa compétence par les requérantes concernant la procédure de transaction.

139 D’autre part, à supposer que la Commission ait entendu se prévaloir de l’arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission (T 590/20, EU:T:2023:650), au motif qu’il avait été prononcé à une date postérieure au mémoire en défense du 7 décembre 2022 et à la duplique du 5 avril 2023, il convient également de constater que, ainsi qu’il ressort du point 128 ci dessus, cet arrêt ne contient pas d’appréciations juridiques nouvelles quant aux éléments devant justifier une demande reconventionnelle d’augmentation de l’amende de nature à pouvoir justifier le retard de la démarche de la Commission. En effet, il ressortait déjà de la jurisprudence du Tribunal qu’il appartenait à la Commission de justifier sa demande à l’aune d’éléments dont elle n’avait pas connaissance lorsqu’elle avait accordé la réduction de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2011, Transcatab/Commission, T 39/06, EU:T:2011:562, point 402).

140 Par ailleurs, dans la mesure où la Commission s’est référée à l’article 92, paragraphe 3, du règlement de procédure, force est de constater qu’elle n’a pas non plus expliqué pourquoi une mesure d’instruction aurait été nécessaire en l’espèce, en se bornant à évoquer, de manière générique, des prétendues raisons de confidentialité ou de sensibilité, alors que les documents qu’elle proposait de produire émanaient des requérantes elles-mêmes.

141 Dès lors, la demande de la Commission visant à produire certaines preuves devant le Tribunal, formulée lors de l’audience du 20 mars 2024, doit être écartée comme étant irrecevable.

142 Deuxièmement, selon la Commission, la reconnaissance de sa compétence découle du fait que les requérantes avaient déclaré, dans le cadre de leur proposition de transaction, qu’elles accepteraient que la Commission leur infligeât une amende pouvant atteindre un certain plafond.

143 Ainsi, selon le considérant 16, sous a), de la décision attaquée, les requérantes ont reconnu en termes clairs et non équivoques leur responsabilité, les principaux faits, la qualification juridique de ces derniers, y compris leur rôle et la durée de leur participation à l’infraction. Selon le considérant 16, sous b), de ladite décision, elles ont également donné une indication du montant maximal de l’amende qu’elles s’attendaient à se voir imposer et qu’elles accepteraient dans le cadre d’une procédure de transaction.

144 Or, il ne saurait être déduit de la reconnaissance de ces éléments que les requérantes avaient également reconnu la compétence de la Commission, laquelle n’était pas prévue par la communication sur la transaction, à la différence de la reconnaissance desdits éléments, spécifiquement prévue au point 20 de ladite communication (voir point 124 ci dessus).

145 Il y a donc lieu de constater que la Commission n’a pas établi que les requérantes avaient reconnu sa compétence pour mener la procédure administrative en cause.

146 Par ailleurs, il convient de rappeler que, dans des circonstances analogues à celles en cause dans la présente affaire, la Cour a déjà jugé que si, au terme de la procédure administrative suivant la décision d’ouverture, la Commission adoptait une décision affectant les intérêts d’une entreprise telle que la partie requérante, cette décision pouvait faire, en vertu de l’article 263 TFUE, l’objet d’un recours juridictionnel dans le cadre duquel il serait loisible à ladite entreprise d’invoquer tous moyens utiles. En particulier, il ressort de ladite disposition que la question de la compétence de l’auteur de l’acte relève du contrôle exercé par le juge de l’Union dans le cadre d’un tel recours. Il appartient, dès lors, au juge de l’Union d’apprécier si des illégalités à cet égard ont été commises au cours de ladite procédure administrative et si celles-ci sont de nature à affecter la légalité de la décision prise par la Commission au terme de cette procédure (ordonnance du 29 janvier 2020, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission, C 418/19 P, non publiée, EU:C:2020:43, points 63 et 64).

147 Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce qui est argué par la Commission, l’augmentation de l’amende ne saurait être justifiée, dans les circonstances de la présente affaire, par la prétendue remise en cause par les requérantes, pour la première fois devant le Tribunal, d’un fait (à savoir, en l’occurrence, la compétence de la Commission en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes) qu’elles auraient admis au cours de la procédure de transaction devant la Commission. En effet, en l’espèce, la Commission n’a pas été en mesure de démontrer que les requérantes, au cours de la procédure de transaction, avaient reconnu sa compétence en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes, ni même qu’elle pouvait raisonnablement supposer que les requérantes ne contesteraient pas ladite compétence, d’autant plus à l’issue des litiges visés au point 146 ci-dessus et engagés par l’autre groupe concerné par l’infraction.

148 En second lieu, il convient d’examiner l’argumentation subsidiaire de la Commission selon laquelle l’introduction du présent recours a compromis les gains procéduraux qu’elle avait tirés de la procédure de transaction.

149 À cet égard, il résulte du considérant 16 de la décision attaquée que les requérantes ont reconnu leur responsabilité et indiqué le montant maximal de l’amende qu’elles accepteraient (voir point 143 ci dessus) et qu’elles ont confirmé avoir été suffisamment informées des griefs que la Commission envisageait de retenir à leur égard et qu’elles avaient été suffisamment mises en mesure de faire connaître leur point de vue à la Commission [considérant 16, sous c)]. Elles ont également indiqué qu’elles n’envisageaient pas de demander l’accès au dossier ou d’être à nouveau entendues lors d’une audition [considérant 16, sous d)] et elles ont donné leur accord pour recevoir la communication des griefs et la décision finale en anglais [considérant 16, sous e)].

150 Ainsi, contrairement à ce que soutient la Commission, elle a bénéficié de gains procéduraux qui restent acquis, indépendamment de l’introduction du présent recours (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T 590/20, EU:T:2023:650, point 237). La mobilisation des ressources de la Commission aux fins de défendre la décision attaquée devant le Tribunal est inhérente à chaque procédure juridictionnelle et ne remet pas en cause lesdits gains procéduraux, dès lors que, en l’espèce, les requérantes n’entendent pas revenir sur les éléments visés au point 149 ci-dessus, qu’elles ont reconnus dans le cadre de la procédure de transaction, mais contestent uniquement la compétence de la Commission en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes.

151 Il découle de ce qui précède que, dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, l’augmentation de l’amende demandée par la Commission ne saurait être justifiée par la prétendue perte de gains procéduraux, ni par la prétendue charge administrative supplémentaire engendrée par l’introduction du présent recours.

152 Il convient donc de rejeter la demande reconventionnelle de la Commission, y compris en ce qui concerne celle formulée à titre subsidiaire.

IV. Sur les dépens

153 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Selon l’article 134, paragraphe 3, du même règlement, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

154 En l’espèce, les requérantes ont succombé en leur recours, alors que la Commission a succombé en sa demande reconventionnelle. Celle-ci ne visant à majorer le montant des amendes que marginalement, force est de constater que ce sont les requérantes qui ont succombé en l’essentiel de leurs conclusions. Dans ces conditions, il y a lieu de décider que les requérantes supporteront leurs propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission, alors que la Commission supportera 10 % de ses propres dépens.

155 En outre, aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Dès lors, la République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La demande reconventionnelle de la Commission européenne est rejetée.

3) Crown Holdings, Inc. et Crown Cork & Seal Deutschland Holdings GmbH supporteront leurs propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission.

4) La Commission supportera 10 % de ses propres dépens.

5) La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.