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Décisions

TUE, 2e ch. élargie, 2 octobre 2024, n° T-589/22

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Silgan Holdings, Inc., Silgan Holdings Austria GmbH, Silgan International Holdings BV, Silgan Metal Packaging Distribution GmbH, Silgan White Cap Manufacturing GmbH

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marcoulli

Juges :

M. Schwarcz, Mme Tomljenović, M. Norkus (rapporteur), M. Valasidis

Avocats :

Me Seeliger, Me Wollmann, Me Grafunder, Me Gürer, Me Venot

Comm. UE du 12 juill. 2022, aff. AT.4052…

12 juillet 2022

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Silgan Holdings, Inc., Silgan Holdings Austria GmbH, Silgan International Holdings BV, Silgan Metal Packaging Distribution GmbH et Silgan White Cap Manufacturing GmbH, demandent l’annulation de la décision C(2022) 4761 final de la Commission, du 12 juillet 2022, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE (affaire AT.40522 – Emballages métalliques) (ci-après la « décision attaquée ») en ce qu’elle les concerne. La Commission européenne demande à titre reconventionnel l’augmentation du montant de l’amende qui a été infligée aux requérantes.

 Antécédents du litige

2 Les requérantes sont des sociétés actives dans le secteur des emballages métalliques, y compris des canettes métalliques et des fermetures métalliques.

3 Le 21 mai 2015, le Bundeskartellamt (Office fédéral des ententes, Allemagne) a perquisitionné les locaux de plusieurs sociétés du groupe Silgan.

4 À la suite d’une demande, le 14 juin 2017, de l’Office fédéral des ententes d’instruire la présente affaire, la Commission a adopté, le 19 avril 2018, la décision C(2018) 2466 final, relative à l’ouverture d’une procédure dans l’affaire AT. 40522 – Pandora (ci-après la « décision d’ouverture »).

5 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 juillet 2018, certaines sociétés du groupe Silgan ont introduit un recours contre la décision d’ouverture.

6 Par ordonnance du 15 mars 2019, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission (T 410/18, EU:T:2019:166), le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable, la décision d’ouverture constituant un acte préparatoire ne produisant pas des effets juridiques à l’égard des deux sociétés requérantes.

7 Le 29 mai 2019, lesdites sociétés ont introduit un pourvoi devant la Cour à l’encontre de l’ordonnance du 15 mars 2019, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission (T 410/18, EU:T:2019:166).

8 Ce pourvoi a été rejeté par ordonnance du 29 janvier 2020, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission (C 418/19 P, non publiée, EU:C:2020:43) comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.

9 Le 23 mars 2021, la Commission a invité les requérantes et l’autre groupe concerné par l’infraction à participer à des discussions en vue de parvenir à une transaction.

10 Par décision du 1er octobre 2021, la procédure a été close concernant tous les territoires de l’Espace économique européen (EEE), à l’exception de l’Allemagne.

11 Les requérantes ont déposé une demande formelle de transaction, dans laquelle elles ont, d’une part, reconnu leur responsabilité dans l’infraction et, d’autre part, indiqué le montant maximal de l’amende qu’elles s’attendaient à se voir infliger et qu’elles accepteraient dans le cadre d’une procédure de transaction.

12 Le 19 mai 2022, la Commission a adressé une communication des griefs aux requérantes qui ont répondu en confirmant que les faits et l’appréciation juridique de l’infraction tels que retenus par la Commission reflétaient la teneur de leurs propositions de transaction et qu’elles maintenaient leur engagement à suivre la procédure de transaction.

13 Le 12 juillet 2022, la Commission a adopté la décision attaquée. Elle a notamment considéré que les requérantes avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE dans le secteur des emballages métalliques en Allemagne du 11 mars 2011 au 18 septembre 2014 et les a condamnées à une amende d’un montant de 23 852 000 euros.

14 Ce montant tient compte d’une réduction de l’amende de 10 % au titre de la communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil dans les affaires d’entente (JO 2008, C 167, p. 1, ci-après la « communication sur la transaction »).

 Conclusions des parties

15 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée en ce qu’elle les concerne ;

– condamner la Commission aux dépens.

16 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– fixer le montant de l’amende à un niveau pouvant atteindre 26 503 000 euros ;

– condamner les requérantes aux dépens.

17 La République fédérale d’Allemagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner les requérantes aux dépens.

18 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter dans son intégralité l’exception d’illégalité soulevée par les requérantes à l’égard de l’article 11, paragraphe 6, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 TFUE (JO 2003, L 1, p. 1).

 En droit

 Sur la demande en annulation

19 À titre liminaire, premièrement, il convient de rappeler que la Commission est investie par l’article 105, paragraphe 1, TFUE de la mission de veiller à l’application des articles 101 et 102 TFUE. La Commission est ainsi appelée à définir et à mettre en œuvre, selon la jurisprudence, la politique de concurrence de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2013, Vivendi/Commission, T 432/10, non publié, EU:T:2013:538, point 22 et jurisprudence citée).

20 Conformément à ces principes, la Commission s’est vu confier par le règlement no 1/2003 du Conseil (JO 2003, L 1, p. 1), indépendamment des modalités selon lesquelles elle prend connaissance du dossier, à savoir notamment qu’elle soit saisie d’une plainte ou qu’elle se saisisse de sa propre initiative, le pouvoir de décider si des comportements devaient faire l’objet de poursuites, d’une décision constatant l’existence d’une infraction et d’une mesure corrective, y compris une amende, en fonction des priorités qu’elle définit dans le cadre de la politique de concurrence de l’Union. Il en va également ainsi dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, la Commission s’est saisie du dossier à la demande d’une autorité nationale de concurrence.

21 Deuxièmement, le règlement nº 1/2003 met fin au régime centralisé antérieur et organise, conformément au principe de subsidiarité, une association plus large des autorités nationales de concurrence, les habilitant à cette fin à mettre en œuvre le droit de la concurrence de l’Union. L’économie du règlement repose sur l’étroite coopération appelée à se développer entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres organisées en réseau (arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T 655/11, EU:T:2015:383, point 75).

22 Troisièmement, il ressort de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 que la Commission garde un rôle prépondérant dans la recherche et la constatation d’infractions aux règles de concurrence de l’Union, qui n’est pas affecté par la compétence parallèle dont disposent les autorités nationales de concurrence en vertu dudit règlement (arrêt du 13 juillet 2011, ThyssenKrupp Liften Ascenseurs e.a./Commission, T 144/07, T 147/07 à T 150/07 et T 154/07, EU:T:2011:364, point 76).

23 En effet, en application de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, dès lors que la Commission ouvre une procédure contre une ou plusieurs entreprises en raison d’une violation présumée des articles 101 ou 102 TFUE, les autorités de concurrence des États membres sont dessaisies de leur compétence pour poursuivre les mêmes entreprises pour les mêmes conduites prétendument anticoncurrentielles, intervenues sur le ou les mêmes marchés de produits et géographiques au cours de la ou des mêmes périodes (arrêts du 25 février 2021, Slovak Telekom, C 857/19, EU:C:2021:139, point 30, et du 20 avril 2023, Amazon.com e.a./Commission, C 815/21 P, EU:C:2023:308, point 27). La Commission garde la possibilité d’ouvrir une procédure même si une autorité nationale traite déjà de l’affaire, sous réserve d’une simple consultation de ladite autorité (arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T 339/04, EU:T:2007:80, point 80).

24 Quatrièmement, il y a lieu de rappeler que, selon le point 4 de la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (JO 2004, C 101, p. 43, ci-après la « communication sur la coopération »), les consultations et les échanges au sein du réseau formé par les autorités de concurrence sont une affaire entre autorités agissant dans l’intérêt public et que, selon son point 31, cette communication ne confère pas aux entreprises impliquées un droit individuel à voir l’affaire traitée par une autorité donnée. Plus généralement, ni le règlement no 1/2003 ni ladite communication ne créent de droits ou d’attentes pour une entreprise en ce qui concerne le traitement de son affaire par une autorité de concurrence donnée (voir arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, point 39 et jurisprudence citée, et ordonnance du 14 octobre 2021, Amazon.com e.a./Commission, T 19/21, EU:T:2021:730, point 48 et jurisprudence citée).

25 Aux termes du point 5 de la communication sur la coopération, chaque membre du réseau conserve toute latitude pour décider d’enquêter ou non sur une affaire et son point 55 prévoit, conformément à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, que la Commission informe l’autorité nationale traitant une affaire des motifs pour lesquels elle décide de la reprendre.

26 S’agissant de la réattribution des affaires entre autorités de concurrence, le point 18 de la communication sur la coopération prévoit que « [s]i des problèmes de réattribution d’affaires surviennent, il convient de les résoudre rapidement, en principe dans les deux mois suivant la date de la première information envoyée au réseau conformément à l’article 11 du règlement [no 1/2003] » et que, « [d]urant ce délai, les autorités de concurrence s’efforcent de parvenir à un accord sur une éventuelle réattribution et, au besoin, sur les modalités d’une action parallèle ».

27 Le point 19 de la communication sur la coopération dispose ce qui suit :

« [...] l’autorité ou les autorités de concurrence traitant une affaire à la fin du délai de réattribution doivent continuer à la traiter jusqu’à l’achèvement de la procédure. La réattribution d’une affaire au-delà du délai initial de deux mois ne doit se faire qu’en cas d’évolution importante, en cours de procédure, des faits connus de l’affaire. »

28 Enfin, le point 54 de la communication sur la coopération vise plus particulièrement la situation dans laquelle la Commission ouvre une procédure sur le fondement de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, après qu’« une ou plusieurs autorités nationales de concurrence ont informé le réseau […] qu’elles traitaient d’une affaire donnée ». Ce point indique que, « [a]u cours de la période d’attribution initiale », à savoir le « délai indicatif de deux mois » mentionné au point 18 de la même communication, la Commission peut ouvrir une procédure sur le fondement de ladite disposition, après avoir consulté les autorités concernées. En outre, il précise que, « [à] l’issue de la phase d’attribution », la Commission n’applique, en principe, cette disposition que dans certains cas, à savoir lorsque des membres du réseau envisagent des décisions contradictoires dans la même affaire [point 54, sous a)] ; lorsque ceux-ci envisagent une décision manifestement contraire à la jurisprudence constante [point 54, sous b)] ; lorsqu’un ou plusieurs membres prolongent une procédure à l’excès [point 54, sous c)] ; pour développer la politique de la concurrence de l’Union, notamment si une question similaire de concurrence se pose dans plusieurs États membres, ou pour assurer une application efficace [point 54, sous d)] ; ou même en l’absence d’opposition de la ou des autorités nationales de concurrence concernées [point 54, sous e)].

29 C’est sur la base de ces éléments qu’il y a lieu d’apprécier les moyens des requérantes.

30 En l’espèce, les requérantes soulignent ne pas remettre en cause les constatations faites lors de la procédure de transaction. Elles précisent qu’elles contestent uniquement le fait que la Commission a ouvert une procédure et adopté la décision attaquée, alors que l’Office fédéral des ententes avait déjà mené une enquête pendant plus de trois ans.

31 À l’appui de leur recours, les requérantes invoquent trois moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation du principe de subsidiarité énoncé à l’article 5, paragraphe 3, TUE, le deuxième d’un détournement de pouvoir au sens de l’article 263 TFUE et le troisième d’une violation du droit à une bonne administration consacré par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte ».

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation du principe de subsidiarité

32 Les requérantes soutiennent que, en ouvrant la procédure et en adoptant la décision attaquée, la Commission a violé le principe de subsidiarité. À cet égard, les critères justifiant la compétence de la Commission ne seraient pas remplis. À titre subsidiaire, en tout état de cause, l’article 11, paragraphe 6, du règlement nº 1/2003 serait inapplicable.

– En ce qui concerne la première branche, prise de l’incompétence de la Commission

33 Les requérantes avancent que rien ne permettait de justifier que la procédure devant l’Office fédéral des ententes n’aurait pu être menée à son terme après plusieurs années d’enquête, alors même que cette procédure en aurait été quasiment au stade décisionnel. L’infraction au droit de la concurrence aurait concerné uniquement l’Allemagne, et rien ne permettrait de justifier que la procédure aurait pu être mieux menée au niveau de l’Union. Malgré les mesures de restructuration mises en œuvre par le groupe Silgan, la condamnation à des amendes aurait été possible en vertu de l’article 30, paragraphe 2, sous a), du Gesetz über Ordnungswidrigkeiten (loi allemande sur les infractions administratives). Le droit allemand irait même plus loin que le droit de l’Union, en ce qu’il permettrait d’infliger des amendes à des personnes physiques.

34 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conteste les arguments des requérantes.

35 En vertu du principe de subsidiarité, tel que consacré à l’article 5, paragraphe 3, TUE, l’Union intervient dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union.

36 Aux termes du considérant 34 du règlement no 1/2003, « [c]onformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité énoncés à l’article 5[, paragraphes 1 et 3, TUE], [ledit] règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre son objectif qui est de permettre l’application efficace des règles […] de concurrence [de l’Union] ».

37 Le Tribunal a déjà jugé que le principe de subsidiarité ne remettait pas en cause les compétences conférées à la Commission par le traité FUE, parmi lesquelles figure l’application des règles de concurrence (arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T 339/04, EU:T:2007:80, point 89).

38 Comme il a été rappelé aux points 21 et 22 ci-dessus, si le règlement no 1/2003 a mis fin au régime centralisé antérieur et organise, conformément au principe de subsidiarité, une association plus large des autorités nationales de concurrence, la Commission conserve un rôle prépondérant dans la recherche et la poursuite des infractions.

39 De la sorte, comme il a été rappelé au point 23 ci-dessus, l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 prévoit, sous réserve d’une simple consultation de l’autorité nationale concernée, que la Commission garde la possibilité d’ouvrir une procédure en vue de l’adoption d’une décision même si une autorité nationale traite déjà de l’affaire.

40 En l’espèce, ainsi qu’il est indiqué au considérant 11 de la décision attaquée, la Commission ayant ouvert la procédure à la demande même de l’Office fédéral des ententes, la condition posée par l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 a été pleinement satisfaite. Ladite ouverture n’a donc pas porté atteinte aux prérogatives de l’État membre concerné et toute violation du principe de subsidiarité est nécessairement exclue.

41 Au vu de cette appréciation, les arguments des requérantes présentés au point 33 ci-dessus, selon lesquels, premièrement, l’Office fédéral des ententes aurait été sur le point de clôturer sa procédure, deuxièmement, l’infraction en cause concernait uniquement l’Allemagne et, troisièmement, malgré les mesures de restructuration mises en œuvre, la condamnation à des amendes aurait été possible en vertu du droit allemand, à les supposer fondés, ne sont pas de nature à établir une violation du principe de subsidiarité, de sorte qu’ils doivent être écartés comme étant inopérants.

– En ce qui la seconde branche, prise, à titre subsidiaire, de l’inapplicabilité de l’article 11, paragraphe 6, du règlement nº 1/2003

42 Les requérantes, dans l’hypothèse où le Tribunal estimerait que l’article 11, paragraphe 6, du règlement nº 1/2003 justifie la mise en œuvre d’une procédure propre à la Commission, invoquent l’inapplicabilité de cette disposition, dès lors qu’une disposition de droit dérivé qui donnerait à la Commission le droit de retirer librement des affaires déjà pendantes aux autorités des États membres dans le cadre d’un système de compétences parallèles, sans obligation de respecter le principe de subsidiarité et les intérêts des entreprises concernées, violerait le droit de l’Union pour les raisons exposées précédemment.

43 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et le Conseil, conteste les arguments des requérantes.

44 D’abord, il convient de constater que les requérantes ne développent aucun argument nouveau et se limitent à renvoyer à ceux qu’elles ont précédemment exposés (voir point 33 ci-dessus). Or, il résulte de ce qui précède que ces arguments ne sont pas de nature à établir une violation du principe de subsidiarité.

45 Ensuite, ainsi qu’il a été rappelé au point 19 ci-dessus, la Commission est investie par l’article 105, paragraphe 1, TFUE de la mission de veiller à l’application des articles 101 et 102 TFUE.

46 En outre, conformément à la jurisprudence rappelée au point 37 ci dessus, le principe de subsidiarité ne remet pas en cause les compétences qui ont été conférées à la Commission par le traité FUE, parmi lesquelles figure l’application des règles de concurrence. L’application de l’article 101 TFUE par la Commission n’est pas subordonnée à un examen préalable des actions entreprises par les autorités nationales (voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C 295/12 P, EU:C:2014:2062, point 135).

47 Dès lors, c’est en conformité avec la mise en œuvre des compétences de la Commission prévues par les traités d’appliquer les règles de concurrence que l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 prévoit que la Commission peut dessaisir les États membres de leur compétence, sous réserve d’une simple consultation de l’autorité nationale concernée (voir point 23 ci-dessus). L’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 est donc une conséquence logique du rôle que les traités attribuent à la Commission dans la recherche des infractions et s’inscrit dans le système de la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 TFUE. Cette disposition ne saurait ainsi être jugée comme étant contraire au principe de subsidiarité.

48 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le premier moyen, tiré d’une violation du principe de subsidiarité, doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

49 Les requérantes avancent que la conduite de la procédure par la Commission a été guidée, comme il résulterait des communiqués de presse de la Commission et de l’Office fédéral des ententes, de la volonté de les soustraire au régime de sanctions prévu en Allemagne. Dans la décision d’ouverture, la Commission n’aurait fourni aucune motivation justifiant sa compétence pour engager et mener la procédure entamée depuis plusieurs années par ledit office. Les requérantes auraient eu à faire face à une coopération entre l’Office fédéral des ententes et la Commission visant à contourner la jurisprudence allemande et les soustraire à leur juge légal, en l’occurrence le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne). Or, l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 n’aurait pas été créé dans le but d’harmoniser, par une voie détournée, le régime des sanctions pécuniaires.

50 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conteste les arguments des requérantes.

51 Il ressort d’une jurisprudence constante qu’un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but, exclusif ou, à tout le moins, déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 20 mars 2019, Foshan Lihua Ceramic/Commission, T 310/16, EU:T:2019:170, point 176, et jurisprudence citée).

52 Les arguments des requérantes, sont tirés, en substance, d’un contournement du droit allemand, de la recherche d’une harmonisation du régime des sanctions pécuniaires par une voie détournée ainsi que d’un défaut de motivation.

53 Premièrement, d’une part, s’agissant de l’argument des requérantes relatif à un contournement du droit allemand, celles-ci prétendent qu’elles ont été soustraites à la procédure ouverte par l’Office fédéral des ententes. À cet égard, outre que, ainsi qu’il ressort du considérant 11 de la décision attaquée, la Commission a ouvert la procédure à la demande dudit office, il résulte de la jurisprudence citée au point 24 ci-dessus que les entreprises ne disposent d’aucun droit individuel à voir leur affaire traitée par une autorité donnée.

54 D’autre part, les requérantes soutiennent que le but de l’ouverture de la procédure par la Commission était de les soustraire au juge légal. Toutefois, il suffit de constater que le traitement de l’infraction en cause par les juridictions de l’Union, et non par les juridictions nationales, est une conséquence logique de l’adoption de la décision attaquée par la Commission, dont la compétence, ainsi qu’il résulte de ce qui précède, ne saurait être remise en cause.

55 Au surplus, il convient de relever que la demande de l’Office fédéral des ententes était justifiée par les circonstances de l’espèce.

56 En effet, selon les explications des requérantes, plusieurs entreprises du groupe Silgan ont fait l’objet de restructurations à partir de décembre 2016. Or, il résulte de l’exposé des motifs du projet de neuvième modification du Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (loi allemande contre les restrictions de concurrence) que le droit allemand, tel qu’applicable avant le 9 juin 2017, date d’entrée en vigueur de ladite modification, souffrait de « lacunes » et que des entreprises pouvaient échapper aux sanctions en procédant, notamment, à des restructurations, ce que les requérantes reconnaissent.

57 Il n’était donc pas certain que l’Office fédéral des ententes aurait été en mesure d’infliger des amendes aux entreprises concernées.

58 De plus, comme le relève la Commission, l’article 30, paragraphe 2, sous a), de la loi allemande sur les infractions administratives, dont les requérantes demandent qu’il leur soit fait application, est entré en vigueur le 1er juillet 2013, alors que la période infractionnelle a débuté le 11 mars 2011, ce qui permet de présumer que l’infraction, pour une partie de la période infractionnelle, n’aurait pu être sanctionnée par l’Office fédéral des ententes sur la base de cette disposition.

59 Deuxièmement, concernant l’argument des requérantes selon lequel l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 n’aurait pas été créé dans le but d’harmoniser le régime des sanctions pécuniaires par une voie détournée, il convient de souligner que, si les autorités de concurrence des États membres sont habilitées à appliquer les règles de concurrence en parallèle avec la Commission (voir arrêt du 25 février 2021, Slovak Telekom, C 857/19, EU:C:2021:139, point 32 et jurisprudence citée ; ordonnance du 14 octobre 2021, Amazon.com e.a./Commission, T 19/21, EU:T:2021:730, point 41), il n’en demeure pas moins que, au titre du 1er considérant du règlement no 1/2003, pour établir un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur, il y a lieu de pourvoir à l’application efficace et uniforme, notamment, de l’article 101 TFUE. Un tel souci d’efficacité est également rappelé au point 54, sous d), de la communication sur la coopération.

60 En l’espèce, outre que la jurisprudence citée au point précédent suffit à écarter l’allégation de détournement de pouvoir, il résulte de ce qui précède que la Commission était davantage en mesure que l’Office fédéral des ententes de garantir cette efficacité. La Commission pouvait donc exercer sa compétence en vertu du règlement no 1/2003 afin d’éviter que les « lacunes » d’un régime national de sanctions compromettent l’objectif d’efficacité dans l’application de l’article 101 TFUE.

61 Troisièmement, à titre surabondant, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission n’aurait fourni aucune motivation justifiant sa compétence pour engager et mener la procédure entamée depuis plusieurs années par l’Office fédéral des ententes, à supposer que, par cette argumentation, les requérantes entendent se prévaloir d’un défaut de motivation entachant la décision attaquée, force est de rappeler, d’abord, que la Commission a indiqué, au considérant 11 de la décision attaquée, avoir ouvert la procédure à la demande dudit office.

62 Ensuite, les justifications données dans les communiqués de presse de la Commission et de l’Office fédéral des ententes permettaient aux requérantes de comprendre le contexte ayant conduit ledit office à faire cette demande et la Commission à ouvrir une procédure en vertu de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003.

63 En effet, selon le communiqué de presse de la Commission du 12 juillet 2022, publié à l’issue de l’adoption de la décision attaquée, ledit office avait renvoyé l’affaire devant elle parce que la loi allemande alors applicable ne lui permettait pas de sanctionner les entreprises appartenant aux requérantes qui avaient été dissoutes ou réorganisées avant la conclusion de son enquête. Le législateur allemand aurait, depuis, comblé cette « lacune ».

64 En outre, selon le communiqué de presse de l’Office fédéral des ententes du 27 avril 2018, d’une part, il existait des indices concrets d’infractions au droit des ententes dans plusieurs États membres de l’Union. D’autre part, au cours de la procédure menée par cette autorité, certaines des entreprises concernées avaient procédé à des restructurations qui, en raison de la situation juridique existant en Allemagne jusqu’au milieu de l’année 2017, pouvaient avoir pour effet de rendre impossible toute sanction par ladite autorité. Ledit communiqué a également souligné l’importance d’une coopération étroite entre les autorités de concurrence et le fait que la Commission et l’Office fédéral des ententes avaient pour habitude de collaborer étroitement à l’application des règles de concurrence de l’Union.

65 Il convient donc de rejeter l’argumentation tirée d’un détournement de pouvoir résultant d’un défaut de motivation.

66 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les requérantes sont restées en défaut de démontrer que l’ouverture de la procédure par la Commission et l’adoption de la décision attaquée, par laquelle une infraction à l’article 101 TFUE a été constatée et des amendes ont été infligées, ont été motivées par des considérations visant à atteindre des fins autres que celles excipées ou à éluder une procédure spécialement prévue par le traité FUE, de sorte que le deuxième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir, doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du droit à une bonne administration

67 Les requérantes se prévalent de l’article 41 de la Charte, selon lequel toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l’Union. La Commission aurait méconnu l’exigence de bonne administration, au sens de cette disposition et du code européen de bonne conduite administrative, approuvé par la résolution du Parlement européen du 6 septembre 2001 (JO 2002, C 72 E, p. 331), d’une part, en agissant de manière disproportionnée et, d’autre part, en violant leur confiance légitime.

68 À titre liminaire, il convient de rappeler que le code européen de bonne conduite administrative, comme les requérantes l’admettent elles-mêmes, n’est pas un texte juridiquement contraignant et qu’il ne crée aucun droit dont les requérantes pourraient se prévaloir à l’appui de leur recours (voir arrêt du 30 janvier 2018, Przedsiębiorstwo Energetyki Cieplnej/ECHA, T 625/16, non publié, EU:T:2018:44, point 116 et jurisprudence citée).

– En ce qui concerne la première branche, prise de la violation du principe de proportionnalité et des droits de la défense

69 Les requérantes soutiennent, premièrement, que la décision attaquée viole le principe de proportionnalité, dès lors qu’il n’existait aucun risque que plusieurs autorités de concurrence prennent des décisions contradictoires dans la même affaire, que l’affaire ne soulevait pas de questions de principe inhérentes au droit de l’Union sur lesquelles la Commission devrait se prononcer afin de créer un précédent, et que rien n’indiquait que l’Office fédéral des ententes n’aurait pas mené à bien la procédure dont il était saisi depuis longtemps. Deuxièmement, les préjudices causés aux requérantes n’auraient été compensés par aucun avantage du point de vue de la Commission. En particulier, à la suite de l’ouverture de la procédure par la Commission, les requérantes auraient perdu les avantages juridiques, quant au calcul d’une éventuelle sanction pécuniaire, auxquels elles auraient eu droit au titre du programme de clémence allemand. Troisièmement, les droits de la défense des requérantes auraient également été violés en ce que, compte tenu du temps écoulé, des informations pertinentes et certains anciens collaborateurs n’auraient plus été disponibles.

70 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conteste les arguments des requérantes.

71 Il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés [voir arrêt du 18 octobre 2023, Ryanair/Commission (Nordica ; COVID-19), T 769/20, non publié, EU:T:2023:642, point 119 et jurisprudence citée].

72 En l’espèce, d’une part, il résulte des « lacunes » du droit allemand précédemment relevées (voir point 56 ci-dessus) que l’Office fédéral des ententes aurait pu ne pas être en mesure de s’assurer que les éventuelles infractions seraient intégralement sanctionnées.

73 D’autre part, il est constant entre les parties que, au cours de la procédure devant l’Office fédéral des ententes, s’étaient développés des soupçons de violation du droit de la concurrence dans plusieurs États membres de l’Union. Or, conformément au point 14 de la communication sur la coopération, la Commission doit être considérée comme particulièrement bien placée « si un ou plusieurs accords ou pratiques […] ont des effets sur la concurrence dans [plusieurs] États membres ».

74 Chacune de ces raisons suffit pour conclure que la Commission ne s’est pas livrée à un exercice disproportionné des pouvoirs dont elle disposait et les arguments des requérantes ne sauraient remettre en cause cette appréciation.

75 S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel les préjudices qu’elles auraient subis, notamment du fait de la perte des efforts déployés pour coopérer aux fins de la conclusion de la procédure devant l’Office fédéral des ententes et la perte du bénéfice de sanctions pécuniaires potentiellement plus légères de la part dudit office, n’auraient été compensés par aucun avantage visible pour la Commission, il convient de constater qu’un tel gain résulte dans le fait que la Commission a été en mesure de sanctionner efficacement l’infraction en cause, alors que l’Office fédéral des ententes, en raison des « lacunes » du droit allemand applicable à l’époque et des soupçons de violation du droit de la concurrence dans plusieurs États membres de l’Union, a lui-même considéré ne pas être l’autorité de concurrence la plus à même de mener à bien la procédure et de prononcer les sanctions adéquates.

76 S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel leurs droits de la défense auraient été violés du fait du temps écoulé, car des informations pertinentes et certains anciens collaborateurs n’auraient plus été disponibles, il convient de constater que cette affirmation générale n’est pas de nature à établir la réalité d’une violation des droits de la défense, laquelle doit être examinée en fonction de circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C 105/04 P, EU:C:2006:592, point 59).

77 De plus, et en tout état de cause, il résulte du considérant 16, sous c), de la décision attaquée que les requérantes ont confirmé avoir « été suffisamment mise[s] en mesure de faire connaître [leur] point de vue à la Commission ».

78 Il convient donc de rejeter l’argumentation tirée d’une violation du principe de proportionnalité.

– En ce qui concerne la seconde branche, prise de la violation du principe de protection de la confiance légitime, de l’article 41, paragraphe 1, de la Charte et du principe d’égalité de traitement

79 Les requérantes avancent que, conformément au considérant 17 du règlement nº 1/2003, lorsqu’une autorité de concurrence traite déjà une affaire et que la Commission a l’intention d’intenter une procédure, cette dernière devrait s’efforcer de le faire « dans les meilleurs délais ». En outre, conformément au point 18 de la communication sur la coopération, une affaire serait censée être réattribuée dans un délai de deux mois à compter de la date de la première notification au réseau, conformément à l’article 11 du règlement nº 1/2003. Dès lors que la Commission ne s’est pas saisie de la procédure au plus tard dès la fin de l’année 2015, elle aurait fait naître l’espoir légitime et raisonnable qu’elle ne remettrait pas en cause la compétence de l’Office fédéral des ententes. Par ailleurs, les requérantes font valoir que, en les soumettant à une duplication de la charge procédurale, la Commission aurait violé l’article 41, paragraphe 1, de la Charte. Enfin, la Commission, comme toute administration, ne saurait s’écarter des mesures d’ordre interne qu’elle a adoptées sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement.

80 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conteste les arguments des requérantes.

81 À titre liminaire, il convient de relever que, selon les requérantes, la Commission a été informée de la procédure menée par l’Office fédéral des ententes dès le printemps 2015 et que c’est « dans les meilleurs délais », conformément au considérant 17 du règlement nº 1/2003, qu’elle aurait dû ouvrir sa procédure. Selon les requérantes, dès lors que des restructurations ont été mises en œuvre dès la fin de l’année 2016 et qu’il existait des indices selon lesquels d’autres États pouvaient également être concernés au plus tard depuis septembre 2016, l’ouverture de la procédure par la Commission n’étant intervenue qu’en avril 2018, un minimum de quinze mois s’est écoulé avant que la Commission n’ouvre la procédure au titre de l’article 11, paragraphe 6, du règlement nº 1/2003. Or, en vertu de l’article 11, paragraphe 3, du même règlement, la Commission aurait été informée de la procédure en cause dès le printemps 2015. La Commission aurait donc dû se saisir de la procédure d’enquête dans cette affaire au plus tard fin 2015.

82 Cependant, ce n’est que le 14 juin 2017 (voir point 4 ci-dessus) que l’Office fédéral des ententes a invité la Commission à ouvrir une procédure au titre de l’article 11, paragraphe 6, du règlement nº 1/2003, et les requérantes n’ont pas établi que la Commission avait eu connaissance des éléments de l’infraction en cause susceptibles de justifier l’ouverture de la procédure par cette dernière avant cette date.

83 En effet, les requérantes se sont limitées à renvoyer à l’article 11, paragraphe 3, du règlement nº 1/2003, selon lequel les autorités de concurrence informent la Commission par écrit avant ou sans délai après avoir initié la première mesure formelle d’enquête.

84 Or, la seule évocation de cette disposition ne saurait suffire à établir une connaissance, par la Commission, des éléments susceptibles de justifier l’ouverture de la procédure. C’est donc un délai d’un peu plus de dix mois qui se serait écoulé entre l’invitation faite par l’Office fédéral des ententes et l’ouverture de la procédure par la Commission, le 19 avril 2018, et non un délai de quinze mois.

85 Ensuite, il convient de rappeler que, pour que la violation du principe de protection de la confiance légitime soit constatée, il faut qu’une institution de l’Union, en fournissant à un administré des assurances précises, ait fait naître chez lui des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants (voir arrêt du 16 septembre 2021, FVE Holýšov I e.a./Commission, C 850/19 P, non publié, EU:C:2021:740, point 34 et jurisprudence citée).

86 Or, force est de constater que les requérantes n’ont pas indiqué quelles étaient les assurances précises, de nature à faire naître des espérances fondées, que la Commission lui aurait fournies. Dès lors, les requérantes ne sauraient valablement soutenir qu’il a été porté atteinte à leur confiance légitime.

87 Cette constatation ne saurait être remise en cause par les arguments des requérantes.

88 Ainsi, en premier lieu, s’agissant du renvoi, par les requérantes, au point 18 de la communication sur la coopération, selon lequel la réattribution de l’affaire doit se faire, « en principe », dans les deux mois suivant la date de la première information envoyée au réseau (voir point 26 ci-dessus), il résulte du terme « en principe » que ce délai n’est pas impératif. En outre, ce point n’est, en tout état de cause, pas pertinent au regard des circonstances de l’espèce, étant donné qu’il est constant entre les parties que l’Office fédéral des ententes et la Commission n’ont pas eu, selon les termes de cette disposition, à « s’efforce[r] de parvenir à un accord sur une éventuelle réattribution » pour « résoudre » des « problèmes de réattribution », mais que la Commission a ouvert la procédure à la demande de l’Office fédéral des ententes.

89 En deuxième lieu, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel, dès lors que la Commission ne s’est pas saisie de la procédure au plus tard dès la fin de l’année 2015, elle aurait fait naître l’espoir légitime et raisonnable qu’elle ne remettrait pas en cause la compétence de l’Office fédéral des ententes, d’une part, il résulte de ce qui précède, ainsi que du point 54 de la communication sur la coopération, que la Commission n’était tenue par aucun délai spécifique.

90 D’autre part, les requérantes se limitent à renvoyer à l’article 41 de la Charte, selon lequel toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l’Union, sans toutefois établir qu’un tel délai n’aurait pas été respecté en l’espèce.

91 À cet égard, il convient de rappeler que le droit de l’Union exige des institutions qu’elles traitent dans un délai raisonnable les affaires dans le cadre des procédures administratives qu’elles mènent (voir arrêt du 5 juin 2012, Imperial Chemical Industries/Commission, T 214/06, EU:T:2012:275, point 284).

92 En effet, l’obligation d’observer un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives constitue un principe général du droit de l’Union repris, notamment, à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêts du 11 avril 2006, Angeletti/Commission, T 394/03, EU:T:2006:111, point 162, et du 7 juin 2013, Italie/Commission, T 267/07, EU:T:2013:305, point 61).

93 Le caractère raisonnable du délai est apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire ainsi que du comportement de la partie requérante et de celui des autorités compétentes (arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C 238/99 P, C 244/99 P, C 245/99 P, C 247/99 P, C 250/99 P à C 252/99 P et C 254/99 P, EU:C:2002:582, point 187).

94 Premièrement, concernant l’enjeu du litige pour l’intéressé, il convient de rappeler que, en cas de litige concernant une infraction au droit de la concurrence, l’exigence fondamentale de sécurité juridique dont doivent bénéficier les opérateurs économiques ainsi que l’objectif d’assurer que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur présentent un intérêt considérable non seulement pour la partie requérante et pour ses concurrents, mais également pour les tiers, en raison du grand nombre de personnes concernées et des intérêts financiers en jeu (voir arrêt du 1er février 2017, Aalberts Industries/Union européenne, T 725/14, EU:T:2017:47, point 40 et jurisprudence citée).

95 En l’espèce, la Commission a constaté dans la décision attaquée que les requérantes avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et les a condamnées à une amende de 23 852 000 euros.

96 Il est donc permis de considérer que l’enjeu de l’affaire était important pour les requérantes.

97 Deuxièmement, concernant la complexité de l’affaire, il peut être considéré que les circonstances de l’espèce, à savoir l’existence d’une série de restructurations effectuées à une époque où la loi allemande souffrait de « lacunes » (voir point 56 ci-dessus) ainsi que les soupçons de violation du droit de la concurrence dans plusieurs États membres de l’Union (voir point 73 ci-dessus), contribuaient à une telle complexité.

98 Troisièmement, concernant le comportement des parties, il n’est pas contesté que les requérantes ont collaboré avec l’Office fédéral des ententes. Toutefois, une telle collaboration, en soi, ne permet de tirer aucune conclusion sur le délai dans lequel la Commission a ouvert la procédure à la suite de la demande de ce dernier.

99 Par ailleurs, il ne saurait être exclu que le délai d’un peu plus de dix mois qui s’est écoulé entre l’invitation à ouvrir une procédure d’infraction adressée à la Commission par l’Office fédéral des ententes et l’adoption de la décision d’ouverture puisse s’expliquer par le fait que la Commission, comme l’a fait valoir la Commission lors de l’audience, a dû examiner les informations transmises par ledit office dans le cadre d’une affaire complexe et préparer des inspections au titre de l’article 20 du règlement no 1/2003.

100 Ainsi, compte tenu de ces éléments, un délai d’un peu plus de dix mois n’apparaît pas comme étant déraisonnable dans les circonstances de la présente affaire.

101 En tout état de cause, une éventuelle violation du principe du respect du délai raisonnable ne justifie pas, en règle générale, l’annulation de la décision prise à l’issue d’une procédure administrative. En effet, ce n’est que lorsque l’écoulement excessif du temps est susceptible d’avoir une incidence sur la teneur même de la décision adoptée à l’issue de la procédure administrative que le non-respect du principe du délai raisonnable affecte la validité de la procédure administrative. Il peut en aller ainsi dans des procédures administratives lorsque l’écoulement excessif du temps affecte la capacité des personnes concernées de se défendre effectivement (voir arrêt du 25 octobre 2017, Lucaccioni/Commission, T 551/16, non publié, EU:T:2017:751, point 94 et jurisprudence citée).

102 Or, il résulte de ce qui précède (voir points 76 et 77 ci-dessus) que les requérantes sont restées en défaut d’établir que leurs droits de la défense avaient été affectés.

103 Dès lors, les requérantes ne sauraient soutenir que l’absence d’ouverture de la procédure par la Commission, au plus tard fin 2015, aurait fait naître une confiance légitime en ce qu’elle ne remettrait pas en cause la compétence de l’Office fédéral des ententes. D’ailleurs, la Commission n’a pas, stricto sensu, remis en cause cette compétence, puisque c’est à la demande de l’Office fédéral des ententes qu’elle a ouvert une procédure.

104 En troisième lieu, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel, en les confrontant à une duplication de la charge procédurale, la Commission violerait l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, il suffit de rappeler qu’une telle circonstance n’emporte pas d’effets dépassant le cadre procédural et n’affecte donc pas leur situation juridique (voir, en ce sens, ordonnance du 14 octobre 2021, Amazon.com e.a./Commission, T 19/21, EU:T:2021:730, point 36).

105 En quatrième lieu, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel l’administration ne saurait « s’écarter des mesures d’ordre interne qu’elle a adoptées » sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement, un tel argument, à supposer qu’il soit recevable, dès lors qu’il n’a été spécifiquement soulevé qu’au stade de la réplique, doit être rejeté, les requérantes n’ayant pas, ainsi qu’il résulte de ce qui précède, établi que la Commission s’était écartée de la communication sur la coopération.

106 Il convient donc de rejeter l’argumentation tirée d’une violation du principe de protection de la confiance légitime.

107 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le troisième moyen, tiré d’une violation du droit à une bonne administration, et, par voie de conséquence, le recours dans son intégralité.

 Sur la demande reconventionnelle de la Commission

108 Selon la Commission, la charge administrative supplémentaire occasionnée par les requérantes après la conclusion de la transaction rend nécessaire une réévaluation du montant de l’amende qui leur a été infligée. Les requérantes n’avanceraient que des moyens par lesquels elles contestent la compétence de la Commission pour mener la procédure administrative en cause, bien qu’elles aient déclaré dans le cadre de leurs propositions de transaction qu’elles accepteraient que la Commission leur inflige une amende. La Commission estime que la réduction de 10 % de l’amende au titre du point 32 de la communication sur la transaction n’est plus justifiée, et demande donc au Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de fixer le montant de l’amende infligée aux requérantes à 26 503 000 euros. À titre subsidiaire, la Commission propose de tenir compte du fait que la procédure de transaction en l’espèce n’a contribué que dans une mesure beaucoup plus limitée que d’habitude à la préservation des ressources publiques, et soutient que cela ne justifiait pas une pleine réduction de 10 % du montant de l’amende.

109 Les requérantes contestent le bien-fondé des arguments de la Commission et font valoir que la demande de la Commission est irrecevable, car elle serait contraire au principe selon lequel, lorsque le Tribunal statue sur un recours en annulation, il ne peut pas aller au-delà des conclusions des requérants (ne ultra petita).

 Sur la recevabilité de la demande

110 Il convient de rappeler que le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge de l’Union, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou l’astreinte infligée (voir arrêts du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C 386/10 P, EU:C:2011:815, point 63 et jurisprudence citée, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T 590/20, EU:T:2023:650, point 185 et jurisprudence citée).

111 Si l’exercice de la compétence de pleine juridiction est le plus souvent sollicité par les parties requérantes dans le sens d’une réduction du montant de l’amende, rien ne s’oppose à ce que la Commission puisse également soumettre au juge de l’Union la question du montant de l’amende et formuler une demande d’augmentation dudit montant (arrêts du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T 69/04, EU:T:2008:415, point 244, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T 590/20, EU:T:2023:650, point 221).

112 Cette compétence de pleine juridiction vaut également dans l’hypothèse dans laquelle, comme en l’espèce, les requérantes ne demandent pas, à titre subsidiaire, une réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée. En effet, l’article 31 du règlement no 1/2003, qui prévoit expressément que le juge de l’Union peut « supprimer, réduire ou majorer l’amende » dans le cadre des recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende, ne conditionne pas cette compétence à une telle demande.

113 Par ailleurs, il convient de relever que le renvoi fait par les requérantes à l’arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission (C 122/16 P, EU:C:2017:861) n’est pas pertinent, celui-ci ne portant pas sur une demande de la Commission à voir augmentée l’amende qu’elle a infligée à la partie requérante.

114 Il convient donc d’écarter la fin de non-recevoir opposée par les requérantes à la demande reconventionnelle présentée par la Commission.

 Sur le bien-fondé de la demande

– Observations liminaires

115 En premier lieu, s’agissant de la procédure de transaction, le Tribunal a déjà rappelé ses traits essentiels aux points 58 à 74 de l’arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission (T 456/10, EU:T:2015:296), et, dernièrement, aux points 208 à 216 de l’arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission (T 590/20, EU:T:2023:650).

116 Il ressort de ladite jurisprudence que la procédure de transaction permet à la Commission de traiter les affaires d’entente plus rapidement et plus efficacement. L’objectif de cette procédure est donc de simplifier et d’accélérer les procédures administratives, en vue de permettre à la Commission de traiter davantage d’affaires avec les mêmes ressources (arrêts du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T 456/10, EU:T:2015:296, point 60, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T 590/20, EU:T:2023:650, point 209).

117 La procédure de transaction se déroule essentiellement de la manière suivante. Cette procédure est engagée par la Commission avec l’accord des entreprises concernées (communication sur la transaction, points 5, 6 et 11). Dès que la procédure est lancée, les entreprises faisant l’objet d’enquêtes et participant à la procédure de transaction sont informées par la Commission, lors de discussions bilatérales, des éléments essentiels « tels que les faits allégués, leur qualification, la gravité et la durée de l’entente alléguée, l’attribution des responsabilités, une estimation des fourchettes d’amendes probables, ainsi que les éléments de preuve utilisés à l’appui des griefs éventuels » (communication sur la transaction, point 16). Ce dispositif permet aux parties de faire valoir leur point de vue sur les griefs que la Commission pourrait soulever à leur égard et de décider, en connaissance de cause, de conclure ou non une transaction (communication sur la transaction, point 16).

118 C’est à la suite de la communication de ces informations que les entreprises concernées ont le choix d’opter pour la procédure de transaction et de présenter une proposition de transaction. Cette proposition de transaction doit contenir, notamment, une reconnaissance en termes clairs et sans équivoque, par les parties, de leur responsabilité dans l’infraction, une indication du montant maximal des amendes qu’elles s’attendent à se voir infliger par la Commission et qu’elles accepteraient dans le cadre d’une procédure de transaction et une confirmation du fait qu’elles n’envisagent pas de demander l’accès au dossier ou à être entendues de nouveau, lors d’une audition, à moins que la communication des griefs et la décision de la Commission ne reflètent pas leur proposition de transaction (communication sur la transaction, point 20).

119 À la suite de cette reconnaissance de responsabilité et des confirmations fournies par les entreprises concernées, la Commission leur transmet la communication des griefs et adopte une décision finale. Celle-ci se fonde essentiellement sur le fait que les parties ont sans équivoque reconnu leur responsabilité, n’ont pas contesté la communication des griefs et ont maintenu leur engagement de parvenir à une transaction (communication sur la transaction, points 23 à 28).

120 Dans sa décision finale, la Commission peut décider de récompenser une partie pour la conclusion d’une transaction, et ce à hauteur de 10 % du montant de l’amende à infliger (communication sur la transaction, point 32).

121 En second lieu, s’agissant de la demande reconventionnelle de la Commission, si, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 111 ci-dessus, la Commission peut demander au Tribunal de majorer le montant de l’amende, il convient de rappeler que, à cette fin, il lui incombe de mettre le Tribunal en mesure de déterminer si les circonstances de l’espèce justifient une telle augmentation (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T 224/00, EU:T:2003:195, point 362, et du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T 69/04, EU:T:2008:415, point 251).

122 En particulier, il appartient à la Commission de démontrer que l’augmentation du montant de l’amende est appropriée au regard, notamment, de faits et de circonstances apparus en cours d’instance dont elle n’avait pas connaissance lorsqu’elle a adopté la décision fixant le montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2011, Transcatab/Commission, T 39/06, EU:T:2011:562, point 402, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T 590/20, EU:T:2023:650, point 222). En effet, il importe de savoir si le comportement de la partie requérante a obligé la Commission, contre toute attente qu’elle pouvait raisonnablement fonder sur la base de la coopération de ladite partie pendant la procédure administrative, à élaborer et à présenter une défense devant le Tribunal qui était ciblée sur la contestation d’éléments dont elle pouvait considérer à bon droit qu’ils ne seraient plus remis en question par cette partie (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T 259/02 à T 264/02 et T 271/02, EU:T:2006:396, point 573).

– Examen de la demande de la Commission

123 En l’espèce, la Commission avance que l’augmentation de l’amende est appropriée, d’une part, parce que les requérantes ne sauraient remettre en cause sa compétence devant le Tribunal pour avoir mené, en l’espèce, la procédure administrative, alors que ces dernières avaient reconnu cette compétence dans leur demande de transaction et, d’autre part, parce que la présente affaire entraînerait une charge administrative supplémentaire.

124 En premier lieu, il convient de vérifier si la Commission a établi à suffisance de droit que, lors de la procédure administrative, les requérantes avaient reconnu sa compétence en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes.

125 Premièrement, alors que la Commission a soutenu, dès le mémoire en défense, que les requérantes avaient, en substance, reconnu cette compétence au cours de la procédure administrative, elle n’a fourni ou proposé de fournir aucun élément de preuve de nature à établir leur prétendue reconnaissance de ladite compétence au cours de la procédure de transaction, que ce soit dans ledit mémoire ou même dans la duplique, alors que la contestation de ladite compétence constitue l’objet même de leur recours.

126 Ce n’est que lors de l’audience que la Commission a indiqué qu’elle était disposée à fournir au Tribunal, dans le cadre d’une mesure d’instruction ordonnée au titre de l’article 92, paragraphe 3, et de l’article 103 du règlement de procédure du Tribunal, la demande de transaction formulée par les requérantes, celle-ci ayant un contenu très « sensible » et « confidentiel ». Selon la Commission, ladite demande contient des indications de la reconnaissance de cette compétence.

127 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure dispose que, « [à] titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié ».

128 De même, l’article 88, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que, lorsqu’une demande de mesures d’instruction est formulée après le premier échange de mémoires, la partie qui présente la demande doit exposer les raisons pour lesquelles elle n’a pas pu la présenter antérieurement.

129 En outre, conformément à l’article 92, paragraphe 3, du règlement de procédure, la partie demandant une mesure d’instruction au titre de cette disposition doit justifier la nécessité d’une telle mesure sous forme d’une ordonnance d’instruction.

130 Cependant, indépendamment même de la question de savoir si la démarche de la Commission doit être considérée comme étant une offre de preuve présentée au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure ou une demande de mesures d’instruction au titre de l’article 92, paragraphe 3, du même règlement, force est de constater qu’elle est restée en défaut de fournir une justification valable pour le retard de sa démarche.

131 En effet, la Commission s’est limitée, lors de l’audience, à renvoyer au point 222 de l’arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission (T 590/20, EU:T:2023:650) et à relever que, en l’espèce, lorsqu’elle avait adopté la décision attaquée, elle ignorait que les requérantes contesteraient sa compétence.

132 Or, d’une part, l’explication de la Commission ne saurait remettre en cause le fait que, suivant le recours des requérantes, dès le mémoire en défense, elle était en mesure de présenter toute preuve, offre de preuve ou demande de mesures d’instruction au soutien de son argument portant, en substance, sur la reconnaissance implicite de sa compétence par les requérantes concernant la procédure de transaction.

133 D’autre part, à supposer que la Commission ait entendu se prévaloir de l’arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission (T 590/20, EU:T:2023:650), au motif qu’il avait été prononcé à une date postérieure au mémoire en défense du 6 décembre 2022 et à la duplique du 13 avril 2023, il convient également de constater que, ainsi qu’il ressort du point 122 ci-dessus, cet arrêt ne contient pas d’appréciations juridiques nouvelles quant aux éléments devant justifier une demande reconventionnelle d’augmentation de l’amende de nature à pouvoir justifier le retard de la démarche de la Commission. En effet, il ressortait déjà de la jurisprudence du Tribunal qu’il appartenait à la Commission de justifier sa demande à l’aune d’éléments dont elle n’avait pas connaissance lorsqu’elle avait accordé la réduction de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2011, Transcatab/Commission, T 39/06, EU:T:2011:562, point 402).

134 Par ailleurs, dans la mesure où la Commission s’est référée à l’article 92, paragraphe 3, du règlement de procédure, force est de constater qu’elle n’a pas non plus expliqué pourquoi une mesure d’instruction aurait été nécessaire en l’espèce, en se bornant à évoquer, de manière générique, des prétendues raisons de confidentialité ou de sensibilité, alors que les documents qu’elle proposait de produire émanaient des requérantes elles-mêmes.

135 Dès lors, la demande de la Commission visant à produire certaines preuves devant le Tribunal, formulée lors de l’audience du 20 mars 2024, doit être écartée comme étant irrecevable.

136 Deuxièmement, selon la Commission, la reconnaissance de sa compétence découle du fait que les requérantes avaient déclaré, dans le cadre de leur proposition de transaction, qu’elles accepteraient que la Commission leur infligeât une amende pouvant atteindre un certain plafond.

137 Ainsi, selon le considérant 16, sous a), de la décision attaquée, les requérantes ont reconnu en termes clairs et non équivoques leur responsabilité, les principaux faits, la qualification juridique de ces derniers, y compris leur rôle et la durée de leur participation à l’infraction. Selon le considérant 16, sous b), de ladite décision, elles ont également donné une indication du montant maximal de l’amende qu’elles s’attendaient à se voir imposer et qu’elles accepteraient dans le cadre d’une procédure de transaction.

138 Or, il ne saurait être déduit de la reconnaissance de ces éléments que les requérantes avaient également reconnu la compétence de la Commission, laquelle n’était pas prévue par la communication sur la transaction, à la différence de la reconnaissance desdits éléments, spécifiquement prévue au point 20 de ladite communication (voir point 118 ci-dessus).

139 Il y a donc lieu de constater que la Commission n’a pas établi que les requérantes avaient reconnu sa compétence pour mener la procédure administrative en cause.

140 Par ailleurs, il convient d’observer que, en tout état de cause, comme le soutiennent les requérantes, elles ont contesté la compétence de la Commission, dès l’ouverture, par celle-ci, de la procédure administrative, devant le Tribunal, puis devant la Cour.

141 En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 15 mars 2019, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission (T 410/18, EU:T:2019:166), les requérantes faisaient valoir que les articles 104 et 105 TFUE ne conféraient à la Commission le pouvoir d’ouvrir une procédure d’application de l’article 101 TFUE que dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. En outre, l’adoption de la décision attaquée aurait eu pour conséquence le dessaisissement de l’Office fédéral des ententes et, partant, l’élimination de la possibilité pour les requérantes de bénéficier du programme de clémence mis en œuvre par ce dernier. De surcroît, cette même décision aurait entraîné l’interruption de la prescription des poursuites en Allemagne, mais aussi l’impossibilité que l’enquête soit clôturée dans un délai raisonnable. Enfin, les requérantes faisaient valoir qu’elles étaient désormais obligées de définir leur stratégie en vue de l’enquête ouverte par la Commission, ce qui constituait une affectation de leur situation juridique (voir point 10 de ladite ordonnance).

142 Le Tribunal a rejeté le recours au motif qu’une décision d’ouverture constituait un acte préparatoire ne produisant pas des effets juridiques à l’égard des requérantes au sens de l’article 263 TFUE (voir ordonnance du 15 mars 2019, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission, T 410/18, EU:T:2019:166, point 30).

143 Les requérantes ont alors introduit un pourvoi contre ladite ordonnance.

144 Par ordonnance du 29 janvier 2020, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission (C 418/19 P, non publiée, EU:C:2020:43), la Cour a rejeté ledit pourvoi. En particulier, elle a relevé que, si, au terme de la procédure administrative, la Commission devait adopter une décision affectant les intérêts des requérantes, cette décision pourrait faire, en vertu de l’article 263 TFUE, l’objet d’un recours juridictionnel dans le cadre duquel il serait loisible aux requérantes d’invoquer tous les moyens qu’elles estimeraient utiles (voir point 63 de ladite ordonnance).

145 La Cour a également rappelé qu’il ressortait de cette disposition que la question de la compétence de l’auteur de l’acte relevait du contrôle exercé par le juge de l’Union dans le cadre d’un tel recours. Il appartiendrait, dès lors, à ce dernier d’apprécier si des illégalités avaient été commises au cours de la procédure administrative et si celles-ci étaient de nature à affecter la légalité de la décision prise par la Commission au terme de la procédure administrative (voir point 64 de ladite ordonnance).

146 Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce qui est argué par la Commission, l’augmentation de l’amende ne saurait être justifiée, dans les circonstances de la présente affaire, par la prétendue remise en cause par les requérantes, pour la première fois devant le Tribunal, d’un fait, (à savoir, en l’occurrence, la compétence de la Commission en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes) qu’elles auraient admis au cours de la procédure de transaction devant la Commission. En effet, en l’espèce, la Commission n’a pas été en mesure de démontrer que les requérantes, au cours de la procédure de transaction, auraient reconnu sa compétence en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes, ni même qu’elle pouvait raisonnablement supposer que les requérantes ne contesteraient pas ladite compétence. Au contraire, il ressort des litiges visés aux points 140 à 145 ci-dessus initiés par les requérantes que, avant même que la Commission initie la procédure de transaction, elle avait connaissance de la contestation de sa compétence par les requérantes.

147 En second lieu, il convient d’examiner l’argumentation subsidiaire de la Commission selon laquelle l’introduction du présent recours a compromis les gains procéduraux qu’elle avait tirés de la procédure de transaction.

148 À cet égard, il résulte du considérant 16 de la décision attaquée que les requérantes ont reconnu leur responsabilité et indiqué le montant maximal de l’amende qu’elles accepteraient (voir point 137 ci-dessus) et qu’elles ont confirmé avoir été suffisamment informées des griefs que la Commission envisageait de retenir à leur égard et qu’elles avaient été suffisamment mises en mesure de faire connaître leur point de vue à la Commission [considérant 16, sous c)]. Elles ont également indiqué qu’elles n’envisageaient pas de demander l’accès au dossier ou d’être à nouveau entendues lors d’une audition [considérant 16, sous d)] et elles ont donné leur accord pour recevoir la communication des griefs et la décision finale en anglais [considérant 16, sous e)].

149 Ainsi, contrairement à ce que soutient la Commission, elle a bénéficié de gains procéduraux qui restent acquis, indépendamment de l’introduction du présent recours (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T 590/20, EU:T:2023:650, point 237). La mobilisation des ressources de la Commission aux fins de défendre la décision attaquée devant le Tribunal est inhérente à chaque procédure juridictionnelle et ne remet pas en cause lesdits gains procéduraux, dès lors que, en l’espèce, les requérantes n’entendent pas revenir sur les éléments visés au point 148 ci-dessus, qu’elles ont reconnus dans le cadre de la procédure de transaction, mais contestent uniquement la compétence de la Commission en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes.

150 Il découle de ce qui précède que, dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, l’augmentation de l’amende demandée par la Commission ne saurait être justifiée par la prétendue perte de gains procéduraux, ni par la prétendue charge administrative supplémentaire engendrée par l’introduction du présent recours.

151 Il convient donc de rejeter la demande reconventionnelle de la Commission, y compris en ce qui concerne celle formulée à titre subsidiaire.

 Sur les dépens

152 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Selon l’article 134, paragraphe 3, du même règlement, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

153 En l’espèce, les requérantes ont succombé en leur recours, alors que la Commission a succombé en sa demande reconventionnelle. Celle-ci ne visant à majorer le montant des amendes que marginalement, force est de constater que ce sont les requérantes qui ont succombé en l’essentiel de leurs conclusions. Dans ces conditions, il y a lieu de décider que les requérantes supporteront leurs propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission, alors que la Commission supportera 10 % de ses propres dépens.

154 En outre, aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Dès lors, la République fédérale d’Allemagne et le Conseil supporteront chacun leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La demande reconventionnelle de la Commission européenne est rejetée.

3) Silgan Holdings, Inc., Silgan Holdings Austria GmbH, Silgan International Holdings BV, Silgan Metal Packaging Distribution GmbH et Silgan White Cap Manufacturing GmbH supporteront leurs propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission.

4) La Commission supportera 10 % de ses propres dépens.

5) La République fédérale d’Allemagne et le Conseil de l’Union européenne supporteront chacun leurs propres dépens.