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Décisions

CA Lyon, 6e ch., 16 février 2023, n° 21/04983

LYON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

MMA Iard (SA)

Défendeur :

Ecurie Couderc (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mme Allais, Mme Robin

Avocats :

Me Robert, Me Perret, Me Froment, Me Hadj M'Hamed

CA Lyon n° 21/04983

15 février 2023

FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES :

La jument Entre en Scène confiée pour l'entraînement à la société Clayeux à [Localité 8], a été blessée le 5 avril 2019 à l'occasion d'une opération de ferrage effectuée par M. [F] [L].

Par actes d'huissier de justice des 20 et 22 avril 2021, la société Ecurie Couderc a fait assigner la société [F] [L], exerçant l'activité de maréchal-ferrant, et la société MMA Iard, assureur de la société [F] [L], devant le tribunal judiciaire de Roanne.

Dans le dernier état de la procédure, la société Ecurie Couderc sollicitait la condamnation de la société [F] [L] à lui payer des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis à la suite des manquements de cette société aux obligations professionnelles en matière de ferrage et à une obligation de sécurité ainsi qu'à voir déclarer la décision opposable à la société MMA Iard, ès-qualités d'assureur de la société [F] [L]. Elle concluait au rejet de la fin de non-recevoir opposée par les sociétés [F] [L] et MMA Iard.

Les sociétés [F] [L] et MMA Iard soulevaient l'irrecevabilité des demandes de la société Ecurie Couderc pour défaut de qualité à agir. Au fond, elles concluaient au débouté de l'ensemble des demandes, arguant à titre principal de ce que la société [F] [L] n'engageait nullement sa responsabilité et à titre subsidiaire que la société Ecurie Couderc n'avait subi aucune perte d'exploitation.

Par jugement du 26 avril 2021, le tribunal judiciaire de Roanne a :

- dit la société Ecurie Couderc recevable dans sa demande comme ayant intérêt à agir,

- dit que la société [F] [L] n'avait pas respecté son obligation de sécurité,

- dit que la responsabilité civile professionnelle de la société [F] [L] était engagée,

- condamné la société [F] [L] à payer à la société Ecurie Couderc les sommes suivantes :

1.353,25 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel indirect,

8.200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice immatériel,

- dit commune et opposable la décision à l'encontre de la société MMA Iard, assureur de la société [F] [L],

- condamné in solidum la société [F] [L] et la société MMA Iard à payer à la société Ecurie Couderc la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- rappelé que l'exécution provisoire s'appliquait à la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum les sociétés [F] [L] et MMA Iard aux entiers dépens.

Par déclaration du 8 juin 2021, les sociétés [F] [L] et MMA Iard ont interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 2 mai 2022 , les sociétés [F] [L] et MMA Iard demandent à la Cour, au visa des articles 1103, 1104 et 1353 du code civil, 9 du code de procédure civile, de :

- les recevoir en leurs fins, moyens et conclusions,

- réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

à titre liminaire,

- constater que la société Ecurie Couderc est irrecevable dans ses prétentions puisque dépourvue du droit d'agir,

à titre principal,

- constater que la société [F] [L] n'engage nullement sa responsabilité,

- débouter la société Ecurie Couderc de l'ensemble de ses demandes,

- déclarer irrecevable la demande de condamnation présentée par la société Ecurie Couderc pour résistance abusive, comme étant nouvelle en cause d'appel,

à titre subsidiaire,

- constater que la société Ecurie Couderc n'a subi aucune perte d'exploitation,

- débouter la société Ecurie Couderc de l'ensemble de ses demandes ;

en tout état de cause,

- condamner la société Ecurie Couderc à verser à chacune d'elles la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 29 avril 2022, la société Ecurie Couderc demande à la Cour, au visa des articles 1789, 1915 et 1928, 1240 du code civil, 31 et 700 du code de procédure civile, de :

- débouter les sociétés [F] [L] et MMA Iard de l'ensemble de leurs demandes,.

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

en tout état de cause,

- condamner solidairement la société [F] [L] et la société MMA Iard, en qualité d'assureur de la société [F] [L], à verser la somme de 10.000 euros au titre de l' article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement la société [F] [L] et la société MMA Iard, en qualité d'assureur de la société [F] [L], aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 mai 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties aux conclusions écrites susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION :

sur la qualité à agir de la société Ecurie Couderc :

Le premier juge a dit que la société Ecurie Couderc était recevable à agir, du fait que celle-ci justifiait être propriétaire du cheval Entre en Scène à hauteur de 50 %.

Les sociétés [F] [L] et MMA Iard font valoir que :

- si la société Ecurie Couderc est propriétaire à 50 % de la jument Règle de l'Art, génitrice d'Entre en Scène, et si Entre en Scène a été stationnée au sein de l'écurie Couderc, ces seuls éléments ne sont pas suffisants pour établir la qualité de propriétaire de la société Ecurie Couderc,

- la fiche IFCE produite par la société Ecurie Couderc ne permet pas de voir le nom du ou des propriétaires d'Entre en Scène, lequel est matérialisé par un cadenas.

Toutefois, une attestation de propriété du 9 août 2020 établie par l'Institut [7] et de l'Equitation (IFCE), portant les mêmes numéros SIRE et UELN que la fiche d'identification IFCE du 27 juin 2019 critiquée, mentionne que les sociétés Haras de Saint Voir et Ecurie Couderc sont copropriétaires d'Entre en Scène à concurrence de moitié chacune. Par ailleurs, la fiche cheval du site de la société organisatrice de courses de chevaux, France Galop, fait état de ce qu'Entre en Scène est un cheval en association entre la société Ecurie Couderc (50 %) et Haras de Saint-Voir (50%).

La propriété d'un bien se prouvant par tous moyens et les sociétés [F] [L] et MMA Iard ne produisant aucun document de nature à contredire les pièces susvisées, celles-ci sont suffisantes pour établir que la société Ecurie Couderc est copropriétaire de la jument Entre en Scène à concurrence de 50 %. au fond :

Les sociétés [F] [L] et MMA Iard font valoir que :

- le contrat liant le maréchal-ferrant au propriétaire d'Entre en Scène est un contrat de louage d'ouvrage et non de dépôt, de telle sorte qu'elle n'avait pas d'obligation de moyen renforcée quant à la sécurité de la jument Entre en Scène ; aussi, il incombe à la société Ecurie Couderc de prouver la faute de la société [F] [L],

- ni la société [F] [L] ni la société MMA Iard n'ont reconnu qu'une faute avait été commise par M. [L] lors des opérations de ferrage ; M. [L] a ferré la jument dans un local prévu à cet effet et l'a attaché à l'aide de deux longes élastiques, conditions d'intervention qui ne sont pas critiquables au regard de celles habituellement pratiquées en matière de ferrage ; par ailleurs, la société Ecurie Couderc ne démontre pas qu'Entre en Scène était une jument difficile qui nécessitait plus d'attention que d'autres équidés, était toujours ferrée dans son box et n'avait jamais été attachée par des longes élastiques dans le cadre d'opérations de ferrage,

- M. [L] n'a pas commis de faute dans le cadre de son travail, étant observé qu'il est intervenu immédiatement lors de la tension sur les longes afin de faire avancer la jument pour réduire cette tension.

Il ressort du procès-verbal de réunion d'expertise vétérinaire amiable, signé le 3 juillet 2019 par les parties qu'Entre en Scène a été blessée dans les circonstances suivantes :

"M. [L] a décidé de ferrer la jument dans la salle de soins qui a été transformée en solarium pour des raisons d'organisation et de rapidité le vendredi 5 avril 2019. La jument a été attachée à deux longes élastiques fixées à des poteaux, ce n'était pas habituel pour elle d'être soignée à cet endroit. M. [L] a commencé à parer et la jument s'est mise à tirer au renard, elle est repartie en avant avec la tête fixée aux longes et les postérieurs sont passés par dessous, elle s'est relevée paniquée, avec une plaie face dorso-latérale du boulet postérieur droit affectant l'articulation du boulet et le tendon extenseur dorsal en région latérale... D'habitude, la jument était ferrée au box."

La société [F] [L] a fait une déclaration de sinistre auprès de son assurance pour les faits du 5 avril 2019 et a signé le procès-verbal d'expertise contradictoire du 3 juillet 2019. Néanmoins, ces actes ne sont pas constitutifs d'une reconnaissance de responsabilité de la part du maréchal-ferrant. Aussi, en l'absence de pièces particulières produites sur ce point, la société Ecurie Couderc n'établit pas la reconnaissance de responsabilité qu'elle invoque contre les sociétés [F] [L] et MMA Iard.

La société [F] [L] exerçant son activité de maréchal-ferrant au sein du centre d'entraînement de la société Clayeux, où Entre en Scène était en pension, les sociétés [F] [L] et MMA Iard ne prouvent pas l'existence d'un contrat entre le propriétaire de la jument et le maréchal-ferrant. Aussi, l'action en dommages et intérêts de la société Ecurie Couderc est fondée sur l'article 1240 du code civil. Néanmoins, la société Ecurie Couderc, tiers au contrat de ferrage conclu entre la société [F] [L] et la société Clayeux, peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel de la société [F] [L] lui ayant causé un dommage.

Les parties sont d'accord pour reconnaître que le contrat de ferrage est soumis aux dispositions de l'article 1789 du code civil, aux termes duquel, dans le cas où l'ouvrier fournit seulement son travail ou son industrie, si la chose vient à périr, l'ouvrier n'est tenu que de sa faute. Entre en Scène ayant été blessée au cours de l'opération de ferrage, il incombe à la société [F] [L], à qui la jument était confiée pendant l'opération considérée, d'établir qu'elle n'a pas commis de faute à l'origine du dommage. Or, les circonstances du sinistre rappelées ci-dessus font apparaître que M. [L] a décidé de ferrer Entre en Scène dans un autre lieu que son box, où elle était habituellement ferrée, pour des raisons d'organisation et de rapidité et a attaché la jument à cette fin avec deux longes élastiques fixées à des poteaux, ce qui n'a pas permis d'assurer la sécurité de la jument quand celle-ci a tiré au renard. M. [L] a donc manqué à son obligation de prudence en ne prenant pas suffisamment de précautions pour prévenir le dommage, alors qu'il avait décidé de ferrer la jument dans un endroit inhabituel pour celle-ci, et ne prouve pas que la blessure de la jument n'est pas imputable à cette faute d'imprudence. Aussi, M. [L] a commis un manquement contractuel dans le cadre du  contrat de ferrage, constitutif d'une faute délictuelle à l'origine du dommage de la société Ecurie Couderc, tiers au contrat. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré que la société [F] [L] était intégralement responsable du dommage subi par la société Ecurie Couderc.

Le rapport d'expertise amiable établi par M. [G] [I], docteur véterinaire, a chiffré le préjudice subi par la société Ecurie Couderc de la manière suivante :

1.352,53 euros HT au titre des dommages matériels indirects, correspondant aux frais vétérinaires, de transport et de pension dus à l'immobilisation de la jument, 5.500 euros HT au titre des dommages immatériels, à savoir la perte d'exploitation constituée des gains en course que la jument aurait pu obtenir pendant la période d'immobilisation, déduction faites des frais d'entraînement nécessaires pour obtenir ces gains en course.

Les chiffres susvisés tiennent compte de ce que la société Ecurie Couderc n'est propriétaire d'Entre en Scène qu'à hauteur de 50 %, le docteur [I] ayant estimé la perte d'exploitation des propriétaires de la jument à 11.000 euros.

Le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a alloué à la société Ecurie Couderc la somme de 1.353,25 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel indirect. Aussi, il sera confirmé de ce chef

Entre en Scène n'a pas pu participer à trois courses programmées pendant la période où elle a été immobilisée. Les sociétés [F] [L] et MMA Iard, s'appuyant sur les déclarations de l'entraîneur de la jument, chiffrent à la somme de 3.153 euros la perte d'exploitation subie par les propriétaires d'Entre en Scène, du fait de ce que celle-ci n'avait aucune chance de gagner deux des courses considérées et seulement 90 % de chance de gagner la troisième. Toutefois, cette analyse est contredite par la note du docteur vétérinaire [M] [V] du 10 juillet 2010, laquelle les représentait dans le cadre de l'expertise amiable contradictoire du docteur [I], et estimait la perte d'exploitation considérée entre 6.950 euros et 8.200 euros HT au vu des mêmes déclarations de l'entraîneur.

Le premier juge a retenu la somme maximale de 8.200 euros HT au titre de la perte d'exploitation subie par les propriétaires de la jument, étant observé que le docteur [I] faisait état dans son rapport qu'en l'absence d'accord entre les parties sur le montant de la perte d'exploitation, la réclamation d'une perte d'exploitation supérieure à la valeur haute du docteur [V] serait difficile à obtenir. La société Ecurie Couderc ne critique pas le montant de cette perte d'exploitation. Toutefois, elle ne peut prétendre qu'à la moitié de ce préjudice, n'étant propriétaire de la jument qu'à concurrence de 50 %. Aussi, la société [F] [L] sera condamnée à payer à la société Ecurie Couderc la somme de 4.100 euros au titre de la perte d'exploitation considérée et le jugement infirmé sur ce point.

La société Ecurie Couderc ne forme pas en cause d'appel de demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, même si elle impute ce comportement  aux appelants pour justifier ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Aussi, il convient de constater que la demande des sociétés [F] [L] et MMA Iard afin de voir déclarer irrecevable cette demande de dommages et intérêts est sans objet.

Compte tenu de la solution apportée au litige, le jugement sera confirmé quant aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile. Les sociétés [F] [L] et MMA Iard, parties perdantes pour l'essentiel, seront condamnées in solidum aux dépens et conserveront la charge de leurs frais irrépétibles. Par ailleurs, elles seront condamnées in solidum à payer à la société Ecurie Couderc la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme déjà allouée par le jugement.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société [F] [L] à payer à la société Ecurie Couderc la somme de 8.200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice immatériel ;

L'infirme sur ce point ;

STATUANT A NOUVEAU et Y AJOUTANT,

Condamne la société [F] [L] à payer à la société Ecurie Couderc la somme de 4.100 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice immatériel ;

Constate que la demande des sociétés [F] [L] et MMA Iard afin de voir déclarer irrecevable la demande de dommages et intérêts de la société Ecurie Couderc pour résistance abusive est sans objet ;

Condamne in solidum les sociétés [F] [L] et MMA Iard aux dépens d'appel ;

Condamne in solidum les sociétés [F] [L] et MMA Iard à payer à la société Ecurie Couderc la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Rejette le surplus des demandes.