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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 26 septembre 2024, n° 22/07265

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Le Fournil des Saveurs (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubois-Stevant

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Dupaquier, Me Iorio, Me Penetticobra, Me Semhoun

TJ Pontoise, 2e ch. civ., du 14 nov. 202…

14 novembre 2022

EXPOSE DES FAITS

Par acte du 1er décembre 2009, M. et Mme [H] ont consenti à la société Au blé d'or un bail commercial d'une durée de neuf ans portant sur une boutique à usage de boulangerie-pâtisserie située à [Localité 4].

Par acte du 1er octobre 2011, la société Au blé d'or a cédé son fonds de commerce à la société La Baguette dorée.

Par acte du 6 septembre 2016, la société La Baguette dorée a cédé son fonds de commerce à la société Le Fournil des saveurs ayant pour dirigeant M. [R].

Le preneur ayant souhaité l'établissement d'un nouveau bail avant le terme du premier, M. et Mme [H] ont, par acte du 30 mars 2018, consenti à la société Le Fournil des saveurs un bail commercial portant sur les mêmes locaux et la même activité pour une durée de neuf ans à compter du 1er avril 2018.

Un compromis de vente du fonds de commerce a été signé le 10 octobre 2018 entre la société Le Fournil des saveurs et M. [A], la réitération devant avoir lieu au plus tard le 1er janvier 2019. Les bailleurs ayant, par lettre du 17 décembre 2018, refusé la cession en arguant divers griefs, contestés par le preneur, l'acquéreur du fonds de commerce s'est désisté.

Par jugement du 4 novembre 2019, le tribunal de commerce de Pontoise a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Le Fournil des saveurs, la SELARL MMJ étant désignée liquidateur judiciaire.

Par acte du 2 octobre 2020, la SELARL MMJ ès qualités et M. et Mme [R] ont assigné les époux [H] devant le tribunal judiciaire de Pontoise en dommages et intérêts à raison notamment de leur opposition abusive à la cession du fonds de commerce.

Par jugement du 14 novembre 2022, le tribunal a condamné solidairement les époux [H] à payer à la SELARL MMJ ès qualités la somme de 145.000 euros à titre de dommages et intérêts pour refus abusif d'autorisation de cession, celle de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral de la société Le Fournil des saveurs et celle de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à M. [R] la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et celle de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, condamné les époux [H] aux dépens.

Le tribunal a considéré qu'aucun des griefs allégués par les bailleurs n'était établi et que leur refus opposé à la cession envisagée revêtait un caractère abusif et reposait sur une intention de nuire.

Par déclaration du 5 décembre 2022, M. et Mme [H] ont fait appel de ce jugement en chacune de ses dispositions et, par dernières conclusions n° 3 remises au greffe et notifiées par RPVA le 24 avril 2024, ils demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les intimés de leurs demandes en paiement de la somme de 18.663,54 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires et de celle de 10.000 euros au profit de Mme [R] au titre d'un préjudice moral, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de débouter la SELARL MMJ ès qualités et M. et Mme [R] de leurs demandes et de leur appel incident, de les condamner à leur verser la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par dernières conclusions n° 5 remises au greffe et notifiées par RPVA le 27 avril 2024, la SELARL MMJ ès qualités et M. et Mme [R] demandent à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement M. et Mme [H] à payer à la SELARL MMJ ès qualités la somme de 145.000 euros à titre de dommages et intérêts pour refus abusif d'autorisation de cession,

- de l'infirmer en ce qu'il a condamné solidairement M. et Mme [H] à payer à la SELARL MMJ ès qualités la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral de la société Le Fournil des saveurs et à payer à M. [R] la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, statuant à nouveau de ces chefs infirmés de condamner solidairement M. et Mme [H] à payer à la SELARL MMJ ès qualités la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral de la société Le Fournil des saveurs et à payer à M. [R] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- de les recevoir en leur appel incident et de condamner solidairement M. et Mme [H] à payer à la SELARL MMJ ès qualités la somme de 18.663,54 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires consécutive à l'opposition abusive des consorts [H] et à payer à Mme [R] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- en tout état de cause de débouter les consorts [H] de l'intégralité de leurs demandes et de les condamner à verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 2 mai 2024.

SUR CE,

Sur la demande indemnitaire de la société Le Fournil des saveurs fondée sur le refus d'agrément des bailleurs à la cession du fonds de commerce :

Les époux [H] soutiennent qu'ils n'ont commis aucune faute. Ils font valoir que la clause stipulant le consentement exprès et par écrit du bailleur à la cession du droit au bail a été considérée par le rédacteur du contrat de vente et mandataire de la société Le Fournil des saveurs comme s'appliquant à la cession du fonds de commerce, que la privation illégitime du droit à cession de la société Le Fournil des saveurs qu'elle allègue résulte de son propre fait et de celui de son conseil immobilier dès lors qu'ils ont commis une erreur en recueillant leur consentement et en ne contestant pas leur opposition, qu'en outre ils se sont bornés à s'opposer à la cession en l'état, compte tenu de l'état des locaux et de leur modification sans leur autorisation, que le refus de cession du droit au bail est justifié au regard de cette modification des lieux, de la dégradation des locaux, du défaut de communication des documents de sécurité, de l'état de saleté et du manque d'entretien, de l'absence de reprise dans le contrat de vente des clauses de solidarité entre le cédant et le cessionnaire et de l'absence de toute réponse à ces reproches par la société Le Fournil des saveurs qui n'a ni discuté avec eux ni remédié aux désordres.

Ils soutiennent en outre que les intimés ne démontrent pas l'existence d'un préjudice en relation directe avec leur opposition, que la société Le Fournil des saveurs ne peut que solliciter une perte de chance de ne pas avoir pu réaliser la vente, qu'elle ne démontre pas qu'elle avait la certitude de réaliser la vente alors que l'obtention d'un prêt par l'acquéreur était une condition suspensive ni qu'elle a tenté de céder le fonds de commerce à un autre acquéreur, qu'au contraire la société Le Fournil des saveurs a annihilé sa valeur en fermant la boulangerie et en déménageant le matériel, que la demande d'indemnisation à hauteur de 145.000 euros est abusive, la valorisation étant surestimée, la société Le Fournil des saveurs, dont le matériel a été détourné par M. [R], ayant elle-même cessé l'exploitation du fonds de commerce en mai 2019 avant de déclarer la cessation des paiements le 22 octobre suivant et une simple intention d'achat ne pouvant fixer le prix d'un fonds de commerce. Ils ajoutent que la société Le Fournil des saveurs apparaît avoir renoncé à la cession sans démontrer une impossibilité de trouver un repreneur dans le secteur géographique, que le préjudice réclamé, qui correspond à la disparition totale de la valeur du fonds de commerce, est imputable à M. [R] qui l'a rendu invendable, observant que le liquidateur judiciaire n'a pas lui-même trouvé de repreneur.

Les intimés soutiennent que le bail n'accordait pas aux consorts [H] le droit de s'opposer à la cession du fonds de commerce, que le courrier du rédacteur de l'acte, agent immobilier, n'a créé aucun droit d'opposition discrétionnaire à la cession du fonds de commerce à leur profit, qu'ils se sont opposés de manière abusive à la cession, la preuve des manquements allégués n'étant pas rapportée.

Ils font valoir que les consorts [H] ont ainsi privé la société Le Fournil des saveurs de percevoir le prix de cession de 145.000 euros, que ce préjudice est certain, seule leur opposition ayant empêché la vente, qui n'était affectée d'aucun aléa ni soumise à aucune condition, que le comportement des bailleurs a empêché M. [U] de céder son fonds de commerce alors qu'il n'était plus en mesure de l'exploiter compte tenu de son état de santé, que ce préjudice ne repose pas sur la valeur du fonds mais sur le prix attendu de sa vente.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 145-6 du code de commerce sont réputées non écrites les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail à l'acquéreur de son fonds de commerce.

Ces dispositions ne font pas obstacle aux clauses qui subordonnent la cession à un accord exprès et par écrit du bailleur, sauf au preneur à être indemnisé en cas de refus injustifié du préjudice résultant de l'abandon du projet de cession.

En l'espèce le bail conclu entre les époux [H] et la société Le Fournil des saveurs le 30 mars 2018 stipule, en son article X Conditions générales, en premier lieu que le preneur ne pourra céder son droit au présent bail ou sous-louer les locaux en dépendant en totalité ou en partie qu'avec le consentement exprès et par écrit du bailleur sous peine de nullité des cessions ou sous-locations consenties au mépris de cette clause et même résiliation du bail si bon semble au bailleur et, en second lieu, qu'en cas de cession du bail à l'acquéreur du fonds de l'entreprise, le bailleur disposera, préalablement à la réalisation de cette cession, d'un droit de préférence à l'acquisition du fonds, qu'à cette fin, le preneur devra, par lettre recommandée avec accusé de réception, faire connaître au bailleur son intention de céder, en indiquant les conditions dans lesquelles la cession projetée devra avoir lieu ainsi que l'indemnité du cessionnaire, que cette formalité vaudra mise en demeure du bailleur de faire connaître, dans un délai de quinze jours à compter de la présentation de la lettre et sous peine de déchéance, s'il se porte ou non acquéreur du fonds, qu'à défaut d'avoir fait connaître ses intentions, le bailleur sera réputé avoir renoncé à son droit de préférence.

Cette clause figurait au précédent bail conclu par les époux [H] avec la société Au blé d'or, avec effet au 1er décembre 2009, société dont le fonds de commerce a été cédé à la société La Baguette dorée le 1er octobre 2011 puis à la société Le Fournil des saveurs le 6 septembre 2016.

Clairement et sans qu'il soit nécessaire de recourir à son interprétation comme le prétendent les époux [H], elle ne prévoit, en cas de cession du bail à l'acquéreur du fonds de l'entreprise, aucun consentement exprès, écrit et préalable à la cession de la part du bailleur mais stipule en la faveur de ce dernier un seul droit de préférence.

Il s'ensuit que les époux [H] ne disposait d'aucun droit pour s'opposer à la cession du fonds de commerce de la société Le Fournil des saveurs sauf à exercer leur droit de préférence.

Cependant, la convention synallagmatique de vente et d'achat du fonds de commerce conclue le 10 octobre 2018 entre la société Le Fournil des saveurs et M. [A] indique, en page 4, au titre des déclarations du promettant, la société Le Fournil des saveurs, que le cabinet CFI consultants va faire parvenir aux époux [H] une correspondance pour les informer de la présente cession de fonds de commerce et solliciter l'autorisation de cession du fonds de commerce et rappelle notamment que le preneur ne pourra donner aux locaux aucune autre destination que celle prévue au bail, à savoir boulangerie-pâtisserie, que la société Le Fournil des saveurs ne pourra céder son droit au bail sauf à l'acquéreur de son fonds de commerce et que la cession du fonds de commerce est autorisée au profit de l'acquéreur à condition, notamment, d'avoir obtenu l'agrément préalable et exprès du bailleur pour une activité de prêt-à-porter, bazar, solderie, chaussures, le bailleur devant en outre intervenir à l'acte de cession.

Ces déclarations du promettant sont en ligne avec le bail qui stipule en son article IV que les locaux loués ne pourront être utilisés pendant la durée du bail que pour l'activité de boulangerie-pâtisserie et que tout changement d'activité demeure subordonné à l'accord exprès et par écrit du bailleur.

Par lettre du 22 novembre 2018, le cabinet CFI consultants a soumis à M. ou Mme [H] le projet de cession du fonds de commerce en précisant que M. [A] souhaitait acquérir le fonds de commerce au prix de 145.000 euros sous conditions d'autorisation du bailleur pour « reprendre l'activité des locaux avec boulangerie pâtisserie » et d'obtenir son accord pour la cession de fonds de commerce. La lettre demande également aux époux [H] de faire parvenir toutes observations afin de les transmettre à M. [A] et à M. « [U] » pour obtenir éventuellement leur accord.

Contrairement à ce qu'indique le conseil de la société Le Fournil des saveurs dans une lettre adressée aux époux [H] le 28 janvier 2019, ce courrier du 22 novembre 2018 ne leur demandait pas explicitement s'ils entendaient exercer leur droit de préférence. Quand bien même la seule notification du projet de cession valait offre de vente aux époux [H], les explications données dans la lettre ont entretenu la confusion sur l'objet réel de cette notification et les effets qu'elle entraînait.

Ainsi, si la clause stipulée au bail est claire quant à l'absence de tout consentement exprès, écrit et préalable du bailleur à une cession de fonds de commerce, en revanche les déclarations de la société Le Fournil des saveur dans la convention synallagmatique de vente adressée aux bailleurs évoquant un changement d'affectation des locaux pris à bail, sans que cette seule évocation ne soit claire dans sa finalité, et faisant état de l'autorisation de cession de fonds de commerce devant être demandée aux bailleurs, d'une part, et la lettre du cabinet CFI consultants exposant le souhait de M. [A] d'acquérir le fonds de commerce sous condition de leur autorisation pour reprendre l'activité de boulangerie-pâtisserie dans ces locaux et d'obtention de leur accord pour la cession de fonds de commerce, d'autre part, ont pu légitimement induire les époux [H] en erreur sur le cadre juridique dans lequel ils étaient sollicités pour donner leur accord à la cession.

L'ambiguïté est telle ' entre la possible application de la clause de cession du fonds de commerce, ne stipulant pas le consentement des bailleurs, ou celle de la clause relative au changement de destination des locaux, nécessitant l'autorisation préalable des bailleurs, ou encore l'évocation par la lettre du cabinet CFI consultants de conditions mises par l'acquéreur préalables à la cession et tenant à l'autorisation des bailleurs à la reprise d'une activité de boulangerie-pâtisserie et à leur accord pour la cession du fonds de commerce pouvant laisser penser à des conditions stipulées à la convention synallagmatique de cession de fonds de commerce quelles que soient par ailleurs les clauses du bail relatives à la cession du bail à l'acquéreur du fonds de commerce ' que les époux [H] n'étaient pas en capacité de contester le principe de l'autorisation préalable à la cession qui leur était expressément demandée.

Cependant, par lettre du 17 décembre 2018, les époux [H] n'ont fait valoir aucun motif légitime pour s'opposer à la cession du fonds de commerce en arguant de la discordance entre la désignation des locaux définis dans le bail et la réelle configuration de ces mêmes locaux, de l'installation d'une salle de bain, de l'abattement de solives pour permettre l'installation du matériel, de la condamnation des deux fenêtres sur cour et de la saleté des locaux et ce, d'autant moins que ces deux dernières circonstances étaient parfaitement réversibles et que, s'agissant des autres motifs, il ne ressort des pièces versées par les parties aucune preuve certaine que les modifications ont été apportées par la société Le Fournil des saveurs pendant son occupation des locaux et encore moins sans le consentement, au moins tacite, des époux [H] alors que le bail a été renouvelé le 1er avril 2018 quelques mois avant la notification du projet de cession.

Par ailleurs la demande d'un rapport de sécurité n'est pas formulée dans cette lettre à titre de motif d'opposition à la cession du fonds de commerce et le défaut de communication d'un tel rapport, nécessairement postérieur à cette demande, ne saurait constituer un motif légitime de refus de la cession du fonds de commerce notifié le même jour que la demande. M. et Mme [H] n'ont pas non plus invoqué pour motiver leur opposition à la cession l'absence de reproduction dans la convention synallagmatique des clauses de solidarité obligatoire dont ils se prévalent dans leurs écritures pour justifier leur attitude.

Les époux [H] se sont en outre opposés à la cession sans condition et de manière irrévocable et non « en l'état » comme ils le prétendent dans leurs écritures, la possibilité pour le vendeur de leur « apporter toutes précisions et explications utiles » étant énoncée, dans leur lettre du 17 décembre 2018 adressée au cabinet CFI consultants, avant l'expression de leur refus en des termes, dépourvus d'équivoque : « Vous comprendrez dans ces conditions que Madame [D] [H] refuse de donner son accord à la cession envisagée et que nous n'hésiterons pas à engager votre responsabilité professionnelle si vous deviez passer outre ».

En s'opposant ainsi à la cession du fonds de commerce de la société Le Fournil des saveurs, les époux [H] ont commis une faute.

Toutefois, si M. [A] a, par lettre du 2 janvier 2019, notifié aux époux [R] et à la société Le Fournil des saveurs qu'il estimait le compromis de vente « nul et non avenu » en raison du dépassement de la date-butoir de la signature de l'acte de cession, soit le 1er janvier 2019, et du refus de Mme [H] de donner son accord à la cession, il expose préalablement que l'acte de cession devait intervenir avant le 1er janvier 2019 ' ce qui est exact aux termes de l'article IV de la convention synallagmatique ' « sous certaines conditions, notamment celle d'avoir obtenu l'agrément écrit préalable et exprès du bailleur », ce qui, en revanche, n'est pas exact, la convention synallagmatique ne comprenant aucune condition afférant à l'agrément préalable des bailleurs.

De même le conseil de la société Le Fournil des saveurs a, dès le 28 janvier 2019, mis en demeure les époux [H] d'avoir à indemniser les préjudices subis par sa cliente à défaut d'avoir conclu la cession en invoquant leur refus de donner leur autorisation à la cession « laquelle n'était à tout le moins pas requise en vertu du bail commercial du 30 mars 2018 ».

Ainsi il résulte tant du bail commercial que de la convention synallagmatique conclue entre la société Le Fournil des saveurs, d'une part, et M. [A] et sa société personnelle, d'autre part, que le vendeur du fonds de commerce était en droit de passer outre le refus des époux [H] et de signer l'acte de cession du fonds de commerce.

Il reste que, dans sa lettre du 2 janvier 2019 adressée au conseil de la société Le Fournil des saveurs pour justifier sa demande de mettre un terme à la promesse de vente et d'autoriser l'agent immobilier à lui reverser l'indemnité d'immobilisation, M. [A] invoque ' outre l'absence de signature de l'acte de cession avant le 1er janvier 2019 et le défaut d'agrément écrit préalable et exprès du bailleur qu'il considère, à tort, comme une condition de réalisation de la cession ' les raisons opposées par les bailleurs dans le courrier de leur avocat du 17 décembre 2018 considérées par l'avocat comme un motif de résiliation du bail aux torts du locataire et par M. [A] comme la constatation de vices cachés (M. [A] écrivant « pour ma part l'existence et la constatation de vices cachés ne font aucun doute »). Ainsi M. [A] a renoncé à l'acquisition du fonds de commerce en raison non seulement du refus d'agrément du bailleur, motif inexact comme la cour l'a retenu, mais aussi en raison des risques de résiliation du bail résultant des termes de la lettre de l'avocat des bailleurs et de sa propre certitude quant à l'existence de vices cachés.

A la suite de cette lettre, le cabinet CFI consultants a, dès le 3 janvier 2019, mis en demeure la société Le Fournil des saveurs de lui faire connaître son choix d'assigner la société [A] pour « contrainte la validation de la cession du fonds de commerce » (sic) ou de mettre un terme à la convention synallagmatique du 10 octobre 2018 et l'autoriser à rembourser à M. [A] l'indemnité d'immobilisation. Ce faisant, le cabinet CFI consultants considérait que le refus d'agrément des bailleurs ne constituait pas un obstacle à la cession.

La société Le Fournil des saveurs n'ignorait pas cette circonstance compte tenu, d'une part, de l'analyse de son conseil émise, le 28 janvier 2019, dans sa lettre adressée aux époux [H] considérant que leur autorisation n'était pas requise en vertu du bail commercial et, d'autre part, de l'absence de toute clause insérée dans la convention synallagmatique de vente relative à une condition préalable d'obtention d'un agrément du bailleur.

Les motifs de renonciation exprimés par M. [A] tenant au risque de résiliation du bail et à l'existence selon lui de vices cachés, la position du cabinet CFI consultants laissant la possibilité à la société Le Fournil des saveurs d'obtenir l'exécution forcée de la cession et l'analyse de son propre conseil quant à l'inutilité de recueillir l'agrément des bailleurs démontrent que le refus d'agrément opposé par les bailleurs le 17 décembre 2018 n'est pas à l'origine de l'échec de la cession par la société Le Fournil des saveurs de son fonds de commerce.

Il s'ensuit que la demande de dommages et intérêts fondée sur le refus abusif des époux [H] d'autoriser la cession doit être rejetée et, en conséquence, le jugement infirmé en ce qu'il les a condamnés au paiement d'une somme de 145.000 euros à ce titre.

Sur la demande indemnitaire de la société Le Fournil des saveurs au titre d'un comportement attentatoire à son image :

Les intimés soutiennent que les époux [H] ont dénigré la société, son dirigeant et son épouse, que la clientèle s'est détournée de la boulangerie en raison de ce dénigrement et de la violence exercée à leur encontre, que le chiffre d'affaires a baissé au début de ces agissements, le 21 novembre 2018, et n'a cessé de diminuer jusqu'à la liquidation judiciaire, le 4 novembre 2019, qu'il en a résulté pour la société un préjudice moral dont il est demandé réparation à hauteur de 20.000 euros, le tribunal ne lui ayant alloué que 5.000 euros à ce titre.

Les époux [H] critiquent les attestations produites par les intimés et répliquent que le principal événement qui leur est reproché, le prétendu scandale provoqué par Mme [H], a été initié par M. [R] qui s'est opposé à trois reprises à l'accès aux locaux de la boulangerie par un entrepreneur sollicité pour des travaux de consolidation.

Sur ce,

Les intimés produisent les témoignages suivants :

M. [S] atteste avoir entendu M. [H] dire à propos de la boulangerie : « ils font un travail de merde comment pouvez-vous acheter chez eux » et Mme [H], dans une boutique de photocopies, dire qu'elle allait « les ruiner et leur faire fermer boutique », ces faits n'étant pas datés,

M. [W] indique qu'il lui est arrivé de « croiser la propriétaire dans la boulangerie qui était peu aimable » et de la « voir dans le voisinage de la boulangerie criant au scandale en dévalorisant la boulangerie, leurs gérants », le gérant étant irréprochable selon lui, et de la voir essayer de prendre à partie les clients, ces faits n'étant pas datés,

Mme [M], vendeuse de la boulangerie, témoigne de l'irruption de Mme [H] dans les locaux, le 21 février 2019, accompagnée de son époux, déclarant souhaiter faire un devis, ce qu'a refusé M. [R] au motif que l'objet du devis souhaité n'était pas celui convenu, du mécontentement de Mme [H], menaçante, de la peur que celle-ci lui a inspirée, de l'appel à la police par M. [R], de la sortie des locaux de Mme [H] qui s'était toutefois maintenue devant l'entrée en bloquant le passage aux clients, de l'arrivée sur les lieux des forces de l'ordre qui ont longuement discuté avant de convaincre Mme [H] de quitter les lieux,

M. et Mme [E], clients, décrivent de manière très circonstanciée la même scène que Mme [M], le 21 février 2019, Mme [H] empêchant quiconque d'entrer dans la boutique, insultant le boulanger, et affirmant que la boulangerie allait fermer.

Aucune pièce d'identité de M. [J] et de Mme [P] [E] n'étant produite, leur témoignage doit être écarté.

Les intimés produisent également un constat d'huissier relatant la scène du 21 février 2019 enregistrée par une caméra, dont il ressort que Mme [H] est arrivée dans la boutique à 20 heures 43 et n'en est sortie qu'à 21 heures 25 après que deux policiers sont intervenus, une main-courante déposée par M. [R] le 21 novembre 2018 à la suite d'une altercation avec Mme [H] lors de l'état des lieux des locaux et une plainte également déposée par M. [R] le 18 février 2019 pour « harcèlement moral », depuis le 21 novembre 2018, aux termes de laquelle il évoque un conflit avec les bailleurs, des propos de Mme [H] tenus le 5 décembre 2018 devant la boulangerie, devant l'huissier et des clients du bar, à son encontre et à l'égard de son épouse, et annonçant la fermeture prochaine de la boulangerie, des propos similaires de M. [H], se présentant presque tous les jours devant la boulangerie, quant à la prochaine fermeture du commerce, la perte de clientèle et de chiffre d'affaires depuis décembre en raison de ces comportements et dénigrement.

Les quatre témoignages sus énoncés, bien que ne précisant pas pour deux d'entre eux la date des faits rapportés, convergent avec les faits dénoncés par M. [R] pour faire état d'une attitude de la part des époux [H], dans une même période de temps, empreinte d'une hostilité envers M. [U] exprimée publiquement et se traduisant par un dénigrement répété de son commerce auprès de la clientèle et du voisinage, des menaces sur la pérennité de la société Le Fournil des saveurs, des pressions exercées par leur présence quasi-quotidienne devant la boulangerie et leur irruption dans la boutique sans l'accord de M. [R].

Les attestations produites par les époux [H], témoignant en des termes généraux n'avoir jamais entendu Mme [H] dénigrer la société Le Fournil des saveurs, ne sont pas de nature à remettre en cause la description, générale ou précise, du comportement des époux [H] à l'égard de M. [R] et de son commerce dans la période de différend qui les a opposés, soit entre décembre 2018 et fin février 2019. En outre Mme [H] évoque des menaces proférées à son encontre par M. [R] pendant les opérations de constat d'huissier sans en rapporter la preuve, aucun des constats d'huissier produits aux débats n'évoquant les conditions dans lesquelles l'huissier a mené ses opérations.

Si le contexte de différend entre bailleurs et preneur, dont les causes sont multiples, explique le climat de tension ayant prévalu sur cette période de trois mois, il ne saurait justifier l'attitude fautive des époux [H].

L'expert-comptable de la société Le Fournil des saveurs atteste que son chiffre d'affaires est passé de 12.700 euros en octobre et novembre 2018 puis à 11.250 euros en janvier 2019, 8.000 euros en février 2019 et 8.500 euros en mars 2019. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les agissements fautifs des époux [H] aient commencé avant le 21 novembre 2018, date à laquelle M. [R] a lui-même défini le début du « harcèlement » dont il faisait l'objet, et qu'ils aient perduré après le 21 février 2019, jour où la police est intervenue auprès de Mme [H]. Il ne peut être par ailleurs considéré que ces agissements ont été la cause exclusive de la baisse du chiffre d'affaires qui avait commencé de décliner régulièrement depuis le début de l'année 2018. Il y a lieu néanmoins de retenir la chute du chiffre d'affaires passé de 11.250 euros en janvier 2019 à 8.000 et 8.500 euros en février et mars 2019 pour considérer que les agissements des époux [H] auprès de la clientèle y ont contribué de manière importante.

Le comportement des époux [H] a ainsi incontestablement causé un préjudice moral à la société Le Fournil des saveurs dont l'image a été ternie auprès de la clientèle et du voisinage et dont la clientèle et le personnel ont été apeurés ou à tout le moins impressionnés, ce qui s'est traduit par une baisse conséquente du chiffre d'affaires au premier trimestre 2019 qui ne peut s'expliquer par la seule poursuite d'une érosion de l'activité de la boulangerie.

La cour fixera dès lors à 5.000 euros l'indemnisation du préjudice moral de la société Le Fournil des saveurs résultant du dénigrement subi, le jugement étant confirmé sur le montant de la condamnation des époux [H] de ce chef.

Sur la demande indemnitaire de la société Le Fournil des saveurs au titre de l'inexécution par le bailleur de son obligation d'entretien et d'assurer une jouissance paisible :

Les intimés soutiennent que les époux [H] n'ont pas assuré à la société Le Fournil des saveurs la jouissance paisible des locaux à raison du comportement de Mme [H] le 21 février 2019, du dénigrement et des pressions exercées par les bailleurs, d'une part, et de leur opposition à la cession du fonds de commerce qui a obligé M. [R] a assuré seul l'exploitation du fonds de commerce pendant une période faste pour la vente en boulangerie et pâtisserie, d'autre part. Ils estiment le préjudice subi à la différence entre le chiffre d'affaires encaissé d'octobre 2017 à janvier 2018 et celui encaissé d'octobre 2018 à janvier 2019.

Les époux [H] font observer que la baisse du chiffre d'affaires avait commencé bien avant les faits litigieux et qu'elle est sans lien avec leur opposition à la cession.

Sur ce,

La cour a précédemment jugé que le refus d'agrément de la cession opposé par les époux [H] n'était pas à l'origine de l'échec de la vente du fonds de commerce de sorte que la société Le Fournil des saveurs ne peut leur reprocher la prétendue difficulté dans laquelle elle se serait trouvée d'exploiter au mieux son activité lors des fêtes de fin d'année en 2018, difficulté dont elle ne rapporte au demeurant pas la preuve.

En revanche, la présence intempestive des époux [H] devant la boutique ou à proximité, accompagnée de critiques publiques de la qualité des produits vendus, et l'irruption de Mme [H] et son maintien dans les locaux empêchant les clients d'y entrer, le 21 février 2019, ont constitué une atteinte à leur jouissance paisible.

Mais, comme précédemment considéré, il ne peut être considéré que ces agissements du 21 février 2019 ont été la cause exclusive de la baisse du chiffre d'affaires qui avait commencé de décliner régulièrement depuis le début de l'année 2018 et la diminution de 28 % du chiffre d'affaires entre octobre 2017-janvier 2018 et octobre 2018-janvier 2019 est invoquée par les intimés au seul soutien de leur demande indemnitaire au titre de l'opposition des époux [H] à la cession du fonds de commerce.

Les effets de l'attitude de Mme [H] le 21 février 2019 sur la clientèle n'ont cependant pas été de courte durée au vu de la chute du chiffre d'affaires constatée.

Il s'ensuit que, compte tenu d'un chiffre d'affaires journalier d'environ 800 euros constaté sur la période antérieure aux agissements fautifs de M. et Mme [H], la cour fixe à 3.000 euros l'indemnisation de la perte d'exploitation subie par la société Le Fournil des saveurs en raison de l'atteinte portée à la jouissance paisible des locaux.

Sur la demande indemnitaire de M. [R] :

Les intimés soutiennent que M. [U], contraint d'exploiter le fonds de commerce alors que son état de santé ne le lui permettait plus et victime des agissements violents et injurieux des consorts [H], a subi un préjudice personnel.

Mais ayant été précédemment jugé que le refus d'agrément de la cession opposé par les époux [H] n'était pas à l'origine de l'échec de la vente du fonds de commerce, M. [R] allègue un préjudice dont ils ne sont pas à l'origine.

En revanche, les main courante et plainte déposées par M. [R], corroborées par les témoignages retenus par la cour, montrent qu'il a subi personnellement les pressions et menaces des époux [H]. La cour ramènera à 3.000 euros le montant alloué à M. [R] au titre de l'indemnisation de son préjudice moral. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur la demande indemnitaire de Mme [R] :

Les intimés soutiennent que Mme [U] a subi un préjudice en ce qu'elle a également subi le dénigrement, les menaces et insultes des époux [H] et qu'elle souffre de voir son époux déprimer depuis la perte de son activité du fait des bailleurs.

Mais il n'est pas suffisamment démontré par les témoignages produits aux débats que Mme [U], qui ne travaillait pas aux côtés de son époux, ait personnellement subi les agissements de M. et Mme [H] et il ne résulte pas des pièces et des appréciations portées par la cour précédemment que M. [U] a perdu son activité de leur fait alors qu'il souhaitait céder le fonds de commerce, qu'il affirme que son état de santé était incompatible avec la profession de boulanger et qu'il a été condamné, le 14 octobre 2021 à une mesure de faillite personnelle d'une durée de dix ans.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté Mme [R] de sa demande indemnitaire.

Sur les demandes accessoires :

L'issue du litige commande de laisser la charge de leurs propres dépens à chacune des parties et de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque. Le jugement sera dès lors infirmé en ce sens.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant contradictoirement,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné M. [B] [H] et Mme [D] [H] à payer à la SELARL MMJ ès qualités la somme de 5.000 euros au titre du préjudice moral subi par la société Le Fournil des saveurs et en ce qu'il a débouté Mme [C] [R] de sa demande indemnitaire pour préjudice moral ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute la SELARL MMJ ès qualités de sa demande de dommages et intérêts fondée sur le refus abusif d'autorisation de la cession du fonds de commerce ;

Condamne in solidum M. [B] [H] et Mme [D] [H] à payer à la SELARL MMJ ès qualités la somme de 3.000 euros au titre de la perte d'exploitation subie par la société Le Fournil des saveurs ;

Condamne in solidum M. [B] [H] et Mme [D] [H] à payer à M. [G] [R] la somme de 3.000 euros au titre du préjudice moral ;

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile au titre de leurs frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;

Dit que chaque partie conserve la charge de ses propres dépens exposés en première instance et en appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.